samedi 4 juin 2022

un de mes mentors - décisivement exemplaire . Michel Jobert 11 Septembre 1921 + 1er Juin 2002 . une énergie française

 







. . . et la lassitude, vous savez ce que c’est ?



L’énergie-même, Henry Kissinger avait en ouverture de ses mémoires rapporté le mot du Général de Gaulle à Richard Nixon venu à Paris en Février 1969 : que d’énergie dans ce petit corps. Proche d’être défait de la confiance des Français au referendum d’Avril, de Gaulle sut-il que Michel Jobert serait, quelques mois durant, le seul politique, après lui, à renouer avec ce culot, qui est français au possible ? En quoi, l’enfant de Meknès et de Volubilis incarnait d’intelligence et de propos incompris par l’ « occidental » moyen, tout ce que la nation arabe cherche à faire ressentir aux Européens. Il avait eu – ce qui sauva tout et remit la France dans la ligne gaullienne de 1967, et même plus chaleureusement encore – le mot indiscutable : est-ce commettre une agression que de vouloir rentrer chez soi. Ce que dit en Octobre 1973 le ministre français des Affaires Etrangères, refusant ensuite que les Européens, et à leur défaut, nous seuls, avalisent la stratégie américaine dans la nouvelle donne pétrolière, vaut plus encore aujourd’hui.


Une fois mort, tout le monde en est d’accord chez les « spécialistes », mais surtout chez les gens… et il y a tous nos compatriotes ou cohabitants d’outre-Méditerranée ; la France perd un de ses géants. Mais en quoi Michel Jobert était-il remarquable ? Pas vraiment diplomate au sens reçu du terme, quoiqu’il ait marqué notoirement la considération qu’il avait pour nos Ambassadeurs en en recevant, tête-à-tête, le plus grand nombre pendant les treize mois de sa « gouvernance » au Quai d’Orsay. Ce qui ne se fait évidemment plus, puisque les carrières ne se font qu’aux ordres et que la précarité règne. Justement, Michel Jobert professait que l’Etat n’a pas de solidité par lui-même mais selon le comportement de ceux qui l’animent, l’incarnent. Si, en Mai 1968, Matignon et partant l’Etat, furent maintenus, alors que le Général était débordé, que Georges Pompidou, à la merci d’une censure sans Président de la République pour dissoudre, s’organisait pour la succession, ce fut grâce au directeur du cabinet du Premier Ministre. Comme à Fort-Alamo, il resta, de sang-froid, capable de maintenir l’illusion que tous les créneaux étaient garnis. Ce fut une grandeur dont il avait déjà fait la démonstration à Dakar quand disparaissaient tous les repères de la colonisation et que n’apparaissait pas encore l’auto-détermination de 1958-1962.


Michel Jobert avait la pudeur des solitaires, la puissance des lucides et exigeant intensément de lui-même, il fascinait parce qu’il mettait son visiteur, son interlocuteur, le journaliste, l’ami, tout le monde d’un instant à l’autre ou à longueur de vie et d’attente, de plain-pied. Il faisait entrer son vis-à-vis dans la vérité de l’existence humaine : n’être ni pusillanime, ni racorni, ni naïf ni cynique. Il imposait d’être cohérent et efficace, il exigeait qu’on soit responsable de ce qu’on était censé être, de ce que l’on avait promis, de ce que l’on ambitionnait. En tête-à-tête, il sut le faire comprendre à Georges Pompidou, notamment dans la courte traversée du désert que dut vivre, sans certitude alors, l’ancien Premier Ministre, attaqué sous prétexte de l’assassinat de Markovitch.


Le Mouvement des Démocrates ne cherchait pas le succès électoral en soi. Pas davantage intéressée ni personnelle, la candidature présidentielle que le ministre des Affaires Etrangères au faîte des sondages au printemps de 1974 médita dès lors, quitte à refuser – précisément pour l’intégrité du parcours à venir – la présidence du « parti gaulliste », moribond puisque le pouvoir lui avait échappé, d’ici à ce que Jacques Chirac lui promette de le récupérer. Mouvement et candidature putative prétendaient seulement que les Français, en eux-mêmes et d’eux-mêmes, se réapprennent. 


Qu’est-ce qui faisait à Michel Jobert parcourir la France et dédicacer les Mémoires d’avenir ? puis L’autre regard, sinon, très précisément, une exigence intime, acharnée, pleine d’humour car l’être humain est toujours loin de ce qu’il devrait être, et cette exigence était qu’on soit grand – tous grands – par soi-même, par hauteur morale, par indépendance d’esprit, par vivacité de comportement.


Quoique sans illusion, le plus structuré des hommes, le plus convaincu, même si apparemment la foi ne lui était pas religieuse, peut-être parce que les clergés l’agaçaient, le plus averti des lenteurs du temps et des méfiances françaises gouvernant toutes nos politiques, Michel Jobert s’étonnait pourtant que ce soit, continûment, la médiocrité qui gagne. Alors, parfois, alors ces semaines-ci, oui… la lassitude.



​In mémoriam +


Bertrand Fessard de Foucault – mardi 28 Mai 2002




Dernier moment avec lui



Paris, mardi 18 décembre 2001


11 heures à 13 heures passées, 108 quai Louis Blériot, avec Michel JOBERT + A ma surprise, hier en début d’après-midi, le rendez-vous donné par ce matin, une voix d’homme sur la ligne 24 90, le 25 15 occupé. Je monte, Denise RAGOT là, peu changée, mieux même qu’il y a deux ans. Lui-même quitte le contre-jour, s’asseoit sur le canapé, faisant face à l’entrée, la moitié du siège pris par des piles de papiers, la table basse est triplée de volume par un arrangement au cordeau de livres et de revues, des tableaux, tous d’une totalité ombre, triste, des paysages, au mur, ou sur le dossier du canapé, l’alignement habituel des quatre tables de travail,, celle de Denise, la plus au fond, une qui était celle de SAINT-PAUL surchargée et masquant la baie, celle de mon ami, également encombrée, et celle qu’occupait la secrétaire métisse dont le nom m’échappe, également chargée. Autant l’antichambre, le vestibule et le bureau de MCM étaient tristes et sans vie, volontairement quittés de tout signe de vie et même de réapprêt depuis le moment où ils avaient été emménagés, trente ans auparavant, autant c’est ici surencombré, à croire que l’ancien ministre a dû céder des pièces dont il disposait ou même son appartement de Boulogne-Billancourt. C’est dans cet espace étonnant de surabondance d’objets, presque uniquement des livres et les cinq ou six tableaux, le petit blouson bleu marine posé sur le rebord de chaise tournant le dos au visiteur et face au jour et à celui qui travaille…que nous allons parler. D’abord lui sur le canapé, moi hésitant à prendre place à son côté puis comprenant qu’une chaise est possible, et ensuite lui à sa table et moi lui faisant face.


