jeudi 4 mai 2017

reçu du Pardem - Parti de la démondialisation



Éléments de réflexions avant le deuxième tour de la présidentielle 2017

Écrit par le_pardem
Catégorie parente: Qui sommes-nous ?
Catégorie : Présidentielle 2017
Parti de la démondialisation
Le 4 mai 2017
Avant le premier tour du 23 avril, le Parti de la démondialisation avait déjà proposé un texte de réflexions accessible ici :
Nous recommençons avant le deuxième tour fixé au 7 mai, en livrant une nouvelle analyse approfondie de l’évolution du système politique de notre pays avant ce scrutin inédit en tous points. Un résumé se trouve ci-dessous.

RÉSUMÉ
Nous sommes à la fin d’un cycle majeur, celui de l’ordre institutionnel européen néolibéral, incompatible avec la démocratie, devenu inaccessible aux exigences des citoyens. Ce dernier possède un double impuissant avec le système national rendu fantomatique qui n’est là que pour maintenir une façade familière de normalité institutionnelle, un vernis d’allure démocratique et électorale.
C’est par cette logique de vase communiquant que la politique s’est vue remplacée par la « gouvernance », progressivement, inexorablement. Mais cette stratégie discrète ne peut éviter d’évidents effets de réel, ne serait-ce qu’à cause de sa spectaculaire efficacité. Cela, naturellement, a fini par se voir. Et ce sont bien sûr ceux qui avaient le plus à perdre concrètement, dans leur vie matérielle, qui s’aperçurent rapidement de ces deux phénomènes majeurs. Leurs intérêts n’étaient plus représentés politiquement, et la mondialisation néolibérale, économique et institutionnelle, encouragée par l’euro et l’Union européenne, signifiait la fin du progrès social.
Tous ceux qui sont peu ou pas diplômés, tous ceux qui ne sont pas dans la fonction publique (pourtant elle aussi atteinte mais de manière moins directe), en gros toutes les classes populaires, ont largement compris les effets concrets de la mondialisation néolibérale, et de son gardien institutionnel inflexible, inaccessible à toute pression démocratique, l’Union européenne. Ils ont compris qu’ils avaient été trahis par leur classe politique et syndicale. Car cette dernière, non seulement ne lutte pas pour imposer une rupture concrète avec le processus institutionnel européen de cette mondialisation néolibérale, mais persiste, contre toute évidence, à présenter ce phénomène comme intrinsèquement positif. Elle fait croire que l’on peut changer aussi facilement, « de l’intérieur », que l’ancien système politique national.
Et le FN s’installa, propulsé en coulisse par son habile pygmalion, François Mitterrand. L’abstention et le vote FN grandirent alors inexorablement, avec la précarité, le chômage de masse, l’explosion des inégalités, la ségrégation sociale et spatiale faisant le reste, séparant toujours plus une France d’en haut, protégée ou bénéficiaire de la mondialisation néolibérale, diplômée, regroupée dans les centres-villes des métropoles ou dans les collectifs ruraux de bobos « alternatifs », d’une France périphérique populaire, majoritaire mais non représentée politiquement...
C’est donc cette page, sinistre par ses conséquences mais aussi ses perspectives, que l’on est heureusement en train de tourner. On conteste désormais les institutions européennes, et non plus faussement naïvement leur contenu, parce qu’elles sont antidémocratiques par construction depuis le début. Ceci est maintenant dicible par des dirigeants politiques en dehors du FN. Ce phénomène libérateur est en train d’exploser sous nos yeux, et ce n’est qu’un début.
Dans cette perspective d’entrée en crise de l’ordre néolibéral européiste, les résultats du premier tour sont pleins d’enseignements majeurs. Ni la gauche se présentant comme telle, ni la droite se présentant comme telle, ne passent le cap du premier tour. C’est un phénomène totalement inédit, qui en dit long sur la prise de conscience que ce clivage idéologique ne recouvrait plus rien d’important depuis 1983. Il n’était qu’un nuage idéologique masquant l’acceptation globale de l’antidémocratie européenne par l’ensemble de la classe politique de droite et de gauche.
La gauche et la droite subissent donc des coups mortels. En tout cas, rien ne garantit qu’elles s’en relèvent un jour, sous cette forme idéologique, gauche, droite, « progressisme » contre « conservatisme ». Comme si les clivages politiques essentiels dépendaient de valeurs morales et idéologiques, et non d’enjeux politiques et sociaux bien concrets, recoupant des clivages bien réels, objectifs. Ce premier tour nous fait donc sentir que les effets de réel prennent désormais le dessus sur l’idéologie molle et convenue des « valeurs de gauche » et des « valeurs de droite ». Celles-ci se traduisent toujours par la continuation inexorable des mêmes institutions néolibérales et de leurs conséquences tout aussi inexorables. Il faut s’en féliciter. Les clivages politiques recoupent désormais bien plus clairement les clivages réels. Macron représente, fidèlement, et à découvert, le camp des protégés et des gagnants de la mondialisation néolibérale et de sa bunkérisation institutionnelle européiste. Marine Le Pen représente (fort mal), le rejet populaire du statu quo néolibéral. Tout en le dirigeant vers une trahison à la Tsipras, et dans une impasse xénophobe. Bien sûr, on pourrait voir ce premier tour avec d’anciennes lunettes, celles du XXe siècle. Il faudrait alors dire que Le Pen n’est que la continuation de la droite xénophobe, tandis que Macron n’est que le masque de la gauche socialiste. Ce n’est pas faux. Mais ce n’est pas pour autant pertinent.
Quel intérêt en effet, de relever, comme si c’était le fait politique principal, que Macron est « progressiste », donc de gauche, et Marine Le Pen « conservatrice », donc de droite ? La réalité crue, c’est que les électeurs de Macron soutiennent sans réserve la mondialisation néolibérale, et les électeurs de Le Pen la rejettent explicitement, et c’est bien là-dessus que se sont structurés les votes. Parce qu’ils pensent que cela va dans leurs intérêts, beaucoup plus que vers leurs « valeurs ». Qu’une partie des classes moyennes qui soutiennent Macron se trompent sur leurs intérêts réels et que les classes populaires se trompent sur la véritable détermination du FN à briser l’ordre institutionnel néolibéral, est bien sûr une autre affaire. Mais la véritable dynamique politique électorale concerne désormais crûment, directement, les véritables enjeux, sans masque idéologique, grâce à la disparition du clivage gauche-droite, avantageusement remplacé par les clivages réels.
Troisième évidence de ce scrutin historique : bien que la présence du FN au deuxième tour était pour la première fois annoncé comme parfaitement prévisible, c’est l’abstention, ou le vote blanc ou nul, qui constitue le comportement électoral majoritaire des citoyens, et particulièrement des classes populaires, rejoignant le record précédent de 2002. Aucun des 11 candidats n’est ainsi apparu crédible pour plus de 11 millions et demi de citoyens inscrits sur les listes électorales (les autres ne jugeant même pas utile de s’inscrire en l’état), dont 10 577 772 abstentions, soit 22,23 % des inscrits. Ce chiffre, massif, d’autant plus spectaculaire que les injonctions médiatiques et politiques au « vote utile » dès le premier tour ne se sont jamais faites aussi bruyantes du fait de la présence prévisible du FN au second tour, est à mettre en regard avec les chiffres du vainqueur du premier tour.
La dernière nouveauté à relever est l’apparition d’une nouvelle dynamique politique, celle de la France Insoumise, issue de l’ancienne « gauche radicale », hors PCF, mais ne se présentant plus comme telle. Les couches sociales qui la soutiennent ne sont pas si clairement clivées que les deux finalistes, classes moyennes et classes populaires étant plus ou moins à égalité dans la composition des électeurs supportant ce nouveau mouvement. En soi, cela dénote une évolution positive. Une offre euro-critique émerge, non xénophobe, capable d’attirer les classes populaires devenues méfiantes face aux offres classiques (et comme on les comprend), et disposant d’un soutien des classes moyennes indispensables si l’on veut obtenir une majorité électorale rapide et durable. Hélas, cette innovation et ces aspects positifs sont grevés par un flou rédhibitoire sur les questions principales, stérilisant une dynamique électorale novatrice et efficace. Les cadres, et pour commencer le leader charismatique de la France Insoumise, sont bel et bien issus de la gauche européiste (ce qui est hélas un pléonasme, toute la gauche étant européiste). Cela ne pouvait pas être sans incidence sur la stratégie et les propositions de ce mouvement. Afin de garder la cohérence politique de sa direction, il fut décidé de conserver l’incohérence de ses propositions. Son plan A, donc sa proposition principale, sa stratégie privilégiée, redonne des couleurs à ce fantôme usé jusqu’à la corde du rêve de l’Europe sociale, de sa transformation de l’intérieur, de la positivité intrinsèque du projet européen à conserver comme tel si l’on arrive, par la négociation, à lui faire faire l’inverse de ce pourquoi il a été conçu, c’est-à-dire l’application automatique du néolibéralisme.
Pour le deuxième tour il s’agit de refuser d’établir une version ethnique de la démocratie et une xénophobie d’État. Il est hors de question de déconsidérer le mouvement populaire euro-critique en l’assimilant à une version xénophobe de la démocratie. Il est par ailleurs évident, par les éternels louvoiements de Marine Le Pen sur les questions européennes, qu’elle ne réalisera pas une rupture décisive, qui n’est pas dans son intérêt. Il serait tragique de voir élire une Tsipras de droite, xénophobe, déconsidérer pour longtemps l’exigence de restauration de la souveraineté nationale. Sans parler de ses propositions antisociales et antisyndicales traditionnelles. Celles et ceux qui croient renverser la table avec un vote FN, vont se retrouver avec une table intacte et supportant un contenu encore plus inacceptable.
Il faut symétriquement refuser l’injonction politique et médiatique de se soumettre au candidat de l’eurolibéralisme décomplexé. Il est impératif de ne pas légitimer par un vote la continuation, et donc l’aggravation, de l’eurolibéralisme désormais décomplexé. Rappelons, parmi hélas bien d’autres actions d’éclat, que le principal conseiller économique de François Hollande puis son ministre de l’économie, Monsieur Macron, est co-responsable d’une augmentation de 26% des chômeurs sur la durée du quinquennat (source Pôle Emploi sur les catégories A, B, C). C’est évidemment une caricature de ce qu’il ne faut plus jamais accepter, la suppression de la démocratie et son remplacement par la gouvernance européenne, l’aggravation continue de la mondialisation néolibérale, et la casse systématique de l’État social.
Il serait donc totalement irresponsable de légitimer dans les urnes ces deux options aussi dangereuses qu’inacceptables. Et ce alors que leur position politique à l’issue de ce premier tour est inhabituellement fragile.
Le contexte particulier du deuxième tour renforce encore, dans le cadre de cette élection présidentielle de 2017 en tous points atypique, la seule attitude respectable et responsable à avoir face à ce second tour historique : plaider pour une abstention massive. C’est le moyen de délégitimer l’une ou l’autre des deux options inacceptables restées en lice, pour des raisons différentes mais tout aussi graves et lourdes de conséquences l’une que l’autre.
« Lutter contre le FN », du moins efficacement, c’est sortir des postures morales contreproductives et irréalistes, ce n’est pas « lutter contre le fascisme ». C’est déconstruire la place hégémonique qu’il détient sur la contestation du postnational en construisant une force réellement démocratique visant la démondialisation, comme seul pour l’instant le Pardem en France tente de le faire, en se hissant ainsi à la hauteur de ce qu’exige le moment historique que nous traversons.
L’enjeu, encore une fois, est d’empêcher le plus possible à ces deux calamités politiques de nuire. Ce n’est pas en votant pour l’un ou l’autre que l’on atteindra efficacement ce but. Ces deux candidats inacceptables n’ont qu’un faible appui électoral, ils sont fragilisés par leur incapacité à réunir une majorité parlementaire efficace, ils vont déclencher de puissantes luttes sociales. Il faut absolument appuyer cette opportunité de limiter leur capacité de nuisance, et non pas la fragiliser par un vote qui ne ferait que les légitimer avec un fort taux de participation.
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ANALYSE COMPLÈTE

