L’enregistrement des discours et allocutions du général de Gaulle, transcrit sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel (I.N.A.) est parfois gravement fautif de quelques mots (terre pour tête le 7 novembre), et très souvent donne une ponctuation erronée. Le texte faisant foi est celui des discours et messages, compilés et commentés par François Goguel. Mais la première version a l’avantage de faire gagner du temps en dactylographie…
Allocution
radio-télévisée du 20 septembre 1962
Depuis que le peuple français m'a appelé à
reprendre officiellement place à sa tête, je me sentais obligé de lui poser un
jour une question qui se rapporte à ma succession. Celle du mode d'élection du
chef de l'Etat. Des raisons que chacun connaît m'ont récemment donné à penser
qu'il pouvait être temps de le faire.
Qui donc aurait oublié quand, pourquoi, comment fut
établie notre Constitution ? Qui ne se souvient de l'échéance mortelle devant
laquelle, en Mai 1958, se trouvaient le pays et la République ? En raison de
l'infirmité organique du régime d'alors, dans l'impuissance des pouvoirs
apparaissaient tout à coup l'imminence des coups d'Etat, l'anarchie
généralisée, la menace de la guerre civile, l'ombre de l'intervention
étrangère. Comme tout se tient, c'est au même moment que s'ouvrait devant nous
le gouffre de l'effondrement monétaire, financier, économique. Enfin ce qu'il y
avait d'absurde et de ruineux dans le conflit algérien après la guerre
d'Indochine et à l'annonce de graves déchirements dans tout l'ensemble de l'Afrique
Noire, imposait la nécessité de changer en coopération de pays indépendants les
rapports de la France et de ses colonies. Tandis que le régime tâtonnant et
trébuchant des partis se trouvait hors d'état de trancher ce qui devait l'être
et de maîtriser les secousses qu'une pareille transformation allait forcément
susciter.
C'est alors qu'assumant de nouveau le destin de la
patrie, j'ai, avec mon gouvernement, proposé au pays l'actuelle Constitution.
Celle-ci, qui fut adoptée par quatre-vingt pourcents des votants, a maintenant
quatre ans d'existence. On peut donc dire qu'elle a fait ses preuves. La
continuité dans l'action de l'Etat, la stabilité, l'efficacité, l'équilibre des
pouvoirs ont remplacé, comme par enchantement, la confusion organique et les
crises perpétuelles qui paralysaient l'ancien système quelle que put être la
valeur des hommes. Par là même, portent maintenant leurs fruits le grand effort
et le grand essor du peuple français.
La situation de la France au-dedans et au dehors a marqué des progrès éclatants reconnus par le monde entier. Sans que les libertés publiques en aient été aliénées. Mais aussi a été notamment réglé le grave et pénible problème de la décolonisation. Certes, l'oeuvre que nous avons encore à accomplir reste immense car pour un peuple, continuer de vivre ça veut dire continuer d'avancer. Personne ne croit sérieusement que nous pourrions le faire si nous renoncions à nos solides institutions. Et personne au fond ne doute que notre pays serait très vite jeté à l'abîme si par malheur nous le livrions de nouveau au jeu péril et dérisoire d'autrefois.
La situation de la France au-dedans et au dehors a marqué des progrès éclatants reconnus par le monde entier. Sans que les libertés publiques en aient été aliénées. Mais aussi a été notamment réglé le grave et pénible problème de la décolonisation. Certes, l'oeuvre que nous avons encore à accomplir reste immense car pour un peuple, continuer de vivre ça veut dire continuer d'avancer. Personne ne croit sérieusement que nous pourrions le faire si nous renoncions à nos solides institutions. Et personne au fond ne doute que notre pays serait très vite jeté à l'abîme si par malheur nous le livrions de nouveau au jeu péril et dérisoire d'autrefois.
Or, la clé de voûte de notre régime, c'est
l'institution nouvelle d'un Président de la République désigné par la raison et
par le sentiment des Français pour être le chef de l’Etat et le guide de la
France. Bien loin que le Président doit comme naguère rester confiné dans un
rôle de conseil et de représentation, la Constitution lui assigne à présent la
charge du destin de la France et de celui de la République.
