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Fragilisée politiquement, la chancelière
allemande ne veut pas d’une réforme en profondeur de la zone euro.
Un an plus tard, la chancelière allemande n’a pas à se plaindre de la politique du président français. Outre-Rhin, les réformes qu’il a mises en œuvre sont considérées comme positives par la coalition de Mme Merkel ainsi que par les milieux économiques. Pourtant, le charme s’est dissipé. M. Macron devrait en faire le constat en se rendant, jeudi 19 avril, à Berlin, où son volontarisme sur les dossiers européens suscite de vives réticences.
A priori, le programme du nouveau gouvernement allemand devrait pourtant convenir au président français. Intitulé « Un nouvel élan pour l’Europe », le contrat de coalition, laborieusement scellé entre les conservateurs (CDU-CSU) et les sociaux-démocrates (SPD), entre en résonance avec l’ambition de M. Macron de « refonder » celle-ci.
La réalité est plus prosaïque. Un mois après sa réélection pour un quatrième mandat, la chancelière semble en effet avoir abandonné toute hardiesse réformatrice sur le front européen. Face à M. Macron, « Mme Merkel est-elle en train de devenir Mme Non ? », s’interrogeait ainsi le Spiegel, lundi. Poser la question, c’est déjà y répondre.
Face au président français, «
l’Allemagne est passée du tapis rouge aux lignes rouges », estime l’économiste
Henrik Enderlein
Officiellement, bien sûr, il n’est pas question de renoncement. « Je
pense que l’Allemagne peut apporter sa propre contribution et que nous
trouverons d’ici [au Conseil européen de] juin des solutions
conjointes avec la France », a déclaré la chancelière, mardi,
ajoutant « attendre avec impatience » la visite de M.
Macron.Sur le fond, il est toutefois peu probable que cette rencontre se traduise par des avancées notables, à part peut-être sur l’union bancaire. A Berlin, Angela Merkel ne peut en effet ignorer les réserves de sa famille politique à l’égard des propositions françaises, notamment sur la création d’un budget de la zone euro. « Je ne pense pas que cela soit une bonne idée d’avoir un deuxième budget distinct de celui qui existe déjà pour l’Union européenne dans son ensemble », a ainsi déclaré, lundi, Annegret Kramp-Karrenbauer, secrétaire générale de la CDU et proche de la chancelière.
Avant son rendez-vous avec le président français, Mme Merkel a également tenu à rassurer son camp sur un autre sujet sensible. Lors d’une réunion du groupe CDU-CSU au Bundestag, mardi, elle a ainsi défendu l’idée que la transformation du Mécanisme européen de stabilité en Fonds monétaire européen (FME) ne pourrait se faire sans modification des traités, ce qui revient à l’enterrer. Un gage donné à l’aile conservatrice de sa majorité, opposée à l’idée d’un FME qui puisse aider des pays en difficulté sans les contraindre à de sérieuses réformes structurelles, comme l’envisage la Commission européenne, soutenue par la France.
Mais la CDU-CSU n’est pas la seule à freiner les ambitions européennes de M. Macron. Bien que social-démocrate, Olaf Scholz, le nouveau ministre des finances allemand, se montre lui aussi d’une grande prudence vis-à-vis des propositions de l’Elysée. « Les idées de M. Macron apportent un nouvel élan au projet européen dont nous avons besoin. Mais le président français sait aussi qu’elles ne pourront pas toutes être réalisées », a ainsi déclaré M. Scholz, dimanche, à la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Pour Paris, celui-ci ne devrait pas être un interlocuteur beaucoup plus souple que son prédécesseur, Wolfgang Schäuble (CDU). Mardi, le ministre des finances a d’ailleurs annoncé qu’il maintenait à leurs postes les principaux conseillers de M. Schäuble.
« Retour à la réalité »
Face à M. Macron, « l’Allemagne est passée du tapis rouge aux lignes rouges », reconnaît Henrik Enderlein, directeur de l’Institut Jacques Delors, à Berlin. Proche du SPD, cet économiste allemand écouté à l’Elysée estime toutefois que la « fin de la lune de miel » entre le président et la chancelière ne marquera pas un coup d’arrêt dans leur volonté commune de faire avancer l’Europe. « Le processus prendra sans doute plus de temps que ce que certains espéraient. De ce point de vue, la feuille de route qui sera présentée par la France et l’Allemagne au Conseil européen de juin sera davantage un point de départ qu’un point d’arrivée », prédit M. Enderlein.« Si on peut avoir l’impression que les choses sont plus compliquées qu’il y a un an entre Paris et Berlin, c’est parce qu’on n’entre que maintenant dans le vif du débat, avec la mise en place d’un nouveau gouvernement à Berlin », explique Joachim Bitterlich, ancien conseiller aux affaires européennes du chancelier Helmut Kohl. Chercheur à la Fondation Konrad-Adenauer, proche de la CDU, Olaf Wientzek refuse lui aussi de céder au désenchantement, estimant que la situation actuelle n’est au fond qu’un « retour à la réalité » après plusieurs mois d’« attentes un peu exagérées » des deux côtés du Rhin.
