samedi 4 juin 2022

lui à qui je dois ma signature . Jacques Fauvet 9 Juin 2014 + 1er Juin 2002 Une conscience française

 







Dimanche 9 Juin 2002


15 heures 15 + Je me suis donné ce moment pour recueillir en moi autant qu’il est possible toute la présence d’un être qui m’est cher, qui me fit du bien, me fut toujours accessible et avec lequel la communication était aisée parce qu’il avait le don de mettre de plain-pied l’interlocuteur, l’ami, le quasi-fils que j’étais. Ce don est de deux manières ; il savait s’y prendre et il savait le donner. Je ne sais s’il le manifestait de la même manière avec ses collaborateurs ni comment il fut avec sa femme, avec ses enfants. Curieusement, cet homme tout d’une pièce, transparent d’agenda et de pensée, disant et écrivant strictement ce qu’il sentait et ce qu’il savait, rien de plus et rien de moins, ne disait rien sur les tiers lors d’une conversation particulière.


Il vivait dans sa chair, dans sa peau, dans son physique – le faisant souvent, à mes yeux, répliquer BOURVIL, la sagesse et la capacité de s’étonner de celui-ci – et il vivait donc dans un agenda serré, bien tenu, sans fausse donne, sans la moindre ombre, et dans l’ambiance familiale qui était la continuité de la famille au journal, et celle-ci était la continuité, et ainsi de suite… Oui, une continuité d’humeur, de rire dans la fatigue, d’exclamation devant l’imbécillité ou ce qui est scandaleux. Peu de silence, beaucoup de faire, une disponibilité totale pendant le moment accordé et tel que prévu. Il s’épanchait avec moi, cela veut-il dire qu’il s’avouait aussi avec d’autres ? Ces épanchements étaient surtout relatifs aux co-équipiers du journal, l’ensemble de ceux qui travaillèrent au premier étage de la rue des Italiens pendant vingt ou trente ans, ainsi que lui. Ce n’étaient pas des considérations sur des relations hiérarchiques et leurs éventuels dysfonctionnements, ce n’était pas non plus un souci à l’égal de celui qu’il avait de sa famille plus encore parce qu’il aimait les siens que parce qu’il s’en serait senti exagérément responsable. Il croyait aux institutions et à la qualité de leur fonctionnement en autonomie : la famille, la rédaction et le journal lui-même, la démocratie et la République, la France et s’il se scandalisait c’est quand il lui fallait bien voir, admettre et donc communiquer que tel ou tel ne tenait pas sa place, par incurie et paresse le plus souvent, par lâcheté parfois, plutôt que par inadéquation radicale. Pessimiste sur la chronique des jours, toujours pires et davantage corrompus, atteints par la corrosion et la faiblesse des esprits, il ne l’était pas sur les hommes ni sur aucune des institutions publiques ou privées qui étayent une vie, une histoire humaines. Il ne se croyait pas non plus moraliste en charge de son temps ni témoin privilégié à raison de son expérience et de ses relations de journaliste de premier plan dans le premier plan. Il était simple dans sa pensée, dans son expression, dans ses analyses parce qu’il était immédiat et regardait les êtres, les gens selon ce qu’ils étaient capables de faire et faisaient ou ne faisaient pas. Il avait donc à dire sur ses collaborateurs ou co-équipiers, et me le disait souvent. Je ne sais si j’ai noté chacune de nos conversations aussitôt. Je venais la plupart du temps pousser un de mes papiers après avoir téléphoné et écrit, téléphoné à sa secrétaire, on ne disait pas encore assistante, alors que s’il y eût une assistante du directeur, ce fut bien Nicole BARBARIN, et écrit au directeur. Je n’apprendrai que très progressivement combien mes papiers rebutaient la quasi-totalité des rédacteurs de premier rang (ceux du premier étage, où il me fit faire un tour à la fin des années 1970 dans la pensée que nous avions ensemble que peut-être je pourrai m’y faire admettre, et ainsi entrer vraiment au journal, pour y demeurer), et combien, de fait, la publication dont j’étais fier mais qui me paraissait assez naturelle puisque mes propos n’étaient redondants d’aucun et formaient par eux-mêmes une des composantes de l’opinion qui sans moi, c’est-à-dire sans le choix délibéré de Jacques FAUVET de me faire paraître et de continuer à me publier, n’eût pas été vraiment ni fidèlement représentée dans les médias écrits. BOURGINE, adversaire à tout prendre et finalement élégant, de Maurice COUVE de MURVILLE dans le VIIIème, parlait de « gaullisme intégral ». Je le veux bien…


