Le premier verdict dans l’affaire Clearstream intervient à presque mi-mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy. Il innocente Dominique de Villepin, ancien Premier ministre, lequel confirme son intention d’être candidat à la prochaine élection présidentielle. Après avoir mis en cause le président de la République personnellement, depuis l’ouverture du procès, d’autant plus facilement que Nicolas Sarkozy s’est porté partie civile – ce qu’a accepté le tribunal – Dominique de Villepin déclare tourner, quant à lui, la page de la querelle personnelle et fait observer que son adversaire aurait pu, beau joueur, lui tendre la main et applaudir son innocentement – ce que celui-ci n’a pas fait, tandis que les juristes renchérissent : Nicolas Sarkozy, qui a pris la pose de ne pas faire appel du jugement, pouvait prouver sa sincérité en se désistant, alors que restant partie civile il peut à sa guise intervenir au procès d’appel.
Pour les Français, verdict et appel ont – certainement – constitué l’événement politique de la semaine dernière, éclipsant les deux interventions sur lesquelles le président de la République comptait pour « partir à la reconquête de l’opinion » sans trop paraître s’impliquer dans les prochaines élections régionales : soirée sur TF1 le lundi 25, discours à Davos le lendemain. La presse écrite a qualifié le premier acte, de victoire ou de revanche pour Dominique de Villepin, et le second acte a déclenché une polémique qui place le pouvoir en position difficile : la garde des Sceaux, après deux jours de discrétion, affirme que le parquet a agi en toute indépendance et publie son intention d’organiser une information sur le fonctionnement de la justice par divers colloques, rencontres et manifestations. Prétendue pédagogie : toujours. Suivant la logique de trente mois d’exercice des fonctions présidentielles par Nicolas Sarkozy, l’opinion publique est fondée à apprécier l’ensemble du verdict et de l’appel comme une querelle entre deux personnes qu’entend vider à son avantage Nicolas Sarkozy, et comme un abus de pouvoir de ce dernier vis-à-vis du système judiciaire pour une fin individuelle. Devant les Français, le Président de la République ne sera justifié de cet « acharnement » que si de nouveaux éléments de preuve apparaissent en défaveur de son adversaire et concourent donc à la morale publique. Il porte et portera, néammoins et en tout état de cause, la responsabilité d’avoir donné une image douteuse du pays et de sa vie politique, autant pour ses concitoyens que vis-à-vis de l’étranger.
Devant l’opinion, non plus selon les faits, confus, de l’affaire Clearstream, mais selon l’accueil d’une décision de justice, cette posture des deux anciens rivaux à la succession de Jacques Chirac, permet-elle à Dominique de Villepin d’être candidat avec des chances appréciables de l’emporter à la prochaine élection présidentielle ?
Le pouvoir – dont la communication est très centralisée, soit que Nicolas Sarkozy en accapare l’expression, soit qu’il en impose rythmes, thèmes et dialectique aux ministres et aux divers porte-paroles de l’UMP ou des groupes parlementaires (cf. le mimétisme des défenses et illustrations de la candidature de Jean Sarkozy à la présidence de l’EPAD ou des cumuls de responsabilités et de rémunérations de Proglio) – fait observer que Dominique de Villepin ne dispose pas de mouvement politique, pas d’argent, pas de position (il aurait probablement être à l’heure qu’il est député-maire d’Evreux à la place de son ancien directeur de cabinet, aujourd’hui ministre de l’Agriculture) et que la partie a été jouée en 2005-2007, que donc sa pétition de candidature n’a été avancée par lui qu’en fonction de son procès, qu’elle est pour la montre et qu’elle n’a aucune chance non seulement de l’emporter mais même de persister.
A cette argumentation et aux journalistes du plateau de Canal + le 29 Janvier au soir, Dominique de Villepin a répondu en indiquant – sans que ce soit le thème principal de l’émission – la manière de sa candidature et une partie de son fond.
