dimanche 7 mai 2017

le mode d'élection du président de la République et le général de Gaulle


L’enregistrement des discours et allocutions du général de Gaulle, transcrit sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel (I.N.A.) est parfois gravement fautif de quelques mots (terre pour tête le 7 novembre), et très souvent donne une ponctuation erronée. Le texte faisant foi est celui des discours et messages, compilés et commentés par François Goguel. Mais la première version a l’avantage de faire gagner du temps en dactylographie…


Allocution radio-télévisée du 20 septembre 1962
Depuis que le peuple français m'a appelé à reprendre officiellement place à sa tête, je me sentais obligé de lui poser un jour une question qui se rapporte à ma succession. Celle du mode d'élection du chef de l'Etat. Des raisons que chacun connaît m'ont récemment donné à penser qu'il pouvait être temps de le faire.
Qui donc aurait oublié quand, pourquoi, comment fut établie notre Constitution ? Qui ne se souvient de l'échéance mortelle devant laquelle, en Mai 1958, se trouvaient le pays et la République ? En raison de l'infirmité organique du régime d'alors, dans l'impuissance des pouvoirs apparaissaient tout à coup l'imminence des coups d'Etat, l'anarchie généralisée, la menace de la guerre civile, l'ombre de l'intervention étrangère. Comme tout se tient, c'est au même moment que s'ouvrait devant nous le gouffre de l'effondrement monétaire, financier, économique. Enfin ce qu'il y avait d'absurde et de ruineux dans le conflit algérien après la guerre d'Indochine et à l'annonce de graves déchirements dans tout l'ensemble de l'Afrique Noire, imposait la nécessité de changer en coopération de pays indépendants les rapports de la France et de ses colonies. Tandis que le régime tâtonnant et trébuchant des partis se trouvait hors d'état de trancher ce qui devait l'être et de maîtriser les secousses qu'une pareille transformation allait forcément susciter.
C'est alors qu'assumant de nouveau le destin de la patrie, j'ai, avec mon gouvernement, proposé au pays l'actuelle Constitution. Celle-ci, qui fut adoptée par quatre-vingt pourcents des votants, a maintenant quatre ans d'existence. On peut donc dire qu'elle a fait ses preuves. La continuité dans l'action de l'Etat, la stabilité, l'efficacité, l'équilibre des pouvoirs ont remplacé, comme par enchantement, la confusion organique et les crises perpétuelles qui paralysaient l'ancien système quelle que put être la valeur des hommes. Par là même, portent maintenant leurs fruits le grand effort et le grand essor du peuple français.
La situation de la France au-dedans et au dehors a marqué des progrès éclatants reconnus par le monde entier. Sans que les libertés publiques en aient été aliénées. Mais aussi a été notamment réglé le grave et pénible problème de la décolonisation. Certes, l'oeuvre que nous avons encore à accomplir reste immense car pour un peuple, continuer de vivre ça veut dire continuer d'avancer. Personne ne croit sérieusement que nous pourrions le faire si nous renoncions à nos solides institutions. Et personne au fond ne doute que notre pays serait très vite jeté à l'abîme si par malheur nous le livrions de nouveau au jeu péril et dérisoire d'autrefois.
Or, la clé de voûte de notre régime, c'est l'institution nouvelle d'un Président de la République désigné par la raison et par le sentiment des Français pour être le chef de l’Etat et le guide de la France. Bien loin que le Président doit comme naguère rester confiné dans un rôle de conseil et de représentation, la Constitution lui assigne à présent la charge du destin de la France et de celui de la République.
Suivant la Constitution, le Président est en effet garant, vous entendez bien, garant, de l'indépendance et de l'intégrité du pays ainsi que les traités qui l'engagent. Bref, il répond de la France. D'autre part, il lui appartient d'assurer la continuité de l'Etat et le fonctionnement des pouvoirs. Bref, il répond de la République. Pour porter ses responsabilités suprêmes, il faut au Président des moyens qui soient adéquats. La Constitution les lui donne. C'est lui qui désigne les ministres et d'abord choisit le premier. C'est lui qui préside leur conseil. C'est lui qui, sur leurs rapports, prend par décret ou par ordonnance, toutes les décisions importantes de l'Etat. C'est lui qui nomme les fonctionnaires, les officiers, les magistrats, dans les domaines essentiels de la politique extérieure et de la sécurité nationale, il est tenu à un rôle direct. Puisqu'en vertu de la Constitution, il négocie et conclut les traités puisqu'il est le chef de l'armée, puisqu'il préside à la défense. Par-dessus tout, s'il arrive que la patrie et la République soient immédiatement en danger, le Président se trouve investi en personne de tous les devoirs et de tous les droits que comporte le salut public.
