«Macron Leaks»: les secrets d'une levée de fonds hors norme
- Mediapart.fr
Emmanuel Macron, le 3 mai 2016 © Reuters
Mail du 13 février 2017 : « Comme
vous l’observez, notre start-up continue de tracer son sillon ! Alors
que nous allons entrer dans le “dur” dans les prochains jours, nous
avons plus que jamais besoin de soutien. » La start-up en question
n’est pas une entreprise comme les autres. Et l’homme derrière son
clavier n’a rien d’un banal VRP. Christian Dargnat n’est autre que
l’ancien directeur général de BNP-Paribas Asset Management, branche du
groupe bancaire chargée de la gestion d’actifs. « Marcheur » de la première heure, il a tout lâché en avril 2016 pour organiser « à titre bénévole » le
financement de la campagne de son ami Emmanuel Macron. Dargnat, c'est
l'homme du coffre-fort. Pendant des mois, il a multiplié les rendez-vous
discrets, les dîners confidentiels et les mails de relance pour les
riches donateurs, en plein accord avec l'actuel locataire de l'Élysée.
Ce courriel du 13 février est adressé au collectionneur américano-allemand Olivier Berggruen, une figure incontournable du marché mondial de l’art. Dès le lendemain, le riche New-Yorkais répond favorablement à la demande de Dargnat en promettant « de contribuer à 4 000 euros au mouvement et 4 000 euros au candidat ». Un virement est effectué deux jours plus tard : 8 000 euros en un message, voilà qui témoigne d’une redoutable efficacité.
À l’image de cet échange, l’exploitation des milliers de mails et documents issus des Macron Leaks (voir Boîte noire) – ainsi que d’autres documents récupérés au fil de la campagne par Mediapart – permet de comprendre comment la garde rapprochée d’Emmanuel Macron a explosé les compteurs de dons entre avril 2016 et avril 2017 pour permettre à l’ancien ministre de François Hollande d’accéder au pouvoir, un an à peine après la création de son propre mouvement. À l'extérieur, Dargnat et les membres de l'équipe Macron ont tout fait pour démentir l'image du candidat des affaires, préférant insister sur l'afflux de petits dons. En réalité, c'est bien une camarilla de banquiers d’affaires qui a pris en main cette levée de fonds hors norme, mobilisant tous azimuts ses réseaux et carnets d’adresses au service du combat de l'ovni politique Macron.
Cette stratégie s’est appuyée sur un raisonnement simple, résumé dans un court message de M. Dargnat en septembre 2016, alors que Macron vient juste de quitter le gouvernement : « Quand on sait que les dépenses de campagne présidentielle sont limitées à 22 millions d’euros et que nous pourrions contracter un prêt bancaire (à hauteur de 9 millions) remboursé si le candidat dépasse le seuil des 5 % aux élections, il nous reste donc à “trouver” 13 millions », expose l’ancien banquier. En clair, calcule-t-il, « si l’on arrondit à 10 millions le budget à trouver, il faut donc obtenir des dons de 1 333 personnes à 7500 € chacune [le plafond autorisé pour le financement d’une campagne – ndlr] ».
En réalité, c'est dès le printemps 2016 que les plus fidèles soutiens d’Emmanuel Macron se sont discrètement activés pour organiser de façon méthodique la mobilisation de riches contributeurs. Emmanuel Macron est encore à Bercy, mais il veut déjà tout faire pour se présenter à la présidentielle. Une véritable « task force » s’organise alors autour de Christian Dargnat, le président de l’association de financement d’En Marche! (AFCPEM). Dans cette petite équipe soudée, on trouve Emmanuel Miquel, capital-risqueur chez Ardia et trésorier de la même association, mais aussi deux de ses anciens camarades de HEC : Stanislas Guerini, directeur de l’expérience client chez Elis, délégué du mouvement à Paris et aujourd'hui candidat aux législatives dans la capitale ; et Cédric O, un jeune directeur d'usine du groupe Safran, ancien du cabinet de Moscovici à Bercy. Cédric O, garçon discret qui fuit les médias, a endossé le costume de mandataire financier de la campagne, dont il est un des couteaux suisses les plus efficaces.
Pendant des mois, ce petit groupe a manœuvré avec une seule idée en tête, quasi obsessionnelle : faire fructifier en un an des carnets d’adresses bien fournis, afin de fonder un club de « grands donateurs » aux profils globalement homogènes (urbains, CSP+, issus de grandes écoles). Nous sommes là loin, bien loin, d’un mouvement soutenu par une vague aussi populaire que spontanée, image que les communicants d’En Marche! ont savamment cultivée et propagée. Et pas très loin du « Premier Cercle » de riches donateurs ayant financé une partie de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, même si l'entourage de Macron s'en est toujours défendu au motif qu'En Marche! n'a jamais organisé de grand raout mélangeant tous les grands donateurs. Effectivement : les proches d'Emmanuel Macron ont été bien plus discrets.
