lundi 20 février 2012

gouvernement et responsabilité


Il y a la lettre et il y a l’esprit. La lettre se modifie, la France a souvent changé de régime et, depuis de Gaulle, sans que la lettre ait changé – malgré la tentative de minorer le rôle du Premier ministre qui fit heureusement long feu au début de 2008 – nous avons à nouveau changé de régime. C’est un régime d’irresponsabilité présidentielle, et la coincidence à quelques semaines près, très organisée en même temps que le quinquennat, de l’élection du président et de celle de l’Assemblée nationale, a pratiquement aboli la responsabilité du gouvernement devant le Parlement puisque la majorité est indéfectible, moyennant remontrances et critiques, mais à huis-clos.

Paradoxalement, jamais les citoyens n’ont autant entendu parler de démocratie – irréprochable – et de responsabilité assumée par le principal gouvernant au nom de tous les autres. Pour preuve, avance le président sortant, des nominations soumises à l’assentiment de commissions parlementaires, mais il n’y en a eu aucune. Pour preuve, la présidence de la commission des Finances de chacune des deux chambres concédée à l’opposition, mais cela ne coûte rien puisque c’est la majorité de la commission qui décide finalement, on le voit au Sénat où cette majorité a changé. Pour preuve enfin, le contrôle de la Cour des comptes sur ceux de l’Elysée ce qui ne s’était jamais fait avant l’actuel quinquennat, mais c’est un contrôle de légalité et pas d’opportunité. Le président s’est fait augmenter susbtantiellement son traitement, qui n’est qu’argent de poche, au prétexte – peut-on apprendre selon une biographie de sa future directrice de campagne [1] – que le prédécesseur cumulait son traitement de l’Elysée avec sa retraite, dont il n’est pas précisé si elle était celle de parlementaire ou de … magistrat à la Cour des comptes. Les devis de l’avion de fonction ont été enfoncés, jamais les voyages n’ont été aussi nombreux et coûteux, davantage proportionnellement dans l’hexagone qu’à l’étranger ou outre-mer. Démocratie formelle comme toutes les dictatures savent la pratiquer. Le maniement des contre-pouvoirs que seraient les médias absorbe des budgets de communication aux montants sans précédents et l’endogamie, aujourd’hui régnante, organise entre politique et journalisme le concubinage notoire jusques sur les écrans de télévision. Le système est fermé.


La responsabilité est comprise – dans le système sous lequel nous vivons – comme l’accaparement de la décision, pas du tout comme la soumission constante et par principe à la sanction qui – en démocratie, précisément – est de détrôner le régnant. Nicolas Sarkozy n’a fait qu’ajouter par sa revendication de tout décider sans autre risque que de n’être pas réélu, et s’il ne l’est pas de simplement laisser la place sans discussion d’un quitus ou d’un bilan, à ce qui a commencé sous Jacques Chirac. Ce dernier ne revendiquait que la longévité et pour l’avoir a accepté la réduction de son second mandat, et pourquoi pas, s’il était resté en bonne santé, deun troisième. En faisant décider que pas plus de deux mandats consécutifs ne seront désormais possibles, Nicolas Sarkozy a voulu constitutionnaliser son mot d’esprit – en Janvier 2005 quand commençait la campaagne référendaire sur la Constitution européenne et sa propre brigue – mais s’il est réélu maintenant, il en verra l’inconvénient en ayant pendant cinq ans à arbitrer entre les prétendants, déjà connus ou à venir : autant de courants et de compromis à l’intérieur du parti présidentiel qui n’est plus qu’une machine à élire et dont le contrôle fut décisif dans l’ascension de l’élu de Mai 2007.

Comment se combinent l’exclusivité de la décision, détenue par le président de la République au prétexte qu’il ne peut se dérober à son mandat, et l’absence de possibilité de mettre en jeu la responsabilité sans cesse revendiquée ?