I.- Quels enseignements tirer du 1er tour des élections présidentielles de 2017 ?

A.- La fin d’un cycle : l’entrée en crise politique du néolibéralisme
Nous sommes manifestement à la fin d’un cycle majeur, celui de l’ordre institutionnel européen néolibéral. Cet ordre est incompatible avec la démocratie et a pourtant été imposé, se donnant une apparence inéluctable, quelles que soient les échéances électorales et leurs résultats qui ne changent jamais les politiques menées. C’est aussi la fin du brouillage idéologique sur ces questions, et de ses enjeux primordiaux, sociaux et démocratiques (ainsi qu’environnementaux). Le clivage gauche-droite, qui en était depuis des décennies totalement déconnecté depuis la séquence 1982-1992 (virage néolibéral du PS au traité de Maastricht) a vécu. Cette déconnection et ce brouillage empêchaient toute expression politique au refus de la mondialisation néolibérale. Rappelons ses trois piliers : généralisation du libre-échange, financiarisation de l’économie et des budgets publics, et enfin verrouillage de ces mesures stratégiques par le court-circuitage de tous les processus démocratiques. Ce verrouillage a été permis par des traités et des institutions supranationales étanches par construction à tout changement lié aux échéances électorales. C’est en particulier le cas de l’immense construction institutionnelle antidémocratique de « l’Union » européenne.
Cette obstruction méthodique de la droite comme de la gauche sur ces questions, empêchant d’exprimer politiquement le refus de la mondialisation néolibérale, aura eu, et hélas a encore des conséquences immenses. C’est le chômage de masse, la destruction méthodique de tous les acquis sociaux et la suppression discrète de la démocratie. Suppression discrète puisqu’étaient intelligemment maintenues les institutions précédentes, celles du régime parlementaire représentatif lié à la souveraineté nationale. Ce maintien ne coûtait rien, puisqu’il était désormais déconnecté de toute capacité d’inverser l’ordre des choses néolibérales. En effet, cet ordre était à l’abri derrière des traités inamovibles, inatteignables, et des institutions antidémocratiques en dehors des territoires nationaux. Les élections nationales perduraient donc, mais avaient perdu tout enjeu important, tant qu’une dynamique politique de rupture avec l’ordre européen néolibéral ne venait pas inquiéter le nouveau système mis en place. C’est en fait un double système. Le vrai, devenu le seul contraignant, inaccessible aux exigences des citoyens, « européen ». Et son double rendu impuissant, le système national fantomatique, n’étant là que pour maintenir une façade familière de normalité institutionnelle, un vernis d’allure démocratique et électorale. Ce maintien du cadre institutionnel représentatif national, vidé de toute possibilité de produire un effet démocratique puisque les procédés de décision s’en étaient affranchis, a en effet un rôle symbolique essentiel. Il sert à légitimer des processus illégitimes, en mettant de la confusion sur la réalité institutionnelle néolibérale, viscéralement incompatible avec la démocratie. Il est donc maintenu à peu près inchangé afin que l’on ne comprenne pas trop clairement pourquoi désormais on ne pouvait plus infléchir par les classiques procédés électoraux, partisans, syndicaux, la politique économique générale dans tous ses aspects. Par prudence, les oligarques européens ont néanmoins constitutionnalisé par le traité de Lisbonne la prééminence juridique des traités européens sur les lois nationales. On découvrit aussi à quel point un syndicat est impuissant à produire par ses seules forces aucun effet significativement positif sans relais partisan et national efficace.
C’est par cette logique de vase communiquant que la politique s’est vue remplacée par la « gouvernance » (c’est-à-dire la simple administration de choix structurels fixés par avance), progressivement, inexorablement. Mais cette stratégie discrète ne peut éviter d’évidents effets de réel, ne serait-ce qu’à cause de sa spectaculaire efficacité. Cela, naturellement, a fini par se voir. Et ce sont bien sûr ceux qui avaient le plus à perdre concrètement, dans leur vie matérielle, qui s’aperçurent rapidement de ces deux phénomènes majeurs. Leurs intérêts n’étaient plus représentés politiquement, et la mondialisation néolibérale, économique et institutionnelle, signifiait la fin du progrès social.
La désindustrialisation de la France a vite fait comprendre aux ouvriers les effets concrets du nouveau système néolibéral se mettant en place par ses canaux institutionnels spécifiques, ceux de la déconstruction européenne des processus démocratiques. Puis tous les modestes employés du privé ne purent que constater eux aussi les conséquences salariales directes et indirectes du néolibéralisme, la pression nouvelle en termes de productivité contrainte pour ceux qui gardaient leur emploi, sous la menace permanente du chômage, la dégradation constante de la protection sociale, etc. La même chose a pu s’observer pour les petites et moyennes entreprises, les paysans, artisans, commerçants, entrepreneurs. Rapidement, tous ceux qui étaient peu ou pas diplômés, tous ceux qui n’étaient pas dans la fonction publique (pourtant elle aussi atteinte mais de manière moins directe), en gros toutes les classes populaires, comprirent les effets concrets de la mondialisation néolibérale, et de son gardien institutionnel inflexible, inaccessible à toute pression démocratique, l’Union européenne. Ils comprirent du coup qu’ils avaient été trahis par leur classe politique et syndicale.
Car cette dernière, non seulement ne luttait pas pour imposer une rupture concrète avec le processus institutionnel européen de cette mondialisation néolibérale, visiblement antidémocratique, mais persistait, contre toute évidence, à présenter ce phénomène comme intrinsèquement positif. Elle faisait croire que l’on pouvait la changer aussi facilement, « de l’intérieur », que l’ancien système politique national. Cette succession de traités intégralement néolibéraux et ces institutions faites exclusivement pour les appliquer, c’était « l’Europe » (faites un signe de croix et fléchissez le genou). C’était donc le futur, l’avenir, la paix, le progrès, amen, personne ne devait en douter. Et le FN s’installa, aidé en coulisse par son habile pygmalion, François Mitterrand. L’abstention grandit alors inexorablement, avec la précarité, le chômage de masse, l’explosion des inégalités, la ségrégation sociale et spatiale faisant le reste, séparant toujours plus une France d’en haut, protégée ou bénéficiaire de la mondialisation néolibérale, diplômée, regroupée dans les centres-villes des métropoles ou dans les collectifs ruraux de bobos « alternatifs », d’une France périphérique populaire, majoritaire mais non représentée politiquement... Du moins correctement, puisque la contestation de la déconstruction européenne de la démocratie était désormais spécialement réservée à l’enfer des incroyants, plus précisément au FN, ravi de cet inespéré effet de niche qu’il sut vite exploiter à partir du traité de Maastricht.
C’est donc cette page, sinistre, par ses conséquences mais aussi ses perspectives, que l’on est heureusement en train de tourner. On conteste désormais ouvertement les institutions européennes, et non plus faussement naïvement leur contenu, parce qu’elles sont antidémocratiques par construction depuis le début. Et ceci est maintenant dicible par des dirigeants politiques en dehors du FN. Ce phénomène libérateur est en train d’exploser sous nos yeux, et ce n’est qu’un début.