Il va de soi que l'ensemble de ces attributions permanentes ou éventuelles amène le Président à inspirer, à orienter, à animer l'action nationale. Il arrive qu'il ait à la conduire, comme par exemple je l'ai fait dans toute l'affaire algérienne. Certes, le Premier Ministre et ses collègues, sur la base ainsi tracée, ont à déterminer à mesure la politique et à diriger l'administration. Certes, le Parlement délibère et vote les lois, contrôle le gouvernement et a le droit de le renverser. Ce qui d'ailleurs marque le caractère parlementaire du régime. Mais pour maintenir en tous les cas l'action et l'équilibre des pouvoirs et pour mettre en oeuvre, s'il le faut, la souveraineté du peuple, le Président dispose en permanence de la possibilité de recourir au pays. Soit par la voie du référendum, soit par celle des élections, soit par l'une et l'autre à la fois.
En somme, comme vous le voyez, un des caractères essentiels de la Constitution de la Cinquième République c'est qu'elle donne une tête à l'Etat. Autant moderne où tout est si vital, si rude, si précipité, la plupart des grands pays du monde : Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, Allemagne, etc... en font autant, chacun à sa manière. Nous la faisons à la nôtre, qui est d'une part démocratique et d'autre part conforme aux leçons et aux traditions de notre longue Histoire.
Cependant, pour que le Président puisse porter et exercer effectivement une charge pareille, il lui faut la confiance explicite de la nation. Permettez-moi de dire qu'en reprenant la tête de l'Etat en 1958, je pensais que pour moi-même et à cet égard, les événements de l'histoire avaient déjà fait le nécessaire. En raison de tout ce que nous avons ensemble voulu et réalisé à travers tant de peine, de larmes et de sang, mais aussi avec tant d'espérance, d'enthousiasme et de réussite ; il y a entre vous, Françaises, Français et moi-même, un lien exceptionnel qui m'investit et qui m'oblige. Je n'ai donc pas attaché alors une importance particulière aux modalités qui allaient entourer ma désignation, puisque celles-ci étaient d'avance prononcées par la force des choses. D'autre part, tenant compte de susceptibilités politiques dont certaines étaient respectables, j'ai préféré à ce moment-là qu'il n'y eut pas à mon sujet une sorte de plébiscite formel. Bref, j'ai consenti à ce que le texte initial de la Constitution soumît l'élection du Président à un collège relativement restreint d'environ quatre-vingt mille élus.
Mais si ce mode de scrutin non plus qu'aucun autre ne pouvait fixer les responsabilités à l'égard de la France, ni exprimer à lui seul la confiance que veulent bien me faire les Français ; il n'en serait pas de même pour ceux qui, n'y ayant pas reçu les événements à la même marque nationale, viendront après moi, tour à tour, prendre le poste que j'occupe. Cela pour qu'il soit entièrement en mesure et complètement obligé de porter la charge suprême et qu'ainsi notre République ait une bonne chance de rester cohérente, populaire et efficace en dépit des démons de nos divisions. Cela, dis-je, il faut qu'il en reçoive mission de l'ensemble des citoyens, sans qu'il y ait à changer les droits respectifs, ni les rapports réciproques des pouvoirs exécutifs, législatifs, judiciaires, tels que les fixe la Constitution. Mais pour maintenir et pour affermir dans l'avenir nos institutions face à toutes les entreprises factieuses, de quelque côté qu'elles viennent. Et aussi aux manoeuvres de ceux qui, de bonne ou de mauvaise foi, voudraient nous ramener au funeste système d'en temps. Je crois devoir faire au pays la proposition que voici : quand sera terminé mon propre septennat, ou si la mort ou la maladie l'interrompait avant le terme, le Président de la République sera dorénavant élu au suffrage universel. Par quelle voie, sur ce sujet qui touche tous les Français, par quelle voie convient-il que le pays exprime sa décision ? Je réponds. Par la plus démocratique, par la voie du référendum. C'est aussi la plus justifiée.
Car le peuple français, qui détient la souveraineté nationale, la détient aussi évidemment dans le domaine constituant. D'ailleurs, c'est du suffrage de tous les citoyens que procède l'actuelle Constitution où demeurant, celle-ci spécifique, le peuple exerce sa souveraineté soit par ses représentants, soit par le référendum. Enfin, si le texte prévoit une procédure déterminée dans le cas où la révision aurait lieu dans le cadre parlementaire. Il prévoit aussi, de la façon la plus simple et la plus claire, que le Président de la République peut proposer au pays, par voie de référendum, « tout projet de loi » – je souligne, « tout projet de loi » – « concernant l'organisation des pouvoirs publics », ce qui englobe, bien évidemment, le mode d'élection du Président. Le projet que je me dispose à soumettre au peuple français le sera donc dans le respect de la Constitution, que sur ma proposition il s'est à lui-même donnée.
