La Tribune.fr - 14:02 |
Howard
Davies. (Crédits : DR)
Historiquement, les crises financières débouchent globalement sur la montée de la droite et surtout de l'extrême droite. Par Howard Davies, premier président de l'Autorité des services financiers du Royaume-Uni (1997-2003), président de la Banque royale d'Écosse.
Historiquement, les crises financières débouchent globalement sur la montée de la droite et surtout de l'extrême droite. Par Howard Davies, premier président de l'Autorité des services financiers du Royaume-Uni (1997-2003), président de la Banque royale d'Écosse.
Je ne crois pas être le seul professeur de finance qui, en choisissant des sujets de composition de ses étudiants, ait eu recours à la question suivante : « À votre avis, la crise financière mondiale a-t-elle été provoquée principalement par trop ou par trop peu d'intervention du gouvernement sur les marchés financiers ? » Confrontés à cette question ou/ou, les étudiants de mon dernier cours se sont répartis en trois groupes.
À peu près un tiers, hypnotisé par l'hypothèse clinquante des marchés financiers efficients, a soutenu que la faute incombait aux gouvernements. Leurs interventions mal conçues (notamment celles des gestionnaires de prêts hypothécaires garantis par les États-Unis, Fannie Mae et Freddie Mac, ainsi que le Community Reinvestment Act (CRA) ou « Loi de financement communautaire », ont déformé les incitations du marché. Certains ont même adopté l'argument du libertaire américain Ron Paul, en tenant pour responsable l'existence même de la Réserve fédérale en tant que prêteur en dernier recours.
Les hésitations de Greenspan
Un autre tiers, d'une tendance politique diamétralement opposée, a considéré l'ancien président de la Fed, Alan Greenspan, comme le plus néfaste. C'est l'hésitation notoire de Greenspan à intervenir sur les marchés financiers qui a créé le problème, même lorsque l'effet de levier se développait nettement et que les prix des actifs semblaient avoir perdu le contact avec la réalité. Plus largement, les gouvernements occidentaux, avec leur approche de la réglementation par petites touches, ont permis aux marchés de fonctionner hors de tout contrôle durant les premières années de ce siècle.
Le tiers restant a essayé de ménager la chèvre et le chou, en soutenant que les gouvernements sont trop intervenus dans certains secteurs et trop peu dans d'autres. Éviter la question telle qu'elle était posée n'est pas une stratégie solide en termes de réussite à un examen. Mais ces étudiants ont peut-être découvert une piste intéressante.
Sept ans après la crise...
Maintenant que la crise est derrière nous depuis sept ans, comment les gouvernements et les électeurs en Europe et en Amérique du Nord ont-ils répondu à cette question importante? Ont-ils montré, par leurs actions, qu'ils pensent que les marchés financiers doivent être soumis à des contrôles plus stricts ? Ou bien, au contraire, que l'État doit rejeter les renflouements et laisser les sociétés financières assumer les pleines conséquences de leurs propres erreurs ?
D'après leur rhétorique et leurs politiques de normalisation, il semblerait que la plupart des gouvernements aient fini par opter pour le troisième camp, celui qui refuse de trancher. Oui, ils ont mis en application pléthore de contrôles détaillés, ont inspecté la comptabilité des banques avec une intensité sans précédent et ont insisté pour approuver les distributions de fonds, la nomination des directeurs principaux et même les libellés des emplois de certains membres du conseil d'administration.
La fin du "too big to fail"
Mais ils ont exclu tout futur soutien de la part des gouvernements ou des banques centrales en faveur d'établissements financiers en difficulté. Les banques doivent maintenant produire des « dispositions testamentaires » pour expliquer comment elles peuvent être mises à mal sans le soutien des gouvernements. Le gouvernement s'en lavera les mains si les banques devaient se trouver dans l'embarras : l'ère du « trop gros pour faire faillite (too big to fail) » est révolue.
Peut-être cette double approche était-elle inévitable, même s'il serait bon d'en connaître la finalité. Est-ce un système dans lequel la discipline du marché domine encore, ou bien les organismes de régulation vont-ils se hisser dans un avenir prévisible sur les épaules de la direction ?
