Éléments de réflexions avant le deuxième tour de la présidentielle 2017
Écrit par le_pardem
Catégorie parente: Qui
sommes-nous ?
Catégorie : Présidentielle 2017
Parti
de la démondialisation
Le 4
mai 2017
Avant le
premier tour du 23 avril, le Parti de la démondialisation avait déjà proposé un
texte de réflexions accessible ici :
Nous
recommençons avant le deuxième tour fixé au 7 mai, en livrant une nouvelle
analyse approfondie de l’évolution du système politique de notre pays avant ce
scrutin inédit en tous points. Un résumé se trouve ci-dessous.
RÉSUMÉ
Nous
sommes à la fin d’un cycle majeur, celui de l’ordre institutionnel européen
néolibéral, incompatible avec la démocratie, devenu inaccessible aux exigences
des citoyens. Ce dernier possède un double impuissant avec le système national
rendu fantomatique qui n’est là que pour maintenir une façade familière de
normalité institutionnelle, un vernis d’allure démocratique et électorale.
C’est par
cette logique de vase communiquant que la politique s’est vue remplacée par la
« gouvernance », progressivement, inexorablement. Mais cette
stratégie discrète ne peut éviter d’évidents effets de réel, ne serait-ce qu’à
cause de sa spectaculaire efficacité. Cela, naturellement, a fini par se voir.
Et ce sont bien sûr ceux qui avaient le plus à perdre concrètement, dans leur
vie matérielle, qui s’aperçurent rapidement de ces deux phénomènes majeurs.
Leurs intérêts n’étaient plus représentés politiquement, et la mondialisation
néolibérale, économique et institutionnelle, encouragée par l’euro et l’Union
européenne, signifiait la fin du progrès social.
Tous ceux
qui sont peu ou pas diplômés, tous ceux qui ne sont pas dans la fonction
publique (pourtant elle aussi atteinte mais de manière moins directe), en gros
toutes les classes populaires, ont largement compris les effets concrets de la
mondialisation néolibérale, et de son gardien institutionnel inflexible, inaccessible
à toute pression démocratique, l’Union européenne. Ils ont compris qu’ils
avaient été trahis par leur classe politique et syndicale. Car cette dernière,
non seulement ne lutte pas pour imposer une rupture concrète avec le processus
institutionnel européen de cette mondialisation néolibérale, mais persiste,
contre toute évidence, à présenter ce phénomène comme intrinsèquement positif.
Elle fait croire que l’on peut changer aussi facilement, « de l’intérieur
», que l’ancien système politique national.
Et le FN
s’installa, propulsé en coulisse par son habile pygmalion, François Mitterrand.
L’abstention et le vote FN grandirent alors inexorablement, avec la précarité,
le chômage de masse, l’explosion des inégalités, la ségrégation sociale et
spatiale faisant le reste, séparant toujours plus une France d’en haut,
protégée ou bénéficiaire de la mondialisation néolibérale, diplômée, regroupée
dans les centres-villes des métropoles ou dans les collectifs ruraux de bobos «
alternatifs », d’une France périphérique populaire, majoritaire mais non
représentée politiquement...
C’est donc
cette page, sinistre par ses conséquences mais aussi ses perspectives, que l’on
est heureusement en train de tourner. On conteste désormais les institutions
européennes, et non plus faussement naïvement leur contenu, parce qu’elles sont
antidémocratiques par construction depuis le début. Ceci est maintenant dicible
par des dirigeants politiques en dehors du FN. Ce phénomène libérateur est en
train d’exploser sous nos yeux, et ce n’est qu’un début.
Dans cette
perspective d’entrée en crise de l’ordre néolibéral européiste, les résultats
du premier tour sont pleins d’enseignements majeurs. Ni la gauche se présentant
comme telle, ni la droite se présentant comme telle, ne passent le cap du
premier tour. C’est un phénomène totalement inédit, qui en dit long sur la
prise de conscience que ce clivage idéologique ne recouvrait plus rien
d’important depuis 1983. Il n’était qu’un nuage idéologique masquant
l’acceptation globale de l’antidémocratie européenne par l’ensemble de la
classe politique de droite et de gauche.
La gauche
et la droite subissent donc des coups mortels. En tout cas, rien ne garantit
qu’elles s’en relèvent un jour, sous cette forme idéologique, gauche, droite, «
progressisme » contre « conservatisme ». Comme si les
clivages politiques essentiels dépendaient de valeurs morales et idéologiques,
et non d’enjeux politiques et sociaux bien concrets, recoupant des clivages
bien réels, objectifs. Ce premier tour nous fait donc sentir que les effets de
réel prennent désormais le dessus sur l’idéologie molle et convenue des « valeurs
de gauche » et des « valeurs de droite ». Celles-ci se traduisent
toujours par la continuation inexorable des mêmes institutions néolibérales et
de leurs conséquences tout aussi inexorables. Il faut s’en féliciter. Les
clivages politiques recoupent désormais bien plus clairement les clivages
réels. Macron représente, fidèlement, et à découvert, le camp des protégés et
des gagnants de la mondialisation néolibérale et de sa bunkérisation
institutionnelle européiste. Marine Le Pen représente (fort mal), le rejet
populaire du statu quo néolibéral. Tout en le dirigeant vers une
trahison à la Tsipras, et dans une impasse xénophobe. Bien sûr, on pourrait
voir ce premier tour avec d’anciennes lunettes, celles du XXe siècle. Il
faudrait alors dire que Le Pen n’est que la continuation de la droite
xénophobe, tandis que Macron n’est que le masque de la gauche socialiste. Ce
n’est pas faux. Mais ce n’est pas pour autant pertinent.
Quel
intérêt en effet, de relever, comme si c’était le fait politique principal, que
Macron est « progressiste », donc de gauche, et Marine Le Pen
« conservatrice », donc de droite ? La réalité crue, c’est que les
électeurs de Macron soutiennent sans réserve la mondialisation néolibérale, et
les électeurs de Le Pen la rejettent explicitement, et c’est bien là-dessus que
se sont structurés les votes. Parce qu’ils pensent que cela va dans leurs
intérêts, beaucoup plus que vers leurs « valeurs ». Qu’une partie des
classes moyennes qui soutiennent Macron se trompent sur leurs intérêts réels et
que les classes populaires se trompent sur la véritable détermination du FN à
briser l’ordre institutionnel néolibéral, est bien sûr une autre affaire. Mais
la véritable dynamique politique électorale concerne désormais crûment,
directement, les véritables enjeux, sans masque idéologique, grâce à la
disparition du clivage gauche-droite, avantageusement remplacé par les clivages
réels.
Troisième
évidence de ce scrutin historique : bien que la présence du FN au deuxième tour
était pour la première fois annoncé comme parfaitement prévisible, c’est
l’abstention, ou le vote blanc ou nul, qui constitue le comportement électoral
majoritaire des citoyens, et particulièrement des classes populaires,
rejoignant le record précédent de 2002. Aucun des 11 candidats n’est ainsi
apparu crédible pour plus de 11 millions et demi de citoyens inscrits sur les
listes électorales (les autres ne jugeant même pas utile de s’inscrire en
l’état), dont 10 577 772 abstentions, soit 22,23 % des inscrits. Ce chiffre,
massif, d’autant plus spectaculaire que les injonctions médiatiques et
politiques au « vote utile » dès le premier tour ne se sont jamais
faites aussi bruyantes du fait de la présence prévisible du FN au second tour,
est à mettre en regard avec les chiffres du vainqueur du premier tour.
La
dernière nouveauté à relever est l’apparition d’une nouvelle dynamique
politique, celle de la France Insoumise, issue de l’ancienne « gauche radicale
», hors PCF, mais ne se présentant plus comme telle. Les couches sociales qui
la soutiennent ne sont pas si clairement clivées que les deux finalistes,
classes moyennes et classes populaires étant plus ou moins à égalité dans la
composition des électeurs supportant ce nouveau mouvement. En soi, cela dénote
une évolution positive. Une offre euro-critique émerge, non xénophobe, capable
d’attirer les classes populaires devenues méfiantes face aux offres classiques
(et comme on les comprend), et disposant d’un soutien des classes moyennes
indispensables si l’on veut obtenir une majorité électorale rapide et durable.