B.- La grande recomposition idéologique : explosion en vol de la gauche et de la droite, construction d’un clivage pro ou anti-mondialisation néolibérale
Dans cette perspective d’entrée en crise de l’ordre néolibéral européiste (mais on constate aussi des phénomènes comparables aux États-Unis), les résultats tout comme les sondages de sortie des urnes à l’issue du premier tour sont pleins d’enseignements majeurs. Ni la gauche se présentant comme telle, ni la droite se présentant comme telle, ne passent le cap du premier tour. C’est un phénomène totalement inédit, qui en dit long sur la prise de conscience que ce clivage idéologique ne recouvrait plus rien d’important depuis 1983. Il n’était qu’un nuage idéologique masquant l’acceptation globale de l’antidémocratie européenne par l’ensemble de la classe politique de droite et de gauche.
Bien sûr, il ne faut pas trop faire dire à ce constat factuel aussi spectaculaire qu’incontestable. Il est à prendre comme un signe des temps, de la crise politique actuelle, plus que comme preuve définitive. Sans les manœuvres cyniques mais efficaces de François Hollande de manipulation de la justice et des médias, les comportements illégaux du leader de la droite (similaires à ceux de ses concurrents pour la plupart), François Fillon, n’auraient pas été connus. C’est sans nul doute lui qui aurait eu alors le privilège d’être face à la candidate du FN, et qui aurait remporté le scrutin. Mais si c’est le premier facteur explicatif, parfaitement évident, ce n’est pas le seul. La légère progression du FN, le score élevé de Nicolas Dupont-Aignan, tous eurocritiques et attirant des voix de droite, le fort taux d’abstention pour une élection présidentielle, sont tous à relier avec le mouvement de fond que nous venons de retracer à grands traits. Sans ce terreau les « affaires » n’auraient jamais pu provoquer à elles seules un tel désaveu électoral pour la droite, qui était censée profiter d’élections imperdables, vue la popularité du sortant et de son parti en perdition.
C’est la deuxième évidence. La social-démocratie, qui ne partageait que ce nom avec la social-démocratie originelle (quoique l’on en pense par ailleurs), est finie, en France comme en Europe. Cette chute générale est parfaitement logique, puisque c’est la principale force politique (avec tous ses satellites, en France principalement Europe Écologie Les Verts et le PCF) qui a mis en place les institutions néolibérales et leur contenu. Comme le restant de la gauche classique, censée être « antilibérale », ne remet jamais en cause les institutions européennes en tant que telles, cœur névralgique de la mondialisation néolibérale dans son aspect le plus stratégique et efficace, son versant institutionnel, c’est l’ensemble de la gauche qui a désormais son futur derrière elle. Car il est bien trop tard pour restaurer une crédibilité politique que plus rien ne justifie depuis des décennies.
La gauche et la droite subissent donc des coups mortels. En tout cas, rien ne garantit qu’elles s’en relèvent un jour, sous cette forme idéologique, gauche, droite, « progressisme » contre « conservatisme ». Comme si les clivages politiques essentiels dépendaient de valeurs morales et idéologiques, et non d’enjeux politiques et sociaux bien concrets, recoupant des clivages bien réels, objectifs. Ce premier tour nous fait donc sentir que les effets de réel prennent désormais le dessus sur l’idéologie molle et convenue des « valeurs de gauche » et des « valeurs de droite ». Celles-ci se traduisent toujours par la continuation inexorable des mêmes institutions néolibérales et de leurs conséquences tout aussi inexorables. Il faut s’en féliciter. Les clivages politiques recoupent désormais bien plus clairement les clivages réels. Macron représente, fidèlement, et à découvert, le camp des protégés et des gagnants de la mondialisation néolibérale et de sa bunkérisation institutionnelle européiste. Marine Le Pen représente (fort mal), le rejet populaire du statu quo néolibéral. Tout en le dirigeant vers une trahison à la Tsipras, et dans une impasse xénophobe. Bien sûr, on pourrait voir ce premier tour avec d’anciennes lunettes, celles du XXe siècle. Il faudrait alors dire que Le Pen n’est que la continuation de la droite xénophobe, tandis que Macron n’est que le masque de la gauche socialiste. Ce n’est pas faux. Mais ce n’est pas pour autant pertinent.
Quel intérêt en effet, de relever, comme si c’était le fait politique principal, que Macron est « progressiste », donc de gauche, et Marine Le Pen « conservatrice », donc de droite ? La réalité crue, c’est que les électeurs de Macron soutiennent sans réserve la mondialisation néolibérale, et les électeurs de Le Pen la rejettent explicitement, et c’est bien là-dessus que se sont structurés les votes. Parce qu’ils pensent que cela va dans leurs intérêts, beaucoup plus que vers leurs « valeurs ». Qu’une partie des classes moyennes qui soutiennent Macron se trompent sur leurs intérêts réels et que les classes populaires se trompent sur la véritable détermination du FN à briser l’ordre institutionnel néolibéral, est bien sûr une autre affaire. Mais la véritable dynamique politique électorale concerne désormais crûment, directement, les véritables enjeux, sans masque idéologique, grâce à la disparition du clivage gauche-droite, avantageusement remplacé par les clivages réels.
Troisième évidence de ce scrutin historique : bien que la présence du FN au deuxième tour était pour la première fois annoncé comme parfaitement prévisible, c’est l’abstention, ou le vote blanc ou nul, qui constitue le comportement électoral majoritaire des citoyens, et particulièrement des classes populaires, rejoignant le record précédent de 2002. Aucun des 11 candidats n’est ainsi apparu crédible pour plus de 11 millions et demi de citoyens inscrits sur les listes électorales (les autres ne jugeant même pas utile de s’inscrire en l’état), dont 10 577 772 abstentions, soit 22,23 % des inscrits. Ce chiffre, massif, d’autant plus spectaculaire que les injonctions médiatiques et politiques au « vote utile » dès le premier tour ne se sont jamais faites aussi bruyantes du fait de la présence prévisible du FN au second tour, est à mettre en regard avec les chiffres du vainqueur du premier tour. Macron, le prévisible prochain président de la République, ne réunit « que » 8 657 326 d’électeurs, 18,19 % des inscrits, moins de 1/5e du corps électoral. Sans compter qu’une partie des votes ne l’a sélectionné que dans une perspective de vote utile contre le FN. C’est donc le chef d’une petite minorité de Français, les tenants du statu quo néolibéral.
Les scores de la seconde finaliste, Marine Le Pen, ne sont pas plus glorieux : 7 679 493 de voix, 16,14 % des inscrits, moins de 1/6e du corps électoral a voté pour le FN au premier tour. Étant donné le contexte porteur, les affaires éclaboussant la droite, le bilan spectaculairement négatif du PS sortant, la dynamique « populiste » en Europe et dans le monde, les médias qui mettaient le FN au centre du jeu et en exposition permanente, le score final de ce parti, certes en augmentation légère, n’est pas considérable. Il maintient et améliore ses nouvelles positions, mais ce n’est en rien le raz de marée que l’on aurait pu craindre, ce qui limite d’autant sa capacité de nuisance. Encore une fois, les classes populaires (c’est la composante désormais majoritaire des électeurs du FN) ont massivement préféré l’abstention plutôt que le vote FN, évidence criante et significative, jamais soulignée par les commentateurs. Cette évidence est pourtant riche d’enseignements. Les classes populaires ne se sentent toujours pas correctement représentées politiquement. La sensibilité politique majoritaire en France est traditionnellement égalitaire. La proposition politique du FN, qui peut grossièrement se comprendre comme la restauration de la démocratie (certes une illusion, c’est pourtant bien l’une des raisons de son succès), mais sur des bases ethniques et xénophobes, ne séduit toujours pas la majorité des classes populaires. La légitimité d’un parti comme le PARDEM, le seul à proposer une restauration de la démocratie et du progrès social, en rejetant toute xénophobie, est donc évidente. Il ne lui manque qu’à se faire connaître du grand public, ce qui est néanmoins plus difficile que jamais, le système médiatique et politique n’ayant jamais été plus verrouillé.