Donc Jacques FAUVET me donna ma signature, mais il faisait davantage en me recevant si régulièrement et en répondant de temps à autre à mes instances, presque toujours d’ordre éditorial. En écho avec ce que j’avais vécu durant mon service national en Mauritanie seulement six-sept ans auparavant, il me donnait à percevoir ce qu’a d’humain, ce que peut avoir d’humain donc de perfectible, d’accessible mais aussi de moral et de beau l’exercice d’un grand pouvoir. Gouverner un pays et avoir la responsabilité d’un des principaux journaux, sinon du principal, dans un pays donné, est de même genre. La parole pèse infiniment, les esprits peuvent être orientés pas tant selon un système ou par des combinaisons – cela se découvre toujours et l’on ne manipule durablement personne, en tout cas personne qui est personne collective – mais parce qu’une autorité morale, une sorte de visibilité du chemin à poursuivre et qui tient à une personne ayant son équation propre sont ce qu’il y a de mieux pour que les individus se reconnaissent dans une action d’ensemble censément menée en leur nom. Cela peut se dire et cela se ressent plus simplement et lapidairement. Jacques FAUVET regardait et critiquait en Français moyen mais avec une telle liberté vis-à-vis de soi-même, de sa propre histoire et même des sympathies qu’il avait à l’égard des personnes bien plus que des partis ou des régimes, qu’il en devenait exceptionnel et que sa sérénité de ton à l’écrit en fit le moraliste du règne de GISCARD et le soutien objectif d’une gauche dont il fallait que la tentative de gouvernement ait toute sa chance. Il était donc détesté, y compris à l’intérieur du journal, sans que cette détestation fut jamais ni pesante ni nombreuse, m’a-t-il semblé, mais elle était usante et fut manifestée par « l’affaire Legris ». Ce dont il m’entretenait avec régularité, c’était cela, une fois que POMPIDOU fût mort et qu’il n’y eût donc plus matière à ce procès en fidélité dont j’avais reçu la spécialité par simple et tranquille octroi d’une tribune dépassant de beaucoup ce que, du haut d’elle, je pouvais clamer : les difficultés financières tenant au « bouillon » quotidien, la chute des publicités, la strangulation que tentait de nouer autour du journal le pouvoir et des amis dans l’industrie et le commerce, notamment dans le nord de la France. L’indicateur était la montée du Figaro. Latéraklement il y avait les naissances du Quotidien de Paris, puis de Libération ; il en connaissait les directeurs, et avait reçu TESSON et son défi. Il ne considérait pas les hebdomadaires, tout simplement parce que le champ n’était pas le même, je ne l’ai jamais entendu déblatérer sur aucun, ni non plus sur un confrère directeur d’un quotidien ; en revanche, il ne se censurait pas quand il s’agissait, en positif, ou en négatif, d’un camarade de journalisme dans les années 1950 ; ce qu’il ne pardonnait pas à ceux-là, la boursouflure, l’enflure, la palinodie, la discontinuité, en somme l’inconséquence – il n’est pas paradoxal que le seul article élaboré et de fond qui ait été publié dès l’annonce de son décès, soit signé de Georges SUFFERT, précisément une de ses cibles chaque fois qu’il avait lu dans les années 1970 un papier en contradiction trop grande avec ce que lui savait de celui-ci - avait son pendant quand il jugeait, pour s’en plaindre, un collaborateur du journal. Le pire reproche à encourir était la paresse. Alors que « pigiste » ou « collaborateur extérieur » (j’ai même en 1974 figuré dans un organigramme qui me semblait avoir été confectionné et répandu tout exprès pour m’afficher…), j’étais au contraire à réclamer, quémander un espace, d’autres lui paraissaient indignes parce que précisément ils n’occupaient pas le leur, ne contribuaient pas en fait au travail de chaque jour.