Suivant la Constitution, le Président est en effet
garant, vous entendez bien, garant, de l'indépendance et de l'intégrité du pays
ainsi que les traités qui l'engagent. Bref, il répond de la France. D'autre
part, il lui appartient d'assurer la continuité de l'Etat et le fonctionnement
des pouvoirs. Bref, il répond de la République. Pour porter ses responsabilités
suprêmes, il faut au Président des moyens qui soient adéquats. La Constitution
les lui donne. C'est lui qui désigne les ministres et d'abord choisit le
premier. C'est lui qui préside leur conseil. C'est lui qui, sur leurs rapports,
prend par décret ou par ordonnance, toutes les décisions importantes de l'Etat.
C'est lui qui nomme les fonctionnaires, les officiers, les magistrats, dans les
domaines essentiels de la politique extérieure et de la sécurité nationale, il
est tenu à un rôle direct. Puisqu'en vertu de la Constitution, il négocie et
conclut les traités puisqu'il est le chef de l'armée, puisqu'il préside à la
défense. Par-dessus tout, s'il arrive que la patrie et la République soient
immédiatement en danger, le Président se trouve investi en personne de tous les
devoirs et de tous les droits que comporte le salut public.
Il va de soi que l'ensemble de ces attributions
permanentes ou éventuelles amène le Président à inspirer, à orienter, à animer
l'action nationale. Il arrive qu'il ait à la conduire, comme par exemple je
l'ai fait dans toute l'affaire algérienne. Certes, le Premier Ministre et ses
collègues, sur la base ainsi tracée, ont à déterminer à mesure la politique et
à diriger l'administration. Certes, le Parlement délibère et vote les lois,
contrôle le gouvernement et a le droit de le renverser. Ce qui d'ailleurs
marque le caractère parlementaire du régime. Mais pour maintenir en tous les
cas l'action et l'équilibre des pouvoirs et pour mettre en oeuvre, s'il le
faut, la souveraineté du peuple, le Président dispose en permanence de la
possibilité de recourir au pays. Soit par la voie du référendum, soit par celle
des élections, soit par l'une et l'autre à la fois.
En somme, comme vous le voyez, un des caractères
essentiels de la Constitution de la Cinquième République c'est qu'elle donne
une tête à l'Etat. Autant moderne où tout est si vital, si rude, si précipité,
la plupart des grands pays du monde : Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne,
Allemagne, etc... en font autant, chacun à sa manière. Nous la faisons à la
nôtre, qui est d'une part démocratique et d'autre part conforme aux leçons et aux
traditions de notre longue Histoire.
Cependant, pour que le Président puisse porter et
exercer effectivement une charge pareille, il lui faut la confiance explicite
de la nation. Permettez-moi de dire qu'en reprenant la tête de l'Etat en 1958,
je pensais que pour moi-même et à cet égard, les événements de l'histoire
avaient déjà fait le nécessaire. En raison de tout ce que nous avons ensemble
voulu et réalisé à travers tant de peine, de larmes et de sang, mais aussi avec
tant d'espérance, d'enthousiasme et de réussite ; il y a entre vous,
Françaises, Français et moi-même, un lien exceptionnel qui m'investit et qui
m'oblige. Je n'ai donc pas attaché alors une importance particulière aux
modalités qui allaient entourer ma désignation, puisque celles-ci étaient
d'avance prononcées par la force des choses. D'autre part, tenant compte de
susceptibilités politiques dont certaines étaient respectables, j'ai préféré à
ce moment-là qu'il n'y eut pas à mon sujet une sorte de plébiscite formel.
Bref, j'ai consenti à ce que le texte initial de la Constitution soumît
l'élection du Président à un collège relativement restreint d'environ
quatre-vingt mille élus.