Cette réalité d’un faible soutien électoral des deux finalistes n’est cependant pas une raison pour nier l’évidence. La clarté des soutiens sociologiques des vainqueurs du premier tour, lisible dans l’origine socio-professionnelle des électeurs et leur répartition géographique, signale une clarification politique inédite. Macron est élu par les éduqués du supérieur, les centres-villes, les protégés de la mondialisation (ou se croyant tels). Le Pen est élue par les classes populaires, la France périphérique rurale et périurbaine, les personnes les plus directement impactés par la mondialisation néolibérale. On ne saurait faire plus clair, et plus loin des vieux clivages idéologiques antérieurs, « progressisme » contre « conservatisme », gauche contre droite.
La dernière nouveauté à relever est l’apparition d’une nouvelle dynamique politique, celle de la France Insoumise, issue de l’ancienne « gauche radicale », hors PCF, mais ne se présentant plus comme telle pour des raisons évidentes si l’on a bien compris les analyses précédentes. Les couches sociales qui la soutiennent ne sont pas si clairement clivées que les deux finalistes, classes moyennes et classes populaires étant plus ou moins à égalité dans la composition des électeurs supportant ce nouveau mouvement. En soi, cela dénote une évolution positive. Une offre euro-critique émerge, non xénophobe, capable d’attirer les classes populaires devenues méfiantes face aux offres classiques (et comme on les comprend), et disposant d’un soutien des classes moyennes indispensables si l’on veut obtenir une majorité électorale rapide et durable. Hélas, cette innovation et ces aspects positifs sont grevés par un flou rédhibitoire sur les questions principales, stérilisant une dynamique électorale novatrice et efficace. Les cadres, et pour commencer le leader charismatique de la France Insoumise, sont bel et bien issus de la gauche européiste (ce qui est hélas un pléonasme, toute la gauche étant européiste). Cela ne pouvait pas être sans incidence sur la stratégie et les propositions de ce mouvement. Afin de garder la cohérence politique de sa direction, il fut décidé de conserver l’incohérence de ses propositions. Son plan A, donc sa proposition principale, sa stratégie privilégiée, redonne des couleurs à ce fantôme usé jusqu’à la corde du rêve de l’Europe sociale, de sa transformation de l’intérieur, de la positivité intrinsèque du projet européen à conserver comme tel si l’on arrive, par la négociation, à lui faire faire l’inverse de ce pourquoi il a été conçu, c’est-à-dire l’application automatique du néolibéralisme.
Deux remarques importantes doivent être faites au sujet de ce désespérant plan A de la France Insoumise (désormais dénommée FI). La première concerne le réalisme de la tactique impliquée par ce choix destructeur, la deuxième une question de principe démocratique de base, révélateur des contradictions traditionnelles de la gauche radicale sur les questions touchant à la souveraineté. Cette double proposition inutilement alambiquée de deux plans radicalement différents (une négociation européenne et une rupture européenne), bien qu’elle soit logiquement articulée (si la négociation échoue, la rupture est prévue) et en cela supérieure à son évident prédécesseur grec, recèle des contradictions insurmontables. Tout le monde est bien conscient parmi les cadres dirigeants de la FI, que la probabilité pour que des négociations aboutissent à une inversion radicale du sens des institutions européennes est bien évidemment égale à zéro. Ces négociations sont bien sûr intergouvernementales, et aucun gouvernement actuel à part celui de Tsipras n’est favorable à une rupture avec le contenu néolibéral des institutions européennes. Et de toute façon, la modification des traités, comme tout le monde le sait, exige l’unanimité des 28 (bientôt 27). Bref, comme d’habitude, les promesses de progrès social liées à des négociations européennes, quand bien même seraient-elles inhabituellement musclées, sont du vent, et ne sauraient être autre chose. Taper du poing sur la table, devant les télévisions, ne servira sur ce sujet qu’à se faire mal à la main.
D’autre part, et c’est le problème essentiel, le choix d’une telle tactique implique l’échec du plan B proposé, à savoir une rupture nationale avec l’ordre néolibéral européen. Bien sûr, le fait de faire une telle proposition (le plan B), est une innovation radicale et positive de la part de gens qui ont passé le plus clair de leur carrière politique à présenter l’éventualité d’une sortie des institutions européennes comme l’horreur des horreurs. C’est le signe encourageant que les temps changent sur l’essentiel et pousse tout le monde à briser des tabous pour des dirigeants politiques il y a encore très peu de temps totalement indicibles. Mais le choix de faire dépendre cette rupture d’une phase préalable de négociations réduit ses chances de réussir à néant. En effet la sortie de la France de l’ordre institutionnel néolibéral européen n’est pas comparable au Brexit des Anglais. Nous sommes hélas dans l’euro, et donc directement sous le pouvoir monétaire et financier des classes dominantes européennes (et mondiales). Leur capacité de déstabilisation est, par ce biais stratégique, pour l’instant à leur maximum, tant que nous ne sommes pas sortis des contraintes juridiques et économiques européennes. Si l’on veut réussir une sortie de cet ordre institutionnel complexe et tout à fait en capacité de nuire puissamment, c’est en amont des élections que cela se prépare.
La rupture devra être complète, coordonnée, immédiate, initiée dès la première semaine, le principal devant être acté dès le premier trimestre de la prise de pouvoir si l’on ne veut pas se faire totalement déstabiliser par l’attaque en règle que nous ne manquerons pas de subir de la part des marchés financiers et des classes dominantes européennes en cas d’une victoire électorale d’un parti proposant une rupture décisive avec le néolibéralisme. Cette période cruciale, déterminante pour l’échec ou la réussite de cette rupture, aurait été gâchée en pure perte si la FI avait gagné les élections, en la consacrant à son fameux plan A. Ce plan A est cette période absurde, stérilisée dans des « négociations » symboliques dont l’échec est assuré, et qui n’est là que pour respecter les convictions des membres fondateurs de la FI. Ce baroud d’honneur européiste compromet pourtant fatalement les conditions de réussite victorieuse de toute sortie du néolibéralisme. Cette sortie est tout à fait possible mais néanmoins délicate, technique, contraignante, où toutes les décisions doivent être articulées, déclenchées en même temps et le plus tôt possible. Ce plan A est davantage qu’un faux pas, c’est l’aveu par les dirigeants de la FI, que les convictions idéologiques sont plus importantes que la victoire concrète. Ces dirigeants entraînent une dynamique politique efficace et innovante dans une impasse stratégique, la canalisant vers une version à peine améliorée de la tragédie grecque impulsée par Syriza.
Dernière remarque, sur le plan des principes démocratiques de base. Toute la gauche « euro-critique » voudrait ainsi nous habituer à une étrange pratique électorale, celle que l’on peut résumer en la qualifiant d’élections « à trois tours ». Le premier tour nous permet d’indiquer nos préférences. Le deuxième de trancher entre deux options fondamentales opposées. C’est alors qu’entre en scène un incongru 3e tour, que rien, absolument rien, ne peut légitimer du point de vue des principes démocratiques. Le gouvernement issu des élections nationales se dirige alors vers des gouvernements étrangers, non élus par le corps électoral qui vient de trancher souverainement son deuxième tour, pour négocier avec eux en quoi il appliquera ce programme, et en quoi il ne l’appliquera pas. Les électeurs français, qui majoritairement voteraient pour le programme de la FI (c’est la même chose pour le FN), n’ont pas voté pour Merkel, pour Charles Michel (1er ministre de la Belgique), ou pour Paolo Gentiloni (président du Conseil en Italie). Il n’y a aucune raison de suspendre l’application de leur programme à une négociation avec des responsables élus (ou non, comme Gentiloni, mais les Italiens commencent hélas à avoir l’habitude) par d’autres corps électoraux.
