mardi 10 avril 2018

qui détient la dette publique ?






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Économie « L’ordre de la dette » : Pourquoi la dette est financée par les marchés financiers
janvier 16, 2017

« L’ordre de la dette » : Pourquoi la dette est financée par les marchés financiers

L’Etat se finance en émettant des titres de dette publique sur les marchés financiers, mais cela n’a pas toujours été le cas : d’autres mécanismes ont existé auparavant, et la mise en marché de la dette publique est le résultat d’une volonté politique.
photo-ordre-de-la-detteBenjamin Lemoine est un sociologue qui s’intéresse aux questions d’économie et notamment de dette publique. Dans son livre L’ordre de la dette, il s’attache à faire une socio-histoire de la mise en marché de la dette publique française.
Si le débat public se concentre largement sur les causes et les solutions du problème de la dette publique, la question de la technique du financement de l’État a elle complètement disparu. L’émission régulière de dette publique par l’Agence France Trésor sur les marchés financiers n’est jamais remise en question. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi, loin de là. D’autres techniques de financement ont émergé à la suite de la 2nde guerre mondiale, lesquelles ont été progressivement évincées au profit de l’endettement sur les marchés.

Des mécanismes hétérodoxes d’après-guerre…

1/ Le circuit du Trésor :

Au lendemain de la 2nde guerre mondiale, l’État doit s’assurer un financement sécurisé pour la reconstruction du pays. C’est ainsi que va être mis en place ce qu’on appelle le « circuit du Trésor ». Les « correspondants du Trésor » (institutions publiques bancaires et non-bancaires, entreprises nationalisées, certains fonctionnaires) ont alors l’obligation de confier leur trésorerie et épargne au Trésor.
Ainsi, on peut dire que le Trésor fonctionne comme une banque : il draine la trésorerie de ses correspondants et l’utilise à court terme pour régler les paiements de l’État. Ce circuit du Trésor s’articule alors parfaitement bien avec les nombreuses nationalisations de l’économie française de l’après-guerre. Il permet surtout à l’État de mener des politiques économiques ambitieuses sans se soucier de la dette publique.

2/ Souscription obligatoire des banques :

Un deuxième mécanisme est « la souscription forcée de bons du Trésor par le système bancaire ». Créé en 1948. Ce dispositif instaure un système de planchers : les banques sont obligées de détenir un certain pourcentage de titres de dette publique. En outre, les taux d’intérêt de ces bons forcés sont dictés par l’État. Ce mécanisme permet à l’État de lever des fonds par création monétaire automatiquement et sans surpayer de taux d’intérêt.
Grâce à ces deux mécanismes de financement hétérodoxes, l’État s’assure donc un flux régulier et continu de ressources, ce qui le dispense de devoir s’endetter auprès des marchés de capitaux. On se trouve donc dans une situation où l’État et le politique maîtrisent l’économie et la finance.
Mais déjà, dans les années 1960, ces techniques ne font plus l’unanimité, parce qu’elles sont soupçonnées de favoriser une inflation élevée [NDLR : de faire monter le niveau des prix]. Il faut cependant bien voir qu’à cette période, la récession est vue comme une menace pire que celle de l’inflation. Une hausse du niveau général des prix est donc tolérée tant que la croissance économique suit.
A la fin des années 1960 et encore plus dans les années 1970, l’agenda politico-médiatique et la montée en puissance du courant monétariste (mené par Milton Friedman) vont alors placer la lutte contre l’inflation au centre des débats. C’est à partir du moment où celle-ci devient obsessionnelle, que le circuit du Trésor (1) et la souscription obligatoire aux titres de dette publique (2) vont être attaqués.