Vos réactions (30)
No Country For
Old Men 20/04/2018 - 06h48
Avec NDDL et la SNCF sur les bras il est difficile de faire le malin à
Berlin.
andy Hier
Je suis généralement d'accord avec E. Macron : remise en ordre et en route
de la France, réforme de l'éducation, réformes des statuts, etc. Il est
"européen", -- je ne sais pas exactement ce que ça veut dire, mais va
pour l'Europe. En revanche, l'idée de budget européen (lire : les Allemands
paient pour les autres) n'est pas réaliste. La monnaie unique est un non-sens à
tous égards. Mais pour l'instant notre président ne veut rien comprendre au
concept de monnaie commune et monnaies propres.
jim Hier
Cela ne va pas faire plaisir dans ces colonnes ; Macron fait beaucoup de
vent sur l'Europe mais visiblement même Merkel n'est pas d'accord alors là,
c'est énorme !
Araucarias Hier
Décidément un alignement des cycles politiques Franco-Allemand semble
relever de la mission impossible. Un jeu de plus en plus hasardeux. Ce qui
menacerait, serait une accélération ? C'est plutôt de l'inverse, qu'il y aurai
un vrai risque de tourbillon, historique.
Futurity Hier
Merkel depuis les élections du 24 septembre a les ailes coupées. Une
alliance de gouvernement qui tient par une ficelle. Une opposition intérieure
grandissante. Merkel a rempilé presque contrainte. Ce gouvernement allemand
n’ira pas à son terme. En face Macron fraîchement élu, est impatient. Il
s’agite et pense prendre la direction de l’Europe. Celle qu’il veut façonner
selon ses promesses. Macron surestime son pouvoir de séduction et sous-estime
les réalités géopolitiques de l’Europe et du Monde
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« Macron se heurte en Europe à des résistances qui menacent de bloquer son programme »
Face à l’opposition que ses ambitions
réformatrices rencontrent en Europe, le président français cherche à réveiller
l’esprit de la démocratie libérale, estime Sylvie Kauffmann, éditorialiste au
« Monde ».
LE MONDE | 18.04.2018 à 11h33
image:
http://img.lemde.fr/2018/04/17/0/0/4360/3028/534/0/60/0/bce48e0_EPI115_EU-FRANCE-MACRON_0417_11.JPGLa référence aux somnambules n’est évidemment pas innocente. Les Somnambules, été 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre (Flammarion), c’est le titre d’un livre de l’historien australien Christopher Clark, professeur à Cambridge, publié en 2013 à la veille du centenaire du début de la première guerre mondiale. Pour Clark, les causes de la Grande Guerre ne sont pas à rechercher seulement dans l’impérialisme paranoïaque germanique, mais aussi dans l’irresponsabilité des dirigeants des autres puissances européennes, qui sans vouloir la guerre, s’y laissèrent entraîner inexorablement, incapables de maîtriser l’instabilité d’une Europe déchirée par les tensions nationalistes.
Angela Merkel et son ministre des affaires étrangères de l’époque, Frank-Walter Steinmeier, ont dévoré cet ouvrage, qui a été un immense best-seller en Allemagne ; M. Steinmeier avait même invité l’auteur à débattre à Berlin. Cette version de l’histoire avait été moins appréciée à Paris. Et on peut imaginer sans peine que la référence aux somnambules, mardi à Strasbourg, ait aussi été une façon pour M. Macron, qui aime montrer qu’il n’est pas prisonnier de l’histoire des guerres européennes, de faire un signe à la chancelière allemande, qu’il doit retrouver jeudi à Berlin.
Déconvenues
Car le moment est grave aussi pour Emmanuel Macron. Un an après son élection, le président, qui a promis de transformer radicalement la France et l’Europe, se heurte, en France comme en Europe, à des résistances qui menacent de bloquer tout le sens de son programme. En France, c’est la « coagulation des mécontentements », pour reprendre son expression, qui oppose grèves et agitation à ses réformes lancées tous azimuts. En Europe, la magie des discours d’Athènes et de la Sorbonne, en septembre, est oubliée et la fascination pour un dirigeant français néophyte qui a osé faire campagne et gagner, en pleine vague populiste, sur un credo européen s’est évanouie derrière les déconvenues des scrutins successifs chez nos voisins d’Autriche, d’Allemagne et d’Italie.
Lire aussi : Merkel
freine les ambitions européennes de Macron
Sur ce front-là aussi, la résistance s’est organisée. Il y a la résistance
allemande, avec une chancelière qui doit, depuis les élections de septembre,
tenir compte de son aile droite, fermement opposée aux propositions d’Emmanuel
Macron sur la réforme de la zone euro. C’est l’obstacle le plus dur, celui,
sans doute, qu’il n’avait pas prévu lorsqu’il a lancé son grand plan européen.