Françaises, Français, en cette périlleuse époque et en ce monde difficile, il s'agit de faire en sorte, dans la mesure où nous le pouvons, que la France vive, qu'elle progresse et qu'elle assure son avenir. En vous proposant avant peu dans le domaine de nos institutions nationales de parfaire un point dont demain tout peut dépendre, je crois en toute conscience bien servir notre pays. Mais, comme toujours, je ne peux et ne veux rien accomplir qu'avec votre concours. Comme toujours, je vais donc bientôt vous le demander. Alors, comme toujours, c'est vous qui en déciderez.
Vive la République !
Vive la France !
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Présentation
Alors que la guerre d’Algérie avait cessé en mars 1962, et que l’Algérie avait accédé à l’indépendance le 3 juillet, le 22 août, le général de Gaulle échappait de peu à la mort lors d’un attentat perpétré par l’OAS, au Petit-Clamart. C’est probablement cet événement qui poussa le général à présenter alors son projet de réforme constitutionnelle visant à faire élire le président de la République au suffrage universel direct. Il fallait s’assurer que le chef de l’Etat, clef de voûte des institutions de la Ve République, dispose de ce fait d’une légitimité populaire et d’une autorité à la hauteur des pouvoirs qui lui étaient conférés. Annoncé lors du Conseil des ministres du 12 septembre, ce projet avait suscité l’hostilité de la plupart des formations politiques, à l’exception des mouvements gaullistes. Le 20 septembre, de Gaulle s’adresse directement aux Français pour les informer qu’un référendum leur sera soumis. Ce faisant, il ouvrait une crise avec les formations politiques traditionnelles. Et il montrait combien le lien direct, pour ne pas dire personnel, avec les citoyens était au cœur de sa conception de l’exercice du pouvoir.
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Depuis la conclusion en mars 1962 de la paix en Algérie et l'accession de l'Algérie à l'indépendance le 3 juillet, une page de l'histoire de la Vème République est tournée. De Gaulle n'ignore pas que, la guerre d'Algérie terminée, les forces politiques sont décidées à le chasser du pouvoir pour restaurer la toute-puissance du Parlement. Au cours des mois de juin et juillet, l'alliance de fait entre une gauche hostile au régime de la Vème République et une droite au sein de laquelle les nostalgiques de l'Algérie française ont un poids considérable prive virtuellement de majorité le gouvernement formé au printemps par Georges Pompidou. C'est d'extrême justesse qu'une motion de censure a été évitée en juillet.
Aussi de Gaulle est-il résolu à reprendre l'initiative. Il y est poussé par un attentat de l'OAS dirigé contre lui le 22 août 1962 au Petit-Clamart, au cours duquel il échappe de justesse à la mort. Après le Conseil des ministres du 29 août, le Général annonce son intention de proposer une révision constitutionnelle pour assurer la continuité de l'Etat et on apprend le 12 septembre qu'il s'agit de proposer un référendum disposant que le Chef de l'Etat sera désormais élu au suffrage universel, ce qui provoque un tollé de toutes les formations politiques à l'exception des mouvements gaullistes. A la rentrée parlementaire, le 2 octobre 1962, une motion de censure a été déposée contre le gouvernement Pompidou, constitutionnellement responsable de la décision de soumettre la révision à référendum, par les Indépendants, le MRP, les socialistes et les radicaux, motion qui doit être discutée le 5 octobre et qui semble devoir recueillir une majorité. Aussi le 4 octobre, de Gaulle en s'adressant aux Français (et indirectement aux députés) vise-t-il à exercer une pression pour dissuader l'Assemblée de voter la censure.
Son allocution rappelle aux Français leur vote de 1958 en faveur d'un régime dans lequel le président joue un rôle central et déterminant, régime qui a permis le redressement du pays dans tous les domaines, qu'il détaille à loisir ; il fixe ensuite clairement les enjeux du débat : faut-il ou non maintenir cette prééminence présidentielle grâce à laquelle ont été obtenus les résultats positifs qu'il a décrits ? La réponse ne pouvant être que positive, le Général explique les raisons qui justifient la révision, au premier chef le risque qu'en cas de disparition du président lors d'un attentat comme celui qui vient de se produire, le régime lui-même ne soit menacé et que ne soient remis en cause les progrès accomplis depuis 1958, dangers que pourrait conjurer l'élection d'un président au suffrage universel. Enfin concernant la procédure choisie, il insiste sur le fait que rien n'est plus conforme au principe républicain et à la démocratie que la désignation du Chef de l'Etat par le peuple souverain, moyen d'opérer une pression sur les députés tentés par le vote de la censure en les accusant implicitement de refuser au peuple l'exercice d'un droit qui lui appartient. Et, comme toujours, il rappelle qu'une réponse positive au référendum constituera pour lui un renouvellement de sa légitimité. – Serge Berstein