Hélas, cette innovation et ces aspects positifs sont grevés par un flou
rédhibitoire sur les questions principales, stérilisant une dynamique
électorale novatrice et efficace. Les cadres, et pour commencer le leader
charismatique de la France Insoumise, sont bel et bien issus de la gauche
européiste (ce qui est hélas un pléonasme, toute la gauche étant européiste).
Cela ne pouvait pas être sans incidence sur la stratégie et les propositions de
ce mouvement. Afin de garder la cohérence politique de sa direction, il fut
décidé de conserver l’incohérence de ses propositions. Son plan A, donc sa
proposition principale, sa stratégie privilégiée, redonne des couleurs à ce
fantôme usé jusqu’à la corde du rêve de l’Europe sociale, de sa transformation
de l’intérieur, de la positivité intrinsèque du projet européen à conserver
comme tel si l’on arrive, par la négociation, à lui faire faire l’inverse de ce
pourquoi il a été conçu, c’est-à-dire l’application automatique du
néolibéralisme.
Pour le
deuxième tour il s’agit de refuser d’établir une version ethnique de la
démocratie et une xénophobie d’État. Il est hors de question de déconsidérer le
mouvement populaire euro-critique en l’assimilant à une version xénophobe de la
démocratie. Il est par ailleurs évident, par les éternels louvoiements de
Marine Le Pen sur les questions européennes, qu’elle ne réalisera pas une
rupture décisive, qui n’est pas dans son intérêt. Il serait tragique de voir
élire une Tsipras de droite, xénophobe, déconsidérer pour longtemps l’exigence
de restauration de la souveraineté nationale. Sans parler de ses propositions
antisociales et antisyndicales traditionnelles. Celles et ceux qui croient
renverser la table avec un vote FN, vont se retrouver avec une table intacte et
supportant un contenu encore plus inacceptable.
Il faut
symétriquement refuser l’injonction politique et médiatique de se soumettre au
candidat de l’eurolibéralisme décomplexé. Il est impératif de ne pas légitimer
par un vote la continuation, et donc l’aggravation, de l’eurolibéralisme
désormais décomplexé. Rappelons, parmi hélas bien d’autres actions d’éclat, que
le principal conseiller économique de François Hollande puis son ministre de
l’économie, Monsieur Macron, est co-responsable d’une augmentation de 26% des
chômeurs sur la durée du quinquennat (source Pôle Emploi sur les catégories A,
B, C). C’est évidemment une caricature de ce qu’il ne faut plus jamais accepter,
la suppression de la démocratie et son remplacement par la gouvernance
européenne, l’aggravation continue de la mondialisation néolibérale, et la
casse systématique de l’État social.
Il serait
donc totalement irresponsable de légitimer dans les urnes ces deux options
aussi dangereuses qu’inacceptables. Et ce alors que leur position politique à
l’issue de ce premier tour est inhabituellement fragile.
Le
contexte particulier du deuxième tour renforce encore, dans le cadre de cette
élection présidentielle de 2017 en tous points atypique, la seule attitude
respectable et responsable à avoir face à ce second tour historique :
plaider pour une abstention massive. C’est le moyen de délégitimer l’une ou
l’autre des deux options inacceptables restées en lice, pour des raisons
différentes mais tout aussi graves et lourdes de conséquences l’une que
l’autre.
« Lutter
contre le FN », du moins efficacement, c’est sortir des postures morales
contreproductives et irréalistes, ce n’est pas « lutter contre le fascisme
». C’est déconstruire la place hégémonique qu’il détient sur la contestation du
postnational en construisant une force réellement démocratique visant la
démondialisation, comme seul pour l’instant le Pardem en France tente de le
faire, en se hissant ainsi à la hauteur de ce qu’exige le moment historique que
nous traversons.
L’enjeu,
encore une fois, est d’empêcher le plus possible à ces deux calamités
politiques de nuire. Ce n’est pas en votant pour l’un ou l’autre que l’on
atteindra efficacement ce but. Ces deux candidats inacceptables n’ont qu’un
faible appui électoral, ils sont fragilisés par leur incapacité à réunir une
majorité parlementaire efficace, ils vont déclencher de puissantes luttes
sociales. Il faut absolument appuyer cette opportunité de limiter leur capacité
de nuisance, et non pas la fragiliser par un vote qui ne ferait que les
légitimer avec un fort taux de participation.
ANALYSE COMPLÈTE
I.- Quels
enseignements tirer du 1er tour des élections présidentielles de 2017 ?
A.- La fin d’un cycle : l’entrée
en crise politique du néolibéralisme
Nous
sommes manifestement à la fin d’un cycle majeur, celui de l’ordre
institutionnel européen néolibéral. Cet ordre est incompatible avec la
démocratie et a pourtant été imposé, se donnant une apparence inéluctable,
quelles que soient les échéances électorales et leurs résultats qui ne changent
jamais les politiques menées. C’est aussi la fin du brouillage idéologique sur
ces questions, et de ses enjeux primordiaux, sociaux et démocratiques (ainsi
qu’environnementaux). Le clivage gauche-droite, qui en était depuis des
décennies totalement déconnecté depuis la séquence 1982-1992 (virage néolibéral
du PS au traité de Maastricht) a vécu. Cette déconnection et ce brouillage
empêchaient toute expression politique au refus de la mondialisation
néolibérale. Rappelons ses trois piliers : généralisation du libre-échange,
financiarisation de l’économie et des budgets publics, et enfin verrouillage de
ces mesures stratégiques par le court-circuitage de tous les processus
démocratiques. Ce verrouillage a été permis par des traités et des institutions
supranationales étanches par construction à tout changement lié aux échéances
électorales. C’est en particulier le cas de l’immense construction
institutionnelle antidémocratique de « l’Union » européenne.
Cette
obstruction méthodique de la droite comme de la gauche sur ces questions,
empêchant d’exprimer politiquement le refus de la mondialisation néolibérale,
aura eu, et hélas a encore des conséquences immenses. C’est le chômage de
masse, la destruction méthodique de tous les acquis sociaux et la suppression
discrète de la démocratie. Suppression discrète puisqu’étaient intelligemment
maintenues les institutions précédentes, celles du régime parlementaire
représentatif lié à la souveraineté nationale. Ce maintien ne coûtait rien,
puisqu’il était désormais déconnecté de toute capacité d’inverser l’ordre des
choses néolibérales. En effet, cet ordre était à l’abri derrière des traités
inamovibles, inatteignables, et des institutions antidémocratiques en dehors
des territoires nationaux. Les élections nationales perduraient donc, mais
avaient perdu tout enjeu important, tant qu’une dynamique politique de rupture
avec l’ordre européen néolibéral ne venait pas inquiéter le nouveau système mis
en place. C’est en fait un double système. Le vrai, devenu le seul
contraignant, inaccessible aux exigences des citoyens, « européen ». Et
son double rendu impuissant, le système national fantomatique, n’étant là que
pour maintenir une façade familière de normalité institutionnelle, un vernis
d’allure démocratique et électorale. Ce maintien du cadre institutionnel
représentatif national, vidé de toute possibilité de produire un effet
démocratique puisque les procédés de décision s’en étaient affranchis, a en
effet un rôle symbolique essentiel. Il sert à légitimer des processus
illégitimes, en mettant de la confusion sur la réalité institutionnelle néolibérale,
viscéralement incompatible avec la démocratie. Il est donc maintenu à peu près
inchangé afin que l’on ne comprenne pas trop clairement pourquoi désormais on
ne pouvait plus infléchir par les classiques procédés électoraux, partisans,
syndicaux, la politique économique générale dans tous ses aspects. Par
prudence, les oligarques européens ont néanmoins constitutionnalisé par le
traité de Lisbonne la prééminence juridique des traités européens sur les lois
nationales. On découvrit aussi à quel point un syndicat est impuissant à
produire par ses seules forces aucun effet significativement positif sans
relais partisan et national efficace.