Il y a la résistance de l’Europe du Nord, orchestrée par le premier ministre
des Pays-Bas, Mark Rutte, qui vise, elle aussi, à freiner l’ambition intégrationniste
du président français. M. Macron, pense-t-on à l’Elysée, pourrait avoir
ouvert une percée dans cette alliance du Nord en recevant, lundi à Paris, les
trois présidents des Etats baltes, tous trois membres de la zone euro.Il y a l’inconnue de l’Italie, qui se cherche un gouvernement depuis le coup de tonnerre du scrutin du 4 mars. Et puis il y a les escarmouches de toutes sortes dans une Union à 28 où une ambition française est forcément suspecte. Avec, en première ligne, l’inquiétante évolution des démocraties illibérales en Europe centrale, face auxquelles Emmanuel Macron refuse d’être un somnambule.
« L’illusion du nationalisme »
Alors pour reprendre son élan face à ces multiples obstacles, le président français en appelle à la base, aux fondamentaux, à ce qu’il appelle plus prosaïquement le « bottom up » : la démocratie. Plutôt que d’énumérer ses multiples propositions qui ont donné le tournis aux frileux, il a choisi de rappeler mardi, devant les députés européens, la profondeur et le caractère unique du « miracle européen », pour conjurer ces divisions dans lesquelles il voit réapparaître « une forme de guerre civile ». Les mots sont forts, volontairement, pour provoquer un choc. On retrouve le spectre des somnambules lorsqu’il dénonce « l’illusion mortifère du pouvoir fort, du nationalisme, de l’abandon des libertés » : elle menace la « démocratie libérale », qu’Emmanuel Macron revendique sans rougir.Pour autant, comme il admettait dimanche à Paris « entendre la colère » des cheminots français, il juge nécessaire d’« entendre la colère des peuples d’Europe d’aujourd’hui ». Emmanuel Macron n’aime rien de mieux que convaincre ; cette colère, il voudrait donc qu’elle s’exprime clairement, pour pouvoir la contrer, la raisonner. Il a trouvé un cadre pour cela, les « consultations citoyennes », qui ont fait sourire ses partenaires européens au début ; il a fini par les convaincre de les organiser aussi chez eux, tous, même si la Pologne et la Hongrie limiteront ces réunions à l’enceinte de leurs Parlements. Il espère faire de ces forums, d’ici à octobre, un lieu où l’on « fait vivre le débat », où viendront aussi ceux qui ne croient pas en l’Europe.
Vos réactions (7)
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folamour 19/04/2018 - 20h53
Qui sont les somnambules ? Sylvie Kaufmann cite l'historien controversé
Christopher Clark. Rappelons qu'avant lui, Herman Broch a écrit une trilogie
portant le titre "Les Somnanbules" évoquant la période de l'empire
allemand débouchant sur le désastre de 1918..Il n'y a pas que les historiens
qui plaisent à Angela Merkel dans la vie.
Ouh La 19/04/2018 - 11h20
Macron s’est fait moucher par un député belge en colère, exprimant aussi
fort bien la colère des Français. Aucun écho dans Le Monde...
Alors faisons a 10, ou 15, ou 18. Hier
Si on ne peut pas "Faire avec tous" , au moins faisons avec ceux
qui ne sont pas bornés.
LOUIS A Hier
Cet article donne le sentiment que le seul enjeu de ces débats initiés par
Macron est le sort politique de Macron lui-même. Comme si les Européens
vivaient sur une autre planète à l'abri des changements du monde. Qu'à cela ne
tienne, les grandes puissances, et celles en devenir, se chargeront rapidement
de ramener tout ce petit monde des pays européens à la réalité de la vacuité de
leurs petits orgueils nationaux.
Un naïf pressé.... Hier
Macron est un jeune naïf, il croit que la puissance de son verbe va aplanir
toutes les contradictions. En fait son arrogance indispose, il ignore la
réalité des rapports de force. Le climat social en France n'est pas au beau
fixe. Il n'a pas compris que ses méthodes en sont pour beaucoup à l'origine....
Son et droite et gauche a vécu. Il a suffi de 11 mois pour le ranger au rang
des accessoires. Maintenant sa précipitation conduit à la cacophonie.... Pauvre
France, quel exemple pour l'Europe !!
SARAH PY Hier
La France est le plus mauvais élève de l'Europe économique et comptable ,
elle est le meilleur de l'Europe stratégique , de défense , de l'Europe
puissance . Qu'elle cultive ses talents pour parler environnement , migrations
, transition énergétique , recherche ...; et oublie l'euro , le budget , les
convergences , l'intendance qui suivra quand les Européens auront le sentiment
qu'enfin l'on se soucie de l'avenir et de leur sécurité.
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