Il incarnait une vraie sécurité, celle des mœurs, de la décence, de la vérité d’un papier. Relisant toute la copie, il le disait et je crois bien qu’il le faisait chaque, qu’il le fit chaque jour et pas seulement en ses treize ans de mandatures successives à la tête du journal, il n’aurait jamais laissé passer une erreur manifeste, une attaque infondée ou inopportune. Avec lui, le jugement politique était non seulement libre et indépendant, mais il fallait qu’il fût loyal tant envers le lecteur qu’envers la personne, le pays, l’institution faisant l’objet du commentaire. Il assumait et concluait. La politique, dans le journalisme qu’il pratiquait, était à la fois l’évidence que personnellement chacun ressent à respirer l’air du temps et à regarder s’ébattre ceux qui tiennent la scène et une construction raisonnée en morale et en conscience. On ne pouvait, avec lui et selon lui, être tactique ou ne pas trancher. Il fallait aller sans masque puisque précisément le journal ôtait des masques. La chose était écrite et se vivait d’une façon familière et familiale, dans une ambiance et suivant un vocabulaire, des tics, des habitudes d’expression et d’intonation qui auraient fini par dater et qui étaient celles des Sciences-Po. à l’époque où j’y fus (mes dix-sept vingt ans en 1960-1964) ; cela faisait une homogénéité considérable, presque structurante pour une certaine opinion publique, celle faisant cercle autour du pouvoir et que composent les étudiants en lettres, droit, économie et histoire, les responsables de partis, de syndicats et de grandes institutions, les politiques eux-mêmes, les quelques vingt-mille personnes qui en temps de paix font la notabilité et la rumeur et sont plus divers en âges et origines sociales qu’en appréhension personnelle des questions. Si un journal ne créait pas l’alternative, ne montait pas ou ne soutenait pas la querelle, en ce temps-là, rien ne serait sorti : les juges ne pesaient pas et Le Canard a toujours eu besoin d’être relayé. De ce point de vue, Le Monde de « J.F. » restait celui de « Sirius » en ce qu’il continuait de dire la morale et éventuellement le « bon choix » lors des élections, et il n’y avait pas de rupture d’un règne à l’autre dans ce qui était implicitement le fondement en contenu des convictions du journal et donc de ceux qui le « faisaient » ; FAUVET y ajoutait ce qui n’était pas encore le journalisme d’investigation qui est l’un des caractères du journal actuel mais qui allait permettre de s’y adonner par étapes, c’était de suivre une piste, une affaire, une personnalité et de ne plus lâcher. Ce fut « l’affaire des diamants » dont V.G.E. à lire ses mémoires rend responsable le directeur du Monde, et par suite estime que les résultats de 1981 en sont la conséquence. La lecture présidentielle du journal donnait lieu au temps de POMPIDOU à correspondance d’homme à homme, ce qui augmenta encore le relief de ma contribution : on n’était nullement au stade des affaires, mais de ce que le successeur du Général ressentait et lisait comme un procès d’intention, alors que l’homme du 18 Juin – BEUVE-MERY le rapportait avec complaisance – voyait surtout dans le journal un organe conduisant l’opinion à faux. Cette sécurité dont J.F. estimait qu’elle était principalement de sa responsabilité le rendit protecteur aussi bien de Philippe BOUCHER que de Gabriel MATZNEFF, notamment. Comparaissait-il en correctionnel eu égard aux personnes, ou indistinctement ? je ne suis pas placé pour le savoir. Il m’écrivait que si je subissais quelques sanctions ou désavantages de carrière à raison de la notoriété qu’il m’avait donnée, il prendrait parti dans les colonnes où il me publiait. Avait-il ses têtes ? on le disait, j’entends par là des favoris, et un dauphin. DECORNOY, BOIUCHER ? Pour le premier, il est probable qu’il eût souhaité l’avoir pour successeur, mais il n’insista pas, pas plus qu’il ne se crut en situation personnelle pour m’imposer à l’étage symbolique. Plus encore que le déballage tendancieux de LEGRIS (sinon carrément haineux), ce qui fit croire à une détrioration de son autorité ou même à une ambiance d’autorité tenant à son tempérament propre, fut la très difficile succession. Il s’était imposé naturellement du seul fait de sa longévité au poste-clé de la rédaction en chef, lui-même tenu en conséquence de la responsabilité du domaine de la politique intérieure ; je n’ai jamais pénétré sa relation avec BEUVE-MERY, il s’agaçait parfois mais rarement et sans vrais mots sur le maintien du fondateur dans les lieux, c’est-à-dire dans les combles du journal, sa femme en disait un peu plus, selon lui. Je crois qu’il y eut toujours estime professionnelle réciproque ce qui dans une intimité quotidienne de près de vingt-cinq ans est considérable, décisif. Il ne prisait pas FONTAINE qu’il jugeait courtisan et par cela vulnérable, mais il goûtait comme tout lecteur la facilité élégante de la plume et parfois la vérité, sinon le prophétisme des perspectives. Il avait confiance dans le jugement de VIANSSON-PONTE, dans le professionnalisme de l’information de PASSERON à propos du gaullisme, qui était alors presque le tout de la politique intérieure, dans celui, plus technique, de Gilbert MATHIEU pour l’économie à laquelle il n’a jamais dit qu’il ne comprenait goutte, et il admirait l’engagement et la persvérance lucide de BARILLON. Il savait, en somme, quelle exceptionnelle équipe il avait à diriger, même si ses affinités intimes allaient vers des rôles moindres : LAUZANNE, PLANCHAIS. Je dresse ce tableau de mémoire, mais je le crois véridique. Il m’a semblé lui faire découvrir la finesse de Pierre-Henri SIMON qu’il ne lisait pas, il était sévère pour POIROT-DELPECH qui sut y faire avec délicatesse allusion mercredi en ode funèbre. Il appréciait par-dessus tout le caractère, n’était dupe d’aucun mensonge, n’aurait jamais refusé la main tendue d’un adversaire infortuné. Avec le temps, il s’était pris à aimer Michel DEBRE. On ne l’entendait pas parler de confrères étrangers et, d’instinct – il est vrai que les difficultés financières étaient souciantes et chroniques – il répugnait à trop étendre la gamme du journal et à en faire « un groupe de presse ». Il était heureux de quelques alliances, il avait ménagé de la correspondance et des parutions communes avec quelques analogues en Europe, mais le moins qu’on puisse dire est qu’il était centré sur le métier initial du journal : une information qui ne déformât point. Il croyait au rôle du Monde. Il raisonnait d’ailleurs davantage en termes de devoir d’un organe de presse que de résultats en termes de diffusion, d’influence, de bilan. Sans doute, affleurait là sa morale privée : l’important est de faire avec assurance ce que l’on a à faire, il y a obligation de moyens, mais les résultats… il ne dissimulait d’ailleurs pas que l’évolution de notre société, à l’instar des autres sans doute – ce n’était ni un voyageur ni un comparatiste, du moins n’ai-je jamais relevé ce type de savoir et d’association d’idées dans nos conversations – rendait chacun à égalité de tous. Personne n’était décisif, pas même multiplicateur ou amplifiant. Il le disait, me le disait apparemment découragé, mais avec quel cœur il écrivait, puis reprenait et corrigeait un papier appelant aux urnes et qu’il avait fait délibérer dans son principe en « conférence du matin », mais qui était fondamentalement le sien. Il était toujours plus audacieux que la moyenne du journal, alors même que – directeur et responsable de la publication – il était le plus exposé, sinon le seul et qu’il arriva en 1981 que sa femme fut prise à partie nommément du fait de ses écrits. Ce n’était pas un homme de formules, mais c’était un homme de lucidité. Il ne relevait pas un trait, il allait au fond des choses et traitant l’ensemble et le détail, faisait – quand l’heure en était venue – un tableau complet et sans issue autre que celle que désormais il prédisait, d’une situation dont il avait longtemps et presque silencieusement accumulé l’analyse, se gardant de papiers de transition ou d’étape ; ainsi, en Novembre ou Décembre 1968, quand il sonna pour de GAULLE le glas, toute ingéniosité, tout génie ayant son terme face à la réalité. Selon lui…