Mais si ce mode de scrutin non plus qu'aucun autre
ne pouvait fixer les responsabilités à l'égard de la France, ni exprimer à lui
seul la confiance que veulent bien me faire les Français ; il n'en serait pas
de même pour ceux qui, n'y ayant pas reçu les événements à la même marque
nationale, viendront après moi, tour à tour, prendre le poste que j'occupe. Cela
pour qu'il soit entièrement en mesure et complètement obligé de porter la
charge suprême et qu'ainsi notre République ait une bonne chance de rester
cohérente, populaire et efficace en dépit des démons de nos divisions. Cela,
dis-je, il faut qu'il en reçoive mission de l'ensemble des citoyens, sans qu'il
y ait à changer les droits respectifs, ni les rapports réciproques des pouvoirs
exécutifs, législatifs, judiciaires, tels que les fixe la Constitution. Mais
pour maintenir et pour affermir dans l'avenir nos institutions face à toutes
les entreprises factieuses, de quelque côté qu'elles viennent. Et aussi aux
manoeuvres de ceux qui, de bonne ou de mauvaise foi, voudraient nous ramener au
funeste système d'en temps. Je crois devoir faire au pays la proposition que
voici : quand sera terminé mon propre septennat, ou si la mort ou la
maladie l'interrompait avant le terme, le Président de la République sera
dorénavant élu au suffrage universel. Par quelle voie, sur ce sujet qui touche
tous les Français, par quelle voie convient-il que le pays exprime sa décision
? Je réponds. Par la plus démocratique, par la voie du référendum. C'est aussi
la plus justifiée.
Car le peuple français, qui détient la souveraineté
nationale, la détient aussi évidemment dans le domaine constituant. D'ailleurs,
c'est du suffrage de tous les citoyens que procède l'actuelle Constitution où
demeurant, celle-ci spécifique, le peuple exerce sa souveraineté soit par ses
représentants, soit par le référendum. Enfin, si le texte prévoit une procédure
déterminée dans le cas où la révision aurait lieu dans le cadre parlementaire.
Il prévoit aussi, de la façon la plus simple et la plus claire, que le
Président de la République peut proposer au pays, par voie de référendum, « tout
projet de loi » – je souligne, « tout projet de loi » – « concernant
l'organisation des pouvoirs publics », ce qui englobe, bien évidemment, le
mode d'élection du Président. Le projet que je me dispose à soumettre au peuple
français le sera donc dans le respect de la Constitution, que sur ma
proposition il s'est à lui-même donnée.
Françaises, Français, en cette périlleuse époque et
en ce monde difficile, il s'agit de faire en sorte, dans la mesure où nous le
pouvons, que la France vive, qu'elle progresse et qu'elle assure son avenir. En
vous proposant avant peu dans le domaine de nos institutions nationales de
parfaire un point dont demain tout peut dépendre, je crois en toute conscience
bien servir notre pays. Mais, comme toujours, je ne peux et ne veux rien
accomplir qu'avec votre concours. Comme toujours, je vais donc bientôt vous le
demander. Alors, comme toujours, c'est vous qui en déciderez.
Vive la République !
Vive la France !
*
* *
Présentation
Alors que la guerre d’Algérie avait cessé en mars 1962, et que l’Algérie avait accédé à l’indépendance le 3 juillet, le 22 août, le général de Gaulle échappait de peu à la mort lors d’un attentat perpétré par l’OAS, au Petit-Clamart. C’est probablement cet événement qui poussa le général à présenter alors son projet de réforme constitutionnelle visant à faire élire le président de la République au suffrage universel direct. Il fallait s’assurer que le chef de l’Etat, clef de voûte des institutions de la Ve République, dispose de ce fait d’une légitimité populaire et d’une autorité à la hauteur des pouvoirs qui lui étaient conférés. Annoncé lors du Conseil des ministres du 12 septembre, ce projet avait suscité l’hostilité de la plupart des formations politiques, à l’exception des mouvements gaullistes. Le 20 septembre, de Gaulle s’adresse directement aux Français pour les informer qu’un référendum leur sera soumis. Ce faisant, il ouvrait une crise avec les formations politiques traditionnelles. Et il montrait combien le lien direct, pour ne pas dire personnel, avec les citoyens était au cœur de sa conception de l’exercice du pouvoir.