C’est par
cette logique de vase communiquant que la politique s’est vue remplacée par la
« gouvernance » (c’est-à-dire la simple administration de
choix structurels fixés par avance), progressivement, inexorablement. Mais
cette stratégie discrète ne peut éviter d’évidents effets de réel, ne serait-ce
qu’à cause de sa spectaculaire efficacité. Cela, naturellement, a fini par se
voir. Et ce sont bien sûr ceux qui avaient le plus à perdre concrètement, dans
leur vie matérielle, qui s’aperçurent rapidement de ces deux phénomènes
majeurs. Leurs intérêts n’étaient plus représentés politiquement, et la
mondialisation néolibérale, économique et institutionnelle, signifiait la fin
du progrès social.
La
désindustrialisation de la France a vite fait comprendre aux ouvriers les
effets concrets du nouveau système néolibéral se mettant en place par ses
canaux institutionnels spécifiques, ceux de la déconstruction européenne des
processus démocratiques. Puis tous les modestes employés du privé ne purent que
constater eux aussi les conséquences salariales directes et indirectes du
néolibéralisme, la pression nouvelle en termes de productivité contrainte pour
ceux qui gardaient leur emploi, sous la menace permanente du chômage, la
dégradation constante de la protection sociale, etc. La même chose a pu
s’observer pour les petites et moyennes entreprises, les paysans, artisans,
commerçants, entrepreneurs. Rapidement, tous ceux qui étaient peu ou pas
diplômés, tous ceux qui n’étaient pas dans la fonction publique (pourtant elle
aussi atteinte mais de manière moins directe), en gros toutes les classes
populaires, comprirent les effets concrets de la mondialisation néolibérale, et
de son gardien institutionnel inflexible, inaccessible à toute pression
démocratique, l’Union européenne. Ils comprirent du coup qu’ils avaient été
trahis par leur classe politique et syndicale.
Car cette
dernière, non seulement ne luttait pas pour imposer une rupture concrète avec
le processus institutionnel européen de cette mondialisation néolibérale,
visiblement antidémocratique, mais persistait, contre toute évidence, à
présenter ce phénomène comme intrinsèquement positif. Elle faisait croire que
l’on pouvait la changer aussi facilement, « de l’intérieur », que
l’ancien système politique national. Cette succession de traités intégralement
néolibéraux et ces institutions faites exclusivement pour les appliquer, c’était
« l’Europe » (faites un signe de croix et fléchissez le genou). C’était
donc le futur, l’avenir, la paix, le progrès, amen, personne ne devait en
douter. Et le FN s’installa, aidé en coulisse par son habile pygmalion,
François Mitterrand. L’abstention grandit alors inexorablement, avec la
précarité, le chômage de masse, l’explosion des inégalités, la ségrégation
sociale et spatiale faisant le reste, séparant toujours plus une France d’en
haut, protégée ou bénéficiaire de la mondialisation néolibérale, diplômée,
regroupée dans les centres-villes des métropoles ou dans les collectifs ruraux
de bobos « alternatifs », d’une France périphérique populaire,
majoritaire mais non représentée politiquement... Du moins correctement,
puisque la contestation de la déconstruction européenne de la démocratie était
désormais spécialement réservée à l’enfer des incroyants, plus précisément au
FN, ravi de cet inespéré effet de niche qu’il sut vite exploiter à partir du
traité de Maastricht.
C’est donc
cette page, sinistre, par ses conséquences mais aussi ses perspectives, que
l’on est heureusement en train de tourner. On conteste désormais ouvertement
les institutions européennes, et non plus faussement naïvement leur contenu,
parce qu’elles sont antidémocratiques par construction depuis le début. Et ceci
est maintenant dicible par des dirigeants politiques en dehors du FN. Ce
phénomène libérateur est en train d’exploser sous nos yeux, et ce n’est qu’un
début.
B.-
La grande recomposition idéologique : explosion en vol de la gauche et de la
droite, construction d’un clivage pro ou anti-mondialisation néolibérale
Dans cette
perspective d’entrée en crise de l’ordre néolibéral européiste (mais on
constate aussi des phénomènes comparables aux États-Unis), les résultats tout
comme les sondages de sortie des urnes à l’issue du premier tour sont pleins
d’enseignements majeurs. Ni la gauche se présentant comme telle, ni la droite
se présentant comme telle, ne passent le cap du premier tour. C’est un
phénomène totalement inédit, qui en dit long sur la prise de conscience que ce
clivage idéologique ne recouvrait plus rien d’important depuis 1983. Il n’était
qu’un nuage idéologique masquant l’acceptation globale de l’antidémocratie
européenne par l’ensemble de la classe politique de droite et de gauche.
Bien sûr,
il ne faut pas trop faire dire à ce constat factuel aussi spectaculaire
qu’incontestable. Il est à prendre comme un signe des temps, de la crise
politique actuelle, plus que comme preuve définitive. Sans les manœuvres cyniques
mais efficaces de François Hollande de manipulation de la justice et des
médias, les comportements illégaux du leader de la droite (similaires à ceux de
ses concurrents pour la plupart), François Fillon, n’auraient pas été connus.
C’est sans nul doute lui qui aurait eu alors le privilège d’être face à la
candidate du FN, et qui aurait remporté le scrutin. Mais si c’est le premier
facteur explicatif, parfaitement évident, ce n’est pas le seul. La légère
progression du FN, le score élevé de Nicolas Dupont-Aignan, tous eurocritiques
et attirant des voix de droite, le fort taux d’abstention pour une élection
présidentielle, sont tous à relier avec le mouvement de fond que nous venons de
retracer à grands traits. Sans ce terreau les « affaires » n’auraient jamais
pu provoquer à elles seules un tel désaveu électoral pour la droite, qui était
censée profiter d’élections imperdables, vue la popularité du sortant et de son
parti en perdition.
C’est la
deuxième évidence. La social-démocratie, qui ne partageait que ce nom avec la
social-démocratie originelle (quoique l’on en pense par ailleurs), est finie,
en France comme en Europe. Cette chute générale est parfaitement logique,
puisque c’est la principale force politique (avec tous ses satellites, en
France principalement Europe Écologie Les Verts et le PCF) qui a mis en place
les institutions néolibérales et leur contenu. Comme le restant de la gauche
classique, censée être « antilibérale », ne remet jamais en cause les
institutions européennes en tant que telles, cœur névralgique de la
mondialisation néolibérale dans son aspect le plus stratégique et efficace, son
versant institutionnel, c’est l’ensemble de la gauche qui a désormais son futur
derrière elle. Car il est bien trop tard pour restaurer une crédibilité politique
que plus rien ne justifie depuis des décennies.
La gauche
et la droite subissent donc des coups mortels. En tout cas, rien ne garantit
qu’elles s’en relèvent un jour, sous cette forme idéologique, gauche, droite, «
progressisme » contre « conservatisme ». Comme si les
clivages politiques essentiels dépendaient de valeurs morales et idéologiques,
et non d’enjeux politiques et sociaux bien concrets, recoupant des clivages
bien réels, objectifs. Ce premier tour nous fait donc sentir que les effets de
réel prennent désormais le dessus sur l’idéologie molle et convenue des « valeurs
de gauche » et des « valeurs de droite ». Celles-ci se traduisent
toujours par la continuation inexorable des mêmes institutions néolibérales et
de leurs conséquences tout aussi inexorables. Il faut s’en féliciter. Les
clivages politiques recoupent désormais bien plus clairement les clivages
réels. Macron représente, fidèlement, et à découvert, le camp des protégés et
des gagnants de la mondialisation néolibérale et de sa bunkérisation
institutionnelle européiste. Marine Le Pen représente (fort mal), le rejet
populaire du statu quo néolibéral. Tout en le dirigeant vers une trahison à la
Tsipras, et dans une impasse xénophobe. Bien sûr, on pourrait voir ce premier
tour avec d’anciennes lunettes, celles du XXe siècle. Il faudrait alors dire
que Le Pen n’est que la continuation de la droite xénophobe, tandis que Macron
n’est que le masque de la gauche socialiste. Ce n’est pas faux. Mais ce n’est
pas pour autant pertinent.
