mercredi 6 avril 2011

pointillisme et âme nationale

A quel moment des jeux de rôles en politique française, a-t-on érigé en dogmatique de la crédibilité devant les électeurs, la précision énumérative des programmes de partis ? Un spectre à couvrir, des cahiers de doléances rédigés en fait en position mentale de gouvernants, et non pas en tenue de plume des gouvernés (alors que la monarchie, à son couchant, avait su le provoquer) ou le rateau au plus large, le bulletin de vote s’achetant ? Les 101 priorités de 1981 n’étaient pas de cette sorte parce que la gauche – en programme commun de gouvernement : gestation, alliances et diffusion commentée d’une décennie entière – avait surtout convaincu qu’elle allait tout changer. Les adversaires seuls lisaient le programme.


Tant que la gauche n’est pas l’opposition radicale à ce que nous subissons, tant qu’elle persévèrera à imposer des programmes à ses électeurs, sans exprimer – simplement et bonnement – la volonté des Français, elle gagnera pour rien, si elle l’emporte. Ce n’est pas affaire de candidat, c’est affaire de tout le monde.


L’attente des Français, l’attente-même des acteurs politiques rejoignent la nécessité. Il faut restaurer la démocratie. Il faut réinstituer le sens et la priorité de l’Etat en morale individuelle des dirigeants et en outil du salut économique et social. Il faut inventer pour aujourd’hui et demain l’aménagement du territoire, la planification, la solidarité. Rien de cela n’est du passé, tout au contraire est fondamental parce que ce sont les structures-mêmes de notre vie collective, telles qu’est la France à peine de ne plus exister dans l’esprit de chacun des Français. Et, faute d’Etat, faute de service public et par débauchage de toutes les ambitions individuelles et de toutes les tolérances et soumission de fait de ceux qui ne peuvent rien que par addition – massive, continue – dans la rue, en grève générale, en passion de se retrouver soudainement libérés, affranchis de l’interdiction d’espérer mieux que le lot subi, nous sommes très proches de ce dépérissement de l’âme nationale. Renouer avec elle n’est pas jouer de la fibre nationaliste, encore moins avec le mortifère thème de l’identité. Le nationalisme de chaque peuple est tout simplement la réintroduction d’un souci, le bien commun, et d’une méthode, la démocratie, dans les mécanismes aveugles, actuellement, du mondialisme et du libéralisme. La nation est l’antidote aux communautarismes, aux clanismes, et à leur version ultime des cooptations faisant la fortune de quelques-uns, se barricadant aussitôt dans l’autisme et le cynisme – hors la loi – et la soumission des autres, perdant de vue jusqu’à la possibilité qu’il y ait jamais plus l’alternative au présent et à chacun des engrenages qui nous broient.


Le « sarkozysme » n’a pas été que la monocratie et le bling-bling de l’arrivisme et du cynisme, flattant – en thème – les « petits-blancs » et – en comportement du chef – ce goût malsain du décideur dont il est plus reposant de quémander les faveurs, fût-il l’Etat (mais nous n’en avons presque plus) ou personnage soudainement sacralisé par la fonction reçue, que de contrôler ou d’exiger toute action, puisqu’il n’est qu’instrument, que mandataire. Le système de Nicolas Sarkozy n’est pas le fait d’un solitaire parvenu – celui-ci a un comportement, un paraître mais pas une philosophie, c’est un serviteur que rejettent sans doute maintenant les tenants de l’idéologie dominante à qui il avait commencé d’ôter ses complexes et son masque. Le système qu’a incarné Nicolas Sarkozy, était la mise en œuvre d’un programme, non dit mais très pensé, d’asservissement et de conversion des mentalités courantes selon des schémas, très pratiques, ne devant rien aux nécessités ni aux réalités, et tout à l’intérêt de quelques-uns, personnes physiques et personnes morales, chez nous, Etats ou systèmes pas aisés à identifier, et encore moins à décrire selon leurs fonctionnements et leur enrichissement. L’antidote n’est que la démocratie, et chez nous elle coincide avec la foi nationale.