Le programme sélectionné par les électeurs français leur échappe donc totalement, la responsabilité politique des gouvernants et des élus disparaît derrière des procédures ubuesques, les périmètres des processus électoraux ne correspondent plus à ceux des décisions finales. La souveraineté d’une nation, communauté politique théoriquement à la tête d’un État, se retrouve ainsi concrètement négociée, donc niée. Mais sur quelle planète ces dirigeants ont-ils été élevés pour ignorer à ce point toute notion de légitimité démocratique ? Ces tactiques politiques sont donc non seulement techniquement perdantes, mais politiquement inacceptables, démocratiquement illégitimes. Les élus et les gouvernants ne sont légitimes que lorsqu’ils appliquent les décisions tranchées par la nation, seule détentrice de la souveraineté de l’État. Dès qu’ils sortent de cette logique, ils n’ont plus aucune légitimité pour agir, ils deviennent des tyrans au sens juridique du terme, des décideurs publics que plus aucun droit ne vient encadrer, prenant des décisions unilatérales sans mandat démocratique clair et contraignant. On ne négocie pas une décision électorale, on l’applique, ou on ne se présente pas au suffrage de ses concitoyens !
Ces manières de faire, décomplexées et banalisées, sont un des nombreux signes de la décomposition démocratique de nos sociétés européennes. Tsipras aura déroulé jusqu’au bout cette logique délirante des suffrages et des tours sans fin : premier tour, deuxième tour, décidant clairement du refus du peuple grec de l’austérité imposée par des instances non élues, puis négociations, 3e tour insensé, puis 4e tour, un référendum sur la même question (austérité ou pas ?), puis 5e tour, jusqu’à la décision de continuer l’austérité... Kafka se fait concurrencer par de redoutables prétendants sur le terrain de l’humour absurde et angoissant. Toujours est-il que la France « insoumise » (mais aussi le FN) se soumet sans broncher à ces pratiques tordues et illégitimes, avec son plan A irréaliste, ubuesque et antidémocratique. S’il s’agit sérieusement de sortir des logiques néolibérales, et si une majorité électorale tranche enfin pour réaliser une telle sortie, il n’y a rien à négocier avec des gouvernements qui veulent à tout prix les maintenir, et qui n’ont aucune légitimité électorale ou démocratique pour préempter le choix souverain de nos concitoyens. Bien des choses devront tout naturellement être négociées, pour établir des relations efficaces, correctes et équilibrées avec nos voisins. Mais pas nos décisions politiques et institutionnelles, cela est absurde, intolérable et illégitime.
Dernier enseignement de ce scrutin inédit, la masse des électeurs consciemment eurocritiques ne cesse de monter, le moment où ils constitueront une majorité est sur le point d’être enfin atteint. Il est difficile d’y voir clair sur ce sujet, puisqu’aucun candidat déclaré n’est précis et convaincant sur le sujet. On constate même que plus une personnalité politique est identifiée, connue, médiatisée, moins elle est détaillée, stable, convaincante, sur les questions européennes. On peut cependant, en restant prudent, commencer à faire ses comptes. 46,68 % des votants sont à tout le moins « eurocritiques », même si cette notion elle-même est floue. Les électeurs ayant voté pour Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau et Jacques Cheminade ne peuvent pas en effet être qualifiés d’europhiles.
On ne peut par définition connaître avec certitude les convictions politiques des inscrits qui se sont abstenus ou ont voté blanc ou nul. Mais on peut sans problème les classer parmi ceux qui n’ont été convaincus par aucune solution européiste, caractéristique qu’ils partagent avec les votants eurocritiques. Réunis juste pour les besoins de l’analyse, en sachant néanmoins qu’en procédant ainsi on mélange un peu des poires et des bananes, on peut relever que 59,6 % des citoyens inscrits sur les listes électorales ne soutiennent pas une solution européiste. Et cette situation n’est pas statique, au contraire, elle est dynamique, évoluant rapidement vers une augmentation des masses d’électeurs contestant l’éternel statu quo européiste néolibéral. Si on déplace le viseur vers les catégories populaires, le constat et les chiffres sont encore plus significatifs. Nous sommes donc très loin des années 1990, ou l’on pouvait penser que sur ce sujet, il fallait patiemment attendre des jours meilleurs.
Mais ce constat en entraîne un autre. Plus aucune excuse, plus ou moins sincère, arguant du fait que l’on ne pouvait proposer politiquement une sortie des institutions néolibérales européennes parce que « les Français n’y seraient pas encore prêts », n’est désormais crédible. La plupart du temps, cet argument ne faisait que révéler l’inverse de ce qui était dit en apparence : c’était en réalité celui qui invoquait cet argument qui n’était pas prêt à travailler concrètement et politiquement sur ces propositions. Or, c’était justement le travail politique le plus nécessaire, le plus légitime, le plus urgent : proposer des solutions concrètes de sortie des institutions antidémocratiques européennes. Il faut en effet d’urgence familiariser les électeurs avec cette nécessité, sa soutenabilité publique, sa désirabilité démocratique, son réalisme économique. Les convictions politiques déclarées des citoyens ne sont pas issues d’une génération spontanée, surgissant soudainement ex nihilo à travers tel ou tel sondage. Pasteur a eu raison de contester cette notion en biologie, et nos apprentis démocrates feraient bien de s’en méfier en politique. Seules les propositions balisées, familiarisées par les médias de masse, portées par des personnages publics identifiés, semblent crédibles et donc exigibles par une majorité de citoyens, qui ne sont ni économistes, ni juristes, ni géostratèges, etc.
Attendre Godot, que les citoyens exigent spontanément, tout d’un coup, une sortie organisée du carcan juridique européen, n’est ni raisonnable, ni responsable. Les dirigeants politiques qui portent en bandoulière leur attachement à la démocratie et leur antilibéralisme théorique, mais qui ne font pas le travail élémentaire de popularisation d’une sortie crédible et organisée des institutions néolibérales, ainsi que des enjeux démocratiques et sociaux liés à cette sortie (comme seul l’a fait le Pardem), sont, au choix, inconséquents, irresponsables, ou malhonnêtes. Et ils se servent des conséquences de leur inaction politique (« les Français ne sont pas prêts ») pour la justifier ex post. Ce temps-là est derrière nous, car « les Français sont prêts » désormais, et de plus en plus, à ce qu’on leur propose une rupture décisive avec l’ordre institutionnel néolibéral. Mais cette inaction irresponsable des dirigeants de gauche aura eu un prix. Ceux qui auront enfin popularisé cette idée nécessaire et si longtemps indicible, l’ont fait selon leur propre agenda et leur propre intérêt. C’est le FN, ou DLF, par exemple, mettant en avant une vision étroitement sécuritaire, stigmatisant davantage les petits délinquants, les fraudes sociales des petits allocataires, les immigrés ou les Français musulmans, que les gagnants de la mondialisation, gigantesques fraudeurs. Et s’ils profitent de cette vague euro-critique, ils ne proposent aucune sortie claire et organisée, au contraire. Ils se préparent à être des Tsipras de droite. Bref le temps perdu à attendre passivement que « les Français soient prêts » se paye cher.
Les démagogues, les réactionnaires et les xénophobes préemptent cette vague euro-critique et hostile à la mondialisation néolibérale, comme dans le reste de l’Europe. Il est pourtant certain que dans la France traditionnellement égalitaire, il existait et existe toujours un espace majoritaire possible pour rétablir à la fois les processus démocratiques nationaux et le progrès social et environnemental, sans jouer aucunement sur les crispations xénophobes. Pour l’instant, le constat est là, premiers arrivés, premiers servis, les eurocritiques identifiés qui arrivent à passer le cap du 2e tour sont xénophobes ! L’exigence de sortie du néolibéralisme est donc toujours orpheline d’une représentation politique adéquate et fiable. Le Pardem s’est créé pour cette raison, et travaille pour percer le mur médiatique de silence qui dissimule son existence et son offre politique à nos concitoyens. Et le deuxième tour s’en vient, en pleine hystérie idéologique pour faire passer les vessies antidémocratiques de Macron pour des lanternes antifascistes.