Allocution radio-télévisée du 4 Octobre 1962
Voici quatre ans, le peuple français s'est donné à lui-même une Constitution. Il l'a fait au lendemain d'une crise si grave qu'elle faillit jeter la France au gouffre et emporter la République.

Cette Constitution rejette la confusion et l'impuissance du régime d'en temps, c'est-à-dire du régime exclusif des partis. Et elle s'inspire des conditions que la vie rude et rapide de l'époque moderne impose à un grand Etat. Elle règle en conséquence les rôles respectifs et les rapports réciproques du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif et elle institue un président qui doit être le garant de ce qu'il y a de vital et de permanent dans le destin du pays. Qui doit assurer la continuité de l'Etat républicain et qui doit répondre de la France en cas de péril public. Comme à l'appel général du pays, j'ai assumé cette fonction, le mode d'élection du Président était d'abord secondaire puisque le rôle était rempli. Mais la question se pose aujourd'hui.

Tout le monde peut constater quel résultat éclatant a atteint le peuple français sous ses institutions nouvelles ? Notre vie publique qui erre auprès des spectacles et des jeux, des combinaisons, des crises, que l'on sait, porte aujourd'hui. La marque de la consistance et de l'efficacité, au lieu d'une monnaie malade, des finances en déficit, une économie menacée, nous soient, comme la guerre, des sujets constants d'angoisse et d'humiliation. Nous sommes à présent en plein essor de prospérité, en plein progrès social, sur la base d'un franc solide, d'échanges extérieurs positifs et de budget équilibré. Alors que nous étions en train de déchirer notre unité nationale et de gaspiller les éléments de notre puissance militaire ; Faute d'accomplir la décolonisation, de mettre un terme au conflit algérien et de briser la subversion qui s'apprêtait au coup d'Etat, voici que la coopération s'est établie entre la France et ses anciennes colonies. Que l'Algérie y accède à son tour et que les grands complots qui menaçaient la République n'ont plus à présent comme honteuse carrière que le vol, le chantage et l'assassinat. Au surplus, nous pouvons entreprendre de moderniser notre armée. Enfin, si récemment encore, notre pays était considéré comme l'homme malade de l'Europe. Aujourd'hui son poids et son rayonnement sont reconnus partout dans l'univers.

Etant donné ce qu'en quatre ans, nous, Français, avons réalisé en pratiquant notre Constitution, le bon sens le plus élémentaire, nous commande de la maintenir. Or, l'un de ces éléments essentiels, que bien sûr voudraient m'y ôter les partisans du régime condamné et sans lequel en effet elle tomberait dans ce qui était hier ; C'est qu'elle fait réellement du Président de la République le chef de l'Etat et le guide de la France. Mais pour elle, vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres, en mesure de remplir une pareille mission, le Président a besoin de la confiance directe de la nation, au lieu de l'avoir implicitement. Comme c'était mon propre cas en 1958, pour une raison historique et exceptionnelle qui pouvait justifier au départ l'élection au collège restreint. Collège restreint dont je n'ai certes pas renié le vote. Il s'agit que dorénavant le Président de la République soit élu au suffrage universel. Dès le régime, je savais que je devrai, avant la fin de mon septennat, proposer au pays de décider qu'il en soit ainsi. Mais des raisons pressantes me déterminent à prendre dès maintenant cette initiative, comme j'en ai le droit et le devoir.