A-t-il dit un mot ? à mon arrivée, ou pendant le récit que je lui fais, peut-être une heure d’affilée, de mes activités, c’est-à-dire mes recherches sur MCM, les différents sites, l’ambiance que je vois des années 1930, la place de gouverneur de la Banque de France, les archives au Quai, à Nantes, les témoins sur lesquels je reviens après avoir raconté mes retrouvailles avec MoD, avec une Mauritanie totalement changée, mon moine, les récurrences toujours avec les mêmes gens à longueur de vie, mes correspondances avec Matignon-JOSPIN et l’Elysée-CHIRAC. Un peu la Bretagne, les chiens, les municipales à Surzur, ETHYS, mes tentatives à Bruxelles. Il ne réagit pas mais écoûte attentivement, indifférent au temps qui coule et à son propre silence. Rien ne vient ni ne viendra sur l’actualité, quelle qu’elle soit, les présidentielles, le Proche-Orient, l’Afghanistan, les partenaires habituels comme PLANCHET ou GUTMANN voire BALLADUR, ou en rebond de mon propre texte sur mes recherches, JARDIN ou MAYER ou RUEFF : il ne rebondit sur aucun nom, sinon sur les témoins dont à chaque fois il me demande l’âge, cela commence par celui de MoD, puis la vérification de celui de GILLET, la référence étant toujours 1911 et POMPIDOU qu’il évoque sans le « monsieur » flûté de naguère, GILLET avec lequel il n’a eu que de bons rapports, il tique à sa fortune personnelle, soutient à raison que TINE s’écrit sans S, il le croyait avoir été Ambassadeur à Tel Aviv, il est dans le Who’s who ? lit la biographie entière, semblant trouver considérable les postes occupés. On revient à GILLET et à ce qu’il savait du mariage de MCM ; je dois préciser les SCHWEISGUTH, évoquer la banque MIRABAUD toujours à la recherche d’un gendre, le bas bout de la table où MCM était toujours tenu en famille, la sensation qu’il n’avait eu jamais femme et enfants et réciproquement – Forcément, fait mon ami, ils ne l’ont vu que gâteux et on a préféré effacer le souvenir, en tout cas ne pas le soutenir.


On était allé auparavant jusqu’à SAUVAGNARGUES ce qu’il avait écouté avec plus d’intérêt, puis FRANCOIS-PONCET. SOUTOU qu’il ne relève pas sur l’Europe politique du début des années 1960, la C.E.D., le peu de densité et de justesse des papiers d’ALPHAND, et ainsi à MENDES. Celui-ci gaulliste manifestement à l’automne de 1954, avec les relevailles de JUIN,  l’entretien avec de DG et la mission confiée à MCM. L’accueil aussi de CHEYSSON, sa relation avec ADENAUER. Il a sur la langue Georges BORIS et ne commence qu’alors à parler. Manifestement, l’influence de longue date, bien avant cette époque et MENDES fut son chéri, non le contraire. Par qui étaient faites les notes ? interroge-t-il. BORIS, c’étaient les deux tiers de MENDES, sans BORIS MENDES était très diminué. Quand celui-ci fut mort – je donne l’année ce qu’il laisse passer, pour continuer – MENDES faiblit, complètement et tourna au système. Ce qui l’empêcha d’accepter la Cinquième République et le retour de DG, fais-je. Oui, BORIS certainement l’aurait convaincu de faire le bout de chemin. Il avait certainement beaucoup vécu, le faisait sentir d’un mot, mais il frappait par l’évidente intelligence et surtout parce qu’ayant beaucoup de pouvoir, sinon le pouvoir-même, il restait discret et en retrait. La sensation qu’on avait et gardait cependant que c’était lui l’homme important. C’est celle qu’il eut à la délégation française au Conseil Economique et Social. – Au début des Nations-Unies ? – C’étaient les commencements certes, exactement quand ABELIN était secrétaire d’Etat au Budget, c’était le directeur de la DREE de l’époque… - CLAPPIER, et BORIS était là… J’avais aussi évoqué KOGEVE à propos des bureaux d’illustres que j’occupais après ceux-là quai Branly, KOGEVE et son aura demeurée à Bruxelles des années après sa disparition et SCHWEISGUTH donc. BORIS, juif, BETTENCOURT et le lobby juif. Et nous sommes sur une lettre du 11 écoulé d’un Maurice BUTTIN, frère d’un condisciple de son propre frère au Maroc, ledit condisciple étant celui qui l’a édifié sur MCM à propos de PUCHEU. Le traquenard de Meknès, précise-t-il. Nous sommes à nouveau sur la ligne de notre déjeuner de Juillet 1999 : BEAUMARCHAIS serait même dans le coup, il a quitté la France à peu près en même temps. MCM avait beaucoup à se faire pardonner ; c’était cela DG de prendre certains qui avaient fait des boullettes et comme cela il savait pouvoir toujours les manipuler. Voyons, il était à Matignon, les affaires civiles et c’était JUIN qui avait les affaires militaires. On est me semble-t-il en pleine légende sans le moindre fondement, mais mon ami y tient, grommelle jusqu’à ce que Denise R. retrouve le dossier d’Henri BUTTIN à partir de la lettre du frère annotée sur la lâcheté des Etats arabes, l’oubli français de ce qu’est une occupation étrangère et les probable souvenirs d’enfance nègre de Colin POWEL. Au total, le voici qui s’excuse presque : vous comprenez pourquoi je n’ai pas pu vous répondre ou vous accompagner à propos de… Je ne comprends toujours pas qu’il juge MCM sur cette affaire, comme si la période 1958-1969 n’avait pas été suffisante, dans l’entourage de POMPIDOU pour détester le seul rival continu, et qu’il soit tellement sensible au comportement de mon homme à propos d’un autre homme encore bien davantage de Vichy, le ministre de l’Intérieur listant les otages de Chateaubriant.


Mon portable en panne, je n’avais pu communiquer à temps avec Edith. Nous l’aurions probablement amené à déjeuner ensemble. Il me fait constater par le dossier BUTTIN ou par une réflexion par devers lui : tout çà (sa mémoire ou les noms, tels noms) m’est sorti tout doucement, qu’il ne peut plus rien traiter convenablement. Mais je ne le trouve pas vieilli vraiment : le visage s’est davantage ridé mais cette rugosité marquée des sillons n’est pas nouvelle, quelques fils gris ou blancs sur les chevaux qui demeurent plantés de la même manière, raides et bruns ; quant au caractère, d’aspérités difficiles, il n’a pas empiré. On peut en prendre l’habitude, car il n’est pas rancunier (rancune il est vrai parce qu’on n’a pas correspondu aussitôt à l’attente qu’il avait d’une adresse postale, d’une réflexion intelligente ou d’une manifestation de personnalité émancipée de a tension que son impatience aurait pu provoquer…), l’ambiance change d’instant en instant et l’humeur en fait n’est pas le rapport qu’il a avec autrui ; au contraire, c’est implicitement de chaleur, d’attention, de compassion et de lucidité qu’il s’agit. C’est un homme qui appelle à être attentif encore plus vis-à-vis de soi-même que vis-à-vis de lui pour devenir plus performant, plus énergique, plus réaliste.