Dans les mails de l'équipe d'Emmanuel Macron, on retrouve un document de travail, diffusé et amendé en comité restreint en avril 2016 : la notice pour la chasse méthodique aux millions de la campagne. En Marche! est alors un mouvement balbutiant, à peine créé. Le tout nouveau parti n’a enregistré qu’environ 400 000 euros de dons et promesses – à 95 % des grands donateurs à 7 500 euros. L'équipe veut passer à la vitesse supérieure en activant un impressionnant maillage des réseaux d’entrepreneurs, banquiers, avocats, lobbyistes et autres « influencers » susceptibles de dégainer un jour ou l’autre l’équivalent de 6,5 Smic pour aider le candidat Macron.
Ces généreux bienfaiteurs seront approchés les mois suivants à travers des dizaines de dîners organisés en France et à l’étranger, le plus souvent en présence du « chef », le surnom d’Emmanuel Macron. Ces sauteries, symboles du confinement et de l’endogamie d’une certaine élite, sont « très mal vu[e]s par certaines catégories de la population », convient En Marche! dans une note interne. Mais elles sont aussi tellement rentables, surtout quand le candidat se déplace. Mi-avril 2016, un seul déjeuner à Londres au domicile privé de la directrice financière d’un site de vente en ligne permet de réunir 281 250 euros, selon un document d’En Marche!. Deux semaines plus tard, à Paris, un cocktail dînatoire génère 78 000 euros en à peine une heure et demie. La cash machine est lancée.
Pour multiplier les rencontres, l’équipe « fundraising » (« collecte de fonds ») d’En Marche! a élargi son maillage par l’intermédiaire de rabatteurs, des sympathisants du mouvement – très bien intégrés dans les hautes sphères économiques – qui ouvrent leurs carnets d’adresses, accueillent des déjeuners, voire, parfois, organisent des événements « clés en main ». Ne reste alors au mouvement qu’à valider les listes d’invités et à organiser la venue du candidat. Détail financier non négligeable : les frais liés aux dîners effectués aux domiciles des donateurs sont des « dépenses privées non intégrées » aux comptes de campagne.
Le 1er juin 2016, le conseiller de dirigeants d'entreprise Édouard Tétreau, un temps protégé par l'ancien PDG d'Axa Claude Bébéar, accueille l’un des tout premiers grands cocktails parisiens. « Durée : 1 h 30, dont passage Emmanuel d’1 h 00 », note minutieusement l’équipe d’En Marche!. Tout est millimétré : « Salutations 15 min/speech 20 min/Q&A [questions/réponses – ndlr] 20 min/sortie 5 min. » Les invités sont triés sur le volet : une trentaine de « quadra, hors CEO [PDG – ndlr] CAC40 ». Une semaine plus tard, Édouard Tétreau renouvelle l’expérience pour une nouvelle cible. Cette fois, 32 personnalités issues de « différents cercles (avocats, conseil, lobbying, édition, etc.) » sont concernées. Ne reste qu’à valider la liste d’invités. Mais « attention ! », alerte En Marche !, « un partner d’Image 7 », la boîte de la communicante Anne Méaux, qui conseille François Fillon, fait partie des convives potentiels.
Un autre « PP » (pour « poisson-pilote ») du mouvement, Hélène Chardoillet, directrice du développement d’une PME dans le domaine bancaire et « amie » d’Astrid Panosyan, une ancienne conseillère du cabinet Macron, s’active aussi en coulisses. Au mois de mai, elle alerte Emmanuel Miquel sur le positionnement politique du candidat. « Les personnes que je connais et que j’ai commencé à approcher (5 sur cette dernière semaine) sont de sensibilité politique centre droit et leur retour en substance est le suivant », écrit-elle au trésorier du mouvement : flou sur le programme de Macron, danger de voir sa candidature « phagocytée » par François Hollande, faiblesse de son bilan à Bercy…
« Mon sentiment, développe Chardoillet, si nous restons sur l’objectif précis du fundraising, est que cette cible centre droit n’est pas, pas du tout mûre pour la donation. Positionnement, programme et démarcation de Hollande seront des éléments clés pour que cette cible évolue. » « Top de voir ces manifestations », se réjouit dans la foulée Emmanuel Miquel, dans un message en copie au reste de la direction d’En Marche!. Seul bémol : pour « aller dans le sens » de ce que « Christian [Dargnat – ndlr] évoquait de constituer une petite base de gens disponibles pour appeler des contacts », Miquel « pense qu’il faut être vigilant à ne pas trop diluer l’exercice de Fundraising. Il faut certes se démultiplier, mais le sujet FR [fundraising – ndlr] reste sensible ».