Au tournant de la mise en marché de la dette

L’adjudication au profit du système des planchers

L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing au Ministère des Finances en 1962 va représenter un premier tournant. Dès mars 1963, il réintroduira des séances ponctuelles de vente aux enchères pour l’émission des titres de dette publique à court terme. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la méthode de l’adjudication et qui domine actuellement : les titres de dette sont vendus à l’investisseur qui offre le taux d’intérêt le plus faible, comme une vente aux enchères inversée.
Parallèlement, le taux plancher des bons obligatoires passera de 20% en 1960 à 5% en 1965, preuve de la volonté de faire primer les mécanismes de marché. Finalement, le système des bons obligatoires sera définitivement enterré en 1967.
L’argument avancé est que l’État doit se confronter au jeu de l’offre et de la demande des marchés financiers pour ses titres de dette publique. Le taux d’intérêt déterminé de cette sorte sera « juste », il devra permettre de canaliser la volonté dépensière de l’État. En d’autres termes, l’État doit apprendre à vivre comme les autres acteurs économiques. On se retrouve dans un paradigme nouveau, où l’économie n’est plus encastrée dans le politique mais où le politique est encastré dans l’économie.
Quand les socialistes arrivent au pouvoir en 1981, les fonctionnaires du Trésor craignent le pire. L’administration trésorienne va faire front pour empêcher de bousculer l’orthodoxie financière et monétaire alors installée depuis les années 1970. Les propositions alternatives des socialistes sont évacuées et mises de côté par la bureaucratie. Finalement en 1983, la thèse du Trésor selon laquelle le financement de la puissance publique doit se faire par l’adjudication devient naturelle, indiscutée et indiscutable.

Le développement des marchés de capitaux comme conséquence de la mise en marché de la dette

A force de faire pression auprès de l’Elysée, les hauts fonctionnaires orthodoxes réussissent à imposer l’idée que pour relancer l’économie, la seule solution consiste à soutenir le développement rapide des marchés de capitaux. Ce mouvement doit alors s’accompagner d’un État aux finances publiques maîtrisées avec un faible taux d’inflation.
C’est cela qui va marquer le passage d’une économie d’endettement à une économie de marchés financiers. Alors que dans la première configuration, le crédit bancaire était massivement utilisé pour répondre aux besoins des agents et de l’État, dans la deuxième configuration on cherche à développer l’épargne et les marchés de capitaux pour éviter tout risque de tensions monétaires. D’où la nécessité d’une inflation plus faible, afin de ne pas peser sur les intérêts perçus par les nouveaux créditeurs de l’État.
En conclusion, ce livre s’avère riche et passionnant. Benjamin Lemoine montre très bien que le choix de recourir aux marchés financiers pour financer les dépenses publiques résulte avant tout d’une volonté politique qui n’a rien de naturelle. D’autres alternatives ont existé auparavant, et d’autres alternatives existent toujours aujourd’hui. Le débat sur les techniques de financement de l’Etat mérite d’être ouvert, parce que derrière cette problématique se jouent des questions plus larges de système économique. Au final, Benjamin Lemoine nous propose ici une véritable sociologie politique des mutations financières qui ont eu lieu depuis l’après-guerre. Une belle preuve qu’il n’y a nul besoin d’être économiste pour parler de sujets économiques de manière pertinente.
Pour aller plus loin :

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Qui détient la dette publique ?

Mise à jour le 21 avril 2016


La dette publique représente l’ensemble des emprunts contractés par les administrations publiques. La question de savoir qui détient la dette publique devient d’autant plus importante que la France a atteint un record d’endettement, à hauteur de 95,7 % de son produit intérieur brut au quatrième trimestre 2015.
Selon l’INSEE, l’endettement public de la France s’établit à 2 096,9 milliards d’euros à la fin du quatrième trimestre 2015. La dette de l’État en constitue la plus grande part (1 680,1 milliards y compris les 18,9 milliards de dette de divers organismes d’administrations publiques centrales). La dette des organismes de sécurité sociale dépasse les 200 milliards d’euros (220,3 milliards d’euros) et celle des collectivités publiques atteint 196,5 milliards d’euros.

Le rôle central joué par les marchés financiers

À la différence des entreprises ou des ménages, les collectivités publiques ne financent pas leur dette principalement en faisant appel à du crédit bancaire mais en émettant des titres financiers sur les marchés financiers.  Pour financer la dette publique, l’État émet des titres de créances négociables sur les marchés financiers sur une durée plus ou moins longue. Cela va des Bons du Trésor à taux fixe (BTF) aux Bons du Trésor à intérêt annuels (BTAN) en passant par les Obligations Assimilables du Trésor (OAT) qui constituent la forme privilégiée du financement à long terme de l’État (échéances pouvant dépasser dix ans).