Une énergie française




Paris, mercredi 29 Mai 2002


. . . hôpital européen Georges Pompidou, chambre mortuaire, midi presque. + J’écris paisiblement en présence de celui qui m’a honoré pendant vingt-neuf ans de sa confiance, de son amitié et de son estime. Mon ami est là, lui et moi nous sommes en présence de Dieu et en attente de la réunion et de l’union de tous, qui est déjà effective, assurée mais que nous ne savons pas encore vivre ni ressentir, ni même pressentir. Joie et tristesse de notre finitude, communion de tous dans la finitude humaine, contagion possible de l’espérance.- Lundi matin, le drap ras de cou, l’œil, l’arcade sourcillère tuméfiée, écarlate ; je l’ai photographié de portrait seulement du profil droit. Aujourd’hui, le buste est dégagé, sa petite veste noire sans doute de laine, sa cravate épaisse de tricot noir. Il est malheureusement mal peigné, ce qui n’était pas son habitude. Je suis tranquille avec lui, seul ; il m’aurait certainement laissé, lui dans ses instances, à cet écritoire pour que j’expédie quelque chose dont nous aurions convenu. Il sut et accepta chacune de mes attitudes ou chacun de mes conseils. C’était un des hommes – rarissimes – avec lesquels le silence ne pesait car il continuait et chargeait le dialogue. Seule exception, notre dernière fois, en Décembre où près d’une heure je fis les questions et les réponses jusqu’à ce qu’à l’évocation de Georges BORIS, il s’anima et s’engagea. Il n’interrompait pas, il écoûtait, il avait une voix chaude, ne montant presque jamais à l’aigu même quand il y avait réponse à l’emporte-pièce, observation acérée, morigénation d’un vis-à-vis, d’une collaboratrice. Chacun – autour de lui - était bénévole, déférent, plus que respectueux et admiratif, qu’il soit au pouvoir – ce fut toujours bref, précaire, attristé mais ingénieux et en pleine conscience d’une responsabilité à exercer vraiment – ou qu’il n’y soit plus, ce qui dura longtemps, très longtemps sans que sa curiosité pour les hommes, et les femmes, pour les anecdotes ou propos qui les peignent, diminue jamais. Il était vif et sec avec la plupart sinon tous, mais jamais avec mépris, commisération ; d’une certaine manière, il jugeait à quel point l’on pouvait s’être laissé aller aux mauvaises ou paresseuses pentes de la nature humaine, ou au contraire comment avec ténacité, intelligence, lucidité sur soi et le monde, on y avait résisté. Je ne pourrais dire qu’il ait eu un thème ou un mot à la bouche, ressassé et pouvant servir d’épitaphe. S’il doit y en avoir une, et ce sera le titre du livre que j’ai envie et amour d’écrire en sa compagnie mentale, et sous son inspiration spirituelle – en tenant également compte de ses conseils répétés, permanents d’avoir à écrire simple, à corriger, raturer, sujet-verbe-complément – je dirai : l’énergie. C’est pourquoi la mort lui va si mal, et en même temps est tellement acceptable à son propos et pour lui. Il dépassait la nature humaine, la vainquait sans être dupe de sa force et de sa résistance en nous, il la vainquait pas du tout par une volonté de vivre, de se surpasser, de dominer qui ou quoi que ce soit, mais par devoir d’homme. Il n’avait pas la foi habituelle à ceux qui pratiquent une religion, il n’était pas non plus inquiet des fins dernières ou d’un sens que seuls une pratique religieuse, une relation à Dieu, un principe métaphysique apporteraient ; il prenait beaucoup, sinon tout, comme la réalité avec laquelle il faut faire, sans rien abdiquer, mais le premier pas dans le mérite que nous devons acquérir à nos propres yeux plus encore qu’aux yeux d’autrui, et a fortiori de la renommée, était sans doute d’être digne, droit, pas dupe, pas cynqiue, jamais blasé mais toujours averti. L’expérience le confirmait mais ne l’attristait pas. L’humour habillait son visage à partir des lèvres et du menton, la lumière entourait la bouche, arrondissait des commissaires faisant cercles concentriques comme sur un miroir d’eau. Il avait aimé les Eaux et Forêts, dont l’Office est généralement le complément d’émoluments pour le secrétaire général de l’Elysée. Il avait parfois une silhouette française, sans âge, marquée d’aucune génération, quand il se trouvait debout à converser avec beaucoup, une silhouette d’homme de sympathie et d’attention. Dans le tête-à-tête auquel il se prêtait, il avait la phrase parfois acérée. Il me vient de rapporter son mode de jugement sur les gens, et surtout les personnalités, à ce mot caractéristique de saint Benoît et d’une vie en société : hoc sit quod dicitur ! qu’il soit qui il dit être, ce qu’il dit être. Je l’ai souvent dit et écrit, il renvoyait à nous-mêmes, il nous adjurait d’être digne de nous et d’être homme, femme, debout, vivant.


En somme, c’était une personne bien avant d’être un personnage quoique physiquement, intellectuellement, moralement, politiquement il prêta tout à un portrait et à des récits hors normes. Un homme d’esprit, un homme d’humanité, un homme par lui-même imposant le respect comme base de la relation mutuelle, mettant les choses à leur place vraie, le rapport de soi avec soi et le rapport de soi avec la réalité, tout le reste devait s’en déduire. Il n’était donc étonné de rien, ni des événements, ni des trahisons, ni des dévouements, il n’en oubliait cependant aucun, manifestait très peu ou pas du tout, faisait tout ressentir, parlait et s’exprimait autant par son silence que par son dire. On parlait – je parlais avec lui, sans introduction ni conclusion, le matériel, la finance étaient de l’ordre du pratique qu’il fallait assurer avec soin, toute délégation imposait suivi, contrôle, une responsabiloté donné ou acceptée devait être assumée, et surtout devait donner lieu à des soins et à un comportement dans tout le champ, dans l’exhaustivité du champ qu’elle embrassait, et même dans ce qui en dérivait ou la caractérisait.