Tout d'abord les attentats perpétrés ou préparés contre ma vie me font une obligation d'assurer après moi, pour autant que je puisse, une République solide. Ce qui implique qu'elle le soit au sommet. En outre, devant l'inquiétude générale suscitée par ces tentatives de meurtre, quant aux risques de confusion que la France pourrait courir. Soudain, je crois nécessaire qu'un vote massif de la nation atteste en ce moment même qu'elle a des institutions, qu'elle entend les maintenir et qu'elle ne veut pas après de Gaulle revoir l'Etat livré aux pratiques politiques qui l'amèneraient à une odieuse catastrophe. Et cette fois-là, sans aucun recours. Enfin, ce que nous sommes en train d'accomplir, développement de notre pays, transformation de la condition humaine dans toutes les branches de l'activité ; association progressive de nos catégories économiques et sociales aux responsabilités nationales ; rénovation de notre défense ; union de l'Europe pour le progrès et pour la paix, aide apportée aux pays qui s'ouvrent à la civilisation. Un jour peut-être, contribution éminente de la France à la détente puis à l'entente entre les peuples de l'ouest et de l'est. Toute cette immense entreprise exige qu'au nom de la vie, la France ait le moyen de choisir elle-même ceux qui devront, tour à tour à sa tête, représenter son unité et répondre de son destin.

Françaises, Français, le projet que je vous soumets propose que le Président de la République, votre Président, soit élu dorénavant par vous-mêmes. Rien n'est plus républicain, rien n'est plus démocratique. J'ajoute que rien n'est plus français, tant cela est clair, simple et droit. Une fois de plus, le peuple français va donc faire usage du référendum. Ce droit souverain qui, en mon initiative, lui fut reconnu en 1945, qu'il a de même recouvré en 1958 et qui depuis lors a permis à la République de donner des institutions valables et de trancher au fond le problème algérien qui était très grave, vous le savez. Une fois de plus, le résultat sera la décision de la nation sur un sujet essentiel.

Quant à moi, chaque « oui » de chacune de celles, de chacun de ceux qui me l'aura donné, me sera la preuve directe de sa confiance et de son encouragement. Or, croyez-moi, j'en ai besoin pour ce que je puis faire encore. Comme hier j'en avais besoin pour ce que j'ai déjà fait. Ce sont donc vos réponses qui me diront le 28 Octobre si je peux et si je dois poursuivre ma tâche au service de la France.

Vive la République !

Vive la France !

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Allocution radio-télévisée du 18 Octobre 1962
L'Assemblée nationale a adopté le 5 octobre, par 280 voix, la motion de censure du gouvernement Pompidou déposée par les représentants des groupes d'opposition. Conformément à la Constitution, le Premier ministre a présenté le 6 octobre au président de la République la démission du gouvernement. Le général de Gaulle a pris acte de cette démission ; tout en faisant connaître qu'il a décidé de dissoudre l'Assemblée nationale, il a invité le gouvernement à continuer d'assurer ses fonctions jusqu'à l'ouverture de la nouvelle législature. Après avoir procédé aux consultations prévues par l'article 12 de la Constitution, il a prononcé le 10 octobre la dissolution de l'Assemblée. Après le référendum, fixé au 28 octobre, le peuple Français aura donc, les 18 et 25 novembre, à élire ses nouveaux représentants. Dès l'annonce de la dissolution, les leaders des partis d'opposition (Centre national des Indépendants et Paysans, M.R.P., Parti radical, Parti socialiste S.F.I.O.) ont constitué ensemble le "Cartel des Non", manifestant ainsi leur intention de rester solidaires, après le référendum, au moment des élections législatives. Telle est la situation au moment où le général de Gaulle s'adresse aux Français dix jours avant le référendum. – Fondation Charles de Gaulle
Françaises, Français !

Le 28 octobre, ce que vous allez répondre à ce que je vous demande engagera le destin de la France. J'ai le devoir de vous dire pourquoi.

