https://www-liberation-fr.cdn.ampproject.org/c/www.liberation.fr/amphtml/debats/2018/03/11/pour-macron-l-etat-n-a-pas-toujours-raison-sur-les-religions_1635350
Célébration en présence d’Emmanuel Macron
du 500e anniversaire de la Réforme protestante, le 22 septembre
à Paris. Photo Romain GAILLARD. REA
Interview
«Pour Macron, l’Etat n’a pas toujours raison sur les religions»
11 mars 2018 à 17:36
— Selon le sociologue Philippe Portier, le Président, influencé par le philosophe Paul Ricœur, défend une laïcité ouverte au dialogue avec les différents cultes. S’opposant ainsi à la résurgence d’un anticléricalisme «IIIe République».
Par touches successives, le président Emmanuel Macron a imposé sa vision de la laïcité et des relations entre la République et les religions. Celle-ci, clairement inspirée de la pensée du philosophe Paul Ricœur, tient à accorder une place renouvelée aux cultes, appelés à participer au débat public. Le sociologue et historien des religions Philippe Portier, l’un des meilleurs spécialistes français de la laïcité, analyse ce changement présidentiel. A l’occasion des 150 ans de l’Ecole pratique des hautes études (lire ci-dessous), où il dirige l’unité de recherche «sociétés, religions, laïcités», le sociologue donnera une conférence jeudi.Le président Macron modifie-t-il le rapport qu’entretient la République avec les religions ?
Si l’on examine la question sur le temps long, Emmanuel Macron s’inscrit en fait dans une certaine continuité, celle d’une laïcité de dialogue et de reconnaissance. Il est l’héritier d’une conception de la laïcité redessinée sous la Ve République. Grosso modo, elle émerge lorsque l’Etat rompt progressivement avec le principe de séparation posé par la loi de 1905. A partir de ce moment-là, l’Etat associe davantage les cultes (comme les autres forces de la société civile) à sa réflexion et à son action. Avant cela, les politiques publiques relevaient de la seule rationalité de l’Etat.Il y a pourtant un changement par rapport au quinquennat précédent…
C’est vrai. François Hollande opposait volontiers démocratie et religions. On l’avait vu dans son fameux discours du Bourget, le 22 janvier 2012. Il avait affirmé que la démocratie était plus forte que l’argent, plus forte que les marchés et plus forte aussi que les croyances et les religions. Il posait là une sorte d’extériorité réciproque de la République et du religieux. Dans ce discours, François Hollande avait défendu l’idée [qui n’a pas abouti, ndlr] d’une constitutionnalisation du titre 1 de la loi de 1905. Elle aurait contribué à remettre en cause des régimes particuliers de laïcité, ceux d’Alsace-Moselle et d’outre-mer, et la possibilité aussi pour les collectivités publiques de subventionner les cultes ; ce qu’elles font régulièrement depuis les années 60 et 70.Quelle est la singularité d’Emmanuel Macron ?
D’abord, il refuse la laïcité de combat. La République n’a pas, selon lui, vocation à se substituer au religieux. Dans sa conception, il ne peut y avoir, comme ce fut le cas sous la Révolution française - une attitude prolongée d’ailleurs par certains courants de la IIIe République -, une religiosité de l’Etre suprême, une religiosité de la République elle-même. Pour Emmanuel Macron, la République permet aux cultes de s’épanouir, il rejette l’idée d’une religion civile qui viendrait se substituer aux religions historiques.La laïcité ne doit pas être non plus une laïcité d’abstention…
Il ne raisonne pas en effet à partir du principe de privatisation du religieux ; il milite en faveur d’une acceptation très claire de la dimension publique des religions. Le Président considère que la religion doit avoir la possibilité d’intervenir dans le jeu de la délibération collective et participer à la configuration des décisions publiques. Il l’a dit dans plusieurs discours. Le 4 janvier, recevant les représentants des cultes à l’occasion de la cérémonie des vœux, le Président déclarait ainsi : «Il est impensable de penser trouver le bien commun de notre société sans prendre pleinement en considération les religions.» Ce qui est frappant, c’est qu’il emploie là un langage très typé. Au lieu de reprendre le concept républicain d’intérêt général, il utilise le terme de bien commun, ce qui relève du langage du religieux, et même du religieux catholique. Cet appel a été particulièrement marqué pour ce qui a trait à la révision des lois bioéthiques : il a insisté pour que les cultes y soient associés. Même si cette attitude est condamnée par les troupes laïques, Emmanuel Macron estime que l’Etat ne doit pas entrer dans le dialogue en considérant qu’il a forcément raison ; ce qui remet en cause le principe traditionnel d’une souveraineté de l’Etat s’imposant aux forces de la société civile, notamment religieuses. C’est là une articulation qui renforce la laïcité de reconnaissance qui s’est élaborée dans les années 60 et 70.S’inspire-t-il du philosophe Paul Ricœur dont il a été l’assistant ?