La manière serait pacifique. Il s’agit d’augmenter ce qui est déjà un « courant » dans la majorité présidentielle. Ce « courant » est alimenté par la manière dont Nicolas Sarkozy exerce ses fonctions plus que par ses décisions. La contestation dans l’U.M.P. porte sur l’accaparement des dossiers, le dédain des compétences gouvernementales, l’ignorance de fond ou de forme des procédures et convenances parlementaires. Sans clivage d’appartenance ou d’intentions de vote, une grande majorité des Français épouse cette contestation, souhaitant qu’elle s’exprime encore davantage et trouve son efficacité. Dominique de Villepin se garderait de quitter l’U.M.P., chercherait à la requalifier selon ses sources – le legs du général de Gaulle et de certains de ses successeurs – et conquerrait progressivement, mais en deux ans seulement, l’appareil du parti présidentiel à la fois par sa base électorale et par le ralliement de dirigeants et de parlementaires, d’élus locaux de plus en plus nombreux. En somme, il introduirait dans le mouvement – que certains appellent encore « gaulliste » – une démocratie et une procédure de choix du candidat pour l’élection présidentielle, qui a cours au Parti socialiste, mais n’a jamais été pratiqué dans l’U.D.R., au R.P.R. ni à l’U.M.P.
Intellectuellement, civiquement, esthétiquement – et ce dernier aspect de la pratique politique compte dans la démarche et pour l’image de Dominique de Villepin – cette manière est attrayante. Son succès, malheureusement, ne dépend que peu de l’entregent du candidat, et beaucoup des fautes que devra encore commettre le Président de la République, au détriment de la France et de gestions avisées et adéquates du pays. Au bout de combien de temps et par combien d’erreurs de fond ou de communication, Nicolas Sarkozy paraîtra-t-il pour ses partisans un handicap plutôt qu’une chance en 2012 ? Quelle est la proportion dans les groupes parlementaires et parmi les cadres dirigeants de l’U.M.P. de personnalités flottantes dans leurs intérêts ou indépendantes dans leur jugement ? Dominique de Villepin est-il de son côté attirant – et le plus attirant, notamment par rapport à Alain Juppé principalement ou à d’autres rechanges possibles tel que Jean-François Copé qui sinue au maximum mais veut beaucoup ? Le secrétaire général de l’Elysée, pendant le premier mandat de Jacques Chirac se fit beaucoup d’ennemis et la paternité qui lui fut attribuée, d’une désastreuse dissolution « de confort » en 1997, ne lui conféra ni une réputation de coup d’œil stratégique, ni l’aura d’une représentativité des points de vue d’élus nationaux et locaux qu’il mit au contraire en difficulté. En tant que Premier ministre, manifestement nommé par le fait du prince, il n’a pas démontré ce savoir-faire politique, tant au Parlement que dans les réseaux qui font l’adhésion d’un pays depuis la province et les « corps intermédiaires », habileté et don d’arranger les choses dont Georges Pompidou s’était donné une image telle qu’il put anticiper dans le mouvement gaulliste la succession-même du Général. A son profit personnel. Si François Fillon a une stratégie, ce peut être celle-là apuyée sur la reconnaissance informée de ceux des parlementaires qui peuvent faire le compte des incidents ou crises, suscités par l’Elysée, les conseillers du Président sinon par celui-ci en personne, et qu’aura résolus ou palliés, par sa discrétion et une dignité personnelle certaine, le Premier ministre actuel. L’opinion publique, à en croire les sondages, le sent. Le mépris des gens, des parlementaires, des c…, n’est pas l’apanage du seul Nicolas Sarkozy. A tort ou à raison, Dominique de Villepin entre 1995 et 2002, l’avait précédé dans ce genre de rumeur. Quant au volontarisme, c’est archi-rebattu et les deux rivaux pour la succession de Jacques Chirac sont – ce propos – ses enfants en parole.