II.- Que faire pour le deuxième tour ?
Faire son devoir de citoyen pour le deuxième tour implique d’en comprendre ses enjeux et son contexte.

A.- Les enjeux du deuxième tour
Il s’agit de refuser de légitimer par les urnes l’inacceptable, fermement, clairement, massivement.

1.- Refuser d’établir une version ethnique de la démocratie et une xénophobie d’État
Il est hors de question de déconsidérer le mouvement populaire euro-critique en l’assimilant à une version xénophobe de la démocratie. Il est par ailleurs évident, par les éternels louvoiements de Marine Le Pen sur les questions européennes, qu’elle ne réalisera pas une rupture décisive, qui n’est pas dans son intérêt. Il serait tragique de voir élire une Tsipras xénophobe déconsidérer pour longtemps l’exigence de restauration de la souveraineté nationale. Sans parler de ses propositions antisociales et antisyndicales traditionnelles. Celles et ceux qui croient renverser la table avec un vote FN, vont se retrouver avec une table intacte et supportant un contenu encore plus inacceptable.

2.- Refuser l’injonction politique et médiatique de se soumettre au candidat de l’eurolibéralisme décomplexé
Il est impératif de ne pas légitimer par un vote la continuation, et donc l’aggravation, de l’eurolibéralisme désormais décomplexé. Rappelons, parmi hélas bien d’autres actions d’éclat, que le principal conseiller économique de François Hollande puis son ministre de l’économie, Monsieur Macron, est co-responsable d’une augmentation de 26% des chômeurs sur la durée du quinquennat (source Pôle Emploi sur les catégories A, B, C). C’est aussi le concepteur du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ainsi que du « pacte de responsabilité et de solidarité », bref de la baisse des impôts et des cotisations sociales pour les entreprises, en échange d’une... augmentation du chômage. C’est donc un partisan déclaré de l’aggravation du partage de la valeur ajoutée en faveur des profits et au détriment des salariés, le tout en aggravant encore le chômage de masse et en détruisant à coups d’ordonnances et de 49.3 le droit du travail. C’est bien sûr un européiste forcené. C’est évidemment une caricature de ce qu’il ne faut plus jamais accepter, la suppression de la démocratie et son remplacement par la gouvernance européenne, l’aggravation continue de la mondialisation néolibérale, et la casse systématique de l’État social.
Or, tous ces facteurs constituent évidemment, avec les manœuvres en sous-main des socialistes, les principales causes structurelles soutenant la montée du FN. La démocratie, c’est à la fois la capacité du peuple de déterminer les choix publics et de dominer les institutions, et les différents moyens de renforcer les classes populaires par les institutions, comme la Sécurité sociale. Comment des gens responsables peuvent-ils présenter l’incarnation de l’inverse comme un garant de la démocratie, contre le « fascisme » ? C’est un mystère. Il faut être ferme sur cette question essentielle et refuser les injonctions morales qui nous proposent de faire n’importe quoi avec nos bulletins de vote. Légitimer dans les urnes les fossoyeurs de la démocratie, dans ses aspects institutionnels et sociaux, n’est pas un ordre auquel nous devons nous soumettre.
Il serait donc totalement irresponsable de légitimer dans les urnes ces deux options aussi dangereuses qu’inacceptables. Et ce alors que leur position politique à l’issue de ce premier tour est inhabituellement fragile.