La légalité appelle la contrainte, la sanction, mais elle est le fruit de délibérations, de débats et son écriture comme sa publication sont soumises à des formes. Gouverner – au moins en France – répondu à des sens nombreux, tous nobles mais donnant plus ou moins de champ à celui qui gouverne : exécuter, orienter, décider. Pour un peuple qui dispose d’un Etat – ce n’est pas la chance ou la difficulté de tous – et qui place à la tête de celui-ci un chef ou un président, tout dépend de la manière dont cet ultime mandataire est désigné. L’hérédité oblige aujourd’hui à régner sans gouverner, et à n’exercer d’influence que dans des tête-à-tête dont il n’est pas rendu compte ou dans des circonstances de crise telles qu’une personne physique, désintéressée parce que déjà au sommet de toutes hiérarchies publiques, a le devoir ou reçoit la charge de tout transcender pour tenter de sauver ce qui peut l’être, rendant ensuite aux acteurs du cours normal les jeux et cartes habituels. L’élection au suffrage direct n’implique pas forcément une royauté de quelques années : le président fédéral autrichien n’a pratiquement aucun pouvoir alors que le chancelier, parce qu’à la tête d’une machine de parti dirige une coalition au parlement, en a la plupart selon un contrat de gouvernement ; à l’inverse, le président de l’Etat d’Israël comme celui de la République fédérale d’Allemagne n’est élu que par le parlement, et c’est le Premier ministre en Israël qui est élu directement par le peuple.


La France par la Constitution de 1958 n’a pas opté pour un régime présidentiel qui – l’expérience américaine le montre – est le plus souvent un régime de cohabitation entre des majorités successives mais contraires détenant l’une l’exécutif et l’autre le législatif ; elle l’a pourtant expérimenté déjà trois fois, et il est probable que si le président sortant était réélu en Mai prochain ce ne serait que de justesse et pour sans doute manquer d’avoir la majorité dans la nouvelle Assemblée nationale : quatrième cohabitation donc. Le régime français est celui d’une monarchie temporaire, répondant de l’essentiel, de la continuité de l’Etat, du pays, de la nation, pouvant en appeler au peuple mais ne gouvernant pas lui-même en sorte que le Premier ministre, de son choix mais accepté par le parlement, répond des gestions et du quotidien. Tout cela a été théorisé, expliqué, pratiqué par le général de Gaulle, le décisif étant que le président de la République doit gagner sa propre élection, mais aussi les consultations nationales – referendum, renouvellement de l’Assemblée nationale – sinon il démissionne. C’est la mise en jeu de son mandat, à chaque scrutin national, même s’il n’est pas nommément concerné comme pour son élection ou sa réélection, qui lui donne une majorité au Parlement, qui vérifie celle dont il dispose dans le pays, dans l’esprit et le consentement de ses concitoyens. La question de confiance, posée de son propre chef, est le mécanisme principal de sa responsabilité.

Certes, ce n’est pas écrit mais c’est l’esprit de la Cinquième République.

Aucune décision de fond, aucune crise ne peut être résolue sans le retour au peuple ou son assentiment. C’était la pratique du général de Gaulle. Le mandat présidentiel était plus long, alors, de deux ans que le législatif, le président de la République courait le risque, selon son gouvernement, selon ses arbitrages, voire selon son comportement, son âge-même et sa longévité au pouvoir, de ne plus disposer d’une majorité parlementaire pendant le cours de son propre mandat. Sanction qui n’était pas à sa discrétion. Le referendum d’initiative populaire peut avoir deux acceptions. A la suisse, il fait du peuple le législateur sur des sujets éludés ou redoutés par le gouvernement. Dans une logique, qui devrait être française parce qu’elle prolongerait l’élan constitutionnel de 1958 tel qu’en 1962 il fut confirmé, l’initiative populaire selon que le thème serait ou non du goût du président de la République permettrait la mise en jeu d’un mandat en cours. Ni dans la rédaction de 1958, ni dans celle de 2008 prévoyant ce type de referendum – pas plus qu’à propos du droit de dissolution de l’Assemblée nationale, discrétionnaire du président de la République – il n’est spécifié que ce dernier soit obligé de démissionner s’il est désavoué. Ce fut même l’affirmation de Georges Pompidou – pour se déculpabiliser… que l’homme du 18 Juin n’était nullement obligé de rendre son tablier au soir du 27 Avril 1969. Doctrine personnelle que reprit à son compte Jacques Chirac le 29 Mai 2005 : quoique désavoué personnellement, puisque la convocation du referendum à propos du projet de Constitution européenne était sa décision propre contre l’avis de beaucoup de prophètes et pas seulement sa signature, il se maintint.