Ce courriel du 13 février est adressé au collectionneur américano-allemand Olivier Berggruen, une figure incontournable du marché mondial de l’art. Dès le lendemain, le riche New-Yorkais répond favorablement à la demande de Dargnat en promettant « de contribuer à 4 000 euros au mouvement et 4 000 euros au candidat ». Un virement est effectué deux jours plus tard : 8 000 euros en un message, voilà qui témoigne d’une redoutable efficacité.
Emmanuel Macron au Louvre, dimanche 7 mai © Reuters
À l’image de cet échange, l’exploitation des milliers de mails et documents issus des Macron Leaks (voir Boîte noire) – ainsi que d’autres documents récupérés au fil de la campagne par Mediapart – permet de comprendre comment la garde rapprochée d’Emmanuel Macron a explosé les compteurs de dons entre avril 2016 et avril 2017 pour permettre à l’ancien ministre de François Hollande d’accéder au pouvoir, un an à peine après la création de son propre mouvement. À l'extérieur, Dargnat et les membres de l'équipe Macron ont tout fait pour démentir l'image du candidat des affaires, préférant insister sur l'afflux de petits dons. En réalité, c'est bien une camarilla de banquiers d’affaires qui a pris en main cette levée de fonds hors norme, mobilisant tous azimuts ses réseaux et carnets d’adresses au service du combat de l'ovni politique Macron.
Cette stratégie s’est appuyée sur un raisonnement simple, résumé dans un court message de M. Dargnat en septembre 2016, alors que Macron vient juste de quitter le gouvernement : « Quand on sait que les dépenses de campagne présidentielle sont limitées à 22 millions d’euros et que nous pourrions contracter un prêt bancaire (à hauteur de 9 millions) remboursé si le candidat dépasse le seuil des 5 % aux élections, il nous reste donc à “trouver” 13 millions », expose l’ancien banquier. En clair, calcule-t-il, « si l’on arrondit à 10 millions le budget à trouver, il faut donc obtenir des dons de 1 333 personnes à 7500 € chacune [le plafond autorisé pour le financement d’une campagne – ndlr] ».
En réalité, c'est dès le printemps 2016 que les plus fidèles soutiens d’Emmanuel Macron se sont discrètement activés pour organiser de façon méthodique la mobilisation de riches contributeurs. Emmanuel Macron est encore à Bercy, mais il veut déjà tout faire pour se présenter à la présidentielle. Une véritable « task force » s’organise alors autour de Christian Dargnat, le président de l’association de financement d’En Marche! (AFCPEM). Dans cette petite équipe soudée, on trouve Emmanuel Miquel, capital-risqueur chez Ardia et trésorier de la même association, mais aussi deux de ses anciens camarades de HEC : Stanislas Guerini, directeur de l’expérience client chez Elis, délégué du mouvement à Paris et aujourd'hui candidat aux législatives dans la capitale ; et Cédric O, un jeune directeur d'usine du groupe Safran, ancien du cabinet de Moscovici à Bercy. Cédric O, garçon discret qui fuit les médias, a endossé le costume de mandataire financier de la campagne, dont il est un des couteaux suisses les plus efficaces.
Pendant des mois, ce petit groupe a manœuvré avec une seule idée en tête, quasi obsessionnelle : faire fructifier en un an des carnets d’adresses bien fournis, afin de fonder un club de « grands donateurs » aux profils globalement homogènes (urbains, CSP+, issus de grandes écoles). Nous sommes là loin, bien loin, d’un mouvement soutenu par une vague aussi populaire que spontanée, image que les communicants d’En Marche! ont savamment cultivée et propagée. Et pas très loin du « Premier Cercle » de riches donateurs ayant financé une partie de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, même si l'entourage de Macron s'en est toujours défendu au motif qu'En Marche! n'a jamais organisé de grand raout mélangeant tous les grands donateurs. Effectivement : les proches d'Emmanuel Macron ont été bien plus discrets.
Dans les mails de l'équipe d'Emmanuel Macron, on retrouve un document de travail, diffusé et amendé en comité restreint en avril 2016 : la notice pour la chasse méthodique aux millions de la campagne. En Marche! est alors un mouvement balbutiant, à peine créé. Le tout nouveau parti n’a enregistré qu’environ 400 000 euros de dons et promesses – à 95 % des grands donateurs à 7 500 euros. L'équipe veut passer à la vitesse supérieure en activant un impressionnant maillage des réseaux d’entrepreneurs, banquiers, avocats, lobbyistes et autres « influencers » susceptibles de dégainer un jour ou l’autre l’équivalent de 6,5 Smic pour aider le candidat Macron.