*
* *
Depuis la
conclusion en mars 1962 de la paix en Algérie et l'accession de l'Algérie à
l'indépendance le 3 juillet, une page de l'histoire de la Vème République est
tournée. De Gaulle n'ignore pas que, la guerre d'Algérie terminée, les forces
politiques sont décidées à le chasser du pouvoir pour restaurer la
toute-puissance du Parlement. Au cours des mois de juin et juillet, l'alliance
de fait entre une gauche hostile au régime de la Vème République et une droite
au sein de laquelle les nostalgiques de l'Algérie française ont un poids
considérable prive virtuellement de majorité le gouvernement formé au printemps
par Georges Pompidou. C'est d'extrême justesse qu'une motion de censure a été
évitée en juillet.
Aussi de Gaulle
est-il résolu à reprendre l'initiative. Il y est poussé par un attentat de
l'OAS dirigé contre lui le 22 août 1962 au Petit-Clamart, au cours duquel il
échappe de justesse à la mort. Après le Conseil des ministres du 29 août, le
Général annonce son intention de proposer une révision constitutionnelle pour
assurer la continuité de l'Etat et on apprend le 12 septembre qu'il s'agit de
proposer un référendum disposant que le Chef de l'Etat sera désormais élu au
suffrage universel, ce qui provoque un tollé de toutes les formations
politiques à l'exception des mouvements gaullistes. A la rentrée parlementaire,
le 2 octobre 1962, une motion de censure a été déposée contre le gouvernement
Pompidou, constitutionnellement responsable de la décision de soumettre la
révision à référendum, par les Indépendants, le MRP, les socialistes et les
radicaux, motion qui doit être discutée le 5 octobre et qui semble devoir
recueillir une majorité. Aussi le 4 octobre, de Gaulle en s'adressant aux
Français (et indirectement aux députés) vise-t-il à exercer une pression pour
dissuader l'Assemblée de voter la censure.
Son allocution
rappelle aux Français leur vote de 1958 en faveur d'un régime dans lequel le
président joue un rôle central et déterminant, régime qui a permis le
redressement du pays dans tous les domaines, qu'il détaille à loisir ; il fixe
ensuite clairement les enjeux du débat : faut-il ou non maintenir cette
prééminence présidentielle grâce à laquelle ont été obtenus les résultats
positifs qu'il a décrits ? La réponse ne pouvant être que positive, le Général
explique les raisons qui justifient la révision, au premier chef le risque
qu'en cas de disparition du président lors d'un attentat comme celui qui vient
de se produire, le régime lui-même ne soit menacé et que ne soient remis en cause
les progrès accomplis depuis 1958, dangers que pourrait conjurer l'élection
d'un président au suffrage universel. Enfin concernant la procédure choisie, il
insiste sur le fait que rien n'est plus conforme au principe républicain et à
la démocratie que la désignation du Chef de l'Etat par le peuple souverain,
moyen d'opérer une pression sur les députés tentés par le vote de la censure en
les accusant implicitement de refuser au peuple l'exercice d'un droit qui lui
appartient. Et, comme toujours, il rappelle qu'une réponse positive au
référendum constituera pour lui un renouvellement de sa légitimité. – Serge
Berstein
Allocution
radio-télévisée du 4 Octobre 1962
Voici quatre ans, le peuple français s'est donné à lui-même
une Constitution. Il l'a fait au lendemain d'une crise si grave qu'elle faillit
jeter la France au gouffre et emporter la République.
Cette Constitution rejette la confusion et l'impuissance du
régime d'en temps, c'est-à-dire du régime exclusif des partis. Et elle
s'inspire des conditions que la vie rude et rapide de l'époque moderne impose à
un grand Etat. Elle règle en conséquence les rôles respectifs et les rapports
réciproques du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif et elle institue un
président qui doit être le garant de ce qu'il y a de vital et de permanent dans
le destin du pays. Qui doit assurer la continuité de l'Etat républicain et qui
doit répondre de la France en cas de péril public. Comme à l'appel général du
pays, j'ai assumé cette fonction, le mode d'élection du Président était d'abord
secondaire puisque le rôle était rempli. Mais la question se pose aujourd'hui.