Le système non écrit dans lequel nous vivons depuis dix ans est donc celui de l’irresponsabilité, et il semble accepté par tous les acteurs convenus du jeu politique. Chaque année accentue cette irresponsabilité, alors même que gouvernants, élus, et opposants rivalisent d’assurance sur les responsabilités qu’ils prennent, assument et revendiquent. Statut pénal exemptant le président de la République de toutes vraies poursuites et sanctions, sauf un déshonneur qu’on l’encourage de partout à ne pas ressentir : c’est l’apport de Jacques Chirac aux institutions républicaines qui, avant lui, n’en avaient jamais eu besoin. Coincidence à quelques semaines près de l’octroi des mandats présidentiel et législatif, en sorte que la majorité à l’Assemblée nationale peut s’entendre dicter l’exposé des motifs des propositions de loi de l’un quelconque de ses membres, que les débats n’ont plus de sens puisque l’issue est certaine même si les consciences ne le sont pas. Cour des comptes entrée à l’Elysée mais dépenses de candidature et de campagne pour le président sortant aux frais de l’Etat jusqu’à une déclaration de candidature au contenu moins engagé que bien des discours échappant aux décomptes pour l’égalité de présence médiatique.

Surtout, le referendum a été systématiquement éludé pendant l’actuel quinquennat. Eludé pour le nouveau traité de base européen, celui de Lisbonne, alors qu’il se substitue à un texte mort-né, rejeté par referendum, et au traité de Maastricht adopté par referendum. Eludé aussi pour la révision constitutionnelle de l’été de 2008 obtenue à une voix près, le président du Congrès ayant participé au vote ce qui est sans précédent. Eludé pour nos engagements militaires à l’extérieur et pour notre réintégration dans l’O.T.A.N.. Eludé pour le statut de service public de La Poste, emblématique de tous les autres et soi-disant prévu par le traité de Lisonne, à l’initiative de Nicolas Sarkozy. alors qu’une pétition, postérieure à la révision du 23 Juillet 2008, réclame avec le triple des voix requises même si elles n’ont pas régulièrement enregistrées, un referendum précisément. Cette même révision de 2008 revient en sus sur l’engagement pris par Jacques Chirac deux mois avant le referendum sur la constitution européenne de consulter le pays pour toute nouvelle adhésion à l’Union (révision du 1er Mars 2005). Même manière que pour court-circuiter l’initiative populaire : le Parlement, en traitant lui-même le sujet proposé, fait éviter dans les deux cas le referendum, évoqué par les nouveaux textes mais pas de droit. La décisive entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun – qui était une erreur mais sans doute ne pouvait être évitée – ne fut acquise que par referendum, celui de la saint-Georges, 23 Avril 1972.


L’écart – celui de la mauvaise foi – entre les pétitions de contrôle démocratique et la pratique a trouvé son plus bel exemple dans la nomination de François Pérol à la tête du groupe bancaire que, dans des positions tantôt publiques, tantôt privées, il travaillait depuis dix ans à constituer. Et le dévoiement de l’ensemble de nos institutions est éclatant quand on nous laisse prévoir – en cas de réélection du président sortant – un referendum, le premier auquel se prêterait Nicolas Sarkozy, sur les obligations des chômeurs ou sur celles des immigrés – qui contreviendrait dans le fond à nos deux textes fondamentaux : la déclaration de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946. L’esprit d’aujourd’hui – celui d’un seul homme faisant toute l’ambiance depuis cinq ans – serait soi-disant le bon sens populaire, une conception des normes, du bien commun et du salut public dont ne sont juges ni les juridictions ni les électeurs ni les partenaires sociaux ou les associations d’usagers. Au-dessus des lois, au-dessus même de l’opinion générale si les sondages permettre de la connaître, le dire présidentiel fait prime. Il est aussitôt relayés par la hiérarchie du parti majoritaire à l’Assemblée nationale, rivalisant avec le président et avec son ministre de l’Intérieur, pour inventer des thèmes à débattre dont le point commun est d’attiser toutes flammes, de découvrir toutes brèches sous prétexte de clarification, voire de consensus.

L’irresponsabilité aboutit au contraire du gouvernement. L’esprit public devient émollient, comme si le peuple était, lui aussi, irresponsable. Alors que sous les monarchies de nos années révolutionnaires de 1789 à 1870, le chef de l’Etat était fragile, renversé par la rue parisienne ou par l’invasion étrangère, le président de la République, façon Nicolas Sarkozy, n’est déboulonnable qu’au seul terme régulier de son mandat. La tolérance des élites, des principaux partenaires du pouvoir en place, des médias ne donnant jamais à penser que notre régime est d’exception, la résignation générale, notamment à propos de la réforme du régime général des retraites, manifestement mal étudiée et pas du tout concertée, ont fourni pendant cinq ans cette réponse désastreuse. Nettement minoritaire selon les sondages dès le neuvième mois de son mandat et sans discontinuer depuis, le président de la République a eu – dans son dire personnel et par son usurpation de fait du pouvoir législatif – un pouvoir dont n’avait jamais disposé aucun de ses prédécesseurs. A-t-il été pourtant efficace ? A-t-il même décidé [2] ? En apparence, l’échec serait dû à la crise ou à des décisions inadéquates. Ne serait-ce pas plutôt le fait qu’un système enfermant le peuple et les élus dans la seule initiative ou réaction du président de la République, tarit l’imagination collective et l’élan nationale. Le pays se dépossède, il ne secrète plus d’élites et ne s’aime plus lui-même. Il est encouragé à se communautariser et à s’abstenir. Il est désorienté. L’étymologie du mot gouverner, c’est orienter, et la racine du mot responsabilité est bien de répondre de ses actes. La République française, version en cours, ne correspond plus en rien à ce modèle antique rappelé par l’article 2 de notre Constitution : « son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

Le drame de la prochaine élection présidentielle n’est pas dans l’aléa d’un changement ou non de politique économique et sociale, d’une contribution française ou pas aux solutions forcément européennes pour remédier à la crise mondiale, il est dans le referendum qu’elle constitue pour ou contre Nicolas Sarkozy et sa pratique excessive et anormale (François Hollande a raison et la majorité sortante le sait bien qui eût préféré depuis des mois un autre candidat que le président actuel) du pouvoir. La défaite du président sortant risque bien de n’être pas la fin d’une manière autoritaire et exclusive d’exercer les prérogatives du chef de l’Etat. Le successeur en effet sera rendu responsable, dès son premier instant à l’Elysée, de tout le changement attendu. Il lui faudra donc réapprendre la collégialité aux gouvernants, la pratiquer lui-même quoiqu’il y ait à décider. Il lui faudra même contourner le piège qui lui est ultimement tendu par celui qu’il doit battre : bannir, quant à lui, le recours au referendum puisque Nicolas Sarkozy sur sa fin le préconise. Il lui faudra remédier autant à la passivité populaire qu’au détraquement de l’économie et à la mise en cause des fondements sociaux. Tout ce qui fait le dialogue entre le pouvoir et les gouvernés – et qui n’est pas le seul échange d’arguments ou de quolibets entre pouvoir et opposition, jeux de scènes – est donc à retrouver : gouvernement et responsabilité. Qu’est-ce que gouverner ? qu’est-ce que répondre de ses actes de gouvernement ?


[1] - Emmanuelle Mignon, qui en aurait eu l’idée quand elle dirigeait au début de son mandat actuel, le cabinet du président de la République – Figaro-Magazine du samedi 11 Février 2012


[2] - commission pour la libération de la croissance française, présidée par Jacques Attali, 300 décisions pour changer la France (Documentation française & XO éditions … l’éditeur de Nicolas Sarkozy en 2007 . 334 pages . Janvier 2008)

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