Les non-résidents, principaux détenteurs de la dette publique française

Detention des OAT par groupe de porteurs
Selon les chiffres publiés par l’Agence France Trésor (AFT), parmi les détenteurs de la dette publique, on trouve 62 % de non-résidents (fin décembre 2015) tous titres de créances négociables confondus (BTF, BTAN, OAT) émis par l’État. Une proportion en hausse sensible depuis la fin du XXème siècle (en 1993, seul un tiers de la dette publique française était détenu par des non-résidents). Pour l’essentiel il s’agit d’investisseurs institutionnels (fonds de pensions et fonds d’assurance notamment), mais aussi de fonds d’investissements souverains, de banques, voire de fonds spéculatifs. Il n’existe pas d’information publique détaillée à ce sujet.

Les particuliers, détenteurs indirects

Ce sont d’ailleurs également des banques et des investisseurs institutionnels (principalement les fonds d’assurance vie) que l’on retrouve parmi les principaux détenteurs résidents de la dette publique française. L’État français emprunte donc environ un tiers de sa dette aux banques et sociétés financières nationales. 19 % sont détenus des compagnies d’assurance, qui « achètent » des titres de dette française pour les placements d’assurance vie. Les particuliers sont donc indirectement détenteurs d’une partie significative de la dette publique française. Les banques françaises en détiennent environ 9 %. C’est moins que dans les autres pays européens. Une étude publiée en avril 2011 par la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) fournit des éléments de comparaisons internationales intéressants. Les pays de la zone euro font davantage appel aux investisseurs étrangers que le Japon, les États Unis ou le Royaume Uni. Au sein de la zone Euro, la France (70 %) vient en 4ème position derrière l’Irlande (85 %), le Portugal (75 %) et la Grèce (71 %). L’Allemagne est à 53 %, l’Italie et l’Espagne à 44 %.
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Pour aller plus loin

10 commentaires sur “Qui détient la dette publique ?”