Tout le monde peut constater quel résultat éclatant a
atteint le peuple français sous ses institutions nouvelles ? Notre vie publique
qui erre auprès des spectacles et des jeux, des combinaisons, des crises, que
l'on sait, porte aujourd'hui. La marque de la consistance et de l'efficacité,
au lieu d'une monnaie malade, des finances en déficit, une économie menacée,
nous soient, comme la guerre, des sujets constants d'angoisse et d'humiliation.
Nous sommes à présent en plein essor de prospérité, en plein progrès social,
sur la base d'un franc solide, d'échanges extérieurs positifs et de budget
équilibré. Alors que nous étions en train de déchirer notre unité nationale et
de gaspiller les éléments de notre puissance militaire ; Faute d'accomplir la
décolonisation, de mettre un terme au conflit algérien et de briser la
subversion qui s'apprêtait au coup d'Etat, voici que la coopération s'est
établie entre la France et ses anciennes colonies. Que l'Algérie y accède à son
tour et que les grands complots qui menaçaient la République n'ont plus à
présent comme honteuse carrière que le vol, le chantage et l'assassinat. Au
surplus, nous pouvons entreprendre de moderniser notre armée. Enfin, si
récemment encore, notre pays était considéré comme l'homme malade de l'Europe.
Aujourd'hui son poids et son rayonnement sont reconnus partout dans l'univers.
Etant donné ce qu'en quatre ans, nous, Français, avons
réalisé en pratiquant notre Constitution, le bon sens le plus élémentaire, nous
commande de la maintenir. Or, l'un de ces éléments essentiels, que bien sûr
voudraient m'y ôter les partisans du régime condamné et sans lequel en effet
elle tomberait dans ce qui était hier ; C'est qu'elle fait réellement du
Président de la République le chef de l'Etat et le guide de la France. Mais
pour elle, vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres, en mesure de remplir
une pareille mission, le Président a besoin de la confiance directe de la
nation, au lieu de l'avoir implicitement. Comme c'était mon propre cas en 1958,
pour une raison historique et exceptionnelle qui pouvait justifier au départ
l'élection au collège restreint. Collège restreint dont je n'ai certes pas
renié le vote. Il s'agit que dorénavant le Président de la République soit élu
au suffrage universel. Dès le régime, je savais que je devrai, avant la fin de
mon septennat, proposer au pays de décider qu'il en soit ainsi. Mais des
raisons pressantes me déterminent à prendre dès maintenant cette initiative,
comme j'en ai le droit et le devoir.
Tout d'abord les attentats perpétrés ou préparés contre ma
vie me font une obligation d'assurer après moi, pour autant que je puisse, une
République solide. Ce qui implique qu'elle le soit au sommet. En outre, devant
l'inquiétude générale suscitée par ces tentatives de meurtre, quant aux risques
de confusion que la France pourrait courir. Soudain, je crois nécessaire qu'un
vote massif de la nation atteste en ce moment même qu'elle a des institutions,
qu'elle entend les maintenir et qu'elle ne veut pas après de Gaulle revoir
l'Etat livré aux pratiques politiques qui l'amèneraient à une odieuse
catastrophe. Et cette fois-là, sans aucun recours. Enfin, ce que nous sommes en
train d'accomplir, développement de notre pays, transformation de la condition
humaine dans toutes les branches de l'activité ; association progressive de nos
catégories économiques et sociales aux responsabilités nationales ; rénovation
de notre défense ; union de l'Europe pour le progrès et pour la paix, aide
apportée aux pays qui s'ouvrent à la civilisation. Un jour peut-être,
contribution éminente de la France à la détente puis à l'entente entre les
peuples de l'ouest et de l'est. Toute cette immense entreprise exige qu'au nom
de la vie, la France ait le moyen de choisir elle-même ceux qui devront, tour à
tour à sa tête, représenter son unité et répondre de son destin.