Ces généreux bienfaiteurs seront approchés les mois suivants à travers des dizaines de dîners organisés en France et à l’étranger, le plus souvent en présence du « chef », le surnom d’Emmanuel Macron. Ces sauteries, symboles du confinement et de l’endogamie d’une certaine élite, sont « très mal vu[e]s par certaines catégories de la population », convient En Marche! dans une note interne. Mais elles sont aussi tellement rentables, surtout quand le candidat se déplace. Mi-avril 2016, un seul déjeuner à Londres au domicile privé de la directrice financière d’un site de vente en ligne permet de réunir 281 250 euros, selon un document d’En Marche!. Deux semaines plus tard, à Paris, un cocktail dînatoire génère 78 000 euros en à peine une heure et demie. La cash machine est lancée.
Pour multiplier les rencontres, l’équipe « fundraising » (« collecte de fonds ») d’En Marche! a élargi son maillage par l’intermédiaire de rabatteurs, des sympathisants du mouvement – très bien intégrés dans les hautes sphères économiques – qui ouvrent leurs carnets d’adresses, accueillent des déjeuners, voire, parfois, organisent des événements « clés en main ». Ne reste alors au mouvement qu’à valider les listes d’invités et à organiser la venue du candidat. Détail financier non négligeable : les frais liés aux dîners effectués aux domiciles des donateurs sont des « dépenses privées non intégrées » aux comptes de campagne.
Le 1er juin 2016, le conseiller de dirigeants d'entreprise Édouard Tétreau, un temps protégé par l'ancien PDG d'Axa Claude Bébéar, accueille l’un des tout premiers grands cocktails parisiens. « Durée : 1 h 30, dont passage Emmanuel d’1 h 00 », note minutieusement l’équipe d’En Marche!. Tout est millimétré : « Salutations 15 min/speech 20 min/Q&A [questions/réponses – ndlr] 20 min/sortie 5 min. » Les invités sont triés sur le volet : une trentaine de « quadra, hors CEO [PDG – ndlr] CAC40 ». Une semaine plus tard, Édouard Tétreau renouvelle l’expérience pour une nouvelle cible. Cette fois, 32 personnalités issues de « différents cercles (avocats, conseil, lobbying, édition, etc.) » sont concernées. Ne reste qu’à valider la liste d’invités. Mais « attention ! », alerte En Marche !, « un partner d’Image 7 », la boîte de la communicante Anne Méaux, qui conseille François Fillon, fait partie des convives potentiels.
Un autre « PP » (pour « poisson-pilote ») du mouvement, Hélène Chardoillet, directrice du développement d’une PME dans le domaine bancaire et « amie » d’Astrid Panosyan, une ancienne conseillère du cabinet Macron, s’active aussi en coulisses. Au mois de mai, elle alerte Emmanuel Miquel sur le positionnement politique du candidat. « Les personnes que je connais et que j’ai commencé à approcher (5 sur cette dernière semaine) sont de sensibilité politique centre droit et leur retour en substance est le suivant », écrit-elle au trésorier du mouvement : flou sur le programme de Macron, danger de voir sa candidature « phagocytée » par François Hollande, faiblesse de son bilan à Bercy…
« Mon sentiment, développe Chardoillet, si nous restons sur l’objectif précis du fundraising, est que cette cible centre droit n’est pas, pas du tout mûre pour la donation. Positionnement, programme et démarcation de Hollande seront des éléments clés pour que cette cible évolue. » « Top de voir ces manifestations », se réjouit dans la foulée Emmanuel Miquel, dans un message en copie au reste de la direction d’En Marche!. Seul bémol : pour « aller dans le sens » de ce que « Christian [Dargnat – ndlr] évoquait de constituer une petite base de gens disponibles pour appeler des contacts », Miquel « pense qu’il faut être vigilant à ne pas trop diluer l’exercice de Fundraising. Il faut certes se démultiplier, mais le sujet FR [fundraising – ndlr] reste sensible ».