Quel intérêt
en effet, de relever, comme si c’était le fait politique principal, que Macron
est « progressiste », donc de gauche, et Marine Le Pen « conservatrice
», donc de droite ? La réalité crue, c’est que les électeurs de Macron
soutiennent sans réserve la mondialisation néolibérale, et les électeurs de Le
Pen la rejettent explicitement, et c’est bien là-dessus que se sont structurés
les votes. Parce qu’ils pensent que cela va dans leurs intérêts, beaucoup plus
que vers leurs « valeurs ». Qu’une partie des classes moyennes qui
soutiennent Macron se trompent sur leurs intérêts réels et que les classes
populaires se trompent sur la véritable détermination du FN à briser l’ordre
institutionnel néolibéral, est bien sûr une autre affaire. Mais la véritable
dynamique politique électorale concerne désormais crûment, directement, les
véritables enjeux, sans masque idéologique, grâce à la disparition du clivage
gauche-droite, avantageusement remplacé par les clivages réels.
Troisième
évidence de ce scrutin historique : bien que la présence du FN au deuxième tour
était pour la première fois annoncé comme parfaitement prévisible, c’est
l’abstention, ou le vote blanc ou nul, qui constitue le comportement électoral
majoritaire des citoyens, et particulièrement des classes populaires,
rejoignant le record précédent de 2002. Aucun des 11 candidats n’est ainsi
apparu crédible pour plus de 11 millions et demi de citoyens inscrits sur les
listes électorales (les autres ne jugeant même pas utile de s’inscrire en
l’état), dont 10 577 772 abstentions, soit 22,23 % des inscrits. Ce chiffre,
massif, d’autant plus spectaculaire que les injonctions médiatiques et
politiques au « vote utile » dès le premier tour ne se sont jamais faites aussi
bruyantes du fait de la présence prévisible du FN au second tour, est à mettre
en regard avec les chiffres du vainqueur du premier tour. Macron, le prévisible
prochain président de la République, ne réunit « que » 8 657 326
d’électeurs, 18,19 % des inscrits, moins de 1/5e du corps électoral. Sans compter
qu’une partie des votes ne l’a sélectionné que dans une perspective de vote
utile contre le FN. C’est donc le chef d’une petite minorité de Français, les
tenants du statu quo néolibéral.
Les scores
de la seconde finaliste, Marine Le Pen, ne sont pas plus glorieux : 7 679 493
de voix, 16,14 % des inscrits, moins de 1/6e du corps électoral a voté pour le
FN au premier tour. Étant donné le contexte porteur, les affaires éclaboussant
la droite, le bilan spectaculairement négatif du PS sortant, la dynamique « populiste
» en Europe et dans le monde, les médias qui mettaient le FN au centre du jeu
et en exposition permanente, le score final de ce parti, certes en augmentation
légère, n’est pas considérable. Il maintient et améliore ses nouvelles
positions, mais ce n’est en rien le raz de marée que l’on aurait pu craindre,
ce qui limite d’autant sa capacité de nuisance. Encore une fois, les classes
populaires (c’est la composante désormais majoritaire des électeurs du FN) ont
massivement préféré l’abstention plutôt que le vote FN, évidence criante et
significative, jamais soulignée par les commentateurs. Cette évidence est
pourtant riche d’enseignements. Les classes populaires ne se sentent toujours
pas correctement représentées politiquement. La sensibilité politique
majoritaire en France est traditionnellement égalitaire. La proposition
politique du FN, qui peut grossièrement se comprendre comme la restauration de
la démocratie (certes une illusion, c’est pourtant bien l’une des raisons de
son succès), mais sur des bases ethniques et xénophobes, ne séduit toujours pas
la majorité des classes populaires. La légitimité d’un parti comme le PARDEM,
le seul à proposer une restauration de la démocratie et du progrès social, en
rejetant toute xénophobie, est donc évidente. Il ne lui manque qu’à se faire
connaître du grand public, ce qui est néanmoins plus difficile que jamais, le
système médiatique et politique n’ayant jamais été plus verrouillé.
Cette
réalité d’un faible soutien électoral des deux finalistes n’est cependant pas
une raison pour nier l’évidence. La clarté des soutiens sociologiques des
vainqueurs du premier tour, lisible dans l’origine socio-professionnelle des
électeurs et leur répartition géographique, signale une clarification politique
inédite. Macron est élu par les éduqués du supérieur, les centres-villes, les
protégés de la mondialisation (ou se croyant tels). Le Pen est élue par les
classes populaires, la France périphérique rurale et périurbaine, les personnes
les plus directement impactés par la mondialisation néolibérale. On ne saurait
faire plus clair, et plus loin des vieux clivages idéologiques antérieurs, « progressisme
» contre « conservatisme », gauche contre droite.
La
dernière nouveauté à relever est l’apparition d’une nouvelle dynamique politique,
celle de la France Insoumise, issue de l’ancienne « gauche radicale »,
hors PCF, mais ne se présentant plus comme telle pour des raisons évidentes si
l’on a bien compris les analyses précédentes. Les couches sociales qui la
soutiennent ne sont pas si clairement clivées que les deux finalistes, classes
moyennes et classes populaires étant plus ou moins à égalité dans la
composition des électeurs supportant ce nouveau mouvement. En soi, cela dénote
une évolution positive. Une offre euro-critique émerge, non xénophobe, capable
d’attirer les classes populaires devenues méfiantes face aux offres classiques
(et comme on les comprend), et disposant d’un soutien des classes moyennes
indispensables si l’on veut obtenir une majorité électorale rapide et durable.
Hélas, cette innovation et ces aspects positifs sont grevés par un flou
rédhibitoire sur les questions principales, stérilisant une dynamique
électorale novatrice et efficace. Les cadres, et pour commencer le leader
charismatique de la France Insoumise, sont bel et bien issus de la gauche
européiste (ce qui est hélas un pléonasme, toute la gauche étant européiste).
Cela ne pouvait pas être sans incidence sur la stratégie et les propositions de
ce mouvement. Afin de garder la cohérence politique de sa direction, il fut
décidé de conserver l’incohérence de ses propositions. Son plan A, donc sa
proposition principale, sa stratégie privilégiée, redonne des couleurs à ce
fantôme usé jusqu’à la corde du rêve de l’Europe sociale, de sa transformation
de l’intérieur, de la positivité intrinsèque du projet européen à conserver
comme tel si l’on arrive, par la négociation, à lui faire faire l’inverse de ce
pourquoi il a été conçu, c’est-à-dire l’application automatique du
néolibéralisme.
Deux
remarques importantes doivent être faites au sujet de ce désespérant plan A de
la France Insoumise (désormais dénommée FI). La première concerne le réalisme
de la tactique impliquée par ce choix destructeur, la deuxième une question de
principe démocratique de base, révélateur des contradictions traditionnelles de
la gauche radicale sur les questions touchant à la souveraineté. Cette double
proposition inutilement alambiquée de deux plans radicalement différents (une
négociation européenne et une rupture européenne), bien qu’elle soit
logiquement articulée (si la négociation échoue, la rupture est prévue) et en
cela supérieure à son évident prédécesseur grec, recèle des contradictions
insurmontables. Tout le monde est bien conscient parmi les cadres dirigeants de
la FI, que la probabilité pour que des négociations aboutissent à une inversion
radicale du sens des institutions européennes est bien évidemment égale à zéro.
Ces négociations sont bien sûr intergouvernementales, et aucun gouvernement
actuel à part celui de Tsipras n’est favorable à une rupture avec le contenu
néolibéral des institutions européennes. Et de toute façon, la modification des
traités, comme tout le monde le sait, exige l’unanimité des 28 (bientôt 27).
Bref, comme d’habitude, les promesses de progrès social liées à des
négociations européennes, quand bien même seraient-elles inhabituellement
musclées, sont du vent, et ne sauraient être autre chose. Taper du poing sur la
table, devant les télévisions, ne servira sur ce sujet qu’à se faire mal à la
main.