Pour moi, son autorité personnelle était faite du prestige, de la fascination qu’exerçait sur moi pas tant la fonction et la puissance qui, à l’époque, allait avec, mais ce que je ressentais comme l’exercice assuré et excellent d’un métier que j’ai toujours trouvé l’un des plus grands et des plus gratifiants. Plus encore qu’une carrière universitaire, je regrette celle du journaliste, et surtout de l’éditorialiste d’un quotidien, car une opinion trop hebdomadaire ne marque que si elle est littérairement, philsophiquement de grande qualité – ce qui est rare ces années-ci même si persistent DANIEL, IMBERT et Jean d’ORMESSON au moins – tandis qu’une intervention de presque dertnière heure, sans périodicité et toujours loisible, me semble le vrai dialogue avec l’événement et avec l’histoire, le seul qui donne au lecteur d’entrer en tiers dans ce dialogue et par là de devenir l’acteur que plus tard on appelle le peuple. Jacques FAUVET, excellemment, était ce journaliste et il l’était duirablement et tout à fait au niveau d’un journal qui quoique indépendant passait en province pour la voix du pouvoir et à l’étranger pour celle de la France, sinon de la morale universelle. Car J.F. et le journal – une fois de GAULLE parti – étaient devenus « gaullistes » et rapportaient les lacunes de ses successeurs et des compétiteurs de ceux-ci à ce qu’avait été ou ce qu’aurait été le Général. Un homme de cette taille qui cependant sait être attentif, chaleureux, prendre en partage, quasiment à son compte les difficultés du jeune homme que j’étais sans cependant cesser de me traiter en adulte et en partenaire quand dérivait la conversation vers le bonheur familial qu’il me souhaitait et dont il témoignait à nouveau alors, je ne pouvais qu’être intensément heureux, fier, réconforté de le connaître privément et de compter sur lui. Et ce fut depuis 1972… auparavant, il m’avait reçu pour m’introduire auprès de Simonne LACOUTURE, j’étais en quête d’un éditeur pour une production non encore commise et portant sur ce pays et ce pouvoir dont l’approche avait juste précédé la relation que nous allions avoir. Mais cette rencontre brève en 1967 n’était pas grosse de celle, quasi-anonyme, de 1972. La Baule tenait déjà la grande place dans sa vie extra-professionnelle, et j’avais envoyé en quelques mois, successivement trois papiers, dont le troisième fut pris, moyennant rapport de qualité, élaboré par P.V.P. dont j’ai toujours souhaité avoir le texte mais auquel Jacques FAUVET fit souvent allusion et qui est peut-être l’analyse définitive de mes chances de parvenir à quoi que ce soit dans l’existence : on ne sait s’il écrit mal ou très bien…J’avais été jugé sur la forme, ma qualité mais je fus retenu décisivement par l’accent et le thème. Sur le remblai, on disait encore cela du boulevard de mer, le long de «  la plus belle plage d’Europe », nous nous rencontrâmes à quatre, lui au bras de sa femme et moi en compagnie non matrimoniale, ce qui me gêna. Il fut vérifié que j’étais bien celui qui écrivait et adressait des papiers, il me fut annoncé que l’instance allait être publié, ce qui me fit à jamais perdre toute chance à l’Observateur qui ne put comprendre alors que, débutant, j’envoyais tous azimuts ma prose pour avoir quelque chance qu’elle paraisse.


Nos derniers revoirs furent également à La Baule. Il y eut un moment au Portugal, mal commode pour moi, et où je négligeais de l’accompagner autant que notre lien amical – notoire et fort – me le permettait et en fait l’exigeait ; je le regrette. Il y eut des repas chez lui, à plusieurs reprises. Ma sœur Marie-Thérèse était amie d’enfance et d’adolescence de Sylvie. Epouse-t-on une jeune fille parce que l’on aime tous les siens et donc elle dans la circonstance ? je n’en eus pas vraiment l’imagination alors, je l’aurai aujourd’hui. FAUVET au féminin, qu’il s’agisse de sa femme Claude ou de sa fille cadette Sylvie, me paraissent au suprême degré épouse, accompagnante, discrète et personnelle à la fois. Grâce à elles, il semble que l’homme exposé ou sanguin dispose d’un repli, d’une arrière-scène ; ce n’est pas d’un repos ou d’une retraite qu’il s’agit mais bien d’une vie de rechange faisant valoir et favorisant la première, celle de façade et de société, de talent et de choix mais qui ainsi devient seconde et se laisse imprégner d’un équilibre, d’une épaisseur que la politique et son commentaire ne confèrent généralement pas. Une telle relation conjugale et filiale, sans doute, garantit contre tout narcissisme, protège des cahots et des chutes, magnifie avec une douceur dorée mais assourdie les succès. J’ai vu cela chez les JEANNENEY, il dut y avoir cela chez les DEBRE aux grandes générations ; bon point pour RAFFARIN, il y fait allusion dans son livre, des anges gardiens. Mais ce n’est pas un rôle d’office, c’est un rôle de premier plan dans une vie humaine que celui de l’épouse et de l’époux. Je ressentais en rencontrant mon vieil ami, quand passèrent les années et que le journal nous fut moins proche à l’un et à l’autre, cette force en lui et ce manque en moi. D’autant que d’une certaine manière, je fus orphelin de père assez tôt. Famille, foi religieuse, métier en tant que métier et non selon ce dont il s’agissait, tout cela était vécu par Jacques FAUVET à la manière de beaucoup de générations françaises jusqu’à nous : ni aisé, ni pauvre, ni bourgeois ni arriviste, étonnamment et calmement posé en sorte qu’une indépendance vis-à-vis des conjonctures économiques et politiques, du renouvellement des élites et du commentaire ne mutilèrent ni ne diminuèrent l’ancien directeur du « grand quotidien du soir ». La C.N.I.L. le marqua-t-elle ? Elle me parut marquer la reconnaissance que pouvait avoir –d’intuition mais sans réelle amitié – FM pour JF : le journal avait souhaité l’alternance, en avait analysé et prédit la viabilité, le sérieux, ce qui ne fut pas inutile. Elle semble maintenant assez typique de Jacques FAUVET ; il la présida dans un relatif isolement, comprenant le sujet, voyant surtout la carence et les tentations très concrètes des politiques, redoutant que l’intégration européenne dans la matière produisit un régime et des protections bien moindres que dans la version française. Se battait-il ? je n’en sais rien. Il me disait les circonstances, les personnages et ses impressions exactement comme si nous étions encore à nous entretenir rue des Italiens. Cette présidence manifestait, comme auparavant la réception d’adieux donnée à l’Opéra en grand prestige et remuement d’excellences et comme cette semaine les honneurs aux Invalides, une sorte de décalage qui introduit à un mystère. Jacques FAUVET a vécu l’Histoire en en disant le texte, par transcription d’une observation quotidienne et du jugement que les faits et les gens appellent nécessairement, mais il n’en était pas pétri et, journaliste absolument, il ne reportait pas à des années de prescription ou à un recul propice à l’objectivité ce qu’il fallait énoncer aussitôt. Le jugelent de l’Histoire, non ! Et il a raison, si le contemporain voit clair, la postérité lui donnera raison. Si l’on se trompe à une époque, rien ne rattrapera les conséquences et la chaîne de causalité nées et commencées du fait de l’erreur. C’est ce qui, implicitement, fait toute la valeur de l’observateur, du commentateur, du contemporain, l’Histoire est toujours immédiate et écrivant sur la crise paysanne, sur la fronde des généraux ou sur la Ivème République, n’est-ce pas lui qui – définitivement – a fixé le sujet, sa dialectique, ses structures, et il sut le faire, sur le champ. Là est son talent de journaliste, mais aussi d’animateur d’une équipe, d’un organe et par là d’une époque. La sienne commença avec la culbute au fin fond du précipice qui associe pour toujours des vies individuelles à la chute d’un pays. La mienne a commencé dans la lumière que donna le Général aux années 1960, françaises par excellence. Mais ma rencontre de Jacques FAUVET a fait la combinaison de ces deux moments en sorte qu’ils produisent une conscience française. Depuis, il y a le droit au scandale, le droit à l’expression, et qui n’en use pas est solidaire de fait de ce qui se manque, se salit, se crétinise.