Le bilan de Dominique de Villepin à Matignon, compte tenu de l’état de santé du président alors régnant et de la perspective de l’élection présidentielle, est sans doute factuellement très convenable – bien de ses collaborateurs et de ses ministres en font état, mais l’exposé n’est pas répandu et l’ancien Premier ministre n’a pas su, encore, le publier, l’écrire et en faire des dossiers à opposer, pour des durées comparables de l’exercice du pouvoir, aux gestions actuelles. L’affaire Clearstream et la proposition de « contrat première embauche » qui mit le pays en ébullition, la majorité en opposition et les étudiants une fois de plus dans la rue, ont occulté jusqu’à présent la période « Villepin au pouvoir ». Celle-ci d’ailleurs – comme aujourd’hui la pétition de candidature présidentielle – n’a paradaoxalement pas fondé l’image publique du Premier ministre, sur celle – très favorable – du ministre des Affaires Etrangères tenant tête à l’Amérique : depuis, Dominique de Villepin n’a pas pris la tête d’une « croisade » contre la réintégration de la France dans l’O.T.A.N. ou contre notre engagement, très subordonné sinon humiliant, en Afghanistan avec les coûts humains que la cause, à l’évidence perdue d’avance, ne justifie pas.
Devenir le candidat de rechange de l’U.M.P. est d’ailleurs la seule position – qui puisse se libérer sur l’échiquier politique d’ici la prochaine élection présidentielle. Car Martine Aubry dispose d’une machine puissante et sa démarche prudente devrait lui donner le moment venu une investiture qui ne sera contestable que par sécession déclarée. L’attaque répétée de la droite, plus que du patronat (paradoxalement), à propos des trente-cinq heures, la désigne comme une véritable compétitrice, pas seulement en personne mais en système de pensée, du président sortant – ce qui la distingue de Dominique Strauss-Kahn dont il sera dit, au moment décisif, qu’il doit sa place et donc son image, à Nicolas Sarkozy qui l’a poussé à la tête du Fonds monétaire international. Et si la querelle ne doit porter devant les électeurs que sur la morale publique et la privatisation à des fins personnelles du pouvoir politique et de l’outil étatique, François Bayrou a de l’antériorité et, lui comme les socialistes, une machine. Dominique de Villepin n’a pas le choix : il lui faut l’U.M.P. ! qu’il la séduise par l’actualisation de ses sources, ou qu’il profite des fautes et de la mauvaise image de Nicolas Sarkozy et des amis de ce dernier.
Le fond répond autant à cette stratégie qu’au tempérament et à la culture du candidat Dominique de Villepin. Avec autant d’à propos que d’habileté, l’innocenté de l’affaire Clearstream et la victime de l’acharnement élyséen en a appelé – dès la contestation du verdict – à la conscience et au sens de l’Etat des collaborateurs-mêmes du Président de la République. Il a sans doute aucun frappé juste, et au cœur. La morale publique n’a pas que des règles de morale individuelle : elle est le tréfonds du sentiment républicain, trop peu élucidé depuis qu’on se réfère à des valeurs de la République sans jamais les définir. Dans cette ligne, l’ancien Premier ministre peut travailler, faire travailler. Il en déduira aussi bien la responsabilité populaire du Président de la République que le respect des compétences de chacun dans le gouvernement et dans le Parlement, et entre les échelons déconcentrés ou décentralisés de la puissance publique. C’est fonder une critique systématique, informée et qu’attendent les Français victimes d’un désaménagement du territoire à la suite des « réformes » des cartes judiciaires, administratives, militaires et électorales du pays. Le sens de l’Etat est la perception du bien commun et l’énoncé d’une finalité de tout exercice d’un pouvoir électif, c’est donc la restauration du service public, la remise en œuvre de ce qui fit le consensus économique et social des Français à partir des programmes du Conseil national de la Résistance et des réformes de la Libération, le tripartisme, le plan quadriennal, l’économie mixte, le secteur public et dans l’immédiat une nationalisation pour un temps déterminé de tout le crédit. La chose est facile à afficher, elle est en germe dans les propos de vendredi soir, elle réintègre dans l’esprit national qui nous a constitués depuis deux siècles, les Français, leur élites, à commencer par la haute fonction publique – qui doit ambitionner autre chose et une autre gloire que les places dans l’entreprise privée qu’elle s’est adjugées systématiquement depuis les années 80 en défroquant honteusement, à la faveur des privatisations et des démantèlements de l’Etat. La politique extérieure et l’accent européen seront encore plus aisés à exposer, références antérieures depuis 1995 à l’appui – sans prêter à un examen trop attentif qui serait factuellement critique, mais n’a pas lieu d’être dans la présente réflexion. Et le contre-point depuis 2007 sautera aux yeux, il sera enfin dit.