    1. gabriel dit :
Lors de la crise en 2008, la BCE a acheté des milliards de dette publique, est ce que obligations d’Etats = dettes publiques??
      1. L’équipe de l’IEFP dit :
Bonjour,
En effet, dette publique et obligations d’Etat sont synonymes. Les Etats s’endettent en émettant des obligations (le financement du déficit public via le crédit bancaire représente des montants presque anecdotiques).
Meilleures salutations.
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
    1. L’équipe de l’IEFP dit :
Bonjour,
S’agissant de votre première question : non, effectivement les 62 % de détention par des non-résidents concernent seulement les OAT comme l’indique le graphique ci-dessus.
Pour la seconde, le pourcentage indiqué (70 %) concerne l’ensemble de la dette et pas seulement les OAT. Ce qui explique la différence entre les deux chiffres.
Meilleures salutations.
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
    1. Greg dit :
Bonjour,
Je souhaite avoir des précisions sur votre article.
1- Le titre du graphique est « Détention des OAT par type de porteurs » avec 62% de détention par des non-résidents. Or juste en-dessous dans le texte, vous dites « on trouve 62 % de non-résidents (fin décembre 2015) tous titres de créances négociables confondus (BTF, BTAN, OAT) émis par l’État. »
Les 62% de détention par des non-résidents concernent-ils seulement les OAT ou tous les produits (BTF, BTAN et OAT) émis par l’Etat français ?
Ou est-ce le même taux sur les deux périmètres ?
2- En outre, vous évoquez « Les pays de la zone euro font davantage appel aux investisseurs étrangers que le Japon, les États Unis ou le Royaume Uni. Au sein de la zone Euro, la France (70 %) « .
A quoi correspondent ces 70%, vous évoquez au-dessus toujours le taux de 62% pour les investisseurs étrangers ?
Ces statistiques comparatives concernent-elles seulement les OAT ou l’ensemble de la dette (BTF, BTAN, OAT) ?
Merci pour vos réponses 🙂
Greg
    1. L’équipe de l’IEFP dit :
Bonjour,
Le Fonds Monétaire International (FMI) dispose de statistiques sur les dettes publiques au niveau mondial. Vous pouvez vous rendre sur son site internet pour trouver les informations qui vous intéressent.
D’une manière générale, les Etats empruntent sur les marchés financiers auprès d’investisseurs internationaux (banques, assurances, fonds de pensions, hedge funds notamment). Les Etats ne se prêtent généralement pas entre eux, aussi il ne peut y avoir de chambre de compensation comme cela existe pour les banques. Le cas grec est particulier, les titres de la dette publique ayant été rachetés en 2012 aux investisseurs privés par des organismes internationaux moyennant une décote de plus de 50 %. C’est par l’intermédiaire de ces organismes internationaux comme le FESF par exemple, que des Etats peuvent se retrouver indirectement créanciers de la Grèce. En outre, certains Etats européens avaient accordés des prêts à la Grèce en 2010.
Meilleures salutations.
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
    1. JPB dit :
Bonjour, le feuilleton grec a éveillé ma curiosité et il me reste plus de questions que de réponses collectées .
Mais ces questions se résument à une seule : quelqu’un a-t-il fait le total mondial des dettes publiques ? Si oui : quel état doit combien à qui ?
Ne peut-on imaginer une sorte de chambre de compensation des dettes publiques ??
Toutefois, chacun sait que les états ne sont riches que des prélévements futurs auprés de leurs administrés ; ainsi qui sont les véritables préteurs derriére tous ces organismes plus ou moins garants ?
Je me souviens de mes études où il était dit « il n’y a pas de sotte question » .. est-ce toujours vrai ? J’espére que oui sinon, misére de moi.
PS : éventuellement conseillez moi un ouvrage de vulgarisation « lisible et compréhensible pour un simplet,
Merci
    1. L’équipe de l’IEFP dit :
Bonjour,
Il n’existe pas de statistiques précisant la part de la dette publique détenue par les investisseurs internationaux.
Meilleures salutations.
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
    1. P G dit :
Bonjour,
qui sont les détenteurs non résidents de la dette ? La part des grandes institutions financières, des grandes banques, assurances privées, autres pays, fonds privés et fonds publics, particuliers…
Merci de m’éclairer sur ce point.
    1. L’équipe de l’IEFP dit :
Bonjour,
L’Etat établit tous les ans son budget avec les recettes et les dépenses. Mais les dépenses sont toujours supérieures aux recettes, donc l’Etat est en déficit. Pour financer ce déficit, il fait appel aux marchés financiers en émettant des obligations.
Donc, l’Etat émet des obligations tout le temps et se trouve débiteur du montant total de sa dette. Il rembourse le capital et les intérêts des emprunts, mais pour cela il se finance en partie sur les marchés financiers. En quelque sorte on peut dire que pour honorer sa dette, l’Etat doit recourir à l’emprunt.
Meilleures salutations.
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
    1. Gaaaby dit :
Bonjour, je suis étudiante en Economie en L3 et ce site est une merveille , et je tiens donc à vous remercier..
Cependant j’aimerais si possible avoir un petit éclaircissement quant à la notion de « détenteurs de la dette publique  » que j’ai du mal à assimiler : Lorsque l’Etat a une dette publique et qu’il émet des Bons du Trésor ( d’ailleurs est-il possible de dire que l’Etat contracte une dette à ce moment là ou alors est-ce avant, au moment où la dette est créée ? ), cette partie de la dette est-elle remboursée grâce au créditeur (la dette publique diminue donc) ou bien le crédit rapporté sert-il à augmenter les dépenses publique faisant du créditeur un détenteur de la dette publique (ce qui à mon sens paraît peu logique ) ?
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https://blogs.mediapart

Sortir la dette des marchés financiers

Pierre Khalfa

Coprésident de la Fondation Copernic, membre du Conseil scientifique d'Attac.