Deux choses s’annexent cependant en forme de regret à toute cette construction que JF a faite en moi. La coincidence de sa mort, à quelques jours près, avec celle de Michel JOBERT, un autre de mes « pères fondateurs », contraste avec le peu de relations qu’ils eurent l’un avec l’autre, et malgré la tentative que je fis pour les nouer l’un à l’autre. Ils m’ont montré chacun, quoique leur situation et leur parcours soient très différents, notamment pour ce qui est de l’affectif et aussi de l’immédiateté de comportement avec le vis-à-vis, qu’ils étaient solitaires, l’un et l’autre, à leur façon. Et pudiques. Celui qui écrit et qui observe avant d’écrire, écoute et attend, il ne prend pas de lui-même la parole et propose peu, c’est à celui qui vient vers lui d’opérer la demande, l’environnement et d’inventer le mode d’emploi s’il existe. J’aurais voulu aussi des mémoires, autant à propos des événements vécus depuis les années 1939 qu’en consignation d‘une certaine déontologie, d’une expérience professionnelle dans un genre où il faut réunir tant de conditions et tenir tant de fronts, personnellement et en association. Jacques FAUVET ne s’y résolvait pas, la plume ne lui tenait plus dans la main, peut-être et quelques pages que la Mazarine avait sollicité de lui il y a une quinzaine d’années, n’étaient pas égales à lui-même. Pourtant dans la conversation revenaient avec tant de présence les scènes des années 1940 et les grandes amitiés d’après-guerre et du régime parlementaire. J’aurais voulu qu’éventuellement nous fissions ce travail ensemble, moi-même tellement abattu et incertain, je ne sus pas que le temps avançait ses brumes, que le soir arrivait, je continuais de ressentir chaleur, talent, vérité, honnêteté et modestie foncière auprès d’un homme qui me paraissait – très simplement – grandir chaque année davantage. Une conscience française, qui avait son visage, sa voix, ses certitudes et à tout prendre son indulgence, cela même qui est marque de foi.


A l’instant de ce premier congé, je perçois combien Jacques FAUVET m’est intensément présent, combien j’ai encore à évoquer, à admirer et à remercier. Je le ferai sans doute et autant qu’il va m’être possible. D’ailleurs, cela me dépasse… D’autres font leur statue eux-mêmes, pas lui.


dimanche 9 Juin 2002





parmi mes mentors


extrait du chapitre VII de ce que j’écris en vue de l’élection présidentielle de 2017