Des demandes d’audience auprès du ministre
Trois semaines plus tard, Christian Dargnat, encore lui, est à la manœuvre pour motiver ses troupes : « Si vous connaissez des gens désireux d’aider la cause [sic], n’hésitez pas à les orienter vers moi », encourage-t-il par mail. Un appel reçu cinq sur cinq. « Hello, une de mes amies me dit que son patron [d’une mutuelle – ndlr] souhaiterait participer à un de nos dîners. J’ai bien précisé que c’était réservé aux grands donateurs :) », écrit Cédric O. Retour de Dargnat, un mois plus tard : « J’ai déjeuné avec le DG et [la responsable des affaires publiques du groupe – ndlr] : excellents contacts et gros potentiels de networking. Merci encore. »Très investi, Cédric O préconise aussi de convier à un dîner du mois de juillet un patron qu’il connaît personnellement : « Je ne suis pas certain qu’il donnera, mais c’est un très gros driver pour d’autres (sur la thune et en termes de réseau). » Bonne pioche : ce quadra donnera plus tard 2 500 euros à la candidature. « Pas mal », note, impassible, le mandataire. « Nous organisons le 1er juillet un déjeuner autour d’E. Macron : si vous avez des gens prêts à contribuer à hauteur de 7,5 K€, envoyez à Emmanuel Miquel et moi-même les coordonnées de ces personnes », relance encore Dargnat à une dizaine de ses contacts.
Dans la liste : Frédéric Surry, directeur des investissements actions et obligations convertibles à la BNP, Denis Panel, DG d’une des filiales du groupe bancaire, et un ancien de la maison, David Pillet, ex-business manager ayant fondé en 2016 sa propre société de conseil. Deux mois plus tard, une nouvelle soirée fait saliver l'équipe : 23 chefs d'entreprise « qui peuvent bcp aider » ont déjà promis d’être là. L’un d’entre eux, patron d’une jeune société d’investissement, semble « très helpful ». Un autre – dans le classement Challenges des plus grandes fortunes de France en 2016 – est carrément « au taquet ». La récolte promet d’être grandiose.
Christian Dargnat © DR
À l’autre bout de la chaîne, le « chef » supervise les opérations par l'entremise de son cabinet. « Sophie [pour Sophie Ferracci, cheffe de cabinet de Macron à Bercy – ndlr], peux-tu nous faire un point avec les prochaines dates ? Merci bcp », demande le 2 mai 2016 Julien Denormandie, un autre membre de la garde rapprochée d'Emmanuel Macron, son ancien dircab à Bercy.
À la même période, Dargnat sollicite Emmanuel Miquel et Cédric O pour qu’ils trouvent « des gens qui pourraient organiser des dîners » à l’occasion des déplacements à venir du ministre à « Orléans le 8 mai, La Rochelle le 9 mai, Toulouse le 19 mai, La Grande-Motte le 26 mai, Chalon-sur-Saône le 30 mai, Rennes le 20 juin, Annecy le 23 juin ». Très efficace à Paris, En Marche! veut désormais braconner en région. Le mouvement assure que ces dîners provinciaux ont été des fiascos.
Pas question, en revanche, qu’Emmanuel Macron s’investisse publiquement dans la collecte alors qu’il est encore à Bercy. « Tant qu’Emmanuel est ministre, je ne crois pas en sa volonté de vouloir signer les courriers [de remerciement aux donateurs de plus de 500 euros – ndlr] », prévient Julien Denormandie. Le « chef » se contente alors de textos. C’est que la frontière entre les fonctions est parfois ténue. Comme pour ce fondateur d’un fonds d’investissement, qui sollicite une audience auprès de Macron-ministre après avoir fait un don à Macron-candidat. Son message est directement transmis par Denormandie à Ferracci, sans que l’on sache si ce donateur a obtenu gain de cause : « Sophie, pour ta pochette “demande d’audience”. Merci beaucoup. »
Le 15 septembre, Emmanuel Miquel, prudent, rappelle aussi la nécessité de vérifier « l’absence éventuelle de conflits d’intérêts (incompatibles avec les fonctions passées d’EM) » et le « caractère recommandable [sic] du donateur ». Il transmet une liste comportant les noms et coordonnées de 62 contributeurs – principalement domiciliés à Paris et Londres – représentant 276 000 euros de dons. Cette fois, c'est Alexis Kohler qui se charge de répondre. L'ancien directeur de cabinet de Macron à Bercy a alors officiellement quitté la campagne pour travailler dans le privé, mais il reste très impliqué dans l'organisation : « Je regarde de plus près demain mais je n’en vois aucun susceptible de poser problème à première vue », répond-il. Depuis le 14 mai, Alexis Kohler est le nouveau secrétaire général de l'Élysée. C'est lui, l'homme sérieux à lunettes qui a annoncé mercredi 17 mai la liste du gouvernement d’Édouard Philippe.
Pour les donateurs étrangers, la prudence est de mise. « Vous êtes à l’aise avec les virements reçus ? », s’inquiète par exemple, le 2 février 2017, le mandataire Cédric O en découvrant les noms de plusieurs de ces donateurs étrangers sur un relevé de comptes. « Oui je les connais tous », répond Dargnat dans la minute.