La question de la dette publique a été peu abordée lors de cette campagne électorale. Si, comme cela semble possible aujourd'hui, Jean-Luc Mélenchon devient président de la République, sa volonté de rompre avec le néolibéralisme se heurtera à ce problème. Sortir la dette de l'emprise des marchés financiers deviendra alors décisif.

·  « Les candidats face au fardeau de la dette publique » titrait Le Monde (dimanche 12 et lundi 13 mars 2017). C’est ainsi que la pensée dominante voit la dette publique, comme un fardeau, et le quotidien du soir de s’alarmer du niveau de la dette publique française[1] - 97,5 % du PIB au troisième trimestre 2016 – et de dicter ses consignes au futur président de la République qui « devra d’abord rassurer les investisseurs et surtout nos partenaires de la zone euro sur sa volonté de respecter les règles budgétaires communes ». Face à ce discours qui justifie la mise en œuvre généralisée de plans d’austérité au nom de l’ampleur de la dette et des déficits publics, sa déconstruction et la mise en avant de solutions alternatives sont des éléments clefs de l’agencement des rapports de forces.
Déconstruire le discours dominant
Tout d’abord, et quitte à manier le paradoxe, il faut affirmer qu’un bon État est un État qui s’endette. En effet la dette joue un rôle intergénérationnel. S’imposer un quasi-équilibre budgétaire, comme les règles actuelles de l’Union européenne le prescrivent, signifie que les investissements de long terme seront financés par les recettes courantes. Or ces investissements seront utilisés des décennies durant par plusieurs générations, il est donc absurde que leur financement ne soit assuré que par les recettes du moment. Respecter ces règles entraîne l’impossibilité, de fait, d’investir pour l’avenir, alors même que, par exemple, la nécessité d’amorcer la transition écologique va demander des investissements massifs. La dette permet de faire financer par des générations successives des infrastructures qui seront utilisées par elles. Elle joue donc un rôle fondamental dans le lien entre les générations.
De ce point de vue, la dette publique doit être mise en regard avec le patrimoine public car les administrations publiques détiennent des actifs physiques et des actifs financiers. Si l’on prend en compte le patrimoine public, la France n’est pas endettée mais possède au contraire une importante richesse nette (27 % du PIB). Même si ces actifs physiques ne doivent pas être vendus - il serait de toute façon difficile d’évaluer la valeur marchande exacte de certains d’entre eux -, cela montre que la France n’est pas au bord de la faillite.
Mais surtout, il faut comprendre qu’un État ne rembourse jamais sa dette. Il ne paie que les intérêts de cette dernière, la charge de la dette. Lorsqu’un titre de la dette publique arrive à échéance, l’État emprunte de nouveau pour le rembourser : il « fait rouler » la dette. Enfin remarquons que le ratio dette sur PIB n’est pas particulièrement robuste car on compare là un stock, la dette, à un flux, la richesse créée en une année le PIB. Il serait plus juste de mettre en regard du PIB, un autre flux, celui de la charge de la dette qui représente en France environ 2 % du PIB. Mais difficile alors tenir un discours alarmiste sur le sujet.
La dette publique française est-elle soutenable ?
Une étude célèbre réalisée par deux économistes mainstream Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff[2] en 2010 arrivait à la conclusion qu’une dette supérieure à 90 % du PIB aurait des conséquences très négatives sur la croissance… jusqu’à ce qu’un étudiant de l'Université du Massachusetts découvre en 2013 des erreurs de calcul qui en faussaient totalement le résultat. Cette anecdote serait assez drôle si l’article en question, ressassé ad libitum, n’avait pas servi de base théorique pour justifier, au nom de la croissance et donc de l’emploi, l’adoption de politiques d’austérité massive pour réduire la dette.
La dette française est aujourd’hui sous contrôle. Il y a dix ans, la France empruntait à plus de 4 % pour un emprunt à 10 ans. Début janvier 2017, et malgré une légère remontée par rapport à 2016, le taux pour un emprunt de même maturité était de 0,78 %. A mesure donc que l’État renouvelle sa dette pour rembourser des créances plus anciennes la charge de la dette diminue. L’année 2016 a été historique puisque, sur la dette à court terme, le taux moyen auquel la France a emprunté est négatif (- 0,48 %). Le pays s’est donc enrichi en empruntant. Il y a deux raisons à cette situation exceptionnelle. La première renvoie à « la fuite vers la qualité ». La France est, avec l’Allemagne, un pays sûr pour les investisseurs qui fuient les pays considérés comme plus à risque comme l’Espagne ou l’Italie. De plus la politique dite de Quantitative Easing (QE) menée par la Banque centrale européenne (BCE) a abouti à une baisse généralisée des taux.