Il est – gisant ici – peu ressemblant. D’abord parce que jamais je ne l’ai vu paupières fermées, parce que toujours il y avait son regard. Il était regard bien plus que dire. C’était un regard chaleureux, velouté, attentif, apte à se poser sans peser ; un regard qui ne gênait pas, qui ne fixait pas, qui ne fuyait pas, qui n’allait pas au-delà du moment ou de l’interlocuteur, pas non plus à s’arrêter à d’autres objets que celui du moment. Ce regard était brun exactement du ton de ses cheveux, mais bienplus doux. Dans la vie, il avait une chevelure sobre, peignée en sorte de couvrir le dénuement du front et du haut du crâne, mais ce n’était pas camouflage. Tel qu’il était, il était bien ; il avait un physique qui lui allait bien et qui signifiait, fortement et évidemment, on existe, on vit, on avance avec ce que l’on est, tel que l’on est, voilà, me voici, vous voilà. Venez disait-il pendant le temps – presque jusqu’à ces années-ci – où il avait la disposition entière de ses bureaux. On arrivait aussitôt de plain pied dans la salle ouvrant entière sur la Seine et son « front », trois tables étaient parallèles aux baies et au balcon, il était généralement à l’une d’elles, à considérer le courrier plus qu’à l’étudier, les livres et dossiers faisaient parfois piles nombreuses, sinon désordre. Il était assis comme ceux de l’équipe qui étaient là, Denise le plus souvent et en quasi-permanence, Marthe M. aux débuts et parfois ensuite que j’ai vue blanchir de chevelure totalement, bonne et au regard amusé et tendre. Denise était et était voulue très professionnelle, dans ce rôle qui l’encastrait, l’épuisait, elle ne perdait jamais une patience que son bénévolat, à sa retraite et que l’alacrité du ministre, puis de l’ancien ministre ont rendu de tous temps très méritoire. J’aimais ces deux présences, mais ne pouvais ni vraiment les saluer ni m’attarder auprès d’elles, d’un bref et calme : venez ! il nous entraînait dans sa petite pièce qu’un couloir arrivait en parallèle au mouvement de la salle à l’entrée, desservait depuis le dos de Denise, on passait cependant directement aussi, on s’asseyait vis-à-vis, on racontait soi pour commencer et le vif du sujet était le présent, sans projets et avec peu de mémoire. Mais le moment présent appelait tout et était riche davantage d’évocation ou de convocation de personnes vivantes ou mortes, que d’anecdote ou de considérations. Il était le contraire d’un abstrait, mais ce n’était pas non plus un entomologiste, ni un dessinateur ; il disait ce dont il était sûr, même quand cela pouvait paraître à qui l’écoutait ou lui parlait, injuste ou peu fondée.


Ce qui fut toujours juste chez lui en paroles autant qu’en actes, c’était la réaction. Pour spontanée qu’elle fut, sa réaction venait des entrailles et du cœur et cela formait une immédiate réponse, une totale réponse à une situation, à un fait. Cette réaction était donné d’un geste, d’une phrase, avec – donc – une complète parcimonie de moyens. Sans du tout cultiver l’attitude, le théâtre ou la manie des œuvres complètes ou du mot qui sera retenu par quelque grand nombre, il était alors d’une telle cohérence, d’un tel bon sens, d’une telle simplicité, que cette authenticité-là gravait tout. Elle fit merveille quand il eût la charge des Affaires Etrangères, du moins cela se voyait-il, et curieusement cela s’était pressenti. Je ne fus sans doute ni le tout premier ni le seul à comprendre qu’en quelques jours une personnalité décisive émergeait, était portée par une nomination importante mais pas exceptionnelle en politique, et allait illustrer d’une manière aussi surprenante qu’exacte et adéquate tout ce qu’il fallait que nous fussions à l’époque et dans les circonstances qui apparemment nous dominaient. J’écris : nous, parce que comme nous, il considérait la France comme un bien propre et proche, ne valant que par ce que nous vaudrions, saurions valoir et lui apporterions. Nous, les Français, ses contemporains, nous, ceux qui l’admirions et le suivions, le soutenions sous des formes et selon des rôles et des étiquettes divers, mais avions en commun la France et lui, et c’était fort libre d’adhésion, de convictions plus analogues que communes. Il commença de nous plaire parce qu’imprévisiblement c’était lui, ce fut lui qui réincarna la France et une grande politique, donc une politique étrangère, à un moment où déjà – seulement quatre ans après le départ du Général – on pouvait désespérer, nous désespérions qu’il se trouva plus jamais quelqu’un qui assuma, comprit ce rôle et le redonne, le fasse vivre sans annoncer que ce serait ceci ou cela, pour qu’on le sut à l’avance. Il ne se para d’aucun habit, ne donna aucune référence et fut d’un coup manifeste ; on reconnut ce qu’il faisait et il en devint en quelques semaines grand, décisif, et d’une certaine manière définitif. Encore aujourd’hui sur son lit d’emprunt, plus un brancard qu’autre chose. Pourquoi ? parce qu’il démontra qu’exister n’est pas affaire de moyen, pas non plus d’affichage d’une prétention ou d’une volonté, mais consiste entièrement à ne se laisser ni dédaigner, ni contourner, ni exclure, ni manœuvrer, quitte à être un temps isolé. Parce qu’il disait ainsi que n’importe qui d’un peu conséquent et réfléchi ferait aussi bien sinon mieux que le Général en son temps, pourvu que ce fut sans aucune arrière-pensée et uniquement en proférant des vérités, la vérité. Cela suppose du coup d’œil et de la patte, mais la portance autant du peuple, puis des peuples que des événements presque toujours vite dociles à l’appel de qui a su les analyser et les enfourcher, au lieu de s’en laisser abandonner, est telle qu’énergie, imagination arrivent vite, et submergent ce qui au début était encore un peu flou, imparfait et méritait quelques redites ou retouches. La leçon qui fut historique, il continua ensuite de la donner en particulier à ceux qui lui demandaient un conseil qu’il refusait, pour en retour leur administrer que tout est possible pourvu qu’on y fasse attention, vraiment, sincèrement, pratiquement.


Ecrivant ainsi, je n’écris pas ici, je vis nos dialogues qui se répétèrent d’Avril 1974 à Décembre 2001.Mais nous sommes – maintenant – ici. J’ai souvent pensé qu’une biographie de lui serait impossible à rédiger, en tout cas qu’elle serait superfétatoire, tant il a lui-même écrit son interprétation des événements parmi lesquels il vécut ou qu’il avait marqués. Il ne disait jamais ni son rôle ni ce qu’il avait voulu que fût ce rôle ni, non plus ce qu’il s’était passé. Il ne faisait pas preuve ni d’auto-biographe ni d’historien, il ne prétendait pas non plus écrire une œuvrer. Fut-il le premier surpris ? du succès considérable de son premier livre ? Mémoires d’avenir, surpris de savoir aussi bien composer et écrire, et que ce fût si immédiatement salué par les lecteurs, par l’opinion, par la critique. Cela surprit qu’il sût… aussi écrire et publier. Je m’en réjouis aussitôt et dès le second ouvrage, je sus que j’allais avoir une forme de compagnonnage de plus avec cet homme que je considérai désormais comme une vraie chance pour mon pays et dans ma vie. Qu’il entendît s’engager en politique, y faire recette, tout l’y avait poussé dès que les premières semaines au Quai le montrèrent hors du commun, passionnant et pas seulement insolite, prévisible pour l’extraordinaire qu’était ce retour à des sources et à une pratique abandonnées depuis un temps qui alors paraissait très long. Surtout qu’il le faisait tellement à sa manière et qu’il était donc inimitable.Donc, il ferait de la politique, ou plutôt il existerait politiquement et dans un but précis, maintenir, continuer, entreprendre, durer, être contagieux. Par quels moyens ? Je lui proposais et délibérai avec lui plus des thèmes qu’une tactique, une stratégie, des alliances ; je pensais et, maintenant que je suis peu éloigné des années où un homme peut se souvenir mais plus tellement se remuer et remuer, je continue de penser que les thèmes apportent les opportunités et appellent les moyens, et bien plus : les concours. Se tromper sur les moyens et les voies, personne et pas l’Histoire n’en tiennent rigueur – d’ailleurs, là-dessus aussi, il se trompa peu – mais c’est sur les thèmes, c’est-à-dire sur le fond, qu’il ne faut pas broncher ni se montrer défaillant. Sa cause était bonne, excellente, urgente et manquait de champion, tant les politiques de l’époque étaient précautionneux et les clivages droite-gauche revenus défendaient d’imaginer. Il y a deux formes de routine, celle par facilité, celle par volonté. Aucune des deux n’est féconde, elles animent la vie d’un peuple par distraction et laissent toute la suite aux surprises, ainsi celle du 21 Avril dernier, quand la vérité, sortant soudain toute nue du puits où on l’avait jetée depuis si longtemps et sur laquelle on rajoutait encore tous les déblais du rappel assidu et net des circonstances recommandant, précisément, la vérité. Très différemment du Général et de son grand ministre, et d’abord parce qu’il était seul et que son chef était mourant et que ce chef, d’ailleurs, il en connaissait autant les petitesses que des grandeurs alors censément vertus de courage et de prudence, Michel JOBERT sut tout dire et tout être, de la cause de notre indépendance à celle de l’Europe pour faire retour chez nous et en nous, et appeler, donc, à la démocratie, celle du ras des pâquerettes, bien avant presque tous.