Tout le monde sait qu'en adoptant, sur ma proposition, la Constitution de 1958, notre peuple a condamné, à une immense majorité, le régime désastreux qui livrait la République à la discrétion des partis et, une fois de plus, avait failli jeter la France au gouffre. Tout le monde sait que, par le même vote, notre peuple a institué un Président, chef de l'État, guide de la France, clef de voûte des institutions, et a consacré le référendum qui permet au Président de soumettre directement au pays ce qui peut être essentiel. Tout le monde sait, qu'en même temps, notre peuple m'a fait confiance pour régler, avec mon gouvernement, les lourds problèmes devant lesquels venait de s'effondrer le système de la décadence : menace immédiate de faillite, absurde conflit algérien, danger grave d'opposition entre la nation et son armée, abaissement de la France au milieu d'un monde qui lui était, alors, malveillant ou méprisant.

Cette mission, si j'ai pu, jusqu'à présent, la remplir, c'est tout d'abord parce que j'étais sûr que vous m'en approuviez. Mais c'est aussi parce que nos institutions nouvelles me donnaient les moyens de faire ce qu'il fallait. Ainsi ai-je pu, pendant quatre années, sans altérer les droits des citoyens ni les libertés publiques, assurer la conduite du pays vers le progrès, la prospérité, la grandeur, étouffer à mesure les menaces criminelles qui se dressaient contre l'État et empêcher le retour aux vices du régime condamné.

Comme la preuve est ainsi faite de la valeur d'une Constitution qui veut que l'État ait une tête et comme, depuis que je joue ce rôle, personne n'a jamais pensé que le président de la République était là pour autre chose, je crois, en toute conscience, que le peuple français doit marquer maintenant par un vote solennel qu'il veut qu'il en soit ainsi, aujourd'hui, demain et plus tard. Je crois que c'est, pour lui, le moment d'en décider, car, autrement, les attentats qui ont été perpétrés et ceux qui sont préparés font voir que ma disparition risquerait de replonger la France dans la confusion de naguère et, bientôt, dans la catastrophe. Bref, je crois que, quoi qu'il arrive, la nation doit avoir, désormais, le moyen de choisir elle-même son Président à qui cette investiture directe pourra donner la force et l'obligation d'être le guide de la France et le garant de l'État.

C'est pourquoi, Françaises, Français, m'appuyant sur notre Constitution, usant du droit qu'elle me donne formellement de proposer au peuple souverain, par voie de référendum, tout projet de loi qui porte sur l'organisation des pouvoirs publics, mesurant, mieux que jamais, la responsabilité historique qui m'incombe à l'égard de la patrie, je vous demande, tout simplement, de décider que dorénavant vous élirez votre Président au suffrage universel.

Si votre réponse est : "Non" ! comme le voudraient tous les anciens partis afin de rétablir leur régime de malheur, ainsi que tous les factieux pour se lancer dans la subversion, ou même si la majorité des "Oui" ! est faible, médiocre, aléatoire, il est bien évident que ma tâche sera terminée aussitôt et sans retour. Car, que pourrais-je faire, ensuite, sans la confiance chaleureuse de la Nation ?

Mais si, comme je l'espère, comme je le crois, comme j'en suis sûr, vous me répondez "Oui" ! une fois de plus et en masse, alors me voilà confirmé par vous toutes et par vous tous dans la charge que je porte ! Voilà le pays fixé, la République assurée et l'horizon dégagé ! Voilà le monde décidément certain du grand avenir de la France !

Vive la République !

Vive la France !

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Allocution radio-télévisée du 7 Novembre 1962

La décision souveraine que la nation a prise le 28 Octobre et qui s'impose à qui que ce soit peut avoir la plus vaste portée pour l'avenir de la France.

Car la loi constitutionnelle, telle qu'elle a été votée, fait que dorénavant le peuple français élira son président au suffrage universel. Celui à qui la Constitution confère la charge très lourde d'être réellement le chef de l'Etat en aura après moi l'obligation et la possibilité grâce au mandat direct qu'il recevra de la nation. Ainsi devra demeurer cet élément capital de permanence et de solidité que comportent nos institutions. Je veux dire la présence au sommet de la République d'une tête qui puisse en être une.