Françaises, Français, le projet que je vous soumets propose
que le Président de la République, votre Président, soit élu dorénavant par
vous-mêmes. Rien n'est plus républicain, rien n'est plus démocratique. J'ajoute
que rien n'est plus français, tant cela est clair, simple et droit. Une fois de
plus, le peuple français va donc faire usage du référendum. Ce droit souverain
qui, en mon initiative, lui fut reconnu en 1945, qu'il a de même recouvré en
1958 et qui depuis lors a permis à la République de donner des institutions
valables et de trancher au fond le problème algérien qui était très grave, vous
le savez. Une fois de plus, le résultat sera la décision de la nation sur un
sujet essentiel.
Quant à moi, chaque « oui » de chacune de celles, de chacun
de ceux qui me l'aura donné, me sera la preuve directe de sa confiance et de
son encouragement. Or, croyez-moi, j'en ai besoin pour ce que je puis faire
encore. Comme hier j'en avais besoin pour ce que j'ai déjà fait. Ce sont donc
vos réponses qui me diront le 28 Octobre si je peux et si je dois poursuivre ma
tâche au service de la France.
Vive la République !
Vive la France !
*
* *
Allocution
radio-télévisée du 18 Octobre 1962
L'Assemblée nationale a adopté le 5 octobre,
par 280 voix, la motion de censure du gouvernement Pompidou déposée par les
représentants des groupes d'opposition. Conformément à la Constitution, le
Premier ministre a présenté le 6 octobre au président de la République la
démission du gouvernement. Le général de Gaulle a pris acte de cette démission
; tout en faisant connaître qu'il a décidé de dissoudre l'Assemblée nationale,
il a invité le gouvernement à continuer d'assurer ses fonctions jusqu'à
l'ouverture de la nouvelle législature. Après avoir procédé aux consultations
prévues par l'article 12 de la Constitution, il a prononcé le 10 octobre la
dissolution de l'Assemblée. Après le référendum, fixé au 28 octobre, le peuple
Français aura donc, les 18 et 25 novembre, à élire ses nouveaux représentants.
Dès l'annonce de la dissolution, les leaders des partis d'opposition (Centre
national des Indépendants et Paysans, M.R.P., Parti radical, Parti socialiste
S.F.I.O.) ont constitué ensemble le "Cartel des Non", manifestant
ainsi leur intention de rester solidaires, après le référendum, au moment des
élections législatives. Telle est la situation au moment où le général de Gaulle
s'adresse aux Français dix jours avant le référendum. – Fondation Charles de Gaulle
Françaises, Français !
Le 28 octobre, ce que vous allez répondre à ce que je vous
demande engagera le destin de la France. J'ai le devoir de vous dire pourquoi.
Tout le monde sait qu'en adoptant, sur ma proposition, la
Constitution de 1958, notre peuple a condamné, à une immense majorité, le
régime désastreux qui livrait la République à la discrétion des partis et, une
fois de plus, avait failli jeter la France au gouffre. Tout le monde sait que,
par le même vote, notre peuple a institué un Président, chef de l'État, guide
de la France, clef de voûte des institutions, et a consacré le référendum qui
permet au Président de soumettre directement au pays ce qui peut être
essentiel. Tout le monde sait, qu'en même temps, notre peuple m'a fait
confiance pour régler, avec mon gouvernement, les lourds problèmes devant
lesquels venait de s'effondrer le système de la décadence : menace immédiate de
faillite, absurde conflit algérien, danger grave d'opposition entre la nation
et son armée, abaissement de la France au milieu d'un monde qui lui était,
alors, malveillant ou méprisant.
Cette mission, si j'ai pu, jusqu'à présent, la remplir,
c'est tout d'abord parce que j'étais sûr que vous m'en approuviez. Mais c'est
aussi parce que nos institutions nouvelles me donnaient les moyens de faire ce
qu'il fallait. Ainsi ai-je pu, pendant quatre années, sans altérer les droits
des citoyens ni les libertés publiques, assurer la conduite du pays vers le progrès,
la prospérité, la grandeur, étouffer à mesure les menaces criminelles qui se
dressaient contre l'État et empêcher le retour aux vices du régime condamné.