De quoi mourait-il ces derniers temps ? de lassitude, a-t-il répondu à Pierre PLANCHER. La lassitude, vous savez ce que c’est ? Elle est, je crois, un mélange de satisfaction de la tâche accomplie, de conscience de ne pouvoir faire ni être davantage, et d’une intense fatigue de rencontrer alors le vide. Je ne crois pas du tout qu’il mourait de frustration, de déception et d’une carrière qui n’avait été que fugitive, s’était éloignée de lui ; il n’eût pas voulu la refaire, encore moins autrement, pour un empire. Si je me suis reconnu en lui, c’est bien parce qu’il ne réfléchissait et ne se comportait jamais en homme qui veut obtenir quelque chose, mais toujours en homme qui voudrait que ce soit beau, grand, digne, pas imbécile, pas insuffisant. Qu’était ce « ce » sinon tout : les relations humaines, la vie de notre pays, l’organisation du monde, la littérature, autrui, les autres, soi. Sa lassitude était en fait une forme de bonheur d’avoir à rendre les armes, à accrocher les gants au vestiaire, sa lassitude d’avoir avec une telle continuité, une telle cohérence, une telle persévérance vécu constamment la même chose, sous le même drapeau, dans un même univers, celui de la France et du monde contemporains, celui de Paris dont l’Afrique et le Maghreb jamais n’étaient loin. Lassitude de ne pouvoir tout dire et d’avoir tout dit, tout dit et écrit de ce qui peut s’écrire dans l’impossibilité et l’indignité de se plaindre, de se dire soi-même. Farouchement indépendant, conscient de soi au-delà de tout orgueil, de toute vanité, très au-dessus de tout sentiment d’estime ou de mésestime de soi, naturel et simple, se proclamant simple, non complexe, pas du tout tortueux et étant en effet l’accessibilité-même à qui s’en donnait un tant soit peu la peine, Michel JOBERT n’avait ni référence, ni modèle. Il avait des amis, il n’imitait personne, il ne faisait pas de disciple, il exigeait qu’on soit limpide, précis, net, pas pesant, pas dépendant, pas triste pour ce qui ne vaut ni larme ni réflexion. Il ne se plaignait pas, sinon de n’être obéi, servi dans les choses minuscules de la bureautique, aussitôt qu’il en avait la nécessité ; il souhaitait qu’en retour on ne se plaignît pas non plus. L’exaltation était son contraire, sa joie, ses joies, la venue du succès, je n’en fus pas le témoin. Je suppose qu’il restait d’apparence sceptique et amère, parce qu’il savait, vivait et enseignait la précarité de presque tout, sauf de la valeur d’un acte humain. 13 heures 40 +



Dix ans « après »


De lui, on ne voyait pas la petite taille que ce soit dans les médias ou en tête-à-tête, quoiqu’elle fît partie de sa légende. Comme d’autres et au contraire d’autres encore, il savait utiliser ce qu’il était à tous égards. Coléreux, injuste, difficile à vivre, il se contrôlait cependant au physique et au mental car son rapport à autrui était le même que celui de son intimité à lui-même : exigeant. Le visage si attentif, séduisait, retenait au possible.


En attendant de bâtir – à pas beaucoup – davantage pour la mémoire de quelqu’un qui fut universel pendant quelques mois et qui laisse une œuvre de réflexion politique par l’expérience et par les personnages, et une autobiographie en plusieurs essais de mémoires et d’anticipations (œuvre telle 1 et plume telle que je commençai peu avant sa mort de faire campagne pour son élection à l’Académie française, sans lui en avoir d’abord parlé, sans permission, je veux ce matin, paisiblement, l’invoquer comme un exemple décisif mais actuellement perdu.


La carrière est simple : le Maroc de naissance, Paris pour les études et l’Ecole nationale d’administration, Dakar et Gaston Cusin comme première grande affectation (c’est de la Loi-cadre et du mouvement d’émancipation africain qu’il s’agit), du cabinet ministériel avec Robert Lecourt (le Sahara), puis le grand moment avec Georges Pompidou à tous les grades du cabinet à la direction de ce cabinet, le secrétariat général à l’Elysée, le Quai d’Orsay… de là, un magistère d’influence, une voix recherchée plus par les journalistes du fond que par l’audiovisuel mais tels que François Mitterrand le veut en premier visiteur à la suite de son élection présidentielle. Entretemps, le Mouvement des démocrates dont la propriété intellectuelle faillit lui être volée par un François Bayrou, certainement respectueux s’il avait connu « le ministre » et qui organisa autrement son appellation à l’inspiration d’origine peu différente de celle de 1974. Projection en fait de toujours la même certitude quelles que soient les circonstances et les applications : être conséquent, ne pas parler la langue de bois, ne pas s’illusionner. Ce qui quotidiennement donnait certes de l’humeur, parfois de l’humour, mais toujours une démarche exceptionnelle, parlante. Des mots non apprêtés firent l’histoire si celle-ci s’arrête encore sur image… « Est-ce une agression que de vouloir rentrer chez soi ? » donna la position de la France, selon le vœu exprès de Georges Pompidou regrettant la spontanéité du Premier ministre alors Pierre Messmer qui avait admiré, en militaire, le redressement de justesse des Israëliens dans la guerre du Kippour (Octobre 1973 – avec le soutien décisif mais déguisé de l’aéronavale américaine en Méditerranée). … « Je leur dirai : bonjour les traîtres », quand Michel Jobert rapporta en commission sénatoriale des Affaires étrangères le lâchage de nos partenaires de la Communauté européenne devant la volonté de Kissinger de les solidariser avec la politique énergétique américaine face aux Arabes : l’agence internationale de l’énergie face au « premier choc pétrolier »…


A Matignon, c’était l’homme du contact avec l’extérieur car il écoutait et pouvait tout entendre et recevoir. Surtout rapporter sans précaution à l’interlocuteur que fut, pour lui, Georges Pompidou pendant onze ans. L’intrépide face au classique. Il me dédicaça parfois : au poète. Lui qui prêchait la lucidité a certainement pratiqué, comme aucun dans la politique française contemporaine, la volonté, la recherche, le discernement de l’idéal. Il ne l’attendait pas des hommes, surtout des dirigeants – qui n’étaient en somme que des obstacles pour les peuples – mais de ceux-ci, bien moins précaires, bien moins changeants, et aux intérêts légitimes, dépersonnalisés.