B.- Le contexte particulier du deuxième tour
Il renforce encore, dans le cadre de cette élection présidentielle de 2017 en tous points atypique, la seule attitude respectable et responsable à avoir face à ce second tour historique : plaider pour une abstention massive. C’est le moyen de délégitimer l’une ou l’autre des deux options inacceptables restées en lice. Inacceptables pour des raisons différentes, mais tout aussi graves et lourdes de conséquences l’une que l’autre.

1.- Des finalistes heureusement mal élus
Les deux finalistes du second tour ne réunissent autour de leur projet qu’une faible portion des citoyens inscrits sur les listes électorales, en regard de la logique d’une élection présidentielle dans le cadre d’élections majoritaires à deux tours. Aucun ne représente au premier tour plus de 18% des inscrits. Le cumul de votes pour les deux finalistes ne réunit laborieusement que 34,33% des inscrits ! Ce n’est pas exceptionnel désormais, puisque depuis 1995, les électeurs sont de moins en moins convaincus par les prétendants en lice. Nous restons dans une fourchette très basse, légitimant médiocrement des candidats au poste le plus important de la Ve République, celui de président. C’est évidemment un critère à avoir bien en tête pour le second tour. Ces deux propositions inacceptables sont très loin d’avoir l’assentiment majoritaire de nos compatriotes. Ces deux candidats représentent chacun une des deux versions du pire actuel en politique, l’antidémocratie néolibérale pour l’un et la xénophobie pour l’autre. Ils ont heureusement échoué à construire une dynamique politique majoritaire représentant les souhaits principaux des citoyens. Et de très loin s’en faut. Faudrait-il maintenant leur donner l’onction démocratique au deuxième tour au lieu d’aggraver par l’abstention la preuve de leur illégitimité, réduisant d’autant leur capacité de nuisance ? Ce serait une folie.

2.- Des personnalités politiques incapables de réunir une majorité parlementaire digne de ce nom
Ces deux dangers publics partagent une autre caractéristique importante à prendre en compte pour comprendre à la fois ce qui sera possible bientôt, et ce qu’il faut faire immédiatement. Ils seront dans l’impossibilité, à des degrés divers, de réunir autour de leur gouvernement une majorité parlementaire pérenne sur le quinquennat, capable d’une véritable discipline de vote, bref une vraie majorité parlementaire. Marine Le Pen, si elle est élue (ce qui est très peu probable), verra se dresser contre elle un barrage très prévisible aux législatives, et malgré le ralliement de Nicolas Dupont-Aignan, qui vient de faire imploser ainsi son parti Debout La France, elle n’aura pas d’autres réserves de voix. Ce serait donc une nouvelle situation de cohabitation, mais d’un genre inédit, en fait une véritable crise de régime. Pour Macron, la situation est certes légèrement moins critique. Mais il n’a pas derrière lui un parti identifié et organisé. Une bonne partie des parlementaires du PS et du centre se précipiteront bien sûr pour aller à la soupe, mais rien ne garantira la fiabilité de leur ralliement intéressé et de circonstance. Surtout dans un contexte politique et social de grande tension que ne manquera pas de provoquer cet adepte déclaré des ordonnances et du 49.3 et de la casse sociale décomplexée.
Ces finalistes particuliers sont donc inhabituellement fragilisés et très peu légitimes par rapport à la logique électorale et politique impliquée par l’élection au suffrage universel du président de la République. Ce n’est vraiment pas le moment de les renforcer par de forts taux de participation au second tour de manière irresponsable dans un « Front républicain » pour l’un ou dans une politique du pire pour l’autre. Ce serait gravement compromettre les seuls facteurs objectifs qui permettront de limiter efficacement la capacité de nuisance de ces deux propositions inacceptables qui, lorsqu’elles commenceront à être appliquées, seront toutes deux rejetées, cela ne fait aucun doute, par la majorité des citoyens dès que l’un des deux sera au pouvoir. Les mobilisations à prévoir dans la rue devront pouvoir s’appuyer sur une incontournable illégitimité démocratique facile à invoquer si le vainqueur du deuxième tour est élu sur la base d’une abstention massive et significative. La déstabilisation politique à prévoir dans cette éventualité sera d’autant plus efficace que le vainqueur aura bien des difficultés à s’appuyer sur une majorité fiable. C’est d’ailleurs en ayant clairement conscience de ce danger pour lui que Macron parle d’ores et déjà d’ordonnances et de 49.3, ce qui devrait nous faire réfléchir. C’est à la fois un aplomb antidémocratique confondant, et un évident aveu de faiblesse. Ce n’est vraiment pas le moment de le renforcer par un vote massif à contresens de la logique, de l’histoire, et de l’esprit de responsabilité.