Faut-il pour autant se satisfaire de la situation actuelle ? Non, et ce pour trois raisons. D’abord, même si la charge de la dette a baissé, elle reste élevée (44,5 milliards en 2016). Une partie de cet argent pourrait être utilisée à des fins utiles socialement. Ensuite, parce que la période de taux bas ne va pas durer éternellement. Déjà la Banque centrale des États-Unis a commencé un mouvement de hausse de ses taux directeurs et même si la BCE refuse pour le moment d’en faire autant, arrivera un moment où la politique de QE prendra fin. Le risque est alors que la dette de la France soit victime de l’effet « boule de neige » : si le taux d’intérêt réel (défalqué de l’inflation) est supérieur au taux de croissance de l’économie, le rapport dette/PIB augmente mécaniquement et cela même si le déficit primaire (avant le paiement des intérêts de la dette) est nul. Ce processus avait été une des causes essentielles de l'aggravation de l’endettement dans les années 1990.
Mais surtout, la dette publique est aujourd’hui sous l’emprise des marchés financiers. Or l’expérience du gouvernement Syriza a montré qu’un pays voulant rompre avec le néolibéralisme pourrait être victime d’un étranglement financier. Il y a donc fort à parier que l’arrivée en France d’un gouvernement de gauche voulant engager un processus de transformation sociale et écologique serait victime d’un tel étranglement qui se traduirait immédiatement par une hausse des taux auxquels la France emprunterait.
Le recours aux marchés : un choix politique
Après la seconde guerre mondiale, la France instaure une série de dispositifs qui rendront inutiles le recours au marché des capitaux[3]. La mise en place d’une collecte centralisée de l’épargne vers le Trésor public - le circuit du Trésor -, rendue possible par le contrôle du système bancaire, permet de drainer les ressources dont la puissance publique a besoin. Deux dispositifs complètent le système : l’obligation pour les banques de détenir une quantité de bons du Trésor rémunérés à un taux fixé par l’État - procédé dit « des planchers » - et la possibilité pour le Trésor de demander des avances à la Banque de France.
La mise en place d’un marché de la dette publique s’effectue progressivement au fur et à mesure des progrès de la déréglementation financière. Le circuit du Trésor est petit à petit démantelé à partir des années 1960. Les « planchers » sont supprimés dès 1967 et la dérèglementation financière réalisée en 1985 par Pierre Bérégovoy parachève le processus de libéralisation mise œuvre depuis une vingtaine d’années. En 1993, la loi sur l’indépendance de la Banque de France suite à l’adoption du traité de Maastricht supprime le régime des avances directes au Trésor[4].
L’existence d’un marché de la dette publique est donc le résultat d’un choix politique qui vise à faire de l’État un emprunteur comme un autre. L’objectif est de le mettre sous la pression des marchés financiers et ainsi de le discipliner. Pour pouvoir emprunter à des taux raisonnables sur le marché, l’État doit se plier aux désirs des investisseurs. La dette publique devient ainsi un élément fondamental de la domination des marchés.
Le traité de Maastricht inscrit cette nouvelle donne dans le marbre des traités européens. Les marchés financiers deviennent l’arbitre des équilibres budgétaires des pays de l’Union européenne ce qui a ainsi favorisé les mouvements spéculatifs à l’origine de la crise de la dette publique au printemps 2010. Cette crise s’est traduite par une augmentation considérable des taux auxquels certains pays étaient obligés d’emprunter sur les marchés, montant jusqu’à 12 % pour la Grèce… alors que les banques se refinancent à l’époque aux alentours de 1 % auprès de la BCE.
L’emprise des marchés financiers sur la dette publique est une spécificité européenne que l’on ne retrouve pas au Japon et aux États-Unis. La dette publique japonaise s’élève à 250 % du PIB, très loin donc de la France et même de la Grèce (180 % du PIB). Et pourtant, il n’y a aucune spéculation sur la dette japonaise. La raison en est simple, la dette publique japonaise est pour l’essentiel hors marché. Les bons du trésor japonais sont achetés par des institutions financières qui les placent en grande partie auprès des épargnants japonais. Les institutions publiques japonaises, dont la Banque centrale, en détiennent environ 38 %. Ainsi le poids des investisseurs non résidents, enclins à spéculer sur la dette, est très faible : ils possèdent moins de 7 % de la dette publique contre plus de 60 % dans le cas de la France. Si le cas des États-Unis est particulier en raison du rôle international du dollar comme monnaie de transaction et de réserve, la dette publique (105 % du PIB) échappe aussi pour l’essentiel aux marchés financiers : les organismes appartenant au gouvernement fédéral en détiennent 28 %, la banque centrale, la Fed, plus de 18 %, les autres banques centrales et les organisations internationales 30 %, les investisseurs privés étrangers seulement 15 %.
Sortir du piège de la dette
Il faut d’abord en finir avec les politiques d’austérité. Menée conjointement dans tous les pays de l’Union européenne, elles ne peuvent qu’aboutir à une récession généralisée qui risque de se transformer en dépression. La zone euro a ainsi connu une récession suivie d’une stagnation économique entre 2011 et 2013. On se retrouve dans une situation similaire que dans les années 1930 lorsque les gouvernements avaient mené ce type de politique qui avait abouti à la Grande dépression. Dans cette situation, il est difficile de réduire les déficits publics qui pourraient même s’aggraver si les recettes fiscales chutaient plus vite que la réduction des dépenses. Il faut aussi une réforme fiscale d’ampleur qui redonne des marges de manœuvres à l’action publique et dont la condition est la mise en place d’un contrôle des capitaux. Son point central doit être la mise en place d’une fiscalité de haut niveau sur les rentiers, les ménages les plus riches et les grandes entreprises.