Au gouvernement de François Mitterrand, il ne fit rien – me sembla-t-il – que d‘observer. Le président de la République ne sut pas s’en servir et l’affecter comme l’avait su Georges Pompidou : voix de la conscience, de la traduction du temps et de l’esprit des gens. Le pouvoir politique en France est rarement informé. Il le fut en Mai 1968, grâce à Michel Jobert, un inconnu du public et de la presse d’alors. Georges Boris et lui avaient été familiers : ils s’étaient rencontrés au cabinet de Pierre Mendès France. Davantage par son engagement dans les forces de la France combattante et par une attitude de toute la vie, jusques dans ses dernières années où il fut vers les mondes méditerranéen et arabe la voix de la France, que par une carrière directement attachée à l’homme du 18-Juin, Michel Jobert est – de fait – l’une des étoiles les plus vives de la constellation de Gaulle.


Que sema-t-il par le Mouvement des démocrates ? cela ne se traduisit par aucun élu à l’époque mais bien des adhésions morales et des fidélités que je constate encore aujourd’hui : celles du tout venant, plus quelques partenaires du beau temps, en secret relatif. La perte du « parti gaulliste » se consomma en 1974 quand manifestement il ne put même y chercher sa place. La machine contre la vie.

Samedi 26 Mai 2012

Une campagne pour son élection à l’Académie française



Paris, le dimanche soir 28 Mai 2000


écrit aux immortels – en vie à l’époque – et en personnalisant chaque lettre


n’ayant ni connaissance ni pratique des usages de votre belle et prestigieuse Compagnie,


je prends la liberté sans autre forme de recommander à votre réflexion et à votre suffrage – que je souhaite – une candidature qui ne se déclare pas d’elle-même, celle de Michel JOBERT, au fauteuil d’Alain PEYREFITTE.


Depuis l’été de 1971, j’ai été l’un des visiteurs et correspondants de ce dernier, et depuis 1973-1974 l’un des amis du premier.


Au mémorialiste et à l’essayiste politique, ancien ministre, il siérait bien que lui succède un écrivain ayant le même caractère de philosophe de la chose publique, d’épistolier gouvernemental, romancier parfois, promoteur convaincant du parler et de l’écrire français avec éclat quand il fut sur la scène mondiale, et depuis sur beaucoup d’ondes, et avec beaucoup de livres. Vous trouvez ci-joint une liste de ceux-ci. Michel JOBERT, siégeant parmi vous, ce serait aussi un signe donné par la France à cette francophonie méditerranéenne et maghrébine qui importe à notre universalité, à notre nombre et constitue un de nos renouvellements possibles.


Pour porter cette candidature et la faire se déclarer, il faudrait un ou plusieurs parrains la pressentant, car cette lettre se fait sans concertation avec l’ancien Ministre des Affaires Etrangères. Si vous souhaitez que, de vive voix, nous en parlions davantage, ce qui me donnerait aussi le grand honneur de faire votre connaissance, je suis à votre disposition, selon les convenances que vous m’indiquerez. Vous trouvez également jointe ma biographie, à cette fin./.


L’œuvre de Michel Jobert



Mémoires d’avenir 1974


Les idées simples de la vie 1975


L’autre regard 1976


Lettre ouverte aux femmes politiques 1976


La vie d’Hella Schuster roman 1977


Parler aux Français 1977


Maroc, extrême Maghreb du soleil couchant 1978


La rivière aux grenades roman 1982


Chroniques du Midi libre 1982


Vive l’Europe libre ! en coll. 1983


Par trente-six chemins 1984


Maghreb, à l’ombre de ses mains 1985


Les Américains 1987


Journal immédiat… et pour une petite éternité 1987


Vandales ! 1990


Journal du Golfe, août 1990-août 1991 1991


Ni Dieu ni diable 1993


Chroniques de l‘espérance 1988-1992

Horizons méditerranéens 1993


L’aveuglement du monde occidental,

Chroniques de politique internationale 1993-1996 1997


Les illusions immobiles chroniques 1999



Prose poétique en ce qu’elle entre, sans apprêt ni avertissement de genre, dans le plus vif d’une situation et de la morale qu’il convient d’en tirer. Les portraits – de politiques, de femmes, ou d’anonymes qui l’ont interpellé – Michel Jobert en tire aussi bien de personnages, que de paysages ou de moments, les siens, ceux de notre pays, ceux de l’époque, ceux de toujours puisque l’autre rive de la Méditerranée est de toujours. La phrase est claire, et quand elle est allusive, c’est pour emmener et déposer en un lieu d’où l’on a le point de vue sur presque tout, y compris ce qu’il y a de plus exigeant, la relativité et la modestie.

Cet écrivain qui ne s’est avoué qu’en seconde partie de vie et de carrière, parle avec silence et invite à regarder ce que lui-même voit, et qui n’est pas vague. J’ai autant aimé le lire que j’avais eu de joie,puis de bonheur à le voir monter puis exister en scène politique, et le lisant, j’ai continué de l’entendre, mais sans amertume et avec un humour décodé. Nos auteurs contemporains de la jeunesse de Louis XIV et d’une jeunesse de la France le reconnaîtraient pour leur, même si nous et la France avons vieilli, ce qui est son sujet./.


parmi mes mentors


extrait du chapitre VII de ce que j’écris en vue de l’élection présidentielle de 2017