D’autre
part, et c’est le problème essentiel, le choix d’une telle tactique implique
l’échec du plan B proposé, à savoir une rupture nationale avec l’ordre
néolibéral européen. Bien sûr, le fait de faire une telle proposition (le plan
B), est une innovation radicale et positive de la part de gens qui ont passé le
plus clair de leur carrière politique à présenter l’éventualité d’une sortie
des institutions européennes comme l’horreur des horreurs. C’est le signe
encourageant que les temps changent sur l’essentiel et pousse tout le monde à
briser des tabous pour des dirigeants politiques il y a encore très peu de
temps totalement indicibles. Mais le choix de faire dépendre cette rupture
d’une phase préalable de négociations réduit ses chances de réussir à néant. En
effet la sortie de la France de l’ordre institutionnel néolibéral européen
n’est pas comparable au Brexit des Anglais. Nous sommes hélas dans l’euro, et
donc directement sous le pouvoir monétaire et financier des classes dominantes
européennes (et mondiales). Leur capacité de déstabilisation est, par ce biais
stratégique, pour l’instant à leur maximum, tant que nous ne sommes pas sortis
des contraintes juridiques et économiques européennes. Si l’on veut réussir une
sortie de cet ordre institutionnel complexe et tout à fait en capacité de nuire
puissamment, c’est en amont des élections que cela se prépare.
La rupture
devra être complète, coordonnée, immédiate, initiée dès la première semaine, le
principal devant être acté dès le premier trimestre de la prise de pouvoir si
l’on ne veut pas se faire totalement déstabiliser par l’attaque en règle que
nous ne manquerons pas de subir de la part des marchés financiers et des
classes dominantes européennes en cas d’une victoire électorale d’un parti
proposant une rupture décisive avec le néolibéralisme. Cette période cruciale,
déterminante pour l’échec ou la réussite de cette rupture, aurait été gâchée en
pure perte si la FI avait gagné les élections, en la consacrant à son fameux
plan A. Ce plan A est cette période absurde, stérilisée dans des « négociations
» symboliques dont l’échec est assuré, et qui n’est là que pour respecter les
convictions des membres fondateurs de la FI. Ce baroud d’honneur européiste
compromet pourtant fatalement les conditions de réussite victorieuse de toute
sortie du néolibéralisme. Cette sortie est tout à fait possible mais néanmoins
délicate, technique, contraignante, où toutes les décisions doivent être
articulées, déclenchées en même temps et le plus tôt possible. Ce plan A est
davantage qu’un faux pas, c’est l’aveu par les dirigeants de la FI, que les
convictions idéologiques sont plus importantes que la victoire concrète. Ces
dirigeants entraînent une dynamique politique efficace et innovante dans une
impasse stratégique, la canalisant vers une version à peine améliorée de la
tragédie grecque impulsée par Syriza.
Dernière
remarque, sur le plan des principes démocratiques de base. Toute la gauche « euro-critique
» voudrait ainsi nous habituer à une étrange pratique électorale, celle que
l’on peut résumer en la qualifiant d’élections « à trois tours ». Le
premier tour nous permet d’indiquer nos préférences. Le deuxième de trancher
entre deux options fondamentales opposées. C’est alors qu’entre en scène un
incongru 3e tour, que rien, absolument rien, ne peut légitimer du point de vue
des principes démocratiques. Le gouvernement issu des élections nationales se
dirige alors vers des gouvernements étrangers, non élus par le corps électoral
qui vient de trancher souverainement son deuxième tour, pour négocier avec eux
en quoi il appliquera ce programme, et en quoi il ne l’appliquera pas. Les
électeurs français, qui majoritairement voteraient pour le programme de la FI
(c’est la même chose pour le FN), n’ont pas voté pour Merkel, pour Charles
Michel (1er ministre de la Belgique), ou pour Paolo Gentiloni (président du
Conseil en Italie). Il n’y a aucune raison de suspendre l’application de leur
programme à une négociation avec des responsables élus (ou non, comme
Gentiloni, mais les Italiens commencent hélas à avoir l’habitude) par d’autres
corps électoraux.
Le
programme sélectionné par les électeurs français leur échappe donc totalement,
la responsabilité politique des gouvernants et des élus disparaît derrière des
procédures ubuesques, les périmètres des processus électoraux ne correspondent
plus à ceux des décisions finales. La souveraineté d’une nation, communauté
politique théoriquement à la tête d’un État, se retrouve ainsi concrètement
négociée, donc niée. Mais sur quelle planète ces dirigeants ont-ils été élevés
pour ignorer à ce point toute notion de légitimité démocratique ? Ces tactiques
politiques sont donc non seulement techniquement perdantes, mais politiquement
inacceptables, démocratiquement illégitimes. Les élus et les gouvernants ne
sont légitimes que lorsqu’ils appliquent les décisions tranchées par la nation,
seule détentrice de la souveraineté de l’État. Dès qu’ils sortent de cette
logique, ils n’ont plus aucune légitimité pour agir, ils deviennent des tyrans
au sens juridique du terme, des décideurs publics que plus aucun droit ne vient
encadrer, prenant des décisions unilatérales sans mandat démocratique clair et
contraignant. On ne négocie pas une décision électorale, on l’applique, ou on
ne se présente pas au suffrage de ses concitoyens !
Ces
manières de faire, décomplexées et banalisées, sont un des nombreux signes de
la décomposition démocratique de nos sociétés européennes. Tsipras aura déroulé
jusqu’au bout cette logique délirante des suffrages et des tours sans fin : premier
tour, deuxième tour, décidant clairement du refus du peuple grec de l’austérité
imposée par des instances non élues, puis négociations, 3e tour insensé, puis
4e tour, un référendum sur la même question (austérité ou pas ?), puis 5e tour,
jusqu’à la décision de continuer l’austérité... Kafka se fait concurrencer par
de redoutables prétendants sur le terrain de l’humour absurde et angoissant.
Toujours est-il que la France « insoumise » (mais aussi le FN) se soumet
sans broncher à ces pratiques tordues et illégitimes, avec son plan A
irréaliste, ubuesque et antidémocratique. S’il s’agit sérieusement de sortir
des logiques néolibérales, et si une majorité électorale tranche enfin pour
réaliser une telle sortie, il n’y a rien à négocier avec des gouvernements qui
veulent à tout prix les maintenir, et qui n’ont aucune légitimité électorale ou
démocratique pour préempter le choix souverain de nos concitoyens. Bien des
choses devront tout naturellement être négociées, pour établir des relations
efficaces, correctes et équilibrées avec nos voisins. Mais pas nos décisions
politiques et institutionnelles, cela est absurde, intolérable et illégitime.
Dernier
enseignement de ce scrutin inédit, la masse des électeurs consciemment
eurocritiques ne cesse de monter, le moment où ils constitueront une majorité
est sur le point d’être enfin atteint. Il est difficile d’y voir clair sur ce
sujet, puisqu’aucun candidat déclaré n’est précis et convaincant sur le sujet.
On constate même que plus une personnalité politique est identifiée, connue,
médiatisée, moins elle est détaillée, stable, convaincante, sur les questions
européennes. On peut cependant, en restant prudent, commencer à faire ses
comptes. 46,68 % des votants sont à tout le moins « eurocritiques », même si
cette notion elle-même est floue. Les électeurs ayant voté pour Marine Le Pen,
Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau et Jacques
Cheminade ne peuvent pas en effet être qualifiés d’europhiles.
On ne peut
par définition connaître avec certitude les convictions politiques des inscrits
qui se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul. Mais on peut sans problème les
classer parmi ceux qui n’ont été convaincus par aucune solution européiste,
caractéristique qu’ils partagent avec les votants eurocritiques. Réunis juste
pour les besoins de l’analyse, en sachant néanmoins qu’en procédant ainsi on
mélange un peu des poires et des bananes, on peut relever que 59,6 % des
citoyens inscrits sur les listes électorales ne soutiennent pas une solution
européiste. Et cette situation n’est pas statique, au contraire, elle est
dynamique, évoluant rapidement vers une augmentation des masses d’électeurs
contestant l’éternel statu quo européiste néolibéral. Si on déplace le viseur
vers les catégories populaires, le constat et les chiffres sont encore plus
significatifs. Nous sommes donc très loin des années 1990, ou l’on pouvait
penser que sur ce sujet, il fallait patiemment attendre des jours meilleurs.