Février 2017


Jacques Fauvet 1 ne m’était pas vraiment connu, ni moi de lui. Une de mes sœurs était liée à l’une de ses filles, chacune autour de ses quinze ans. Voulant répandre ce que je comprenais et avais aimé de la Mauritanie, à propos de laquelle peu se publiait encore, j’eus l’idée d’un volume de la collection « Petite planète » que dirigeait Simonne Lacouture, aux éditions du Seuil, on était en 1967. Je fut reçu par le rédacteur en chef du « grand quotidien du soir ». Jean Maheu 2, maître de conférences rue Saint-Guillaume pour l’année préparatoire, la période la plus pédagogique de toutes mes études supérieures nous recommandait de le lire intégralement. J’en conserve la collection septembre 1960. Devant moi, il téléphona à celle que je voulais rencontrer, soulignant pour elle autant que pour moi qu’il ne faisait, autant dire jamais, cette démarche-là. Je fus reçu et déçu, car ce que je voulais faire savoir ne correspondait pas du tout à ce qui était attendu pour cette collection 3. C’est donc un anonyme que publia le journal pour le non à Georges Pompidou, attendant une consécration référendaire de sa succession à de Gaulle ? Un inconnu qu’en quelques semaines, le premier quotidien français d’autorité intellectuelle et morale fit soudain connaître. A Jacques Fauvet, personnellement, je dois ma signature. Nous ne nous rencontrâmes que deux mois après une première publication, suivies d’autres. Elles avaient été précédées de deux tentatives de ma part : elles n’avaient donné lieu qu’à rien pour la première (je voulais évoquer la Libye et des ventes d’armes) et qu’à un très succinct des remarques que m’avaient inspirées un dialogue entre personnalités d’importance, où aurait pu se dire de Gaulle, d’autant que j’y figurais en possible intervenant du parterre : j’y appris par le refus persistant que je pose au moins une question, combien les animateurs en magazines audiovisuels qui traitent de politique, décident tout. On était en 1971 4. De mars 1972 à avril 1982, Jacques Fauvet devenu directeur du Monde, aux départs concomitants du général de Gaulle et d’Hubert Beuve-Méry, imposa que je sois publié, souvent en première page et ou en cavalier. A un journal pas gaulliste au temps du Général et même après qu’il ait quitté la scène, je fus utile : la critique ou le point de vue le plus offensif contre les gestions qui avaient succédé aux grands desseins, étaient bien le rappel de ce qu’avait entrepris de Gaulle. Plage Benoît, le remblai interdit aux voitures, la Baule dans sa splendeur drue des journées de Pentecôte. Je l’avais reconnu le premier. Jacques Fauvet me fit confirmer que j’étais bien le même que son solliciteur de 1967.


Je ne savais rien des usages. Pas de télécopieur, encore moins d’internet : le texte par la poste, le téléphone pour connaître le sort qui lui était aussitôt. Oui ? non ? pour la publication, et quand ? J’appris la dictée à des opératrices, par téléphone la nuit. Un quart d’heure, vingt minutes, je craignais de lasser. J’envoyais alors ma copie à plusieurs organes de presse. Mon papier intéressait, serait incessamment publié. Je perdis alors – pour toujours, du moins jusqu’à présent – l’entrée que je souhaitais aussi dans un hebdomadaire : le Nouvel Observateur. On s’y aperçut que mon papier, là aussi sous presse et accepté sans que je susse, venait de paraître ailleurs. On ne peut faire pire. Je l’avais commis.


Malgré le souhait de Jacques Fauvet, et le mien, car l’administration, au stade où j’en étais, ne me présageait pas grand-chose qui me passionnât par avance et me fasse tout tenter, avec méthode, pour l’atteindre ou l’obtenir, je n’entrai pas au Monde. C’est la seule vocation – vraie – de rechange que j’aie jamais éprouvée professionnellement. Certains de mes papiers y irritaient : Philippe Boucher 5, pas sans influence, n’avait pas admis que « Je m’appelle Portal ! » 6 et était venu me le dire très fort chez la secrétaire de Jacques Fauvet. Un tour du premier étage : Pierre Viansson-Ponté qui avait reçu le premier papier qu’ait publié le journal, avait noté pour « J.F. » : « on ne sait s’il écrit très bien ou s’il écrit très mal », Pierre Planchais, André Fontaine ne m’admirent pas, surtout ce dernier. Et la question de succession au directeur régnant allait se poser.


De Jacques Fauvet, ce n’est pas seulement ma signature et sa notoriété que je reçus, ce fut la fraternité d’un grand aîné, correspondant avec moi en sus de chacune de mes propositions de papier pour toute l’évolution de ma carrière et surtout la relation que le pouvoir avait avec moi, agacé ou bienveillant, m’éloignant de Paris pour que je ne publie plus 7 ou ne m’exauçant que des quelques audiences présidentielles : Valéry Giscard d’Estaing que je commentais pendant tout son septennat et François Mitterrand dont j’accompagnais, mais seulement de plume, les débuts à l’Elysée après l’avoir soutenu à un instant névralgique : son investiture ou pas, par le congrès du P.S. tenu à Metz face à Michel Rocard. C’était déjà beaucoup. Il se croyait responsable des défaveurs que je subissais puisqu’en publiant, il me faisait courir des risques. La réalité était le contraire : sans cette collaboration à mes trente-quarante ans, je n’eus jamais franchi les quelques étapes de carrière qui furent les miennes. La jurisprudence du Conseil d’Etat 8 n’aurait pas admis une sanction nette, motivée seulement par cette collaboration. D’ailleurs son contenu importait moins que la tribune : la plupart de mes camarades de promotion à l’Ecole Nationale d’Administration ne comprenait pas que j’aie pu y accéder, et contestait que je fasse – faute d’autre titre – état d’en être sorti.