La voix est belle mais c’est le souvenir qui me l’assure. Ma chère femme aussi me le dit aussi : elle, à ses six ans, sa mère avaient ensemble été séduites vraiment par l’ancien collaborateur et ministre des Affaires Etrangères de Georges Pompidou, banal et presque mou, à côté de cet homme, pas grand de taille 2, d’une présence muette, intense. Le visage n’est pas mobile, il regarde, me regarde, le front dénudé, la bouche qui peut être sensuelle, je ne les vois pas. Michel Jobert 3 me reçoit, le bureau censément de Vergennes, une année vient de finir, dès sa nomination lui faisant quitter l’Elysée où il était le secrétaire général après avoir dirigé le cabinet du Premier ministre à Matignon et presque tout tenu, avec Maurice Grimaud, le préfet de police, pendant les « événements de Mai », il avait su que ce ne serait pas long. Il avait lutté contre la montre, pas pour la montre. Le Premier ministre d’alors, Pierre Messmer dont il avait soufflé le nom au successeur de de Gaulle pour remplacer Jacques Chaban-Delmas, agaçant à force de plaire à l’opinion publique et à l’Assemblée nationale, venait de saluer le très difficile redressement israélien après l’attaque-surprise d’Anouar-Al Sadate, vengeant Nasser. Georges Pompidou, tenant au dialogue euro-arabe qu’il avait inauguré en même temps qu’il acceptait l’entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté des Six 4 désormais vouée à l’extension continue, avait demandé au ministre, jusques là inconnu, de remettre les choses d’aplomb, au moins pour les opinions là-bas et pour un peu de réflexion chez nous. Coincé par les journalistes venus en grand nombre, sans que se distingue un décor gouvernemental, Michel Jobert demanda – au monde entier – le soir même : est-ce être agressif, que de vouloir rentrer chez soi ? Volant vers Stockholm où allait s’ouvrir la première conférence des temps nouveaux – ceux de la détente souhaitée, préparée, pressentie par de Gaulle et Couve de Murville – la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, la C.S.C.E. s’instituant, le ministre prend connaissance de ce que lui ont préparé ces services et qu’il doit lire. Il froisse, qu’y comprendrait sa concierge ? rien, or il s’agit d’elle, de tous les Européens, au silence à l’est, au verbiage à l’ouest et tous sous surveillance de soi-disant plus grands, sinon légitimes : l’Union Soviétique, les Etats-Unis d’Amérique. Michel Jobert parlera, sans notes. Il me fait maintenant lire ce qu’il a lui-même écrit : Georges Pompidou est mort depuis six jours et demain, il y a l’Assemblée générale des Nations Unies, il veut évoquer cet homme qui « savait où il allait ». Lui-même en atteste. Quand il fut nommé, pour l’ensemble des commentateurs, ce ne pouvait être que « la voix de son maître ». Pourquoi ai-je cru aussitôt le contraire ? pourquoi ai-je prévu qu’introduit comme cela au pouvoir, le collaborateur fidèle et intime n’allait servir qu’en étant différent d’un explicite jusques là pas très convaincant ni contagieux. Et le choix de la différence amènerait, quatre ans après le départ de celui-là, à de Gaulle. Je l’écrivis donc au nouveau ministre, Michel Jobert me répondit de sa main et me confia, pour information, à Raoul Delaye, son camarade de promotion et son ami d’intelligence. Pendant un an, j’étais régulièrement ou à ma demande instruit de que le ministre pensait, ou refusait ou allait essayer. De la tribune que m’accordait autant que jamais Le Monde, je soutins à fond le nouvel homme de la parole française.


Maurice Couve de Murville, parce qu’il n’aimait pas Georges Pompidou, n’avait guère d’inclination pour Michel Jobert, mais celui-ci en avait pour le grand exemple. Je ne pus les faire se rencontrer. Jacques Fauvet déjeuna avec Michel Jobert, à mon instigation et cela ne réussit pas. Les registres, entre chacun de mes conducteurs d’évaluation et d’écriture, n’étaient compatibles, ne se recouvraient que dans ma pensée. Ecrivant certainement et dans pas longtemps, sur chacun d’eux, j’essaierai de montrer cette combinaison certaine de la foi, la même, et des talents, très différents pour notre cause de France et d’Europe.


Je m’entretenais ainsi avec Michel Jobert, pour la première fois 5. Nous connûmes notre chagrin. On crut, à sa sortie en avance d’un conseil des ministres, présidé comme en 1969 par Alain Poher, président du Sénat, et donc président de la République par intérim, qu’il allait se présenter à l’élection : il était devenu notoire, populaire, le resta. Au lendemain de son élection présidentielle, François Mitterrand le reçut, premier de tous ses soutiens et de ses entourages. Rue de Bièvre, il arrivait à pied seul, les photographes en chalut autour de lui. Il a écrit aussi bien ces débuts et une inconséquence fréquente, la désinvolture parfois du nouveau roi. Il rédigeait si simplement que le miracle se soutenait à longueur de ses livres, interrogeant les immortels du quai de Conti, je fus confirmé qu’il serait reçu à l’Académie française à laquelle il songeait d’autant moins qu’il eût voulu la présidence de la S.N.C.F., sous Valéry Giscard d’Estaing, ou ensuite l’académie Goncourt.


L’enfant de Volubilis et de Meknès, ne découvrant la France qu’à ses vingt ans, faisant pour elle la guerre d’Italie et scandalisé rétrospectivement que les mémoires de Charles de Gaulle fassent si peu cas des combattants de 1943-1945, resta en toutes occasions et conversations l’homme des Arabes et du respect. Le Mouvement des démocrates qu’il fonda, sans succès électoral, fut pendant une croisade pour la vie, pour que chacun soit « l’évidence qui dérange ». En tête-à-tête, ou par des lettres à l’énergie et à la perspicacité entraînante, il me mit jusqu’à sa mort – mort de lassitude – en face de moi-même et de ce que, le pouvant, je devais faire. Une exhortation au caractère et à la rigueur. Dédicaçant ses livres 6 comme personne, parce qu’il étudiait sans impudeur mais avec profondeur,  certitude, celle ou celui lui présentant ouvert son nouveau livre, il en disait autant. Nous recevions, chacun, en pleine vie, le texte de notre propre épitaphe, celle vers laquelle tendre. Tout le temps.


L’admirant ainsi, l’aimant, je m’aperçois que cette vie qu’il me souhaitait, a été jusqu’à présent, une simple introduction. Je n’ai toujours fait qu’écrire et aimer. Faut-il davantage, davantage qui dépende de moi ? Oui, mais cela dépend encore plus de vous : pour commencer et continuer. On ne décide jamais seul, car on pense aux autres. Je pense à vous. Parler aux Français, Michel Jobert me l’apprit en me confiant souvent la harangue de conclusion à nos rassemblements du Mouvement des démocrates. Aujourd’hui sous la cendre, mais il me semble qu’en campagne, elle peut rougeoyer, chaude. Cette tentative comme toutes celles, avant ou depuis, médiatisée ou instinctive, nationale ou de village. Faute de dirigeants, faire nous-mêmes. Et si de bons dirigeants réclament notre soutien, encore plus faire nous-mêmes : ils seront émancipés des mauvais génies et des apathies mentales qui depuis vingt ans nous enveloppent dans leur linceul. La France, depuis, fait semblant et nous ne pouvons plus la reconnaître si la participation, la démocratie, la considération sont si peu le cours politique. L’applaudissement ne fait pas même frémir l’air qui nous maintient en vie. Qui ne le sait ? même le bateleur.