Nous insisterons ici sur la politique monétaire et sur la nécessité de sortir de l’emprise des marchés financiers. Face à un possible étranglement financier piloté par la BCE, une solution pourrait être la création d’un moyen de paiement complémentaire[5] ou IOU (« I owe you »), une « monnaie » dont la valeur serait garantie par les recettes fiscales futures. Elle permettrait de retrouver des marges de manœuvres financières en ne recourant plus aux marchés financiers, de relancer l’économie et réduire la dette de court terme, la « dette flottante ». Sa convertibilité au pair avec l’euro, qui resterait la monnaie nationale, étant garantie, un tel dispositif s’apparente en fait à un prêt à court terme que les citoyen-ne-s accordent à leur gouvernement. Il s’agirait alors d’un geste autant politique qu’économique qui renforcerait notablement la position du pays dans ses rapports avec les institutions européennes. Il serait d’autre part possible d’activer des modes de financement direct par l’État des grands programmes publics en reprenant le contrôle des banques à l’image du « circuit du trésor ».
Au-delà, la BCE et les banques centrales nationales doivent pouvoir financer directement les déficits publics par création monétaire. Elles doivent pouvoir le faire à partir d’objectifs économiques, sociaux et écologiques démocratiquement débattus et décidés. Pour contourner les traités européens actuels - les changer nécessite l’unanimité des États -, cela pourrait passer par la création d’un établissement financier dédié à cet effet, comme dans le cas français la Banque publique d’investissement, qui demanderait un prêt auprès de la Banque centrale. Cela est explicitement autorisé par l’article 123-2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Concernant le stock de la dette existant, la BCE pourrait le racheter sur le marché secondaire, amplifiant une politique qu’elle mène depuis la crise. La politique monétaire doit redevenir l’objet de débats politiques et de décisions démocratiques au niveau national comme au niveau européen et les politiques économiques européennes doivent être réellement coordonnées afin d’éviter le chacun pour soi.
Deux objections sont soulevées à cette proposition. La première brandit le spectre de l’inflation. Une création monétaire incontrôlée serait porteuse d’une inflation qui le serait aussi. Remarquons d’abord que cette menace n’est pas évoquée lorsque la BCE déverse des milliers de milliards d’euros dans le système bancaire. Mais, outre qu’il ne s’agit pas dans cette proposition d’une création monétaire incontrôlée, mais au contraire politiquement et démocratiquement contrôlée, cet argument s’appuie sur la vieille théorie quantitative de la monnaie qui relie directement accroissement de la masse monétaire et inflation. Or, contrairement à ce qu’affirme cette théorie, il n’y a aucun effet d’automatisme en la matière. L’effet d’un accroissement de la masse monétaire dépend essentiellement de l’utilisation qui en est faite et de la manière dont elle est répartie. Une création monétaire qui permet la création d’une richesse nouvelle n’est pas inflationniste. Au-delà, durant les « Trente glorieuses », les pays européens ont vécu avec un peu d’inflation et cela ne les a pas empêchés de connaître une certaine prospérité économique[6]. Un peu d’inflation n’aurait d’ailleurs pas que des effets négatifs car cela aiderait au désendettement des ménages et des entreprises.
La seconde objection est politique et met en avant le fait que cette solution est aujourd’hui refusée par la plupart des pays européens et notamment l’Allemagne. Elle renvoie à la stratégie. Cette nouvelle politique monétaire constituerait une rupture avec l’emprise des marchés financiers. Elle suscitera donc l’opposition des gouvernements conservateurs ou de ceux dominés par le social-libéralisme. Un gouvernement progressiste devrait alors engager un bras de fer avec les autres gouvernements européens comme cela s’est fait à de nombreuses reprises dans l’histoire de la construction européenne. Il devrait prendre des mesures unilatérales en rupture avec les traités européens. D’un point de vue juridique, un tel gouvernement pourrait s’appuyait sur le « compromis de Luxembourg » qui prévoit que les États peuvent déroger aux règles européennes s’ils estiment que leur « intérêt vital » est en jeu. Cette clause dite de l’opt out a d’ailleurs été utilisé par certains pays européens (le Royaume Uni, la Pologne, la Tchéquie) pour refuser l’application de la Charte des droits fondamentaux intégrée au traité de Lisbonne. Ce gouvernement s’adresserait aux peuples européens en tenant un discours prônant la construction d’une Europe démocratique et sociale et en refusant que les populations payent le prix de la crise. Nul doute que l’écho en serait important et permettrait de créer un rapport de forces au niveau européen.