Ma dette est bien plus importante. Sans me reprendre ou réécrire mes articles – la rumeur en courut, à son départ, comme la corvée que devrait s’appliquer son successeur quel qu’il serait 9 – Jacques Fauvet en m’ayant ouvert les prestigieuses colonnes et en m’assurant d’un accueil à peu près systématique mais toujours au mérite de ce que j’écrivais, m’apprit à suivre l’actualité, à réagir aussitôt (aujourd’hui, on dirait : en ligne) et à tout dire en très peu de mots. Une façon d’école poétique, où l’entrée en matière est minimum, où le coup compte pour un mot et le mot peut tuer ou diminuer. Je sus d’ailleurs, aussitôt, qu’il se pourrait qu’un jour j’ai à répondre, peut-être sur ma vie même, de ce que j’écrivais ou écrirai. Une façon aussi de procureur : ramasser et approfondir l’attaque, le grief, de prendre au mot l’adversaire et de le mettre en contradiction avec lui-même ou avec sa fonction. Haute, celle de président de la République. Ce qui supposait de la documentation et des conseils : j’en fus gratifié par deux personnalités, qui avait été en forte relation avec de Gaulle et à qui plaisaient que je ferraille contre les adversaires de notre Constitution ou que je rappelle à Georges Pompidou à qui et à quoi il devait sa nouvelle place. Me recevaient et parlaient l’actualité avec moi, François Goguel, dont les analyses électorales, remontèrent le « moral du combattant » à partir d’octobre 1962 10, et Jean-Marcel Jeanneney 11 autant politique qu’économiste, et combien importants dans les gouvernements de 1959 à 1969.


J’apprenais donc les règles de toute tribune, j’apprenais à saisir l’instant et à mémoriser les précédents. Et reçu familièrement, presque comme un fils, par ce très grand journaliste, je vivais aussi les scandales d’un grand citoyen, d’un moraliste, autant que les inquiétudes et la veille constante d’un chef d’entreprise face à la concurrence, aux créanciers, aux donneurs de publicité. Cumuler tant d’expériences sans être du milieu – quoique j’eus l’honneur d’être quelques fois dans l’imprimé des organigrammes du Monde – c’est rare. Ce fut mon état de vie même si, en temps réel et en parcours professionnel, ce ne l’était pas pour les tiers, mais mon nom y était associé, des revues m’accueillirent ou me sollicitèrent.


Je n’aurais pas cherché à entrer dans l’agenda présidentiel de ces années-ci, à jour fixe, pour quelques instants seulement et je n’essaierai pas de me faire lire de vous et accueillir par d’autres, dont de « grands électeurs », si j’avais continué d’être régulièrement publié par Le Monde, ou à défaut par un organe de renom. La Croix qui m’avait publié à sa suite, m’accueillit bien plus longuement et me quitta – symbole – juste après m’avoir publié sur la tenue à Paris, autour de Jean Paul II, des Journées mondiales de la jeunesse (J.M.J.) 12.


Lors de ma première audience à l’Elysée, François Mitterrand avait justement à lire, de moi dans La Croix,  gouverner c’est communiquer  : le 30 janvier 1983, et me dédicaça, fait rare, la photographie – belle – que j’avais prise de lui à Athènes, à la fin de l’été précédent. Il venait de petit-déjeuner avec Jacques Delors et pesta contre les démocrates-chrétiens, tandis qu’attendaient, bien trop, pour l’apparence de mon grade, le Premier ministre et le ministre de l’Education nationale, Pierre Mauroy et Alain Savary. Je les saluais, confus, mais pas plus que le 16 juin 1977, notre première conversation, lui : toujours dans l’opposition, il me recevait place du Palais-Bourbon… je ne reçus la proposition que je sollicitais sans l’exprimer, faire partie du conseil aulique. J’ai pu conclure que même un pigiste peut entrer partout, mais qu’un fonctionnaire, plus tout à fait débutant, n’en voit pas pour autant changer sa carrière. Du moins, fus-je lu, entendu, accueilli, inviter ce qui donne un peu d’expérience. L’étais-je pour mes convictions ? ou par considération d’une alliance d’autre origine que la plus courante dans l’entourage de celui qui donna à la gauche ses lettres de capacité gouvernementale


Avec le recul de quinze ans, Jacques Fauvet m’apparaît pour ce qu’il fut et que je ne voyais pas. L’ami, qui très vite se voulut tel avec moi 13, mais surtout un très grand journaliste parce que ses écrits avaient été longtemps l’effet d’un exceptionnel don d’analyse et d’observation de nos circonstances politiques nationales, avant de devenir des sentences morales, des jugements de notre personnel politique à l’aune seule de l’intérêt national. Si la France changea presque de régime parce qu’elle changeait de majorité en 1981, la plume du directeur du Monde y fut tellement pour quelque chose que son épouse, Claude, était injuriée dans les commerces alimentaires de ses habitudes familiales, dans l’ouest de Paris, par la grande peur des bien-pensants 14. Il avait débuté à l’Est Républicain, juste avant la guerre qu’il passa en camp de prisonniers avec l’angoisse des derniers jours : lui et ses camarades officiers, étaient-ils emmenés, à pied, vers l’est ou vers l’ouest. Pour Le Monde, il « couvrit » le procès du Maréchal et se signala par un papier de peu de précédent : les Français traiteraient-ils avec dignité leurs prisonniers allemands dès l’été de 1945 ? ce n’était pas sûr. Au jour le jour, la Quatrième République, en chronique pour la rue des Italiens à Paris, et par téléphone, un texte assez différent, pour l’Est Républicain. Il resta toujours bien plus responsable de la politique intérieure au journal qu’homme des hauteurs, celles cherchées et très souvent atteintes par Sirius 15, et par là homme de soucis, d’affections et d’amitiés, homme privé plutôt que public. Et bien des soirs, il terminait ses pensées et ses rencontres de la journée, ses comptes aussi du « bouillon » en comparaison des ventes du Figaro, avec moi dans sa voiture de fonction, rentrant chez lui, non loin du Ranelagh de mon enfance.