Mais le vrai testament n’est pas un ou plusieurs livres particulièrement réussis et bien vendus, au moins pour le premier à paraître 7, ni un corps de doctrine, ni même des conseils de comportement aux militants de ce mouvement politique dont le nom fut proche d’être dérobé, et à des tout-venants de province, il est – je crois – dans un pèlerinage que l’ancien ministre entreprend dès que le pouvoir et les facilités apparentes dont l’Etat, chez nous, l’accompagne. Michel Jobert part à la recherche des Français, à notre recherche. Conduisant lui-même sa voiture, il sillonne la France, disponible à toute invitation, il n’est regardant, susceptible qu’envers l’étranger : il veut bien s’y rendre, mais à condition que le protocole y soit, que son rang soit reconnu et respecté. Il n’a pas tort, chez nous et entre nous, la démocratie s’éprouve comme elle peut. Ses apostrophes des plus grands – à tous les sens du terme, y compris le littéral – lors de réunions publiques dont les partis savent organiser pour eux seuls, l’estrade, sont des avertissements, des prophéties, à trente ou quarante ans de distance. Michel Jobert meurt, il y a quinze ans, en dénonçant la cécité de nos Etats et les illusions la causant. Ses périples ne lui apportent que les journaux locaux, des isolés, l’avenir et les paris ne le favorisent que quelques mois, à l’avènement de son collègue dans le dernier gouvernement de Georges Pompidou. Il ne peut se présenter à l’élection présidentielle de 1981, le Mouvement des démocrates n’aura jamais la moindre représentation parlementaire, mais une estime grandit, les journalismes et le journalisme – bien avant qu’existent et gagnent les « réseaux sociaux – le prisent. Les analyses justes sont rares, Michel Jobert en a le talent de plus en plus solitaire : le Tiers Monde, l’esprit qui n’a pas d’étiquette vont à lui. Est-ce de lassitude qu’il meurt en interrogeant son plus proche ami : « savez-vous ce que c’est ? la lassitude »Témoignage d’une énergie qui a agrandi le champ du possible.


Combien, en vous le présentant, me suis-je senti son cadet, autant que lors que je lui écrivais, surtout quand il fut en responsabilité ministérielle, et moi, à d’autres théâtres que la France officielle refusait d’honorer d’une présence plus que rituelle : au Portugal, en Grèce, il pensa me rejoindre. Lui et Maurice Couve de Murville écrivirent chacun une lettre de soutien à ma tentative, tout indépendante, comme leur propre parcours, de succéder à un personnage dans le Jura en élection partielle. Il suffira de vous montrer, me dit-il. Faites-vous photographier avec ledit personnage, m’assura Michel Debré. M’activant dans les neiges de la « petite Sibérie », celle de notre Armée de l’Est en 1870, du côté de Mouthe dont le futur gagnant du siège, pour trente ans : un chauffagiste, ainsi qu’il se doit, je songeais au Marocain selon le droit du sol et au froid qu’il subit autour du Mont-Cassin puis en Alsace. Il exigeait, mais plus encore que de ceux qu’il avait séduits, il exigeait de lui-même. Nous déjeunâmes chez Antoine avenue de Versailles à Paris, en compagnie de sa fidèle collaboratrice 8, et aussi de ma chienne, née au Kazakhstan. Je perdis par oubli mon appareil photo. Et lui reporta de dédicacer son dernier livre. Je cherchais qu’il m’expliquât pourquoi il me semblait si complexe, multiple mentalement alors qu’il me donnait tant de sa présence, de son temps et de son estime. Il me répondit qu’il n’y avait pas plus simple que lui. Je crois que nous étions déjà dans l’au-delà, il n’avait jamais été plus prévenant et de politique nationale ou internationale, nous n’avions pas du tout parlé. Il marcha avec moi le long de l’avenue, et pour faire monter la chienne dans la voiture, et le saluer encore, je posais mon appareil à même le trottoir. Les dernières images de lui y restèrent. Intensément, il avait vécu et fait vivre.

Février 2017

1 -

Mémoires d’avenir 1974

Les idées simples de la vie 1975

L’autre regard 1976

Lettre ouverte aux femmes politiques 1976

La vie d’Hella Schuster roman 1977

Parler aux Français 1977

Maroc, extrême Maghreb du soleil couchant 1978

La rivière aux grenades roman 1982

Chroniques du Midi libre 1982

Vive l’Europe libre ! en coll. 1983

Par trente-six chemins 1984

Maghreb, à l’ombre de ses mains 1985

Les Américains 1987

Journal immédiat… et pour une petite éternité 1987

Vandales ! 1990

Journal du Golfe, août 1990-août 1991 1991

Ni Dieu ni diable 1993

Chroniques de l‘espérance 1988-1992

Horizons méditerranéens 1993

L’aveuglement du monde occidental,

Chroniques de politique internationale 1993-1996 1997

Les illusions immobiles chroniques 1999



2 - de Gaulle à Kissinger, suivant Richard Nixon dans le bureau présidentiel, au dernier printemps d’un pouvoir qui fut révolutionnaire : quelle énergie dans ce petit corps !


3 - Michel Jobert . 1921 + 2002 . né au Maroc, arrivant en France à l’âge de 20 ans, « faisant » la campagne d’Italie, il participe au cabinet de Pierre Mendès France en 1954-1955, puis à Dakar, est le premier collaborateur de Gaston Cusin, Haut-Commissaire général en A.O.F.. Après un moment au cabinet de Robert Lecourt, ministre du Sahara, il entre à celui du Premier ministre Georges Pompidou en 1964 et le dirige de 1966 à 1968. Secrétaire général de l’Elysée de 1969 à 1973, dès qu’y arrive l’ancien Premier ministre. Ministre des Affaires Etrangères de Georges Pompidou en 1973-1974 (c’est à la fin de cet exercice qu’il me reçoit), et enfin ministre d’Etat, chargé du Commerce extérieur, avec François Mitterrand de 1981 à 1983. En 1974, il fonde le Mouvement des démocrates


4 - elle fut secrètement négociée par Michel Jobert avec Edward Heath, devenu Premier ministre en 1970

5 - le 8 avril 1974 - nous ne nous quitterons plus jamais de pensée ni de correspondance.

6 - sa bibliographie

Mémoires d’avenir, 1974

Les Idées simples de la vie, 1975.

L’Autre Regard, 1976

Lettre ouverte aux femmes politiques, 1976

Parler aux Français, 1977 . dont il me fait l’honneur que je l’introduise

La Vie d’Hella Schuster, 1977

Maroc, Extrême Maghreb du soleil couchant, 1978

La Rivière aux grenades, 1982

Chroniques du Midi libre, 1982

Par trente-six chemins (je n’irai pas...), 1984

Vive l'Europe libre !, 1984

Maghreb, à l’ombre de ses mains, 1985

Les Américains, 1987

Journal immédiat... et pour une petite éternité, 1987

Vandales, 1990

Journal du Golfe : août 1990-août 1991, 1991

Ni dieu ni diable. Conversations avec Jean-Louis Remilleux, Albin Michel, 1993

L’Aveuglement du monde occidental. Chroniques de politique internationale 1993 - 1996, 1997

Les illusions immobiles : chroniques de politique internationale 1996-1998, 1999


7 - les Mémoires d’avenir dès l’automne de 1974

8 - Denise Ragot, restée avec lui depuis le moment où mon administration d’origine la lui avait adjointe quand il vint, censément, la superviser, quai Branly. Il découvrit que notre République peut être gouvernée par des ministres sans décret d’attribution et sans même une influence de nomination pour les personnels censés exécuter tâches et animations correspondant à l’intitulé du portefeuille : la Direction des Relations Economiques Extérieures, donc, et le ministère du Commerce extérieur . 21 Mai 1930 + 3 Décembre 2019

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