Pour conclure – à ce stade de la candidature présidentielle de Dominique de Villepin – il apparaît que celui-ci a politiquement fort à faire mais que les options coulent de source. La difficulté n’est donc pas là.
Elle réside – à mon sens, et selon une expérience personnelle que je rappelle incidemment plus bas – dans la personnalité de l’impétrant.
Le personnage ne suffit pas, il faut la personne, il la faut cohérente, continue, sympathique, fidèle et donc fidélisante. La preuve de ces traits de caractère – innés ou acquis, à acquérir – n’est pas encore évidente. Le paraître, le narcissisme sont des reproches majeurs adressés couramment à Nicolas Sarkozy. La surestimation de soi aussi. La superficialité de celui qu’on veut au contraire au travail dans l’approfondissement et la ténacité, serait alors ressentie par les interlocuteurs, les visiteurs puis les électeurs pendant la campagne finale. La collégialité, le travail précis et continu doivent devenir – pour le candidat – l’essentiel de l’emploi de son temps et de son énergie. La prestation médiatique doit en découler mais pas les précéder. Ce doivent être un bouche-à-oreille, puis la forte réputation. Naturellement, un bon livre que l’écrivain saura rédiger lui-même. Opportunément quelques ouvrages collectifs pour donner le bilan au Quai d’Orsay et à Matignon. Quelques autres pour des propositions et des analyses d’avenir. Mais l’image du désintéressement, de l’autorité morale grandissante, du labeur, de l’écoûte – l’exercice à Bondy ? – est indispensable. Les témoignages, les traits doivent abonder. Ce qui fera la différence avec Nicolas Sarkozy. Enfin, une maturité : pas principalement un vernis, une énergie.
Déçue depuis une trentaine d’années par la faible alternative des programmes gouvernementaux, des comportements du personnel politique et des idéologies « dominantes », l’opinion – gavée en sus de réformes qu’elle ne veut pas et souffrant de nécessités auxquelles il n’est pas porté remède et pas même sincèrement compati – est actuellement une opinion civique, réfléchie, raisonnable. On ne l’ « aura » pas par quelques moulinets, coups d’éclat ou une simple présence médiatique. Une victime n’est pas un chef, mais l’ancien Premier ministre est victime parce qu’il peut être chef.
Pour Dominique de Villepin, quoi qu’il en ait, le précédent ne peut être celui de l’homme du 18-Juin, tout simplement parce que les circonstances ne sont que civiles. En revanche, Pierre Mendès France est un bon modèle pour la période apparemment si bloquée qu’étaient les années 1951-1954. La rigueur tous azimuts obtenant le soutien de toutes les forces éclairées du pays, dans tous les secteurs de l’activité et de la société. La désagrégation du pays, la dilapidation par le mépris ou la méconnaissance des grands acquis du pays auxquelles jour après jour, Nicolas Sarkozy attache son nom, ont déjà suscité des débuts de réflexion – très civiques, très informées : dans l’armée, dans le corps judiciaire, jusques dans la carrière préfectorale. Dans les services centraux ou déconcentrés de l’Etat, dans ce qu’il reste de grands services publics sociaux ou économiques, les agents et les cadres dirigeants ne cachent pas leur tristesse et leur révolte : leur échelle de valeurs est méconnue, leur travail ignoré ou saboté, le fruit de longues patiences et de tenaces mises en œuvre mal considére. Les structures d’un sursaut de l’opinion sont là. Elles ne se donneront qu’à un candidat au sérieux manifeste et éprouvé, garantissant par sa démarche et son tempérament une distanciation sereine de soi dans l’exercice du pouvoir en France – ce qui n’exclut nullement, au contraire une équation personnelle forte (l’autorité morale prévue par l’article 5 de notre Constitution). Alors va faire florès la proposition d’un modèle national, qui sera porté ensuite et d’expérience immédiate au débat européen – indépendance, justice, participation – aura quelque crédit et quelque chance. Dans les urnes.
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