1 - Jacques Fauvet . 1914 + 2002 . journaliste à l’Est Républicain, avant-guerre, entre au Monde dès la fin de sa captivité, y est chargé du service politique en 1948, puis en devient rédacteur en chef adjoint en 1958, puis en titre en 1963. Succédant à Hubert Beuve-Méry en 1969, il dirige le journal jusqu’en 1982. François Mitterrand le nomme à la Commission nationale Informatique et Libertés, qu’il préside de 1984 à 1999

* essais politiques publiés de son vivant, mais j’aimerais que soient publiés ses chroniques parlementaires pour l’Est Républicain, et ses éditoriaux, paraphés « JF », en tant que directeur du journal

Les Partis dans la France actuelle, 1947

Les Forces politiques en France, 1951

La France déchirée, 1957

La IVe République, 1959

La Fronde des généraux, 1961 . avec Pierre Planchais

Histoire du parti communiste français, 1964-1965, rééditée avec Alain Duhamel

2 - né en 1931, fils de René Maheu, directeur général de l’UNESCO, il est magistrat à la Cour des comptes et maître de conférences à Sciences-Po de 1959 à 1970, quand je suis l’un de ses élèves (1960-1961) et quelques mois son assistant. Il sera ensuite au secrétariat général de l’Elysée de 1962 à 1967, puis directeur de la Jeunesse au ministère compétent et enfin directeur de l’Orchestre national de Paris


3 - Jean Lacouture, son époux sur le niveau de gratifications et rémunérations que veillait Simonne avec exigence, me fit connaître la même déception : l’essai que m’inspira la démission forcée de de Gaulle, et qui m’avait fait rencontrer Louis Vallon, enthousiaste à ma lecture, fut refusé, toujours au Seuil parce que quelques-unes de mes lignes à propos de l’Indochine déplurent. Or, Louis Vallon, qui me recommandait, venait d’apporter rue Jacob une vente de quatre-cent-mille exemplaires

4

? - Une question rentrée Le Monde du 26 mai 1971 : j’ai constaté que la liberté d’opinion n’existe pas quand le moyen de l’exprimer est hors de portée


5 - il est alors éditorialiste, rattaché au directeur même. Né en 1931, il sera nommé au Conseil d’Etat, en 1991, sur demande exprès de François Mitterrand à qui il a plu


6 - une veuve et sa fille se font mettre en prison après que la gendarmerie voulant faire exécuter une décision de justice ait pris d’assaut leur manoir de la Fumade et tué le fils et frère – Le Monde du 19 février 1975 : je m’appelle Portal, qui avec un papier de Jean Dutourd dans le Figaro, et des interventions dans chacune des deux chambres, contribue à faire libérer les deux femmes

7

? - mais le soir de mon atterrissage à Lisbonne (ma première affectation diplomatique), le 4 septembre 1975, je réplique à l’allocution mensuelle du président de la République : l’économie abstraite . Le Monde du 6 septembre 1975 – dicté au téléphone


8 - Heyriès, fonctionnaire civil au ministère de la Guerre, écrit contre Georges Clemenceau, son ministre, président du Conseil – la haute juridiction en tire la théorie des circonstances exceptionnelles (matrice du futur article 16 de notre Constitution) ; sans celles-ci, la guerre en l’occurrence, la révocation eût été rapportée pour vice de forme : non communication du dossier préalablement . Conseil d’Etat 28 juin 1918 – ce qui , à propos de mon rappel du Kazakhstan, fut décidé en ma faveur par la même juridiction, le 12 novembre 1997 . arrêt 173293


9 - ce qui s’avéra sans objet puisque mon dernier article publié le fut trois mois avant que Jacques Fauvet ne quitte le journal – Le Monde du 6 avril 1882 . réinventer le gouvernement


10 - carte de Jacques Narbonne, chargé de mission à l’Elysée pour les questions d’Education nationale de 1958 à 1967, adressée à François Goguel – celui-ci . 1909 + 1999 . entré en 1931 aux services législatifs du Sénat en est le secrétaire général du Sénat de 1954 à 1971, professeur à Sciences-Po de 1948 à 1974, il analyse les scrutins nationaux dont il fonde la sociologie à la suite d’André Siegfried. Georges Pompidou le nomme au Conseil constitutionnel en 1971


11 - Jean-Marcel Jeanneney . 1910 + 2010 . fils de Jules Jeanneney, sous-secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil dans le gouvernement de Georges Clemenceau (1917-1920), président du Sénat (1932-1940), ministre d’Etat à la Libération - lui-même agrégé des sciences économiques avant la guerre, dirige le cabinet de son père à Matignon, enseigne ensuite à Grenoble puis à Paris. Il est ministre de l’Industrie de 1959 à 19862, puis ministre des Affaires sociales de 1966 à 1968 et enfin ministre d’Etat, chargé de la rédaction du texte soumis au référendum de 1969. Il fonde en 1981 l’Observatoire français des conjonctures économiques O.F.C.E. et le préside jusqu’en 1990, après avoir secondé François Mitterrand pour les premiers sommets économiques auxquels participe ce dernier

12

? - 11 septembre 1997 : JMJ, des jeunes en attente de confiance. La solution miracle…

13 - notre correspondance de dix ans m’est précieuse


14 - Georges Bernanos . 1888 + 1948 . déjà couvert de gloire littéraire et maître à penser, publie en 1931 ce qui avait d’abord pour titre Démission de la France - coïncidence qui me trouble, mon premier essai politique (1969), celui qui me fit rencontrer les « gaullistes de gauche », Louis Vallon puis René Capitant, et que le général de Gaulle honora d’un accusé de réception, a pour titre La démission

15

? - pseudonyme devenu transparent, d’Hubert Beuve-Méry, le fondateur en 1944, recevant du général de Gaulle, Le Monde en mission : il fallait un « grand » journal, ce le fut à l’adresse et avec la typographie du Temps .

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