La banque saisit aussi à plusieurs reprises l’équipe du candidat. « Je suis à même de vous les réclamer [des justificatifs pour des virements en provenance de l’étranger – ndlr] en fonction des demandes de notre service des affaires internationales », prévient la directrice adjointe de l’agence du Crédit agricole où est logé le compte de campagne. Mediapart a ainsi identifié plusieurs situations litigieuses – toutes résolues a posteriori, selon les documents consultés –, dues notamment à l’incompréhension par certains donateurs de la réglementation française (interdiction de contribuer pour une personne morale ou dépassement des seuils).
Le 21 mars, par exemple, le compte de l’AFCPEM reçoit un virement de 12 000 euros de la part d’un richissime donateur installé à Madagascar, Amin Hiridjee, très présent dans les secteurs de la finance, des télécoms, de l’immobilier et de l’énergie. « Nous sommes contraints de rembourser intégralement les dons qui dépassent les plafonds. Sur le compte de l’AFCPEM (financement candidat) le maximum autorisé est 4 600 € ; sur celui de l’AFEMA (financement mouvement), le max est 7 500 € », alerte Dargnat, avant de demander au frère du donateur – Hassanein Hiridjee, qu’il tutoie – s’il peut lui demander, « si cela n’est pas trop gênant », de faire « deux virements : un de 4 600 à l’ordre de l’AFCPEM et l’autre de 7 500 à l’ordre de l’AFEMA ». Pas de problème : « Je m’en occupe et te reviens », répond H. Hiridjee.
Plus problématique est le sujet traité, début janvier, lors d'une réunion réduite à cinq participants. Les fidèles d’Emmanuel Macron ouvrent la discussion sur un point « spécifique » : le cas du « financement d’une vingtaine de donateurs libanais ». « Problème traité (identifié) », notent les participants dans leur compte-rendu. Sollicité par Mediapart pour en savoir plus quant à la nature du problème et sa résolution, En Marche!, rebaptisé depuis peu La République en marche, n'a pas retourné nos questions (voir la Boîte noire).
Dès sa création, le mouvement a su générer une « forte demande pour organiser des événements » à l’étranger, ainsi que le mouvement le notait en avril 2016. De fait, les expatriés dans les pôles urbains de Londres, Genève, San Francisco ou New York ont été très actifs dans la collecte de dons. Parfois, les investisseurs étrangers ont aussi directement pris attache avec l’équipe.
Tandis qu’Emmanuel Macron s’installait en tête des sondages, le dirigeant d’un important hedge fund à New York a par exemple sollicité fin mars 2017 Cédric O, par l’entremise d’une connaissance commune, pour qu’il organise une rencontre avec un membre du mouvement à Paris. O l’oriente alors vers Dargnat, qui accepte la mission : « Oui j’en fais 2 à 3 par jour [sic] des présentations de ce type… Cela me détend des négociations sur le prêt [En Marche! est alors en pleine négociation – tardive – d'un emprunt de 8 millions – ndlr]. » Rien ne prouve dans la comptabilité analysée par Mediapart que cet investisseur ait financé la candidature, mais l’épisode témoigne de l’attrait du mouvement à l’international.
Plus de 57 % des dons proviennent des dîners et réseaux
Très organisée, la dynamique de dons n’a cessé d’affoler les compteurs. Dans ses toutes premières projections, En Marche! prévoyait de récolter un total de 1,15 million d’euros par l’intermédiaire des campagnes de fundraising jusqu’en juillet 2016. S’il a tenu ce rythme de croisière (moyenne de 7 900 euros récoltés par jour) jusqu’au mois d’août, la cadence s’est considérablement accélérée dès le mois de septembre, au lendemain du départ d’Emmanuel Macron du gouvernement.Au 31 décembre 2016, selon la comptabilité du mouvement, En Marche! avait récolté un peu plus de 5 millions d’euros de dons, bien au-dessus des 3,5 millions d’euros prévus dans son scénario central. Près de 70 % de cette somme – 3,482 millions – provenaient uniquement du travail de fundraising (dîners/réseaux) auprès de 669 donateurs (dont 400 à plus de 5 000 euros).
Bilan des dons en 2016 © Document Mediapart
La
communication du mouvement a évidemment cherché à rendre compte d’une
tout autre réalité. En avril 2017, dans un échange sur les éléments de
langage à utiliser face à la presse, alors que Macron est pressé par
certains médias de faire la lumière sur l'origine de ses dons, Ismaël
Emelien préconise d’insister sur les 35 000 donateurs à l’origine de la
collecte totale de 10 millions d’euros et de communiquer sur le don
médian de 50 euros. Il note par ailleurs que « 1/3 des dons » sont inférieurs ou égaux à 30 €, « 2/3 des dons » inférieurs ou égaux à 65 € et que les « dons supérieurs à 5 000 € » ne représentent que « 1,7 % du total des donateurs ».