Comme la preuve est ainsi faite de la valeur d'une
Constitution qui veut que l'État ait une tête et comme, depuis que je joue ce
rôle, personne n'a jamais pensé que le président de la République était là pour
autre chose, je crois, en toute conscience, que le peuple français doit marquer
maintenant par un vote solennel qu'il veut qu'il en soit ainsi, aujourd'hui,
demain et plus tard. Je crois que c'est, pour lui, le moment d'en décider, car,
autrement, les attentats qui ont été perpétrés et ceux qui sont préparés font
voir que ma disparition risquerait de replonger la France dans la confusion de naguère
et, bientôt, dans la catastrophe. Bref, je crois que, quoi qu'il arrive, la
nation doit avoir, désormais, le moyen de choisir elle-même son Président à qui
cette investiture directe pourra donner la force et l'obligation d'être le
guide de la France et le garant de l'État.
C'est pourquoi, Françaises, Français, m'appuyant sur notre
Constitution, usant du droit qu'elle me donne formellement de proposer au
peuple souverain, par voie de référendum, tout projet de loi qui porte sur
l'organisation des pouvoirs publics, mesurant, mieux que jamais, la
responsabilité historique qui m'incombe à l'égard de la patrie, je vous
demande, tout simplement, de décider que dorénavant vous élirez votre Président
au suffrage universel.
Si votre réponse est : "Non" ! comme le voudraient
tous les anciens partis afin de rétablir leur régime de malheur, ainsi que tous
les factieux pour se lancer dans la subversion, ou même si la majorité des
"Oui" ! est faible, médiocre, aléatoire, il est bien évident que ma
tâche sera terminée aussitôt et sans retour. Car, que pourrais-je faire,
ensuite, sans la confiance chaleureuse de la Nation ?
Mais si, comme je l'espère, comme je le crois, comme j'en
suis sûr, vous me répondez "Oui" ! une fois de plus et en masse,
alors me voilà confirmé par vous toutes et par vous tous dans la charge que je
porte ! Voilà le pays fixé, la République assurée et l'horizon dégagé ! Voilà
le monde décidément certain du grand avenir de la France !
Vive la République !
Vive la France !
*
* *
Allocution
radio-télévisée du 7 Novembre 1962
La décision souveraine que la nation a prise le 28 Octobre
et qui s'impose à qui que ce soit peut avoir la plus vaste portée pour l'avenir
de la France.
Car la loi constitutionnelle, telle qu'elle a été votée, fait
que dorénavant le peuple français élira son président au suffrage universel.
Celui à qui la Constitution confère la charge très lourde d'être réellement le
chef de l'Etat en aura après moi l'obligation et la possibilité grâce au mandat
direct qu'il recevra de la nation. Ainsi devra demeurer cet élément capital de
permanence et de solidité que comportent nos institutions. Je veux dire la
présence au sommet de la République d'une tête qui puisse en être une.