D'autant mieux que le scrutin souverain du 28 Octobre a solennellement confirmé le droit que notre Constitution attribue au chef de l'Etat de soumettre au pays, par voie de référendum, tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics. La nation, seule maîtresse d'elle-même, a donc définitivement jugé que ses futurs présidents auront la faculté de lui demander à leur tour, comme je l'ai fait cinq fois moi-même, de trancher directement au fond tel problème qui serait essentiel. Mais, aussi et une fois de plus, le référendum a mis en plein lumière une donnée politique fondamentale de notre temps. Il s'agit du fait que les partis de jadis [INAUDIBLE] qu'une commune passion professionnelle les réunit pour instant, ne représente pas la nation. On s'en était clairement et terriblement aperçu quand en 1940 leur régime abdiquant dans le désastre. On l'avait de nouveau constaté lorsqu'en 1958 il me passe à la main, au bord de l'anarchie et de la faillite et de la guerre civile. On vient de vérifier en 1962. Que s'est-il passé en effet ? La nation étant maintenant en plein essor, les caisses remplies, le franc plus fort qu'il ne le fut jamais ; La décolonisation achevée, le drame algérien terminé, l'armée française rentrée toute entière dans la discipline ; Notre prestige replacé au plus haut dans l'univers, bref tout danger immédiat écarté et la situation de la France bien établie au-dedans et au dehors. On vit. Tous les partis de jadis se tournaient contre de Gaulle. On les vit s'opposer tous ensemble au référendum parce qu'ils tendaient à empêcher que leur régime recommençât ; Afin de tenir de nouveau le pouvoir à leur discrétion et d'en revenir au plus tôt aux jeux qui font leur délice mais qui seraient la ruine la France. On les vit se coaliser, sans qu'il en manqua aucun. D'abord au Parlement pour censurer le Ministère, ensuite devant le pays pour l'inviter à me répondre « non ». Or, voici que tout leur ensemble a été désavoué par le peuple français. Assurément, nul ne conteste que les partis de jadis servent encore tels courants d'opinions, intérêts particuliers, soucis locaux, mérites personnels ; Assurément grâce aux clientèles, aux influences, aux combinaisons qui sont leurs moyens éprouvés. Peuvent-ils encore faire passer l'ombre des leurs aux élections ? Assurément certains de leurs hommes ont-ils des capacités qui pourraient encore être utiles au gouvernement du pays, dès lors qu'eux-mêmes voudraient agir dans un système dévoué seulement à l'intérêt national. Et on sait que tout au long des années du temps de guerre et du temps de paix où je dirigeais les affaires, j'ai, suivant l'opportunité, pris mes ministres dans toutes les formations politiques, tour à tour et sans exception. Mais c'est un fait qu'aujourd'hui confondre les partis de jadis avec la France et la République serait simplement dérisoire. Mais, voici qu'en votant »oui » en dehors d'eux et malgré eux, la nation vient de dégager une large majorité de rénovation politique. Je dis qu'il est tout à fait nécessaire, pour que dure la démocratie, que cette majorité s'affermisse et s'agrandisse, et d'abord qu'elle s'établisse au Parlement. Si en effet le Parlement qui détient le pouvoir législatif et le contrôle devait reparaître demain dominé par les fractions que l'on s'est obstiné à rétablir leur régime d'impuissance de la guerre ; Bref se tenant en contradiction avec la volonté profonde que vient d'exprimer la nation, alors dans ce cas, et moins que jamais ayant un caractère réellement représentatif et d'ailleurs divisé en groupes rivaux et opposés ; Le Parlement ne manquerait pas dès l'abord de foisonner dans l'obstruction, puis de plonger les pouvoirs publics dans une confusion trop connue, en attendant, tôt ou tard, de faire sombrer l'Etat dans une nouvelle crise nationale. Mais au contraire, quel rôle peut jouer le Parlement si, échappant aux prétentions et aux illusions des partisans, il voulait que continue avec son concours résolu l'oeuvre de redressement national qui s'accomplit depuis plus de quatre ans ? Françaises, Français, vous avez le 28 Octobre, celui de la condamnation du régime désastreux des partis et marquez votre volonté de voir la République nouvelle poursuivre sa tâche de progrès, de développement et de grandeur. Mais les 18 et 25 Novembre, vous allez élire les députés. Ah, puissiez-vous faire en sorte que cette deuxième consultation n'aille pas à l'encontre de la première. En dépit le cas échéant de telle considération fragmentaire ou habitude locale. Puissiez-vous confirmer par la désignation des hommes le choix qu'en votant « oui » vous avez fait, quant à notre destin ; Françaises, Français, je vous le demande, je vous le demande en voyant les choses bien au-delà de ma personne et de mon actuelle fonction ; Je vous le demande, en me plaçant une fois encore sur le terrain, le seul qui m'importe, du bien de l'Etat, du sort de la République et de l'avenir de la France.

Vive la République !

Vive la France !

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