Il n’y a pas de doute. Dans les années 40, Paul Ricœur utilise déjà le terme de laïcité positive. L’expression, issue du milieu protestant, sera d’ailleurs reprise par Nicolas Sarkozy. Mais surtout, dans son livre d’entretiens, la Critique et la Conviction, Ricœur oppose la laïcité d’abstention à celle de confrontation. La première est celle qui se contente d’accepter la foi privée de chacun. Ce n’est pas une laïcité de combat ; ce serait celle, au fond, d’un François Hollande. Pour le philosophe Paul Ricœur, elle est critiquable par le fait d’accorder trop de place à l’Etat et d’ignorer le caractère bénéfique de la réflexion des institutions intermédiaires, en particulier religieuses. Il est nécessaire, selon Ricœur, de substituer à la laïcité d’abstention une laïcité qu’il appelle de «confrontation». Celle-ci permet aux forces religieuses d’intervenir dans l’espace public, de participer à la délibération collective, comme des producteurs de sens dont l’Etat a besoin pour gérer une société aussi complexe que la nôtre.Le Président n’en fait-il pas trop avec les religions ?
Macron a provoqué des réactions très vives de la part du camp des «laïcs intégralistes» quand il a dénoncé la «radicalisation de la laïcité». Il a répété que la laïcité devait être de dialogue, d’accueil, et non pas d’exclusion ; ce qu’il repère dans des propositions tant à droite qu’à gauche. Pour lui, la radicalisation de la laïcité, c’est le projet de neutraliser ou d’invisibiliser le religieux. C’est ce qui se passe lorsqu’on demande aux croyants de ne pas s’exposer publiquement et aux églises de camper dans leurs sacristies. Il décrit fort bien l’air du temps. Ce qui est frappant depuis quelques années, c’est la résurgence d’un discours que l’on croyait oublié depuis les années 60, celui de l’anticléricalisme classique de la IIIe République, une veine irréligieuse provenant des Lumières associée à un discours marxoïde, notamment chez des philosophes, comme Michel Onfray ou Yvon Quiniou. Ce qu’ils dénoncent, c’est l’idéologie religieuse. Pour eux, le religieux relève du domaine de la superstition et du fanatisme, et il n’y aurait de bonne religion qu’assignée à résidence ou éradiquée. Macron est à mille lieues de ce courant qui ne cesse d’ailleurs de le critiquer.Comment se situe Emmanuel Macron par rapport à la question de l’islam ?
La laïcité, dans la vision d’Emmanuel Macron, ne doit pas être identitaire ; elle est d’abord juridique. Il ne faut absolument pas opposer République et islam. Pour lui, les musulmans sont des citoyens comme les autres et doivent être considérés comme tels. A l’inverse d’un Sarkozy, Macron a une conception ouverte de la nation, marquant ainsi une profonde distance avec l’idée d’une France définie exclusivement par ses «racines chrétiennes» ; Il s’agit davantage de construire le pays par association des différences. Ce qui n’empêche pas le président de la République de demander aussi des efforts aux musulmans, notamment par l’acceptation d’un Etat de droit.Emmanuel Macron n’a-t-il pas lui-même un rapport personnel très singulier au religieux ?
En réponse au philosophe Régis Debray qui l’avait qualifié de «néo-protestant à l’anglo-saxonne», le Président s’est défini à la fois comme l’héritier des jésuites et de la République. Chez lui, la question de la transcendance est importante. L’existence humaine, selon lui, ne peut se réduire à la seule défense d’intérêts séculiers. Comme disait Pascal, «l’homme passe infiniment l’homme», c’est-à-dire qu’il y a de l’être au-delà de l’humain. Manifestement, le questionnement d’Emmanuel Macron sur la foi demeure ouvert. Même si comme chef de l’Etat, il ne s’est jamais exprimé publiquement sur son appartenance confessionnelle, il a clairement fait état de son intérêt pour la chose religieuse. Il est vrai qu’il a eu un parcours singulier. A distance des choix de ses parents, il a lui-même demandé le baptême à l’âge de 12 ans. Faut-il rappeler qu’une expérience de conversion n’est jamais neutre.
150 ans de l’École pratique des hautes études
Dans le cadre du cycle de conférences du cent cinquantenaire
de l’EPHE, l’historien des religions Philippe Portier interviendra
jeudi 15 mars lors de la conférence «Controverses contemporaines autour de la
laïcité». De 18 heures à 19 heures à l’Institut d’études
avancées (IEA), hôtel de Lauzun, 17, quai d’Anjou, 75 004 Paris.
Inscription obligatoire :
https://www.paris-iea.fr/fr/evenements/controverses-contemporaines-autour-de-la-laicite»
target=«_self»>www.paris-iea.fr
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire