Repentances publiques et autres…
Intrusion de beaucoup de sentiments, de sensations, d’objections, de raisonnements. Mise en cause de soi : cas, rare de communion même si elle n’est pas adhésion, où des déclarations publiques d’autorités reconnues et surtout médiatiquement entendues font de l’effet.
Il y a ces grands appels au redressement, au progrès, à la confiance collective qui font les mouvements dans un peuple, dans un ensemble, dans une époque : les grandes religions, leurs fondateurs ou leurs mandataires contemporains, ainsi la geste pendant vingt-cinq ans de Jean Paul II, le cri de Paul VI à l’ONU (plus jamais la guerre) ou certains appels antan à la « guerre sainte » ou à la « croisade », la démarche du Dalaï-Lama … pour la France, les proclamations de l’Empereur débarquant en Mars 1815 ou son ouverture de la campagne d’Italie, le 18-Juin 40… pour un pays qui m’est cher (la Mauritanie), certains appels charismatiques d’un homme qui apparemment n’avait pour en lancer que des qualités intimes. Un mot public qui fait frémir intérieurement chacun… le mot selon le fait : ainsi, pour la France à Bir-Hakeim : la nation tout entière a frémi. Il faut le fait patent, il faut le mot juste : le simple vêcu, quand le faux est impossible et que l’indicible, miuraculeusement, trouve une expression.
Cette « technique » que l’Histoire donne à improviser par une grâce mystérieuse dont quelques-uns sont investis pour leur époque et pour leur peuple, et donc pour le monde, toujours sensible à l’exemple – il est possible que soit aussi de cet ordre prophétique l’évangile marxiste, aujourd’hui sous le boisseau alors que jamais, depuis sa proclamation et ses premières mises en pratique, il n’a autant répondu de ce dont l’économie et l’homme souffrent également, chacun : doctrine, dogmes, âmes et chairs, dévoyés par le cynisme de quelques-uns, la tolérance et le découragement du plus grand nombre – cette « technique » et cette investiture d’une certaine mission sont depuis quelques décennies employées dans d’autres circonstances. Dévoyées si souvent.
Pas d’impératif biologique ni historique, pas de spontanéité, mais une manière de faire de la politique et de contribuer soi-même à l’image de soi ou de ce que l’on représente, à tort ou à raison, légitimement ou pas. La repentance, les excuses, les regrets exprimés publiquement en des lieux choisis, pour un public visé, selon un parterre assemblé ou supposé. L’élection de Barack Obama a son authenticité plus dans la votation populaire que dans le candidat s’il s’agit de relire le passé pour relancer l’avenir. Naguère, la repentance, et encore aujourd’hui en certains cas, était imposée : le tribut de guerre, la clause de responsabilité dans un traité, le diktat de Versailles, les tribunaux internationaux érigés par les vainqueurs à Nuremberg et à Tokyo avec l’émergence des concepts (devenant aussitôt opérationnels) de crimes de guerre, puis (engendrant des lois rétroactives) de crimes contre l’humanité avec des juridictions occasionnelles encore ou permanentes, elles-mêmes produisant des comportements divers, tel Etat s’en exonérant (les Etats-Unis vis-à-vis de la Cour pénale internationale), tel poursuivi restant à l’air censément libre de relations inter-étatiques normales (le Soudanais El-Béchir).
La repentance de nouveau type – celle d’héritiers supposés mais lointains juridiquement ou chronologiquement, le pape Jean Paul II pour l’Inquisition, le président de la République française pour les rafles du Vel-d’Hiv. et le sort des Juifs français sous l’Occupation allemande, le monde entier pour la shoah (puisque les Tziganes n’ont pas de représentation et encore moins d’Etat résurgent) – a pour traits essentiels : un discours public et un accusé de réception public.
J’ai tellement le sentiment que cela est faux, improductif aussi bien pour ceux qui ont du deuil, encore, à accomplir, fut-il transgénérationnel et de racines millénaires, que pour ceux qui se flagellent.
Y réfléchir donc. L’exercice est difficile car trop se presse et ne fait pas gerbe. Déblayons d’abord.
Origine ou pas de la parole publique de repentance, au nom censément des boureaux, mais pas du fait des bourreaux – morts ou exécutés depuis longtemps. Il n’y pas eu à ma connaissance de repentance à Nuremberg, mais des explications ou des mises en perspectives (Goering verbalement et brillamment, Speer à longueur d’écrits passionnants) ni à Tokyo, et le concept de crime contre l’humanité n’apparaissait pas encore : les camps de la mort ne furent pas le centre de ces procès, le sort des Juifs n’a pas été le motif de la condamnation du maréchal Pétain ni de Pierre Laval. Fauteurs de guerre ou trahison, c’était la dialectique de l’époque. Origine dans le cri des victimes ? non, elles sont – précisément et dramatiquement mortes : les huit cent mille morts du génocide rwandais, le million et demi d’Arméniens en 1915 massacrés, têtes alignées sur des étagères… les six millions de la shoah. Origine bien plus permanente et qui me touche davantage car ma génération y peut quelque chose, dans sa structure mentale, dans la lecture qu’elle fait de son passé à connaître ou mieux à reconnaître, au sens d’assumer et au sens de connaître d’une manière nouvelle : les blessés d’âme par l’histoire contemporaine, les victimes du mépris ou de l’erreur. Bien entendu, toutes les erreurs judiciaires individuelles, tous les abus d’une justice qui a été mal administrée. Des histoires nationales en basculent : l’affaire Dreyfus, peut-être le bâclé de certains procès de Vichy et certainement beaucoup de ceux de l’ « épuration » (ancêtre dans le vocabulaire sinistre qui a eu l’application ethnique à quelques quarts d’heure d’avion de tourisme, de chez nous : la Yougoslavie). Mais collectivement, le colonialisme et ses diverses voies dans le carnage des consciences individuelles et collectives. Le mal-être d’une conscience colonisée type voudrait produire une dislocation de l’orgueil du colonisateur. Les ambivalences des décolonisations sanctionnées censément par l’indépendance politique : des décennies d’effusion de sang et de dictature (la Guinée capitale Conakry, éphémérides toujours pas conclus) ou des mascarades héréditaires (Syrie, Togo, Gabon, bientôt Sénégal, Libye, Egypte) qui cependant méritent analyses : elles ont leur fondement comme les travestis de scrutin dans tant d’Etats restés débutants en démocratie, version « moderne », alors que leur sociologie traditionnelle les avaient formés à d’autres modes. Ambivalences plaisant tant aux manipulateurs d’aujourd’hui, masqués alors que le colonisateur autrefois s’avouait et se glorifiait.
Je dégage donc une quantité de faits mentaux, d’immoralité dans la relation entre peuples, les uns dotés de la force et produisant, de force, un droit applicable à d’autres peuples, et les autres subissant le fait accompli, s’y ralliant parfois pour plusieurs générations, et souffrant d’âme encore davantage, faute d’exutoire et d’expression. La colonisation, illégitime dans son principe mais pourtant vêcue dans des quotidiens et selon des relations humaines pas tous ni univoquement détestables. Le débat en France sur l’article 9 d’une loi vite oubliée et qui proclama à la sauvette « les aspects positifs de la colonisation ». L’âme française en sait quelque chose puisque son tréfonds est mixte (sinon métis) : il est gallo-romain, la colonisation romaine… et que de là se sont faits, par vagues successives et de couleurs et accents si divers, encore en cours, la nationalité française, et l’esprit français. Toute nationalité est d’abord une construction spirituelle, et le maintien d’une volonté pour cette construction. Son antithèse est évidemment le communautarisme, les garanties ou représentations aux quotas de toute minorité ou de toute section. Les droits de l’homme – organisés, sanctionnés – donnent la seule piste pour les entententes entre peuples de même Etat par force de la géographie et de l’histoire (ainsi la coexistence de deux Etats ennemis en Palestine, au sens géographique originel, ne fait qu’attiser les inimitiés ethniques et religieuses, alors qu’un Etat unitaire garantissant les droits et surtout la dignité égale de chacun des israëliens et palestiniens, est la seule voie de solution à terme). Chaque peuple constitué en Etat peut et doit « revisiter », ré-enseigner sa mémoire collective et ses racines de diversité pour reconnaître qu’il est d’abord esprit et volonté, et non pas fait biologique et matériel. Ce pays qui m’est cher et peut faire souvent – ici – parabole : la Mauritanie, le montre excellemment. Ses diverses composantes sociales et ethniques le désignent à la dislocation et au partage, mais le consensus et désormais le legs suscités par l’un des siens – providentiel et génial dans son humilité et ses certitudes – survivent aux drames que cet homme d’Etat sut faire surmonter à ses compatriotes tant qu’il fut à la tête du pays, et survivent depuis son renversement il y a plus de trente ans à autant d’années de dictature, sauf brève parenthèses dont très peu de Mauritaniens surent la fragilité alors que la plupart en abusèrent. France comme tout pays aujourd’hui, si fragile d’avenir si celui-ci doit n’être que matériel et géré, « gestionné ».
Voici le matériau : des peuples, des Etats, des événements. En regard, de la parole. Le contraste d’ailleurs est ainsi patent. La parole pour corriger ou effacer des faits. Du présent pour rectifier le passé. Dialoguer avec qui et de qui obtenir le pardon ? et quel parterre ? des tiers qui contemplent, s’ils n’en sont pas distraits par leurs propres affaires, la France s’accroupir à propos d’une osmose qui fut parfois si proche de se faire entre elle et l’Algérie, entre les deux rives de la Méidterranée, la France et le Rwanda à n’en plus finir entre ventes d’armes, descente d’avion à la James Bond, camions bâchés pour emmener les uns à l’hôpital et les autres à leur cachette ?
Je déteste les lettres sous la dictée et ceux qui se font honneur de proclamer une honte qu’ils ne ressentent pas intimement : Bernard Kouchner et son propos écrit à l’homologue algérien sur la colonisation. Je hais ces clichés montrant des chefs d’Etat se tenant la main mais les épaules et la tête les plus éloignés possible l’un de l’autre, ne s’entre-regardant pas et tout pour la photo., les yeux figés et menteurs : Kagamé et Sarkozy. Naguère, aux époques monarchiques, un mariage entre maisons régnantes ou l’entrevue de plusieurs empereurs, une ou deux fois par siècle, signifiaient aux peuples une alliance et la paix. Aujourd’hui, les sommets foisonnent tellement que c’est devenu la plaine banale et quotidienne. J’ai aimé la soudaineté de cette approche du général de Gaulle à la rencontre du chancelier Adenauer pour l’embrasser alors que la plume de chacun roulait encore au bas du traité franco-allemand : chacun saisi. J’ai aimé la main de François Mitterrand tâtonnant à la recherche de celle de l’énorme Helmut Kohl, puis leur figé commun à Verdun. Margaret Thatcher put ricaner (« le caniche ») mais la France avais su – dans l’affaire des Malouines – seule, se porter garante du droit britannique, que dénia manifestement l’Amérique héritière de la doctrine de Monroë. Et il y eut de Gaulle, croyant sur parole Kennedy à propos des installations soviétiques en train de se faire à Cuba, comme il y eut aussitôt le concours de la monnaie américaine au franc français à l’automne de 1968, malgré toute la guerre prétendue du Général contre le dollar, et alors que l’Allemagne de Strauss, ministre des Finances, s’était cruellement (et joyeusement) dérobée.
Voilà donc.
Algérie : quelque chose de français s’est manqué, en 1920 ? en 1947 ? Il manqua un fondement. Se surajoutèrent la bêtise d’un Etat, l’aveuglement des politiques raisonnant en métropolitains supérieurs, les comportements de tant de colons. Une complexité qui avait pu se résoudre dans les annexions et immersions par continuité territoriale et que ne surent pas résoudre la continuité historique et le sang versé ensemble dans les deux guerres mondiales. Crimes français, crimes algériens. Abus de la force quand Alger est prise en Juillet 1830 (le coup d’éventail du Dey) et quand une guerre de conquêtes est menée pendant des décennies. Grandeur d’Abdel Kader, militaire, politique, spirituelle. Grandeur aussi des dialogues Ferhat Abbas – de Gaulle. Lamentables successivités de ce qu’il se passe – officiellement aujourd’hui – entre les deux Etats alors que les deux peuples sont en communion d’obligation mais aussi de dilection. Illégitimité initiale de toute conquête, celle de l’Algérie, celle de l’Afrique subsaharienne, illégitimité permanente de toute entreprise d’acculturation y compris au sein d’un pays comme le nôtre, à nous Français. Mais lâcheté et pis… que ce que nous avons infligé aux harkis (témoignage que je crois utile pour la mémoire, du général Aussarès : ne lire celui-ci que selon le cynisme, c’est se donner bonne conscience et amnésie, alors que Mendès France sut démissionner du gouvernement de Guy Mollet quand il apprit ces pratiques). Lâcheté et profonde erreur politique que ne pas accompagner, défendre et illustrer à la suite du général de Gaulle, la spécificité française au Canada, au Québec naturellement, mais dans presque toutes les autres provinces : François Fillon presque dans le sillage, Nicolas Sarkozy à contre-courant.
Réclamer des excuses ou un monument scripturaire français est, de la part d’officiels algériens, à commencer par le premier d’entre eux à la carrière et aux élections si ambivalentes, une erreur plus encore sur soi que sur la France. Cela ne permet aucune identification de l’Histoire et c’est gros de quantités de mutilations. Alors que – malgré tous ses défauts en chacun de ses nationaux « de souche » et malgré la grossièreté du traitement depuis des années des sans-papiers et des nouveaux arrivants – la France est une évidente chance pour l’Algérie : avoir en Europe et sur le marché, dans l’intelligence de l’Europe un répondant dans lequel l’Islam, l’arabisme, la berbérité, le sahara, depuis trois quarts de siècle au moins, enrichissent notre identité de pays d’accueil. Fournir des excuses, faire se renier la France mot à mot, , dans un contexte répressif manifeste en France et électoral en Algérie, est une erreur encore plus grande. La réponse de l’Histoire sera le mépris de nous. La frustration, la recherche d’identité autant que la combinaison électoraliste peuvent expliquer les exigences algériennes. Mais leur donner satisfaction en parole, c’est verser dans le tonneau des Danaïdes, ne produire aucun bien vrai pour l’âme algérienne et parler faux. D’ailleurs, très peu de personnages – en existent-ils encore historiquement – pourraient avoir l’autorité morale pour dire quelque chose, là-dessus. De Gaulle s’en garda. Tout simplement parce que tant bien que mal, et souvent en homme seul, il avait fait ce qu’il avait pu : décoloniser, ce qui n’avait aucun lien avec la colonisation, ce qui était d’intérêt français et ce qui était d’une juste intelligence de l’Algérie. Faire ce que l’on peut, plutôt que parler.
Les politiques français d’aujourd’hui n’ont pas qualité pour exprimer les Français, les politiques, les militaires d’autrefois, leurs raisons, leurs erreurs, leurs péchés, leurs grandeurs. Ils ne peuvent savoir, et ne sont pas davantage crédible car leur dire n’est pas indépendant de celui qui leur réclame et veut l’entendre d’eux, pour qu’ils plient, non pour qu’ils fassent la rencontre. Notre attitude à nous, Français d’aujourd’hui, consiste tout simplement à ne pas commettre ce qui se révèlerait à la génération suivante, tout à fait analogue. En gros, toute la question de la Françafrique. S’excuser pour le passé, et – par d’autres moyens, dans un autre contexte – faire au présent et organiser le futur proche, d’une manière encore plus illégitime et surtout vicieuse ? Conquête naguère, domination ensuite, mais aujourd’hui aussi bien ces repentances et excuses, que le concours apporté aux perpétuations de dictatures ou à leur installation (la Mauritanie en étant un exemple patent ces vingt derniers mois) sont des immixtions et des dénis d’indépendance, probablement pires. Naguère, le contexte universel, stratégique et mental, a été à la colonisation et à ces « expansions territoriales » : chaque conduite nationale s’inscrivait dans un ensemble apparemment sans alternative. Aujourd’hui, l’alternative est claire, l’ambiance est autre, il y a les déclarations des droits de l’homme, les résolutions pertinentes des Nations Unies, des traités enregistrant des convictions et des valeurs communes : la France va contre le courant, contre la morale, contre son image ancestrale (et contre ses intérêts) dans beaucoup d’Etats qui lui restent liés – légitimement – mais qui doivent lui être chers tout autrement.
La déviance française tient à deux éléments.
La motivation électoraliste de certaines politiques de répression et de repentance. Les voix qu’on croit acquérir des Français juifs en leur promettant, en campagne présidentielle de 1995, ce discours dans lequel Jacques Chirac impliqua la République dans la rafle du Vel d’hiv. – alors que Valéry Giscard d’Estaing s’était bien gardé en 1974 de s’aliéner les Français catholiques et de manquer leurs voix, en évoquant son projet de légalisation de l’avortement (ce projet était déjà présenté par Jean Taittinger, garde des Sceaux, sous Georges Pompidou et Pierre Messmer). Alors qu’à propos des responsabilités de Vichy – à examiner et détailler de près, selon la chaîne de commandement et de décision politiques – depuis de Gaulle jusqu’à François Mitterrand, la doctrine et le fait français étaient restés intangibles : la République n’était pas, la France non plus, dans le territoire occupé ni à Vichy. Ce travers électoraliste polluant les décisions et comportements de gouvernements censément revêtus d’indépendance et d’autorité (les institutions de la Cinquième République et la docilité de la majorité parlementaire) est aujourd’hui doublé par l’inculture à la tête de l’Etat. Jacques Chirac fait reprendre les essais nucléaires français dans l’atmosphère le jour anniversaire (le cinquantième) d’Hiroshima : un chef d’œuvre ! Nicolas Sarkozy pense séduire les Africains et les pénétrer d’âme, d’une certaine manière : inaugurer un nouveau cours, résolument post-colonial et fraternel, en lisant à Dakar le texte d’un tiers dont il n’a aucun élément personnel pour l’apprécier, le critiquer et éventuellement le ré-improviser tout autrement (il a découvert le papier en voiture, dans le quart d’heure précédant sa harangue… au contraire Michel Jobert, devant reconnaître ou pas le processus d’Helsinki en 1973, de dégel Est-Ouest mais à quel prix ou pour quelles conséquences ? froisse ce qu’ont préparé par ses services, et écrit comme s’il parlait à sa concierge. La continuité gaullienne, à ce propos et, en tant d’autres, est trouvée. Mais il y faut l’esprit…).
Le Rwanda… une commission parlementaire extraordinairement tenace, perspicace, motivée, sachant sa compétence morale – immense – et juridictionnelle – nulle et interdite – rend son travail. Il apparaît, encore aujourd’hui, selon Amnesty international que la faute française fut de ne pas écouter les avertissements de ses propres représentants sur place, que les ventes d’armes étaient moralement plus qu’imprudentes même si elles furent lucratives et que l’action fut tardive. Mais il reste que la France fut seule dans le bain (de boue et de sang) pour tenter de l’empêcher, il reste que ceux qui veulent des excuses pour huit cent mille morts sont – quant à eux – directement ou indirectement coupables de cinq millions de morts chez le voisin congolais, si convoité et si peu respecté. Il est clair… que nous n’avons pas été clairs. Ambassadeur de France au Kazakhstan, je suis inondé dès avant ma prise de fonctions, puis ensuite – sous timbre secret défense – de télégrammes à propos du Rwanda et de notre action là-bas. Je vois mal le lien avec l’Asie centrale et l’ouverture, dans des conditions de dénuement inadmissibles, d’une ambassade dans un pays dont nous ne savons initialement à peu près rien : dispersion ? A la seconde des réunions annuelles d’ambassadeurs, réunis à l’Elysée, je m’étonne que le Rwanda tienne la moitié du temps de l’exhortation présidentielle, je la filme en video. ce qui est interdit, mais la sécurité connaît ma proximité avec le président de la République et d’ailleurs c’est l’image et la voix de celui qui va nous quitter, que je veux retenir, son propos m’est égal. Donc, une insistance officielle sur le sujet manifestant du malaise.
Un travail parlementaire d’une qualité rare, mais méconnu par le président d’aujourd’hui – aussi carrément et légèrement que le ministre des Affaires étrangères d’aujourd’hui ignore la complexité de l’interpénétration franco-algérienne pendant un siècle et demi, et plus encore maintenant (franco-maghrébine quand on sait combien le Maroc nous importa économiquement et stratégiquement pendant le protectorat, que s’y réfugia, un peu retour d’exil déjà, feu le comte de Paris, qu’y naquit notre Michel Jobert entre autres, … quand on sait combien de politiques français décisifs jusqu’à maintenant sont nés ou se sont formés en Tunisie…), ces deux repentances de la semaine manquent de fond. Du coup, leurs motifs et leur sincérité (éventuelle…) ne peuvent être perçus ni par les Français, ni par les Algériens, ni par les Rwandais. Plutôt qu’un devoir, un travail… de mémoire (expression juste d’un consultant d’Amnesty, avant-hier soir en chaîne de télévision parlementaire française. Un travail forcément commun, plurinational, pluridisciplinaire débouchant sur des enseignements scolaires et sur un enrichissement du civisme dans chacun des Etats, pas en formules creuses ou en affichages qui ne font plaisir qu’aux afficheurs. Mais en vie. Rien d’imposé mais des cadres invitant, permettant ces suppléments de culture, de connaissance, de conscience, et à terme de fraternité. Pas facile… chacun des grands Etats actuellement a ce genre de responsabilité à assumer – non du passé qui ne changera pas et qu’on connaît le plus souvent bien mal, si proche soit-il encore chronologiquement – mais du travail à faire et de l’exemplarité à reconquérir, à enfin pratiquer. L’Allemagne de 1945 et depuis, a su bâtir quelque chose, non sans un immense mérite, alors qu’Helmut Kohl, mal accompagné par François Mitterrand et prêtant à des interprétations multiples de ses propos et de ses comportements dans les mois décisifs de 1990, ne fut finalement sauvé que par cette étrange force que peut être l’Histoire quand elle se partage entre plusieurs Etats et hommes d’Etat. De justesse, car le chancelier refusa d’inscrire dans la Constitution allemande quelque reconnaissance d’un droit des victimes du nazisme a être indemnisées et même honorées, qu’il hésita sur la frontière orientale de son pays (et de son peuple) et faillit se tromper sur ce qu’il a laissé au total et, si heureusement, légué à la mémoire nationale et européenne. Le parterre put applaudir, soulagé. Que voit-il, que pense-t-il des dirigeants français en ce moment ? Quel apport de Bernard Kouchner et de Nicolas Sarkozy aux relations internationales et au rôle que la France peut y jouer, qu’on a attendu d’elle et qu’elle joua naguère ?
C’est malsain pour l’esprit national. De telles repentances : du discours de Jacques Chirac en Juillet 1995 – amalgamant la République à Vichy et niant donc la Résistance et le 18-Juin, ce que dénoncèrent ses deux anciens mentors, Marie-France Garaud et Pierre Juillet – au discours de Dakar en Juillet 2007comme aux fautes de fond et de grammaire à Kigali, il y a trois jours : ce qui s’est passé ici est inacceptable (pour : ce qu’il s’est passé, et qui donc a accepté ?), ne font pas réfléchir sur le passé et distraient du présent.
Sous sa direction actuelle, la France pratique le contraire ce qu’il est dit d’elle. Une démocratie exemplaire et irréprochable ? alors que nous vivons une concentration et une irresponsabilité du pouvoir politique sans précédent en France par temps de paix. Entendre Ali Bongo « enterrer la Françafrique » … comme avoir entendu Nicolas Sarkozy féliciter son homologue nigérien en Mars 2009 de respecter sa Constitution limitant à deux mandats consécutifs l’exercice de la fonction présidentielle… vivre la dénaturation des relations franco-marocaines qui ne sont plus qu’hôtelières pour personnalités autrefois tropéziennes … En revanche, les ajustements mensuels de la législation répressive, la main-mise sur le système judiciaire aussi bien en éloignant physiquement les justiciables de leurs tribunaux délocalisés qu’en changeant les statuts de certains magistrats (malgré l’évaluation si négative de la Cour européenne des droits de l’homme), les chemins de croix pour les régularisatiuons, les reconduites à la frontière, les internements administratifs. La perversion des fonctions policières imposée par des ministres rompant avec la tradition républicaine. L’esprit est le même, des repentances sans âme et du déni de démocratie en tout. Et la France ose donner des leçons de démocratie à certains pays – en général, mais jamais en particulier. Les répliques du tac-au-tac du genre de celles de Khadafi en Octobre 2007 – qu’on l’aime ou pas – ne manqueraient pas. Le financement de certaines campagnes électorales françaises par le pétrole irakien ou par des rétro-commissions sur commandes militaires pakistanaises, ne permet pas non plus des leçons d’exemple. De repentances publiques : aucune sur aucun de ces sujets ; au contraire, notre persévérance dans tous les domaines du cynisme.
Une parole publique – surtout si elle est de commande et de circonstances : Algérie, Rwanda – ne vaut que dite par quelqu’un et par quelqu’un d’exemplaire, aux antécédents constatés d’honnêteté intellectuelle et de constance politique. Quand elle doit passer pour celle d’un pays, d’un peuple, d’un Etat, quand elle implique une pensée et un comportement de beaucoup à modifier, il faut que cette parole ait été précédée de forts exercices nationaux de retour aux sources. La maïeutique gaullienne, la pédagogie mendèsiste, l’énergie clemenciste, la remise en ordre napoléonienne. La faute majeure du quinquennat en cours – outre notre consentement à ce que le mandat présidentiel ait été abrégé et que la prérogative présidentielle ne soit plus sanctionnée par sa responsabilité populaire (démissionner quand la dissolution ne produit pas la majorité parlementaire souhaitée, démissionnaire quand le referendum est négatif) – est bien de faire croire aux Français que tout a commencé, y compris notre libre examen et la chasse aux tabous il y a seulement trente-deux mois, et qu’un seul homme est apte à nous faire réfléchir et changer. Ni la démocratie ni l’histoire… ne nous sont plus présents. Or, c’est celui-là qui parle. Rupture avec lui-même ?
Conclusions.
1° de repentance que pour les effets de nos comportements contemporains et à charge pour nous d’éradiquer en nous et chez nous ce qu’à l’expérience du passé, nous sommes capables, tristement, par omission ou activement, de faire ou laisser faire.
Dans l’espèce algérienne – l’intégration, manquée par racisme ou égoisme, doit nous enseigner que sur notre propre sol, les racines de ce racisme et de cet égoisme survivent tellement qu’une politique d’Etat peut se fonder là-dessus de manière à conforter électoralement ceux qui la décident. Cette éradication faite ou pourchassée, nous pourrons alors réfléchir sereinement et légitimement sur l’immigrationn, l’accueil, l’asile politique, les flux de main d’œuvre, les rassemblements familiaux, les mixités multiples de couple et de convivialité. Qualifier rétrospectivement – et sans frais de part et d’autres – le système politique et économique d’antan évacue les questions difficiles d’aujourd’hui, voire les éphémérides qui ne nous grandissent pas : les réactions irréfléchies au referendum suisse sur les minarets ou l’invincibilité électorale apparente du président de la région Languedoc-Roussillon.
Dans l’espèce rwandaise – la liaison pratique entre le terrain, connu par nos diplomates et par nos militaires, et les instances de délibération et de décision à Paris. J’ai vêcu, à titre personnel, en arpentant la Yougoslavie au début de la guerre qui porte son nom, et qui n’est pas lointaine dans le temps, et en rencontrant des dirigeants de toutes les indépendances émergentes, le refus de voir, notamment au Quai d’Orsay. Aveuglement ? non : volonté.
2° du passé, les leçons humaines, mais de condamnations que selon des juridictions établies. Encouragement donc à un ordre international moral sans cesse à perfectionner puisque la criminalité des groupes ou à caractère étatique se perfectionne techniquement avec constance. Un ordre qui dépend d’une gouvernance mondiale encore à vraiment ériger et d’une démocratie délibérative mondiale à totalement inventer. Les sanctions et recours à la force prévus par la Charte des Nations Unies et l’organigramme des traités inter-étatiques qui devraient tous se référer à cette société mondiale, auraient une légitimité qu’actuellement beaucoup d’actions internationales – même et surtout en coalition n’ont pas (évidence irakienne). La lumière sur le fond et la pression sur les dirigeants ne peuvent venir que d’une conscience universelle – latente – mais qui n’a pas son expression tant le peuple mondial et tant les peuples nationaux sont peu sollicités et peu écoutés par des gouvernants qui préfèrent de beaucoup les sondages, les audits et leur propre perpétuation … ces embrassades entre professionnels de la chefferie des Etats…. Leur autojustification. La communauté des chefs d’Etat, de gouvernement, de grandes entreprises ou banques, le club de Davos, la « trilatérale » antan, les commentateurs et éditorialistes en vue d’un côté ou d’un bord, et de l’autre les peuples, tant de personnes qui ne sont considérés qu’en statistiques. Celle déjà des massacrés. Je préfère l’ancienne expression des XVIIIème et XIXème siècles : conscience universelle, à celle d’aujourd’hui : communauté internationale. Cette dernière – expérience des vingt dernières années depuis que la chance ouverte à tous par la « chute du mur » et l’implosion soviétique – est une litote pour la formule : tous contre un (la Serbie, l’Irak…), c’est plus efficace. Les grandes autorités religieuses, à commencer par le Vatican ne savent pas se coaliser pour crier la morale et le droit, d’une même voix quoique chacune dans sa langue et selon son savoir de l’être humain ; elles sont trop complaisantes, en Islam vis-à-vis des dictatures, en chrétienté (Benoît XVI vis-à-vis de Nicolas Sarkozy) pour tant de cynisme, d’attentat à la morale familiale et à la dignité de l’homme.
3° nous ne sommes coupables que du présent, nous ne répondons que de nos dettes, mais – au présent – nous avons à évaluer le passé, à y discerner pas tant la turpitude ou l’erreur que ce qui annonce déjà la conscience morale, et – le cas échéant – à honorer et promouvoir les gens d’honneur et de discernement qui surent crier ces annonces. En politique, exemplairement, de Gaulle en Juin 1940 et en Juin 1967. Face au nazisme, Edith Stein, maintenant célèbre et canonisée à juste titre, mais les travaux décisifs pour une identification juridique et sociologique de René Capitant. Coincidence, la première : contemplative d’exception, le second : chantre de l’association capital-travail et en fait de l’abolition du salariat. Ces associations aujourd’hui de solidarité avec les sans-papiers et celle qui défend, pour son efficacité, unicité et exclusivité en matière de camps de rétention, sauvent l’honneur français, comme aux premières heures de l’Occupation, il y eût chez nous ceux qui prirent date.
Plutôt qu’un échange de lettres entre ministres français et algérien, j’aurai préféré un dialogue dans le secret et l’amitié de ces deux hommes pendant quelques jours, pourquoi pas à Tibeïrine, si l’on cherche à frapper les imaginations. Ce genre de silence et de non-communiqué eût parlé. Plutôt que quelques minutes devant des photos. ou des monuments à la mémoire statistique des victimes, j’aurai aimé des conversations, avec seulement un preneur de notes entre les deux chefs d’Etat, préparant pour toute la communauté des Grands Lacs une rencontre avec les autres, afin de trouver ensemble quelque chose… qui soit développement, sécurité, investissement : détente, entente et coopération selon le prophète français.
Avec mon attaché militaire, nous érigeâmes dans la steppe kazakhe en plein cimetière de goulag, au sud de Karaganda, un 8 Mai 1994 [1], une stèle à la mémoire de 135 « malgré-nous » : « à ceux de ses fils, morts si loin d’elle, la France dit qu’elle ne les oublie pas ». Le monument fut jugé politiquement incorrect par un de mes très lointains successeurs ; comme le président de la République allait venir en visite officielle, cest-à-dire quelques heures le temps de la photo, des commandes à grands contrats et d’une conférence de presse, je sécurisai le mémorial en publiant les listes de nos compatriotes – telles que j’avais pu en avoir connaissance et les photos. de cet hommage – dans le premier journal quotidien d’Alsace. Ils sont désormais –mémoire et monument – intouchables. Mes instructions stipulaient pourtant de cultiver les lieux de mémoire : l’initiative dont j’avais à plusieurs reprises mois et semaines à l’avance, mes autorités parisiennes, me fut reproché avec insistance et négativement porté à mon dossier (déjà lourd). Quant aux frais avancés par mon ami et par moi, ils sont restés de notre poche… – pour l’honneur, c’est peu déboursé : nous avons représenté la France et non le ministère des Affaires étrangères, rédacteur numéro tant pour signature d’un hiérarque du moment.
Application… à ce pays qui m’est cher. Elle vaut conclusions de portée plus générale que les éphémérides français.
Deux taches intensément sombres et sanglantes dans le passé récent de la République Islamique de Mauritanie. Des massacres, sans procès, à l’insu-même du conseil des ministres, de militaires d’une ethnie par d’autres sur ordre d’une autre ethnie. Liste et matricules sont connus. Plus emblématiques encore : les pendaisons, pour le trentième anniversaire de l’indépendance nationale, de quelques-uns de ces compatriotes originaires de la vallée du Fleuve. Le père-fondateur ne disait jamais, n’eût pas même conçu : nnégrio-africains ou négro-mauritaniens. Des mouroirs dans un fortin dont précisément Moktar Ould Daddah inaugura la fonction carcérale : Oualata, aux confins orientaux du pays. Des pogroms de part et d’autre du fleuve Sénégal au printemps de 1989 en sorte que des migrations et des déportations forcées, avec les spoliations qui vont avec, furent pratiquées après de féroces chasses à l’homme à Nouakchott et à Nouadhibou. Les réfugiés et le passif humanitaire, thème pendant depuis 1991, à la charge d’un militaire qui a participé au pouvoir dès le premier putsch – celui de 1978 – puis l’a exercé sans partage de la fin de 1984 à l’été de 2005. Election de celui-ci, truquée un an après le discours mitterrandien de La Baule (en fait, inspiré par l’Abbé Pierre, lui-même averti par le principal opposant guinéen) et félicitations par le président de la République française. Venue officielle de Jacques Chirac accompagné d’Hubert Védrine et surtout de Pierre Messmer – un ancien du « Territoire », quelques semaines avant une réélection boycottée à l’automne de 1997 par toute l’opposition mauritanienne. Quant au soutien de l’Elysée – contre le Quai d’Orsay et l’Union européenne – accordé selon des introductions vénales, au putschiste de 2008, il est connu.
Les Mauritaniens – qui, malgré leurs dictatures successives, restent tellement en paix entre eux qu’un ancien esclave affranchi eut des chances d’être élu président de leur République en Juillet dernier – ont à traiter ces deux plaies. Cas exemplaire où les coupables ne sont pas une collectivité étrangère en condamnant ou en excusant une autre, ne sont pas des personnes aussi mortes que leurs victimes : ces coupables peuvent se trouver, s’extrader, s’eexpliquer, être condamnées. Il se trouve que le putschiste légitimé par un scrutin dont la communauté internationale se contente plus que les électeurs nationaux, a été de la mouvance de ces coupables, sinon coupable direct. Les investigations peuvent donc être mouvementées et veillées par lui, en parfaite connaissance de cause. Cela pour le passif humanitaire. Quant à la question des réfugiés, ce ne sont évidemment pas les pustchistes de 2005 – rouvrant un espace à la légitimité – ou de 2008 – le fermant – qui peuvent y répondre. Précisément, le président élu démocratiquement en Mars 2007 avait convenu de tout avec le Sénégal et avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Il n’y a plus qu’à faire, ce qui était commencé.
Les deux drames se traitent en droit et en fait. Ils sont le vrai travail d’une mémoire qui dirige les consciences, qui a le pas sur les gouvernements et leur successivité. Critère de maturité nationale.
Transposons : le Darfour, la Birmanie … par exemple… les génocides en Yougoslavie, si ce doit être autre chose qu’une traque de quelques-uns, presque romanesque… en Amérique latine, si ce doit être autre chose que l’attribution d’un prix Nobel à la militante infatigable… sœur de la Birmane, et toutes deux à rejoindre par l’admirable ouïgoure. Bien entendu, cette Chine, tant redoutée que chacun la pelote, ne serait pas en 2010 à tenir par son grand marché de consommateurs la planète en haleine, pour impunément, à l’instar des Etats-Unis, se faire ses stocks stratégiques de matières premières, si les Jeux Olympiques à Pékin, avaient été boycottés. Le Tibet et l’honneur de notre génération y auraient gagné. La France de Bernard Kouchner, signataire de la lettre algérienne, et de Nicolas Sarkozy, le repentant de Kigali, se sont fendus d’un communiqué franco-chinois à l’automne dernier interdisant à l’avance à Paris de toute reconnaissance d’une déclaration tibétaine indépendantiste.