[1] Il s’agit de la dette au sens de Maastricht, c’est-à-dire la dette brute de l'État, des organismes divers d'administration centrale (ODAC), des administrations publiques locales et des administrations de sécurité sociale.
[2]Kenneth Rogoff a été économiste en chef du Fonds monétaire international de 2001 à 2003.
[3] Pour une description minutieuse de ces dispositifs et de leur destruction, voir, Benjamin Lemoine, L’ordre de la dette, La Découverte, 2016.
[4] Contrairement à une légende tenace – à laquelle d’ailleurs l’auteur de ces lignes a cru aussi – la loi de 1973 réformant le statut de la Banque de France n’a aucunement interdit ces avances. Il faut remercier Alain Beitone d’avoir avec constance mené le débat sur ce point. Voir notamment http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/12/29/la-loi-pompidou-giscard-rothschild-votee-en-1973-empecherait-l-État-de-battre-monnaie_1623299_3232.html.
[5] Cette solution a été particulièrement développée par Bruno Théret. Voir notamment pour le cas grec Bruno Théret, Woytek Kalinowsky, Thomas Coutrot, « L’euro-drachme, ballon d’oxygène pour la Grèce », http://www.liberation.fr/monde/2015/03/15/l-euro-drachme-ballon-d-oxygene-pour-la-grece_1221089.
[6] Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie de cette période, mais simplement de montrer que le discours catastrophiste sur l’inflation n’a pas de fondement.
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