D'autant mieux que le scrutin souverain du 28 Octobre a
solennellement confirmé le droit que notre Constitution attribue au chef de
l'Etat de soumettre au pays, par voie de référendum, tout projet de loi portant
sur l'organisation des pouvoirs publics. La nation, seule maîtresse
d'elle-même, a donc définitivement jugé que ses futurs présidents auront la
faculté de lui demander à leur tour, comme je l'ai fait cinq fois moi-même, de
trancher directement au fond tel problème qui serait essentiel. Mais, aussi et
une fois de plus, le référendum a mis en plein lumière une donnée politique
fondamentale de notre temps. Il s'agit du fait que les partis de jadis
[INAUDIBLE] qu'une commune passion professionnelle les réunit pour instant, ne
représente pas la nation. On s'en était clairement et terriblement aperçu quand
en 1940 leur régime abdiquant dans le désastre. On l'avait de nouveau constaté
lorsqu'en 1958 il me passe à la main, au bord de l'anarchie et de la faillite
et de la guerre civile. On vient de vérifier en 1962. Que s'est-il passé en
effet ? La nation étant maintenant en plein essor, les caisses remplies, le
franc plus fort qu'il ne le fut jamais ; La décolonisation achevée, le drame
algérien terminé, l'armée française rentrée toute entière dans la discipline ;
Notre prestige replacé au plus haut dans l'univers, bref tout danger immédiat
écarté et la situation de la France bien établie au-dedans et au dehors. On
vit. Tous les partis de jadis se tournaient contre de Gaulle. On les vit
s'opposer tous ensemble au référendum parce qu'ils tendaient à empêcher que
leur régime recommençât ; Afin de tenir de nouveau le pouvoir à leur discrétion
et d'en revenir au plus tôt aux jeux qui font leur délice mais qui seraient la
ruine la France. On les vit se coaliser, sans qu'il en manqua aucun. D'abord au
Parlement pour censurer le Ministère, ensuite devant le pays pour l'inviter à
me répondre « non ». Or, voici que tout leur ensemble a été désavoué par le
peuple français. Assurément, nul ne conteste que les partis de jadis servent
encore tels courants d'opinions, intérêts particuliers, soucis locaux, mérites
personnels ; Assurément grâce aux clientèles, aux influences, aux combinaisons
qui sont leurs moyens éprouvés. Peuvent-ils encore faire passer l'ombre des
leurs aux élections ? Assurément certains de leurs hommes ont-ils des capacités
qui pourraient encore être utiles au gouvernement du pays, dès lors
qu'eux-mêmes voudraient agir dans un système dévoué seulement à l'intérêt
national. Et on sait que tout au long des années du temps de guerre et du temps
de paix où je dirigeais les affaires, j'ai, suivant l'opportunité, pris mes
ministres dans toutes les formations politiques, tour à tour et sans exception.
Mais c'est un fait qu'aujourd'hui confondre les partis de jadis avec la France
et la République serait simplement dérisoire. Mais, voici qu'en votant »oui »
en dehors d'eux et malgré eux, la nation vient de dégager une large majorité de
rénovation politique. Je dis qu'il est tout à fait nécessaire, pour que dure la
démocratie, que cette majorité s'affermisse et s'agrandisse, et d'abord qu'elle
s'établisse au Parlement. Si en effet le Parlement qui détient le pouvoir
législatif et le contrôle devait reparaître demain dominé par les fractions que
l'on s'est obstiné à rétablir leur régime d'impuissance de la guerre ; Bref se
tenant en contradiction avec la volonté profonde que vient d'exprimer la
nation, alors dans ce cas, et moins que jamais ayant un caractère réellement
représentatif et d'ailleurs divisé en groupes rivaux et opposés ; Le Parlement
ne manquerait pas dès l'abord de foisonner dans l'obstruction, puis de plonger
les pouvoirs publics dans une confusion trop connue, en attendant, tôt ou tard,
de faire sombrer l'Etat dans une nouvelle crise nationale. Mais au contraire,
quel rôle peut jouer le Parlement si, échappant aux prétentions et aux
illusions des partisans, il voulait que continue avec son concours résolu
l'oeuvre de redressement national qui s'accomplit depuis plus de quatre ans ?
Françaises, Français, vous avez le 28 Octobre, celui de la condamnation du
régime désastreux des partis et marquez votre volonté de voir la République
nouvelle poursuivre sa tâche de progrès, de développement et de grandeur. Mais
les 18 et 25 Novembre, vous allez élire les députés. Ah, puissiez-vous faire en
sorte que cette deuxième consultation n'aille pas à l'encontre de la première.
En dépit le cas échéant de telle considération fragmentaire ou habitude locale.
Puissiez-vous confirmer par la désignation des hommes le choix qu'en votant «
oui » vous avez fait, quant à notre destin ; Françaises, Français, je vous le
demande, je vous le demande en voyant les choses bien au-delà de ma personne et
de mon actuelle fonction ; Je vous le demande, en me plaçant une fois encore
sur le terrain, le seul qui m'importe, du bien de l'Etat, du sort de la
République et de l'avenir de la France.
Vive la République !
Vive la France !
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