Roman Protassevitch, figure de l'opposition biélorusse au régime d'Alexandre Loukachenko, a rapidement compris que le détournement du vol Athènes-Vilnius était une opération conduite par le régime pour l'arrêter. Des agents secrets du KGB se seraient trouvés à bord de l'appareil et le président biélorusse a lui-même envoyé un chasseur pour l'intercepter.
Roman Protassevitch est l'ancien rédacteur en chef de l'influent média d'opposition Nexta, qui a joué un rôle important dans la contestation contre la réélection en 2020 du président Alexandre Loukachenko. (REUTERS/Stringer)
Par Les Echos
Publié le 24 mai 2021 à 12:51Mis à jour le 24 mai 2021 à 17:23
« Il a commencé à paniquer et à dire que c'était à cause de lui. Il s'est juste tourné vers les gens et a dit qu'il risquait la peine de mort. » Puis le militant d'opposition biélorusse Roman Protassevitch s'est montré « très calme » une fois certain de son arrestation après l'atterrissage forcé de l'avion à Minsk. Il était « nerveux au début, mais, ensuite, il s'est rendu compte qu'il ne pouvait rien y faire, il s'est calmé et l'a accepté ».
Ces témoignages, recueilli par l'AFP auprès d'autres passagers du vol Athènes-Vilnius, donne une idée de l'ambiance à bord de l'avion détourné dimanche par les autorités biélorusses. Voici ce que l'on sait sur ce qu'il s'est passé dans cette affaire qui relance le bras de fer entre la Biélorussie et l'Europe.
Qui est Roman Protassevitch ?
Roman Protassevitch, 26 ans, a embarqué dimanche avec sa compagne à Athènes sur un vol de la compagnie Ryanair à destination de Vilnius. Il est l'ancien rédacteur en chef de l'influent média d'opposition biélorusse Nexta, qui a joué un rôle important dans la grande vague de contestation de la réélection en 2020 du président Alexandre Loukachenko.
Il réside désormais en Pologne, pour fuir la répression enclenchée par les autorités biélorusses pour mater le mouvement, qui avait réussi à mobilier une part importante de la population. Militants et journalistes subissent depuis un harcèlement judiciaire permanent, et se retrouvent condamnés à de lourdes peines de prison.
En novembre dernier, les services de sécurité biélorusses (KGB) avaient ainsi placé Roman Protassevitch sur la liste des « individus impliqués dans des activités terroristes ». En partant d'Athènes dimanche, il devait se rendre en Lituanie, pays qui lui a accordé le statut de réfugié et où vit sa compagne, Sofia Sapéga, une étudiante en droit à l'Université européenne des sciences humaines.
Une alerte à la bombe suspecte
Mais, au moment où l'avion entre dans l'espace aérien biélorusse, les autorités imposent au pilote de venir se poser en urgence à l'aéroport de Minsk, à la suite d'une alerte à la bombe qu'aurait reçue la Biélorussie.
Après un atterrissage d'urgence de quelques heures à l'aéroport de Minsk et le contrôle de l'appareil et de ses passagers, l'alerte s'est révélée fausse et le Boeing 737-800 a pu repartir pour la Lituanie. Mais sans Roman Protassevitch ni Sofia Sapéga, opportunément interpellés dès leur arrivée sur le sol biélorusse…
Un chasseur envoyé sur ordre d'Alexandre Loukachenko
Accusé de « détournement » et même de « terrorisme d'Etat » par plusieurs capitales européennes, scandalisées par cette opération menée sur un vol commercial entre deux Etats membres de l'UE et de l'Otan, Minsk balaie les critiques. Les autorités assurent avoir agi « en conformité avec les règles internationales » en déroutant le vol après l'alerte à la bombe. Un commandant de l'armée de l'air assure d'ailleurs que l'équipage du vol Ryanair a lui-même décidé d'atterrir « sans ingérence extérieure », après avoir été informé de l'alerte à la bombe.
Toutefois, les indices s'accumulent pour accréditer la thèse d'une opération politique. Un chasseur MiG-29 a ainsi décollé sur ordre personnel d'Alexandre Loukachenko pour intercepter le vol et l'accompagner jusqu'à l'aéroport de Minsk.
Et il a fallu attendre lundi après-midi, après un concert international de récriminations, pour que la Biélorussie affirme avoir reçu par email une menace du Hamas palestinien. Celui-ci aurait réclamé que « l'Union européenne cesse son soutien à Israël », sous peine de faire exploser la bombe placée à bord de ce vol « au-dessus de Vilnius ».
Des agents secrets à bord
Michael O'Leary, le patron de Ryanair, pense également qu'il s'agit d'un acte de « piraterie ». « Il apparaît que l'intention des autorités était de faire sortir un journaliste et la personne qui voyageait avec lui », a-t-il expliqué sur la radio irlandaise Newstalk.
Il a indiqué que la compagnie aérienne soupçonnait aussi la présence d'agents du KGB à bord. « Nous pensons que des agents du KGB ont été débarqués à l'aéroport également », a-t-il dit, évoquant un incident « très effrayant » pour les passagers et l'équipage. « Je pense que c'est la première fois que cela arrive à une compagnie aérienne européenne ».
Eviter l'espace aérien biélorusse
Outre le bras de fer diplomatique engagé entre, d'un côté, l'Union européenne, l'Otan et les Etats-Unis, et, de l'autre, la Biélorussie, qui a reçu le soutien de Moscou, cette interception musclée d'un vol commercial a déjà des conséquences concrètes dans le ciel. Les compagnies AirBaltic et SAS ont indiqué qu'elles éviteraient dorénavant l'espace aérien biélorusse.
La Lituanie a décidé de n'autoriser aucun vol, ni vers ni depuis son territoire, traversant l'espace aérien biélorusse à partir de mardi, tandis que le Royaume-Uni demande à ses compagnies de le contourner.
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