Ou l’art de faire dire aux chiffres ce que l’on veut. Car en réalité,
la place des « grands » contributeurs est centrale. Dans ses projections
financières pour le début d'année 2017 (de janvier à mai), En Marche!
prévoyait notamment que les campagnes de fundraising lui rapporteraient 57,5 % des dons totaux du mouvement (contre 43,5 % pour le financement participatif).Ce rythme soutenu n’a jamais entamé le dynamisme des argentiers de Macron. Après Paris, Genève, Londres ou New York, Dargnat a aussi intensément lorgné vers l’Afrique. Ainsi qu’en témoigne son message à l’égard du responsable d’une grande banque française sur le continent. « Comme évoqué, par votre intermédiaire et celui d’[…] et de quelques autres, ce serait exceptionnel de pouvoir organiser une levée de fonds sur le continent africain, et notamment en Côte d’Ivoire », lui écrit-il en juin 2016.
Sollicité par Mediapart, le banquier – qui confirme avoir rencontré Dargnat puis Macron – déclare avoir refusé de s’engager : « La question d’une levée n’a en réalité jamais fait l’objet d’une discussion, affirme-t-il. J’ai dit clairement que nos fonctions ne pouvaient pas nous permettre de nous mettre en avant de manière ostentatoire. J’ai dit que si une visite en Côte d’Ivoire s’organisait, je pourrais y participer au titre de citoyen franco-ivoirien mais c’est tout. Je n’aime pas le mélange des genres. »
D’autres banquiers n’ont pas songé à prendre de telles précautions. La banque Rothschild, où a travaillé Emmanuel Macron pendant quatre ans, lui apporte un soutien sans réserve. Fin septembre, Olivier Pécoux, directeur général de Rothschild – dans les faits il est le dirigeant opérationnel de la banque –, organise pour En Marche! une rencontre de donateurs potentiels sur les Champs-Élysées. Déjà contributeur pour un montant de 7 500 euros au mouvement, M. Pécoux n’avait toujours pas été remboursé des frais engagés pour l’événement sept mois plus tard. L’a-t-il été depuis ? Il n’a pas répondu aux sollicitations de Mediapart.
Cinq autres associés-gérants de cette banque, interlocuteur privilégié de l’État dans des opérations capitales menées par le ministère des finances, ont aussi directement soutenu En Marche!. Il s’agit de Laurent Baril (don maximal de 7 500 euros), de Cyril Dubois de Mont-Marin (7 500 euros), de Cyrille Harfouche (7 500 euros), d'Alexandre de Rothschild (2 500 euros) et d'Arnaud Joubert (7 500 euros). Florence Danjoux – compagne de Vincent Danjoux (autre associé de la banque) – fait aussi partie des premiers donateurs (7 500 euros). Tout comme Luce Gendry (3 000 euros), associée-gérante jusqu'en 2016.
Le 19 mai 2016, un cadre de Rothschild, Philippe Guez, a aussi organisé une récolte de dons dans son appartement du XVIe arrondissement. Y étaient conviés une dizaine d’invités – chefs d’entreprise, avocats, family office et investisseurs dans l’immobilier –, en compagnie de Christian Dargnat et d’Emmanuel Macron. « Tous ont été informés d’une contribution de 7 500 euros », précise alors l’hôte de l’événement.
Dans un autre établissement bancaire, la banque privée Edmond de Rothschild, certains salariés se sont eux aussi très activement engagés dans la campagne. C'est le cas par exemple de Mylène Bonot, une chargée de partenariat qui n'a pas ménagé son temps dans la collecte. « Salut à tous. Suite à notre échange d’hier soir et comme convenu, je vous fais suivre le profil de Mylène, proposait Cédric O en avril 2016. Je pense qu’elle serait top pour donner un coup de main sur le fundraising pour gérer la bande passante de contacts : elle est très maligne, hyper sympa, c’est son job de soutirer de la maille aux gens qui ont de la thune et en plus c’est une meuf, ce qui est un atout non négligeable. Par ailleurs je la connais très bien et je lui fais confiance », ajoutait-il à l’époque.
Depuis, la jeune femme s’est activement impliquée dans la prospection et la relance de « grands donateurs » du mouvement, en liaison étroite avec Emmanuel Miquel. Ni elle, ni l'équipe d'En Marche! n'ont répondu à nos questions sur le cadre de cette mission. A-t-elle été rémunérée pour cette tâche ? Ou, peut-être, s'agissait-il d’un investissement à plus long terme ?