Mais ce
constat en entraîne un autre. Plus aucune excuse, plus ou moins sincère,
arguant du fait que l’on ne pouvait proposer politiquement une sortie des
institutions néolibérales européennes parce que « les Français n’y seraient
pas encore prêts », n’est désormais crédible. La plupart du temps, cet
argument ne faisait que révéler l’inverse de ce qui était dit en apparence :
c’était en réalité celui qui invoquait cet argument qui n’était pas prêt à
travailler concrètement et politiquement sur ces propositions. Or, c’était
justement le travail politique le plus nécessaire, le plus légitime, le plus
urgent : proposer des solutions concrètes de sortie des institutions
antidémocratiques européennes. Il faut en effet d’urgence familiariser les
électeurs avec cette nécessité, sa soutenabilité publique, sa désirabilité
démocratique, son réalisme économique. Les convictions politiques déclarées des
citoyens ne sont pas issues d’une génération spontanée, surgissant soudainement
ex nihilo à travers tel ou tel sondage. Pasteur a eu raison de contester cette
notion en biologie, et nos apprentis démocrates feraient bien de s’en méfier en
politique. Seules les propositions balisées, familiarisées par les médias de
masse, portées par des personnages publics identifiés, semblent crédibles et
donc exigibles par une majorité de citoyens, qui ne sont ni économistes, ni
juristes, ni géostratèges, etc.
Attendre
Godot, que les citoyens exigent spontanément, tout d’un coup, une sortie
organisée du carcan juridique européen, n’est ni raisonnable, ni responsable.
Les dirigeants politiques qui portent en bandoulière leur attachement à la
démocratie et leur antilibéralisme théorique, mais qui ne font pas le travail
élémentaire de popularisation d’une sortie crédible et organisée des
institutions néolibérales, ainsi que des enjeux démocratiques et sociaux liés à
cette sortie (comme seul l’a fait le Pardem), sont, au choix, inconséquents,
irresponsables, ou malhonnêtes. Et ils se servent des conséquences de leur
inaction politique (« les Français ne sont pas prêts ») pour la
justifier ex post. Ce temps-là est derrière nous, car « les Français sont prêts
» désormais, et de plus en plus, à ce qu’on leur propose une rupture décisive
avec l’ordre institutionnel néolibéral. Mais cette inaction irresponsable des
dirigeants de gauche aura eu un prix. Ceux qui auront enfin popularisé cette
idée nécessaire et si longtemps indicible, l’ont fait selon leur propre agenda
et leur propre intérêt. C’est le FN, ou DLF, par exemple, mettant en avant une
vision étroitement sécuritaire, stigmatisant davantage les petits délinquants,
les fraudes sociales des petits allocataires, les immigrés ou les Français
musulmans, que les gagnants de la mondialisation, gigantesques fraudeurs. Et
s’ils profitent de cette vague euro-critique, ils ne proposent aucune sortie
claire et organisée, au contraire. Ils se préparent à être des Tsipras de
droite. Bref le temps perdu à attendre passivement que « les Français soient
prêts » se paye cher.
Les
démagogues, les réactionnaires et les xénophobes préemptent cette vague
euro-critique et hostile à la mondialisation néolibérale, comme dans le reste
de l’Europe. Il est pourtant certain que dans la France traditionnellement
égalitaire, il existait et existe toujours un espace majoritaire possible pour
rétablir à la fois les processus démocratiques nationaux et le progrès social
et environnemental, sans jouer aucunement sur les crispations xénophobes. Pour
l’instant, le constat est là, premiers arrivés, premiers servis, les
eurocritiques identifiés qui arrivent à passer le cap du 2e tour sont xénophobes
! L’exigence de sortie du néolibéralisme est donc toujours orpheline d’une
représentation politique adéquate et fiable. Le Pardem s’est créé pour cette
raison, et travaille pour percer le mur médiatique de silence qui dissimule son
existence et son offre politique à nos concitoyens. Et le deuxième tour s’en
vient, en pleine hystérie idéologique pour faire passer les vessies
antidémocratiques de Macron pour des lanternes antifascistes.
II.- Que faire
pour le deuxième tour ?
Faire son
devoir de citoyen pour le deuxième tour implique d’en comprendre ses enjeux et
son contexte.
A.-
Les enjeux du deuxième tour
Il s’agit
de refuser de légitimer par les urnes l’inacceptable, fermement, clairement,
massivement.
1.-
Refuser d’établir une version ethnique de la démocratie et une xénophobie
d’État
Il est
hors de question de déconsidérer le mouvement populaire euro-critique en
l’assimilant à une version xénophobe de la démocratie. Il est par ailleurs
évident, par les éternels louvoiements de Marine Le Pen sur les questions
européennes, qu’elle ne réalisera pas une rupture décisive, qui n’est pas dans
son intérêt. Il serait tragique de voir élire une Tsipras xénophobe
déconsidérer pour longtemps l’exigence de restauration de la souveraineté
nationale. Sans parler de ses propositions antisociales et antisyndicales
traditionnelles. Celles et ceux qui croient renverser la table avec un vote FN,
vont se retrouver avec une table intacte et supportant un contenu encore plus
inacceptable.
2.- Refuser l’injonction politique
et médiatique de se soumettre au candidat de l’eurolibéralisme décomplexé
Il est
impératif de ne pas légitimer par un vote la continuation, et donc
l’aggravation, de l’eurolibéralisme désormais décomplexé. Rappelons, parmi
hélas bien d’autres actions d’éclat, que le principal conseiller économique de
François Hollande puis son ministre de l’économie, Monsieur Macron, est
co-responsable d’une augmentation de 26% des chômeurs sur la durée du
quinquennat (source Pôle Emploi sur les catégories A, B, C). C’est aussi le
concepteur du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ainsi que du « pacte
de responsabilité et de solidarité », bref de la baisse des impôts et des
cotisations sociales pour les entreprises, en échange d’une... augmentation du
chômage. C’est donc un partisan déclaré de l’aggravation du partage de la
valeur ajoutée en faveur des profits et au détriment des salariés, le tout en
aggravant encore le chômage de masse et en détruisant à coups d’ordonnances et
de 49.3 le droit du travail. C’est bien sûr un européiste forcené. C’est
évidemment une caricature de ce qu’il ne faut plus jamais accepter, la
suppression de la démocratie et son remplacement par la gouvernance européenne,
l’aggravation continue de la mondialisation néolibérale, et la casse
systématique de l’État social.
Or, tous
ces facteurs constituent évidemment, avec les manœuvres en sous-main des
socialistes, les principales causes structurelles soutenant la montée du FN. La
démocratie, c’est à la fois la capacité du peuple de déterminer les choix
publics et de dominer les institutions, et les différents moyens de renforcer
les classes populaires par les institutions, comme la Sécurité sociale. Comment
des gens responsables peuvent-ils présenter l’incarnation de l’inverse comme un
garant de la démocratie, contre le « fascisme » ? C’est un mystère. Il faut
être ferme sur cette question essentielle et refuser les injonctions morales
qui nous proposent de faire n’importe quoi avec nos bulletins de vote.
Légitimer dans les urnes les fossoyeurs de la démocratie, dans ses aspects
institutionnels et sociaux, n’est pas un ordre auquel nous devons nous
soumettre.
Il serait
donc totalement irresponsable de légitimer dans les urnes ces deux options
aussi dangereuses qu’inacceptables. Et ce alors que leur position politique à
l’issue de ce premier tour est inhabituellement fragile.
