lundi 28 mai 2012

La France aujourd'hui, hier et demain - 1


Il me suggère, je lui ai demandé quoi écrire, il me lit et me connaît depuis bientôt six ans. Avec vous, on ne choisit pas un sujet. C’est votre plume qui vous dira où elle veut aller. Mais je verrai plutôt un pamphlet, « La France aujourd’hui, hier et demain ».

Un pamphlet pour un tel sujet. Est-ce le genre ? Quant aux essais, il remplirait une bibliothèque. La part des étrangers dans cette bibliothèque serait plus intéressante. Un livre entier est moins improvisé qu’un discours à quelques jours d’un scrutin décidant de la poursuite d’une carrière ou la ruinant par constat. Beaucoup ont donc écrit sans nécessité professionnelle sur la France, et toujours c’est celle d’aujourd’hui, d’hier et de demain. Le contemporain, rarement satisfaisant, un ou des fondements sur le passé et des espérances ou des tristesses assez floues. Sujet sérieux et pas gai, alors qu’à l’oral d’une estrade ou en commentaire de défilés, hommes et drapeaux, femmes hélant les retours du soldat, imagination qui maintenant est dépassée par les liesses de fin de matches, notamment de foot-ball, tout est puissant, détonnant, collectif. Florilège de souvenirs ou de moments que je n’ai pas vécus, sauf l’acte devenir à une manifestation prévue pour quatorzr heures, place de la Concorde, un jeudi 30 mai. J’y vins en chandail, convaincu qu’on ne serait pas vingt-mille et que les communistes – le camp dogmatiquement adverse – viendrait nous casser la figure. J’écoutais sur image fixe de l’Elysée le discours inattendu dans le fait et dans le contenu du général de Gaulle, puis partis donc en retard, mais j’avais décidé dès le matin ou la veille d’y aller. Forêt de drapeaux et de portraits qui balançait sur ciel bleu entre les monuments gris clairs. Remontée durant plusieurs heures vers l’Arc-de-Triomphe. C’était plus un homme que le pays, que la France, mais cet homme me semblait la France, il faallait le sauver pour qu’elle reste et continue de devenir elle-même. Nous fûmes cet après-midi là des millions à le vouloir, le penser et en vivre, un million sur la chaussée encore pavée, et bien davantage à regarder un peu partout en France et dans le monde.

Affaire de lien entre soi et la France. Ce qui faisait de Gaulle si proche des Français en âme et en intelligence, les plus simples, les plus dépouillées des apprêts de la raison, des habitudes ou de considérations très diverses, c’était l’évidence de ce lien entre lui et la France, ce qui ne voulait rien dire d’automatique dans les votes, mais faisait entendre, croire. Si, quand il parlait, il n’était pas entendu, quelque chose de grave se passait aussitôt avec des conséquences pratiques, politiques, immédiates. Les Français se reconnaissaient ou détestaient un repère. Un de leurs semblables, extraordinairement semblable. « Etes-vous plus Français que lui ? » Vichy légenda ainsi, à l’affiche, un excellent portrait du maréchal Pétain, image prise improviste quand les journalistes furent mis à la porte d’un conseil des ministres, toujours restreint puisque les chambres et salles de l’hôtel du Parc l’imposait autant que l’oreille devenue faible du vainqueur de Verdun et de l’interlocuteur d’Hitler à Montoire. Le fait est qu’il y eût comparaison pendant de longs mois. La France avait deux incarnations, l’Histoire décida moins que des âmes françaises, celles qui avaient voulu l’appel du 18 Juin, l’avaient suscité. Le maréchal et le général étaient des réponses. Les candidats à nos élections présidentielles sont des demandeurs d’emploi – sans doute l’emploi suprême conférant une sorte de sacerdoce pour que le sacré ait son toucher et ses sons pendant un temps assez court, et selon les textes, révocable. Sans doute, les circonstances font saillir des programmes, des personnalités qui départagent. L’union et l’applaudissement sont autant fabriqués que le personnage tricolore. Il n’y a plus d’assimilation et l’image, l’idée de la France éclairent ailleurs et se vivent sans la politique.

Entre Chartres et Rennes, tandis que la Beauce et les sylvestres de la Sarthe, le bocage du Perche défilaient aux fenêtres, que les contrôleurs du T.G.V. dansaient dans le couloir tant le rail depuis Paris est usé, non remplacé, ravaudé, j’écoutais un groupe de jeunes plus exogènes par leur parler que par le port à l’envers des casquettes et l’épaisseur de la semelle de leurs baskets. C’était une langue magnifique et étrange, la plupart des mots appelaient la transposition, sinon la traduction, l’accent surtout était étonnant de cohérence, de sincérité, d’aisance, il n’était pas celui du français convenu de mon enfance, de ma carrière et même de mon village d’adoption en Bretagne. Je reconnaissais des beurs et des enfants d’immigrés venus d’encore au plus sud que de l’autre rive de la Méditerranée. J’écoutais jusqu’à ce que celui qui semblait leur chef vienne s’asseoir à côté de moi comme s’il était fatigué de ce bruit de paroles et d’interjections. A ce que j’avais compris, des impressions s’échangaient, des souvenirs plus tôt, sur le baccalauréat. Ils semblaient tous l’avoir passé et obtenu, je n’ai pas gardé la mémoire de ces souvenirs et impressions mais ce n’étaient ni l’évocation de rencontres féminines, ni l’évaluation des examinateurs, ni même l’anxiété d’une échéance, ce n’était qu’un moment qui leur avait été commun mais qu’ils n’avaient sans doute pas vécu en groupe.

A côté de moi, physique fréquent au Sénégal où j’ai moi-même passé un diplôme d’études supérieures de droit public, logeant successivement chez les Dominicains, sur la corniche avant Fann, puis les Bénédictins de Keur Moussa, avec des allées et venues en s’en fout la mort, des milles kilogs Renault, plus que surchargés de passagers en majorité debout, accrochés et rieurs à la moindre aspétité de la carrosserie bringueballante, peinte de ce que l’on n’appelait pas encore des tags aux murs les plus inatteignables de nos grandes villes. Je lui dis mon admiration, un français sans doiute mais si neuf, si varié, si inventif en vocabulaire, avec un acent, une musique surplombant chacun de ceux qui viennent de province ou qui s’élaboraient à Paris. Le creuset de la langue est à lui, à ses compagnons, et – critère du français – la grammaire est intacte, nos plus grands auteurs, et pas seulement les champions du parler comme Louis Ferdinand Céline et Marguerite Duras, s’y reconnaîtraient. L’esprit est intact, il a été respectueusement accueilli, assimilé. La véhémence s’entend sérieusement, le péremptoire n’est que proposition, les sujets en sont pas minces puisque ce sont les souvenirs d’il y a peu qui introduisent au moment présent et font l’homogénéité du groupe. Je dis tout cela bien plus brièvement que le temps de l’écrire à présent. A ma stupéfaction, mon voisin, nous sommes d’abord dans le sens opposé à la marche du train, mais il se lève pour me faire face et se met en tenue de conversation. Il parle exactement mon français, du moins celui des quartiers policés de Paris ou des étudiants aisés et protégés. Bilinguisme. Les deux français – peut-être celui de demain qui me plaît mais que je ne saurais jamais parler, qui raconte des histoires et dit des émotions fondamentales parce qu’elles sont quotidiennes, pas du tout élucubrées, et celui de mon époque, de mon âge, de ma culture – et nous correspondons sans traduction ni trichement. Aucune approximation. Le français a bien deux versions, également métropolitaines, actuelles.

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