Prolonger
Boite Noire
Au terme de plus de deux heures d'entretien filmées,
Emmanuel Macron quittait les locaux de Mediapart, vendredi 5 mai vers
23 heures, quand les réseaux sociaux se sont mis à bruire : les Macron Leaks,
soit le hacking et la diffusion de milliers de mails de l'équipe de
campagne d'En Marche!, étaient publiés sur un site de partage, avant
d'être abondamment relayés par l'extrême droite américaine, les réseaux
trumpistes puis, en France, par le Front national. Le tout en un temps
record.
Mediapart a, dès le début, pris le parti de tenir tous les bouts de cette histoire. C'est-à-dire d'une part dénoncer, comme l'a fait notre journaliste Yann Philippin dans Libération et sur le plateau de MediapartLive, une pure opération de déstabilisation électorale. En publiant dans la nature à deux jours du second tour de l'élection présidentielle un très gros volume de données brutes, non vérifiées et dont la source est totalement inconnue, la méthode employée par les initiateurs des Macron Leaks était en effet déloyale, pour ne pas dire sale. Le but était de créer le chaos.
Mediapart a d'abord enquêté sur les origines de cette boule puante et, notamment, sur l'émergence d'une piste russe – voir nos articles ici, ici et là.
Pour autant, les Macron Leaks sont susceptibles de contenir des informations d'intérêt public, devenant ainsi un matériau journalistique à part entière, à la condition impérieuse que les documents soient authentifiés de manière indépendante et que les faits découverts soient confrontés loyalement avec les personnes concernées. Dès le lendemain de la « révélation » des Macron Leaks, une équipe de journalistes et techniciens de Mediapart a par conséquent engagé des recherches dans cette immense base de données, en utilisant notamment les outils techniques du consortium European Investigative Collaborations (EIC), à l'origine des Football Leaks ou des Malta Files.
Après deux semaines d'enquête, de vérifications et de respect du débat contradictoire, nous avons décidé de rendre publiques certaines informations qui sont, pour tout ou partie, issues des Macron Leaks. Ces éléments ont été complétés par des témoignages et documents récupérés au fil de la campagne.
Pour cet article sur les dessous de la levée de fonds de la campagne d'Emmanuel Macron, nous avons contacté lundi 15 mai plusieurs dizaines de donateurs, “poissons-pilotes” et membres de l'équipe d'En Marche!. Beaucoup ne nous ont pas répondu. Ils ont été relancés mercredi 17 mai, jour où nous avons adressé une série de questions à la communication d'En Marche! pour que le mouvement s'exprime indépendamment des cas individuels. Nos interrogations sont là aussi restées sans réponse.
Mediapart a, dès le début, pris le parti de tenir tous les bouts de cette histoire. C'est-à-dire d'une part dénoncer, comme l'a fait notre journaliste Yann Philippin dans Libération et sur le plateau de MediapartLive, une pure opération de déstabilisation électorale. En publiant dans la nature à deux jours du second tour de l'élection présidentielle un très gros volume de données brutes, non vérifiées et dont la source est totalement inconnue, la méthode employée par les initiateurs des Macron Leaks était en effet déloyale, pour ne pas dire sale. Le but était de créer le chaos.
Mediapart a d'abord enquêté sur les origines de cette boule puante et, notamment, sur l'émergence d'une piste russe – voir nos articles ici, ici et là.
Pour autant, les Macron Leaks sont susceptibles de contenir des informations d'intérêt public, devenant ainsi un matériau journalistique à part entière, à la condition impérieuse que les documents soient authentifiés de manière indépendante et que les faits découverts soient confrontés loyalement avec les personnes concernées. Dès le lendemain de la « révélation » des Macron Leaks, une équipe de journalistes et techniciens de Mediapart a par conséquent engagé des recherches dans cette immense base de données, en utilisant notamment les outils techniques du consortium European Investigative Collaborations (EIC), à l'origine des Football Leaks ou des Malta Files.
Après deux semaines d'enquête, de vérifications et de respect du débat contradictoire, nous avons décidé de rendre publiques certaines informations qui sont, pour tout ou partie, issues des Macron Leaks. Ces éléments ont été complétés par des témoignages et documents récupérés au fil de la campagne.
Pour cet article sur les dessous de la levée de fonds de la campagne d'Emmanuel Macron, nous avons contacté lundi 15 mai plusieurs dizaines de donateurs, “poissons-pilotes” et membres de l'équipe d'En Marche!. Beaucoup ne nous ont pas répondu. Ils ont été relancés mercredi 17 mai, jour où nous avons adressé une série de questions à la communication d'En Marche! pour que le mouvement s'exprime indépendamment des cas individuels. Nos interrogations sont là aussi restées sans réponse.
Fabrice Arfi
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