3.- Peut-être le dernier acte du vote utile et des Fronts républicains de pacotille contre un danger fasciste inexistant, alors que personne ne réagit quand la démocratie est réellement supprimée (coup d’État parlementaire de 2008) ou qu’un véritable fascisme menace à nos portes, en Ukraine et en Hongrie
En Europe le succès des formations qualifiées de « populistes », pour l’instant surtout des démagogues politiciens de droite qui tentent de tirer profit du rejet de la mondialisation, est directement lié, on l’a vu, à la disparition des processus démocratiques, du fait du remplacement de la souveraineté nationale par les institutions de la mondialisation néolibérale. Celles-là même que défendent religieusement tous les contempteurs du « danger populiste ».
Cette accusation est donc doublement perverse : elle renverse les responsabilités réelles pour mieux les masquer. Et elle contribue fortement à ce paradoxe incroyable, celui qui voit les formations d’extrême-droite être les principaux bénéficiaires électoraux de l’exigence des classes populaires de la restauration des processus démocratiques, clé de la défense efficace de leurs intérêts, puisque la gauche comme la droite ont refusé d’endosser ce rôle politique et cette exigence ! Pour bénéficier pleinement de ce miraculeux effet d’aubaine, l’extrême-droite a dû se couler dans le moule idéologique républicain, pour mieux devenir l’apparent dernier défenseur de la souveraineté populaire !
Elle est donc devenue plus « populiste » que d’extrême-droite, du moins ses composantes les plus habiles et ambitieuses, une droite xénophobe anti-mondialisation. Cette accusation de populisme contribue donc ainsi à renforcer une variante étrange et malsaine de prophétie auto-réalisatrice. Tant que des formations politiques de masse et de gouvernement refuseront de porter l’exigence du retour à la normale des institutions démocratiques (celles qui supposent une souveraineté nationale effective), les partis de l’ancienne extrême-droite seront les seuls à porter politiquement la voix de tous ceux qui refusent le consensus post-démocratique actuel !
Très beau résultat pour nos « antifascistes » d’opérette. Ils valident ainsi la crédibilité de la mutation populiste et de la posture du FN. Ce dernier peut alors à bon compte se trouver dans le camp des antisystèmes défendant la démocratie et la souveraineté nationale, et capter ainsi facilement une partie des voix des mécontents, en les entraînant dans l’impasse de la xénophobie et du flou protestataire sur « l’Union » européenne. Même s’il ne faut jamais oublier que pour l’instant la majorité des classes populaires et moyennes affranchis de leurs élites européistes privilégient nettement l’abstention au vote FN.
Les « élites » et le FN se retrouvent ainsi à se fournir objectivement et respectivement d’inestimables services. Les « élites » se voient ainsi miraculeusement gratifiées d’un ennemi politique facilement haïssable et identifiable (leur « meilleur ennemi »), et peuvent de surcroît, et pour le même prix (c’est gratuit !), assimiler à l’extrême-droite, donc implicitement au fascisme même si la ficelle est grosse, tous ceux qui réclament la souveraineté nationale afin de restaurer les processus démocratiques et de briser le consensus néolibéral. Ce qu’elles ne se sont pas privé de faire lorsque Mélenchon a commencé à constituer une force euro-critique à gauche, amalgamant les deux sous cette appellation commune. Et réciproquement, le FN dispose d’un contexte idéologique en or massif pour lui. Toutes les « élites » médiatiques et politiques classiques le dénoncent comme ne faisant pas partie de leur camp, et crédibilisent ainsi sa conversion populiste. C’est un capital idéologique précieux… Et le FN sait en user avec beaucoup d’habileté tacticienne et idéologique.
Le surgissement du FN du néant politique dans lequel il était légitimement confiné, a eu lieu en 1983-1984. Cette brusque apparition médiatique est née, le fait est connu, de l’habileté de François Mitterrand dans le but, cynique, politicien, efficace, de diviser durablement la droite alors même qu’il faisait le choix du néolibéralisme et du postnational. Ainsi, la droite se voyait divisée au moment où elle pensait pouvoir recueillir facilement les dividendes de la trahison de leur mandat par les socialistes. Mais de plus, par la création du FN, Mitterrand, qui dans les mêmes années institutionnalisait le néolibéralisme en France (et avec Jacques Delors en Europe), pouvait miraculeusement maintenir une image de gauche au PS puisqu’il allait ainsi pouvoir lutter dans le camp moral de l’antiracisme.
Ce qui ne lui coûtait rien et rapporta beaucoup électoralement, lui maintenant éternellement les voix « de gauche », les dirigeants de la gauche étant toujours volontaires pour se faire avoir au grand bluff du « vote utile » en manipulant le mouvement antiraciste. Utile à qui ? Utile au PS, tout comme au FN, crédibilisé dans son rôle d’outsider. Il crée donc, et en même temps, la montée médiatique du FN (dont il impose la présence à toutes les chaînes télévisées), et le mouvement antiraciste SOS racisme en 1984, garantissant des polémiques indispensables pour positionner à gauche un PS devenu néolibéral, en plus d’une division de la droite.
Depuis, le FN est devenu la force politique neuve la plus puissante du pays. Les « élites » actuelles et le FN constituent donc un couple gémellaire où chacun a besoin l’un de l’autre pour se situer efficacement sur l’échiquier idéologique, pour diaboliser la contestation de l’ordre néolibéral et maintenir les choses en l’état. On ne voit plus désormais comment ces deux pôles complémentaires pourraient se passer l’un de l’autre. Évidemment, ce petit jeu n’est pas stable, chacun tentant de profiter le plus possible à son profit de ce blocage structurel. D’autre part, ce raisonnement n’est pas valable pour la droite actuelle, perdante de ce couple à trois. Elle fait donc des efforts pour inclure le pire du FN dans ses programmes, la xénophobie (même un Valls et une partie du PS tentent leur chance sur ce terrain nauséabond). Sans pour autant en tirer de durables effets électoraux, puisque le fond du problème est ailleurs, comme on l’a vu. Et là-dessus, tout le monde cette fois est d’accord pour ne pas bouger. De son côté le FN se fait le champion de la République et de la laïcité.
« Lutter contre le FN », du moins efficacement, c’est sortir des postures morales contreproductives et irréalistes, ce n’est pas « lutter contre le fascisme ». C’est déconstruire la place hégémonique qu’il détient sur la contestation du postnational en construisant une force réellement démocratique visant la démondialisation, comme seul pour l’instant le Pardem en France tente de le faire, en se hissant ainsi à la hauteur de ce qu’exige le moment historique que nous traversons.
Rappelons à nos éditorialistes et à nos jeunes antifascistes improvisés ce qu’est que le fascisme : la tentative de contrôler l’État et la société, en détournant les deux, par la violence politique, la terreur paramilitaire, quadrillant l’ensemble du pays, le parti unique et le remplacement des syndicats par une organisation corporative autoritaire. C’est une organisation de masse, qui conteste radicalement le parlementarisme, et qui n’est arrivée à la tête de l’État que par des coups d’État, jamais par les urnes. La seule exception étant l’Austrofascisme, cas particulier, n’utilisant pas la terreur paramilitaire et arrivé au pouvoir avec une voix de majorité. C’était en fait une dictature réactionnaire plus qu’un véritable fascisme. Ils n’ont utilisé la violence politique que contre les... nazis. Tous les autres exemples historiques de véritables fascismes, sont hostiles au régime parlementaire et encore une fois n’accèdent au pouvoir que par un coup d’État et l’aide des classes dominantes de leur pays. Mussolini s’empare par la violence du pouvoir en 1922. Hitler est nommé chancelier en 1933 par le président de la République le maréchal von Hindenburg, puis installe la dictature. Même si sa nomination est légale, il n’a pas été élu à ce poste. Le général Mendes Cabeçadas est nommé en 1926 à la tête du gouvernement portugais à la suite d’un coup d’État militaire, etc. Il n’y a donc jamais moyen d’éviter le fascisme, le véritable, par la voie des urnes. Une fois constitué, lorsqu’il a des milices paramilitaires ou directement l’armée dans son camp, lorsqu’enfin les classes dominantes le soutiennent et le mettent au pouvoir en se passant des urnes, puisque le but est de se passer des procédures parlementaires. La seule manière de lutter contre le fascisme est hélas la guerre civile, les méthodes de terreur des fascistes ne laissant pas d’autres choix.
Toute cette mascarade ridicule à laquelle nous assistons depuis l’imposition médiatique du FN par Mitterrand n’a donc aucun sens. Le « vote utile » n’a jamais sauvé de la moindre menace fasciste. Et le FN n’a pas de projet fasciste pour faire régner par la terreur un projet corporatiste et totalitaire en France. Il ne porte pas l’exigence de la suppression du Parlement mais au contraire la restauration de son rôle national. Il n’a absolument pas les moyens (ni visiblement la volonté) d’organiser des milices paramilitaires puissantes quadrillant tout le territoire national et faisant régner la terreur. Et il dispose encore moins de l’appui des classes dominantes pour instaurer un régime fasciste. Ces dernières n’y ont aucun intérêt, car elles disposent de la merveilleuse et bien plus efficace, stable et contrôlable « Union » européenne. Le FN est suffisamment nauséabond et nocif, par sa xénophobie, pour le condamner politiquement, sans pour autant disqualifier l’usage d’une notion politique et historique primordiale, le fascisme, en l’utilisant à tort et à travers, dès qu’un parti s’appuie sur la colère des classes populaires ou exploite la xénophobie en régime de chômage de masse. Pour ceux qui voudraient absolument exercer leur détermination antifasciste, nous leur conseillons de faire œuvre utile et d’aider les Ukrainiens et les Hongrois, qui eux font face à une véritable menace fasciste. Ils s’apercevront qu’on ne leur demandera aucune action électorale, mais uniquement du courage physique, et politique, car telle est la sinistre réalité du fascisme non imaginaire.
L’hystérie antifasciste, téléguidée par toute l’oligarchie à son complet, ne peut donc être prise au sérieux. L’enjeu, encore une fois, est d’empêcher le plus possible à ces deux calamités politiques de nuire. Ce n’est pas en votant pour l’un ou l’autre que l’on atteindra efficacement ce but. Ces deux candidats inacceptables n’ont qu’un faible appui électoral, ils sont fragilisés par leur incapacité à réunir une majorité parlementaire efficace, ils vont déclencher de puissantes luttes sociales. Il faut absolument appuyer cette opportunité de limiter leur capacité de nuisance, et non pas la fragiliser par un vote qui ne ferait que les légitimer avec un fort taux de participation.
Il n’y a pas à choisir entre le maintien de la suppression de la démocratie par un oligarque européiste néolibéral déterminé à tout aggraver par voie règlementaire, et une candidate xénophobe et antisociale. On ne choisit pas entre le maintien dans la servitude ou la xénophobie. On refuse les deux, bien sûr ! Les citoyens dignes et réalistes sauront quoi faire le 7 mai : délégitimer dans les urnes des candidats illégitimes par leur projet, en s’abstenant massivement.
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