B.-
Le contexte particulier du deuxième tour
Il
renforce encore, dans le cadre de cette élection présidentielle de 2017 en tous
points atypique, la seule attitude respectable et responsable à avoir face à ce
second tour historique : plaider pour une abstention massive. C’est le
moyen de délégitimer l’une ou l’autre des deux options inacceptables restées en
lice. Inacceptables pour des raisons différentes, mais tout aussi graves et
lourdes de conséquences l’une que l’autre.
1.-
Des finalistes heureusement mal élus
Les deux
finalistes du second tour ne réunissent autour de leur projet qu’une faible
portion des citoyens inscrits sur les listes électorales, en regard de la
logique d’une élection présidentielle dans le cadre d’élections majoritaires à
deux tours. Aucun ne représente au premier tour plus de 18% des inscrits. Le
cumul de votes pour les deux finalistes ne réunit laborieusement que 34,33% des
inscrits ! Ce n’est pas exceptionnel désormais, puisque depuis 1995, les
électeurs sont de moins en moins convaincus par les prétendants en lice. Nous
restons dans une fourchette très basse, légitimant médiocrement des candidats
au poste le plus important de la Ve République, celui de président. C’est
évidemment un critère à avoir bien en tête pour le second tour. Ces deux
propositions inacceptables sont très loin d’avoir l’assentiment majoritaire de
nos compatriotes. Ces deux candidats représentent chacun une des deux versions
du pire actuel en politique, l’antidémocratie néolibérale pour l’un et la
xénophobie pour l’autre. Ils ont heureusement échoué à construire une dynamique
politique majoritaire représentant les souhaits principaux des citoyens. Et de
très loin s’en faut. Faudrait-il maintenant leur donner l’onction démocratique
au deuxième tour au lieu d’aggraver par l’abstention la preuve de leur
illégitimité, réduisant d’autant leur capacité de nuisance ? Ce serait une
folie.
2.- Des personnalités politiques
incapables de réunir une majorité parlementaire digne de ce nom
Ces deux
dangers publics partagent une autre caractéristique importante à prendre en
compte pour comprendre à la fois ce qui sera possible bientôt, et ce qu’il faut
faire immédiatement. Ils seront dans l’impossibilité, à des degrés divers, de
réunir autour de leur gouvernement une majorité parlementaire pérenne sur le
quinquennat, capable d’une véritable discipline de vote, bref une vraie
majorité parlementaire. Marine Le Pen, si elle est élue (ce qui est très peu
probable), verra se dresser contre elle un barrage très prévisible aux
législatives, et malgré le ralliement de Nicolas Dupont-Aignan, qui vient de
faire imploser ainsi son parti Debout La France, elle n’aura pas d’autres
réserves de voix. Ce serait donc une nouvelle situation de cohabitation, mais
d’un genre inédit, en fait une véritable crise de régime. Pour Macron, la
situation est certes légèrement moins critique. Mais il n’a pas derrière lui un
parti identifié et organisé. Une bonne partie des parlementaires du PS et du
centre se précipiteront bien sûr pour aller à la soupe, mais rien ne garantira
la fiabilité de leur ralliement intéressé et de circonstance. Surtout dans un
contexte politique et social de grande tension que ne manquera pas de provoquer
cet adepte déclaré des ordonnances et du 49.3 et de la casse sociale
décomplexée.
Ces
finalistes particuliers sont donc inhabituellement fragilisés et très peu
légitimes par rapport à la logique électorale et politique impliquée par l’élection
au suffrage universel du président de la République. Ce n’est vraiment pas le
moment de les renforcer par de forts taux de participation au second tour de
manière irresponsable dans un « Front républicain » pour l’un ou dans
une politique du pire pour l’autre. Ce serait gravement compromettre les seuls
facteurs objectifs qui permettront de limiter efficacement la capacité de
nuisance de ces deux propositions inacceptables qui, lorsqu’elles commenceront
à être appliquées, seront toutes deux rejetées, cela ne fait aucun doute, par
la majorité des citoyens dès que l’un des deux sera au pouvoir. Les
mobilisations à prévoir dans la rue devront pouvoir s’appuyer sur une
incontournable illégitimité démocratique facile à invoquer si le vainqueur du
deuxième tour est élu sur la base d’une abstention massive et significative. La
déstabilisation politique à prévoir dans cette éventualité sera d’autant plus
efficace que le vainqueur aura bien des difficultés à s’appuyer sur une
majorité fiable. C’est d’ailleurs en ayant clairement conscience de ce danger
pour lui que Macron parle d’ores et déjà d’ordonnances et de 49.3, ce qui
devrait nous faire réfléchir. C’est à la fois un aplomb antidémocratique
confondant, et un évident aveu de faiblesse. Ce n’est vraiment pas le moment de
le renforcer par un vote massif à contresens de la logique, de l’histoire, et
de l’esprit de responsabilité.
3.-
Peut-être le dernier acte du vote utile et des Fronts républicains de pacotille
contre un danger fasciste inexistant, alors que personne ne réagit quand la
démocratie est réellement supprimée (coup d’État parlementaire de 2008) ou
qu’un véritable fascisme menace à nos portes, en Ukraine et en Hongrie
En Europe
le succès des formations qualifiées de « populistes », pour l’instant surtout
des démagogues politiciens de droite qui tentent de tirer profit du rejet de la
mondialisation, est directement lié, on l’a vu, à la disparition des processus
démocratiques, du fait du remplacement de la souveraineté nationale par les
institutions de la mondialisation néolibérale. Celles-là même que défendent
religieusement tous les contempteurs du « danger populiste ».
Cette
accusation est donc doublement perverse : elle renverse les responsabilités
réelles pour mieux les masquer. Et elle contribue fortement à ce paradoxe
incroyable, celui qui voit les formations d’extrême-droite être les principaux
bénéficiaires électoraux de l’exigence des classes populaires de la
restauration des processus démocratiques, clé de la défense efficace de leurs
intérêts, puisque la gauche comme la droite ont refusé d’endosser ce rôle
politique et cette exigence ! Pour bénéficier pleinement de ce miraculeux effet
d’aubaine, l’extrême-droite a dû se couler dans le moule idéologique
républicain, pour mieux devenir l’apparent dernier défenseur de la souveraineté
populaire !
Elle est
donc devenue plus « populiste » que d’extrême-droite, du moins ses
composantes les plus habiles et ambitieuses, une droite xénophobe
anti-mondialisation. Cette accusation de populisme contribue donc ainsi à
renforcer une variante étrange et malsaine de prophétie auto-réalisatrice. Tant
que des formations politiques de masse et de gouvernement refuseront de porter
l’exigence du retour à la normale des institutions démocratiques (celles qui
supposent une souveraineté nationale effective), les partis de l’ancienne
extrême-droite seront les seuls à porter politiquement la voix de tous ceux qui
refusent le consensus post-démocratique actuel !
Très beau
résultat pour nos « antifascistes » d’opérette. Ils valident ainsi la
crédibilité de la mutation populiste et de la posture du FN. Ce dernier peut
alors à bon compte se trouver dans le camp des antisystèmes défendant la
démocratie et la souveraineté nationale, et capter ainsi facilement une partie
des voix des mécontents, en les entraînant dans l’impasse de la xénophobie et
du flou protestataire sur « l’Union » européenne. Même s’il ne faut
jamais oublier que pour l’instant la majorité des classes populaires et
moyennes affranchis de leurs élites européistes privilégient nettement
l’abstention au vote FN.
Les « élites
» et le FN se retrouvent ainsi à se fournir objectivement et respectivement
d’inestimables services. Les « élites » se voient ainsi miraculeusement
gratifiées d’un ennemi politique facilement haïssable et identifiable (leur « meilleur
ennemi »), et peuvent de surcroît, et pour le même prix (c’est gratuit !),
assimiler à l’extrême-droite, donc implicitement au fascisme même si la ficelle
est grosse, tous ceux qui réclament la souveraineté nationale afin de restaurer
les processus démocratiques et de briser le consensus néolibéral. Ce qu’elles
ne se sont pas privé de faire lorsque Mélenchon a commencé à constituer une
force euro-critique à gauche, amalgamant les deux sous cette appellation commune.