La mithridatisation a commencé avec une conception de l’économie ne plaçant plus le service des besoins et la dignité humaine en premier, et légitimant, sans plus de démonstration par les résultats, une équation selon laquelle moins il y aurait d’intervention publique, plus il y aurait de satisfaction des besoins et de réinvestissements des plus values du travail et de l’invention technique. La réalité n’a été que l’accaparement et l’enrichissement. Chacun le vit. Moins évident étaient le matériel et les rémunérations, la sécurité de l’emploi (concept introuvable dans le discours politique d’aujourd’hui), plus on a avancé la gestion et ses contraintes, avec comme corollaire la culture de l’individualisme soi-disant plus profitable à chacun que la solidarité de tous. Et à la lutte des classes, dont la dialectique était pourtant éprouvée et expliquait aussi bien la réalité qu’elle inspirait le programme, s’est susbtituée une communautarisation du pays suivant les croyances, les origines ethniques. L’abandon de toutes structures de négociations avec les travailleurs au profit de marchandages occultes entre les dirigeants politiques et les dirigeants économiques ou financiers, a produit une société passive que reflète le désintérêt pour la politique et aussi pour toute participation à la vie des partis et à celle des syndicats. L’indivualisme ne pousse pas à la promotion des personnes mais à leur seule prise en compte statistique. A la personnalisation outrancière de l’exercice du pouvoir dans l’Etat et dans l’entreprise correspond, ce qui continue de la permettre, un nivellement de sujets de moins en moins producteurs pour eux-mêmes et pour les autres, et de plus en plus consommateurs de ce qui n’est pas choisi mais imposé, subi. L’exaltation d’orientations politiques volontaristes et de directions économiques et financières délibérées masque une soumission générale à des évolutions non prévues : la société, la planète sont à la merci d’un accident aux causes analysables mais aux conséquences non maîtrisées : la faillite de Lehman brothers et la destruction des systèmes de la centrale de Fukushima.


Restaurer la démocratie est le seul moyen de réintroduire l’outil collectif dans l’économie. La démocratie n’est pas un phénomène de masses, elle est l’affaire de chaque personne. Elle implique forcément des réformes très précises – dont nous distraient les pétitions de quotas, notamment femems/hommes, et les discriminations positives, autant d’albis au racisme et au sexisme ambiants – pour que reprenne ou commence vraiment la participation à la décision politique. Plus aucun scrutin valable sans une participation minimum, quelle que soit l’élection, quel que soit l’objet du referendum. Plus aucun viote dans les assemblées nationales ou locales sans une participation physique des élus censés représenter les citoyens. Vote de conscience dans les assemblées puisque les questions sont bien moins aujourd’hui d’alternatives techniques que d’éthique et de justice.


Seule, la reviviscence de l’esprit civique refera le lien entre Français qui ne peut être que sur la France et fort peu sur des alternatives de gestion. Puisque les paramètres qui ont érigé l’idéologie dominante, sont aujourd’hui apparemment mondiaux, le défrichage de la jungle monétaire et financièrere actuelle, des proliférations spéculatives de tant de sortes ne peut se faire que par l’irruption d’autres paramètres périmant ceux qui nous ont désorientés. Les nations, les peuples restaurant ou inventant les structures propres à chacun se cultiver eux-mêmes et s’ouvrir à d’autres sans crainte de se dissoudre ou se perdre, attendent – parmi celles et ceux les mieux dotés – ce déclencheur d’une contagion dont nos grands partenaires arabes, sur la rive sud de la Méditerranée, viennent de nous donner l’exemple. Ils ne sauront sans doute pas exploiter leur avantage, celui de la brèche ouverte. Les Français – le peuple selon Michelet et de Gaulle – savent, eux, et pourtant ces mois-ci, à quoi sont-ils sensibles ? ne se reconnaissent-ils donc nulle part ? Toute notre histoire montre ce savoir ressusciter, mais elle semble interrompue. La libido perdue pour le bonheur, la grandeur, les utopies françaises, les seules façons nationales pour notre créativité.


Machine à perdre, disent les grands de la droite ? ne comptant plus que sur le défaut de gauche et d’opposition pour maintenir un champion contesté. Machine à décevoir ? la gauche alignant des points comme si pour changer le cours des choses, il fallait en compter. Le secret de l’élan est dans les âmes, pas ailleurs. Sans doute, formaliser par un écrit, synthétiser par un discours, des formules, même cet art de la communication s’est perdu qui n’est pas de se montrer, ni de convaincre, mais d’incarner un unisson en l’exprimant. Sans doute, faut-il l’événement ou la vague… Charles de Gaulle en 1940 pour une France défaite, François Mitterrand en 1965 pour une gauche et toutes les oppositions battues. L’enjeu d’aujourd’hui n’est pas médiocre : une âme qui se perd, n’est-ce pas plus dramatique encore ? retrouver par nous-mêmes la plus grande ambition collective qui soit : liberté, égalité, fraternité ?

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