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Le Canada à la rescousse du CETA
Par Valérie Lion, publié le 17/01/2018 à 06:00 , mis à jour à
08:46
Après le Parlement européen (ici à Strasbourg lors d'une
session de vote sur le Ceta le 15 février 2017), c'est aux parlements de chacun
des 27 Etats-membres de ratifier l'accord de libre-échange conclu avec le
Canada.
V. KESSLER/REUTERS
L'Accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada doit encore être ratifié par le Parlement français. Ses promoteurs veulent changer l'image d'un traité malmené.
Le Ceta, cet accord de libre-échange signé en 2016 entre l'Union européenne et le Canada et entré en vigueur en septembre dernier, sera-t-il ratifié par le Parlement français en 2018? C'est sans aucun doute l'objectif d'Emmanuel Macron, à l'Elysée, et du Premier ministre canadien Justin Trudeau. Du côté de Paris, le gouvernement doit encore convaincre certains députés de sa majorité, plutôt réticents. Pour les amadouer, il compte sur le Plan d'action révélé le 25 octobre dernier, destiné à placer sous surveillance le traité, quant à ses impacts environnementaux et sociaux. Sauf que ce plan d'action dépend aussi du bon vouloir de la Commission européenne, signataire du traité avec Ottawa. Ce que n'a pas manqué de souligner en novembre dernier Nicolas Hulot: pour le ministre de la Transition écologique, "la messe n'est pas dite" sur ce sujet.Du côté du Canada, on s'active donc pour plaider la cause du Ceta. L'arrivée à Paris, fin novembre, d'une nouvelle ambassadrice, Isabelle Hudon, issue du milieu des affaires - une première à ce poste - , en est l'illustration la plus éclatante. Ancienne présidente le compagnie d'assurance Financière Sunlife au Québec, cette quinqua à la fois déterminée et chaleureuse est en train de monter au créneau sans tabou. Le dossier est clairement "en haut de la pile". "Nous avons laissé un silence s'installer. Il y a un urgent besoin à parler de cette entente, à faire une pédagogie avec des faits et des données", explique à L'Express Mme Hudon.
Des craintes à lever
Les détracteurs du Ceta - au premier rang desquels des ONG comme Attac, Foodwatch, des syndicats d'agriculteurs comme le Modef et la FNSEA - ont en effet largement occupé le terrain ces derniers mois. Réfractaires à la mondialisation des échanges, ils ont concentré leur combat contre le Ceta après l'enlisement du Tafta, le projet de traité de libre-échange entre l'Europe et les Etats-Unis. Le site web du collectif Stop Tafta est d'ailleurs désormais essentiellement consacré au Ceta. Celui-ci a pâti d'être le premier d'une nouvelle génération de traités de libre-échange très ambitieux. La Commission européenne discute ainsi d'un traité de même ampleur avec le Mercosur.Les craintes des opposants au Ceta sont doubles. D'une part, le traité supprime progressivement les barrières tarifaires sur un certain nombre de produits canadiens exportés vers l'Europe, notamment la viande: près de 65 000 tonnes de viande bovine et 80 000 tonnes de viande porcine pourront à terme (2022) entrer sur le marché européen exonérées de toute taxe. De quoi inquiéter les éleveurs bovins tricolores, qui voient d'un mauvais oeil l'ouverture de leur marché à de nouveaux concurrents.
D'autre part, le traité entend éliminer aussi les barrières non-tarifaires en instaurant un dialogue constant entre l'Union européenne et le Canada sur les normes: la porte ouverte selon les opposants au Ceta à un affaiblissement des règles sanitaires (refus des OGM par exemple) et environnementales qui prévalent en Europe. Enfin, le Ceta prévoit un mode de règlement des différends entre entreprises et Etats qui fragiliseraient les pouvoirs publics face aux multinationales, celles-ci pouvant éventuellement attaquer des dispositifs de protection sanitaire ou environnementale pour entrave au commerce.
Isabelle Hudon, la nouvelle ambassadrice du Canada en France,
monte au front pour démystifier le Ceta.
SDP
Afin de répondre à ces multiples craintes, Isabelle Hudon a commencé par
rencontrer les parlementaires, puis les agriculteurs et bientôt les ONG. Son
ambition: les écouter, instaurer un dialogue et apporter des faits. "En
2017, moins de 1% des quotas d'exportation de viande bovine vers l'Europe ont
été utilisés par les éleveurs canadiens, souligne-t-elle. Alors que 92% des
quotas d'exportation de fromages français vers le Canada l'ont été."Pour l'ambassadrice du Canada en France, il n'y a à craindre ni un déferlement de boeuf canadien sur le marché européen, ni l'arrivée de viande aux hormones dans nos assiettes. "36 fermes canadiennes seulement sur 13 000 sont en position d'exporter du boeuf en Europe, c'est-à-dire du boeuf sans hormone conformément aux règles européennes. Il n'y a aucune raison que l'Europe abaisse ses normes sanitaires. Si nous voulions exploiter 100% des quotas exonérés de taxe, il nous faudrait construite toute une nouvelle filière", assure-t-elle, convaincue que le boeuf n'est pas le produit qu'on verra le plus débarquer sur les étals français suite au Ceta.
Des entreprises à convaincre
Décidée à dépassionner le débat, Isabelle Hudon veut aussi faire la promotion de cet accord de libre-échange auprès des entreprises, françaises et canadiennes. Les entreprises canadiennes ont souvent tendance à ne regarder que vers les Etats-Unis (75% des exportations canadiennes), une tendance qui pourrait toutefois s'affaiblir devant la politique protectionniste de l'administration Trump et les menaces qu'elle fait peser sur l'Alena, l'accord de libre-échange nord-américain, actuellement en renégociation.Les entreprises françaises quant à elles s'interrogent parfois sur l'intérêt de miser sur le marché canadien - "seulement 35 millions d'habitants" à comparer aux 500 millions de consommateurs de l'Union européenne et au quelque 300 millions d'Américains. Mais l'appétit pour les produits tricolores y est réel, notamment dans l'agro-alimentaire. Au-delà des fromages - au total 30 000 tonnes d'exportations possibles vers le Canada sans taxe grâce au Ceta contre 11 500 tonnes avant le traité et 28 appellations d'origine protégées -, 14 produits du terroir ou de la mer voient leur IGP protégée par le Ceta, tandis que 488 vins et 57 spiritueux sont désormais totalement exonérés de droits de douane. Un bon point pour les viticulteurs et artisans français.
Mme Hudon va donc prendre son bâton de pèlerin et se rendre en province, à Bordeaux, Toulouse, Lyon et Nice pour rencontrer les acteurs économiques, les élus, les influenceurs, la presse. "C'est un travail de tous les jours reconnaît l'ambassadrice. Il faut détermination, conviction, énergie. Mais ce n'est pas un défi insurmontable." Impossible n'est pas... canadien!
© L'Express -
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