Et réciproquement, le FN dispose d’un contexte idéologique en or massif pour
lui. Toutes les « élites » médiatiques et politiques classiques le
dénoncent comme ne faisant pas partie de leur camp, et crédibilisent ainsi sa
conversion populiste. C’est un capital idéologique précieux… Et le FN sait en
user avec beaucoup d’habileté tacticienne et idéologique.
Le
surgissement du FN du néant politique dans lequel il était légitimement
confiné, a eu lieu en 1983-1984. Cette brusque apparition médiatique est née,
le fait est connu, de l’habileté de François Mitterrand dans le but, cynique,
politicien, efficace, de diviser durablement la droite alors même qu’il faisait
le choix du néolibéralisme et du postnational. Ainsi, la droite se voyait
divisée au moment où elle pensait pouvoir recueillir facilement les dividendes
de la trahison de leur mandat par les socialistes. Mais de plus, par la
création du FN, Mitterrand, qui dans les mêmes années institutionnalisait le
néolibéralisme en France (et avec Jacques Delors en Europe), pouvait
miraculeusement maintenir une image de gauche au PS puisqu’il allait ainsi
pouvoir lutter dans le camp moral de l’antiracisme.
Ce qui ne
lui coûtait rien et rapporta beaucoup électoralement, lui maintenant
éternellement les voix « de gauche », les dirigeants de la gauche étant
toujours volontaires pour se faire avoir au grand bluff du « vote utile
» en manipulant le mouvement antiraciste. Utile à qui ? Utile au PS, tout comme
au FN, crédibilisé dans son rôle d’outsider. Il crée donc, et en même temps, la
montée médiatique du FN (dont il impose la présence à toutes les chaînes
télévisées), et le mouvement antiraciste SOS racisme en 1984, garantissant des
polémiques indispensables pour positionner à gauche un PS devenu néolibéral, en
plus d’une division de la droite.
Depuis, le
FN est devenu la force politique neuve la plus puissante du pays. Les « élites
» actuelles et le FN constituent donc un couple gémellaire où chacun a besoin
l’un de l’autre pour se situer efficacement sur l’échiquier idéologique, pour
diaboliser la contestation de l’ordre néolibéral et maintenir les choses en
l’état. On ne voit plus désormais comment ces deux pôles complémentaires
pourraient se passer l’un de l’autre. Évidemment, ce petit jeu n’est pas
stable, chacun tentant de profiter le plus possible à son profit de ce blocage
structurel. D’autre part, ce raisonnement n’est pas valable pour la droite
actuelle, perdante de ce couple à trois. Elle fait donc des efforts pour
inclure le pire du FN dans ses programmes, la xénophobie (même un Valls et une
partie du PS tentent leur chance sur ce terrain nauséabond). Sans pour autant
en tirer de durables effets électoraux, puisque le fond du problème est
ailleurs, comme on l’a vu. Et là-dessus, tout le monde cette fois est d’accord
pour ne pas bouger. De son côté le FN se fait le champion de la République et
de la laïcité.
« Lutter
contre le FN », du moins efficacement, c’est sortir des postures morales
contreproductives et irréalistes, ce n’est pas « lutter contre le fascisme
». C’est déconstruire la place hégémonique qu’il détient sur la contestation du
postnational en construisant une force réellement démocratique visant la
démondialisation, comme seul pour l’instant le Pardem en France tente de le
faire, en se hissant ainsi à la hauteur de ce qu’exige le moment historique que
nous traversons.
Rappelons
à nos éditorialistes et à nos jeunes antifascistes improvisés ce qu’est que le
fascisme : la tentative de contrôler l’État et la société, en détournant les
deux, par la violence politique, la terreur paramilitaire, quadrillant
l’ensemble du pays, le parti unique et le remplacement des syndicats par une
organisation corporative autoritaire. C’est une organisation de masse, qui
conteste radicalement le parlementarisme, et qui n’est arrivée à la tête de
l’État que par des coups d’État, jamais par les urnes. La seule exception étant
l’Austrofascisme, cas particulier, n’utilisant pas la terreur paramilitaire et
arrivé au pouvoir avec une voix de majorité. C’était en fait une dictature
réactionnaire plus qu’un véritable fascisme. Ils n’ont utilisé la violence
politique que contre les... nazis. Tous les autres exemples historiques de
véritables fascismes, sont hostiles au régime parlementaire et encore une fois
n’accèdent au pouvoir que par un coup d’État et l’aide des classes dominantes
de leur pays. Mussolini s’empare par la violence du pouvoir en 1922. Hitler est
nommé chancelier en 1933 par le président de la République le maréchal von
Hindenburg, puis installe la dictature. Même si sa nomination est légale, il
n’a pas été élu à ce poste. Le général Mendes Cabeçadas est nommé en 1926 à la
tête du gouvernement portugais à la suite d’un coup d’État militaire, etc. Il
n’y a donc jamais moyen d’éviter le fascisme, le véritable, par la voie des
urnes. Une fois constitué, lorsqu’il a des milices paramilitaires ou
directement l’armée dans son camp, lorsqu’enfin les classes dominantes le
soutiennent et le mettent au pouvoir en se passant des urnes, puisque le but
est de se passer des procédures parlementaires. La seule manière de lutter
contre le fascisme est hélas la guerre civile, les méthodes de terreur des
fascistes ne laissant pas d’autres choix.
Toute
cette mascarade ridicule à laquelle nous assistons depuis l’imposition
médiatique du FN par Mitterrand n’a donc aucun sens. Le « vote utile » n’a
jamais sauvé de la moindre menace fasciste. Et le FN n’a pas de projet fasciste
pour faire régner par la terreur un projet corporatiste et totalitaire en
France. Il ne porte pas l’exigence de la suppression du Parlement mais au
contraire la restauration de son rôle national. Il n’a absolument pas les
moyens (ni visiblement la volonté) d’organiser des milices paramilitaires
puissantes quadrillant tout le territoire national et faisant régner la terreur.
Et il dispose encore moins de l’appui des classes dominantes pour instaurer un
régime fasciste. Ces dernières n’y ont aucun intérêt, car elles disposent de la
merveilleuse et bien plus efficace, stable et contrôlable « Union »
européenne. Le FN est suffisamment nauséabond et nocif, par sa xénophobie, pour
le condamner politiquement, sans pour autant disqualifier l’usage d’une notion
politique et historique primordiale, le fascisme, en l’utilisant à tort et à
travers, dès qu’un parti s’appuie sur la colère des classes populaires ou
exploite la xénophobie en régime de chômage de masse. Pour ceux qui voudraient
absolument exercer leur détermination antifasciste, nous leur conseillons de
faire œuvre utile et d’aider les Ukrainiens et les Hongrois, qui eux font face
à une véritable menace fasciste. Ils s’apercevront qu’on ne leur demandera
aucune action électorale, mais uniquement du courage physique, et politique,
car telle est la sinistre réalité du fascisme non imaginaire.
L’hystérie
antifasciste, téléguidée par toute l’oligarchie à son complet, ne peut donc
être prise au sérieux. L’enjeu, encore une fois, est d’empêcher le plus
possible à ces deux calamités politiques de nuire. Ce n’est pas en votant pour
l’un ou l’autre que l’on atteindra efficacement ce but. Ces deux candidats
inacceptables n’ont qu’un faible appui électoral, ils sont fragilisés par leur
incapacité à réunir une majorité parlementaire efficace, ils vont déclencher de
puissantes luttes sociales. Il faut absolument appuyer cette opportunité de
limiter leur capacité de nuisance, et non pas la fragiliser par un vote qui ne
ferait que les légitimer avec un fort taux de participation.
Il n’y a
pas à choisir entre le maintien de la suppression de la démocratie par un
oligarque européiste néolibéral déterminé à tout aggraver par voie
règlementaire, et une candidate xénophobe et antisociale. On ne choisit pas
entre le maintien dans la servitude ou la xénophobie. On refuse les deux, bien
sûr ! Les citoyens dignes et réalistes sauront quoi faire le 7 mai :
délégitimer dans les urnes des candidats illégitimes par leur projet, en
s’abstenant massivement.
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