La montée de la droite et surtout de l'extrême droite après les crises financières
Mais qu'en ont conclu les électeurs ? Dans la première vague des élections qui ont suivi la crise, le message était clair en un sens, opaque en un autre. Au moment où la crise a frappé, chaque gouvernement en place, de gauche comme de droite, a été démis de ses fonctions et a été remplacé par un gouvernement de la tendance politique opposée.
Cela n'a pas été universellement vrai (par exemple, pour Angela Merkel en Allemagne), mais cela a été vrai aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France et ailleurs. La France est passée d'un régime de droite à un régime de gauche, alors que le Royaume-Uni a suivi le chemin inverse. Mais le verdict des électeurs sur leurs gouvernements a été plus ou moins identique : les choses ont mal tourné sous votre mandat, alors par ici la sortie !
Mais, à présent, une tendance plus stable se dessine. Trois économistes allemands -Manuel Funke, Moritz Schularik et Christoph Trebesch- viennent de publier uneévaluation fascinante basée sur plus de 800 élections dans les pays occidentaux au cours des 150 dernières années, qu'ils ont comparées avec 100 crises financières. Leur principale conclusion est saisissante :
« La politique prend un fort virage à droite suite à des crises financières. En moyenne, les votes d'extrême-droite augmentent d'environ un tiers dans les cinq ans qui suivent une crise bancaire systémique. »
Un paysage politique fragmenté
La Grande Dépression des années 1930, qui a suivi le krach de Wall Street de 1929, est l'exemple le plus évident et le plus inquiétant qui vient à l'esprit, mais la même tendance se retrouve dans les pays scandinaves, après les crises bancaires survenues au début des années 1990. Donc, chercher à expliquer par exemple la montée du Front national en France en termes d'impopularité personnelle et politique du président François Hollande n'est pas raisonnable. Il y a de plus grandes forces à l'œuvre, en dehors de sa vie privée originale et de son incapacité à rallier les électeurs.
La deuxième conclusion principale fournie par Funke, Schularik et Trebesch est que gouverner devient plus difficile après des crises financières, pour deux raisons. La montée de l'extrême droite va de pair avec un paysage politique typiquement fragmenté, avec davantage de partis et une plus faible part du vote allant au parti au pouvoir, qu'il soit aussi bien de gauche que de droite. L'action législative résolue devient donc plus difficile à mettre en œuvre.
Mobilisation extra-parlementaire
En même temps, une montée subite de la mobilisation extra-parlementaire se produit : des grèves plus longues et des manifestations plus importantes ont lieu. Le contrôle du gouvernement sur la rue n'est pas aussi sûr. Le nombre moyen de manifestations anti-gouvernementales a triplé, la fréquence des émeutes violentes a doublé et les grèves ont augmenté d'au moins un tiers. La Grèce a fait grimper ces chiffres dernièrement.
La seule conclusion apaisante à laquelle parviennent ces trois économistes est que ces effets s'émoussent graduellement. Les données nous indiquent qu'après cinq ans, le pire est derrière nous. Cela ne semble pas être le cas à présent en Europe, si nous en croyons les dernières frayeurs lors des élections en France, sans parler de la Finlande et de la Pologne, où les populistes de droite sont à présent au pouvoir. Cela tient à la durée de la crise: l'apaisement intervient cinq après, selon les données historiques. Or la crise en Europe, déclenchée comme partout dans le monde en septembre 2008, a duré bien au delà. La crise de la dette en Europe a eu lieu en 2010-2011. D'un point de vue économique, nous en sortons à peine.
Ainsi la politique devrait rester dans une posture difficile pendant encore un certain temps. Et les banquiers et financiers, à qui l'on reproche largement la crise, vont rester sur le banc de touche pendant encore un bon moment, jusqu'à ce que soient plus uniformément satisfaites les espérances de stabilité économique et financière des électeurs.
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Howard Davies, premier président de l'Autorité des services financiers du Royaume-Uni (1997-2003), président de la Banque royale d'Écosse. Ancien directeur de la London School of Economics (2003-2011), il a été vice-gouverneur de la Banque d'Angleterre et directeur général de la Confédération de l'industrie britannique.
© Project Syndicate 1995-2015
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