Car la différence entre la repentance de Jean Paul II – à propos de l’Inquisition – et celles des actuels dirigeants français – à Kigali, Alger ou ailleurs, c’est que le pape polonais faisait intimement sien ce qu’il disait : cela crevait les yeux, les tympans, le coeur. Chef de l’Eglise – celle-ci infaillible et de fondation divine – il avait honte personnellement, vraiment de certains actes et errements. Il les prenait à son compte et en demeura ployé. Il y a vingt ans, arrivant à Dakar, lèvres au sol, il murmura en prière, pas pour les micros, mais il y en eut un et toute l’Afrique le sut : pourquoi tant de mal, pourquoi tant de malheurs ? Eli, Eli, lamma sabactani ? Bernard Kouchner et Nicolas Sarkozy disent des regrets et profèrent des anathèmes, en sorte de se hausser eux-mêmes hors du lot qu’ils trouvent médiocre de leurs prédécesseurs respectifs, n’est-ce pas ? Cette gloire douteuse aux frais propres de son pays.
[1] - extrait de mon journal
Moment de grande beauté et d'intense émotion. Au virage en montée de la route allant de Karaganda à Almaty, kilomètre 30, sur la gauche, une plaine qui s'élève un peu et que rien ne distingue vu de la steppe sinon qu'elle fait vis-à-vis d'une petite garnison entretenant des véhiclules blindés légers. Là sont enterrés, Dieu sait comment... depuis 1945-1950 des prisonniers de guerre qu'on a exténué de travail et de mauvais traitements. La liste depuis Décembre nous dit - pour les Français - qu'il s'agit de "malgré nous". Je suis là cinquante ans après leur arrivée de force. Le Colonel B. m'a accompagné, réticent mais discipliné, sans uniforme : il finance avec moi. Et sans lui, je n’aurais jamais pénétré pour cela le milieu militaire. Il assure. Sa femme nous accompagne. Avant-hier soir encore, nous n'étions pas sûrs d'avoir les autorités militaires et la musique. Dans la plaine, ils sont là, quelques parachutistes à uniforme sable foncé à facies japonais, mitraillettes à la hanche, la musique plus bavaroise. Nos couleurs enserrent une stèle de magnifique proportion, bloc de granit à la silhouette de menhir, terre battue de vant. Je suis ému aux larmes. Comme si souvent, je sais, et maintenant éprouve que la volonté d'un homme peut écrire l'Histoire. Depuis avant-hier soir, mon instance a triomphé de tout et fait réfléchir : les toasts et conversations - presque toujours trop louangeurs à mon endroit - montrent qu'on accepte de réfléchir aux souffrances, aux désastres humains de la guerre et pas seulement à la "victoire". Même "mes" prêtres sont là : l'abbé Dumoulin, pas 35 ans, qui de Monaco dont il est suffragant vient tous les ans un mois ou deux à Karaganda et qui va diriger le séminaire du diocèse d'Asie centrale, et le vicaire général allemand de "Berlin" [1], qui, il y a quinze jours, avaient initié la danse pour qu'on ne nous y allions pas. Ce sont des SS nous susurrait-on... Peut-être, et alors ? ce que je condamne ici, c'est le totalitarisme : celui des nazis ayant conduit à ces aberrations, à ces enrôlements, à ces lois aveugles ou à ces embrigadements, celui de Staline sinon du communisme dont certainement les camps furent encore plus abominables que ceux de l'Allemagne hitlérienne, si c'est possible. J'en ai écrit le communiqué de presse, je m'en suis expliqué mardi après-midi avec un de mes journalistes affidés celui d'ASIA, croyant à des protestations comme à Saratov ou à Volgograd, et depuis avant-hier systématiquement j'ai développé le pourquoi de mon geste. Ce matin, tout est parfait ; le temps est avec nous, je suis ému et – je crois, confirmation video – beau. Je suis la France, je parle lentement et très fort, il n'y a que le vent pour s'opposer, je dis simplement que : texte . Le drapeau tombe comme j'avance à la stèle, c'est très beau. Dumoulin lit l'épitre aux Corinthiens, nous récitons le Notre-Père, le silence, les hymnes, les mitrailletes. Plus tard, nous parcourons la plaine, il y a des tombes encore visibles, sable et cailloux perçant l'herbe, senteurs de la steppe, fils de fer barbebé, assemblages usés de bois qui ne font pas une croix, mais quelque chose de plus proche de la pancarte, quoique sans nom ni matricule, un petit monument lithuanien de 1957, les Finnois auraient voulu venir bien auparavant, les Japonais ont fait quelque chose plus récemment, il y aura les Italiens. Nous marchons, dispersés. Je ne pense plus à rien, j'avais les larmes aux yeux. J'ai fait ce que je voulais, et je le voulais parce que j'étais fortement inspiré. Des Français morts ici, totalement oubliés, si loin, si loin, et maintenant nous sommes là...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire