lundi 18 mars 2019

grand débat national . actualité de vieilles propositions - la fonction publique




Au sujet de la gestion de la fonction publique,

réflexions pour le Premier ministre






p. 2 LES EMPLOIS A LA DISCRETION DU GOUVERNEMENT

p. 5 L'INTERMINISTERIALITE DANS LA HAUTE-FONCTION PUBLIQUE

p. 7 L'APPLICATION DU DROIT DU TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE

LES EMPLOIS A LA DISCRETION DU GOUVERNEMENT




La sociologie contemporaine, plus largement que la lettre de la Constitution, admettent que le Gouvernement puisse disposer discrétionnairement de certains emplois d'autorité dans l'Etat ou de direction des entreprises ou des services du secteur public industriel et financier.


1 - La pratique des nominations et des remplacements dans le secteur public économique assimile la carrière des personnalités qui en sont l'objet, à ce qui prévaut dans le secteur privé ; les origines sont souvent les mêmes, avoir participé au cabinet du ministre de l'Economie et des Finances quelle qu'ait été l'étiquette politique de celui-ci. C'est-à-dire qu'un emploi de discrétion, le cabinet ministériel, débouche sur un droit viager à passer de la direction d'une entreprise publique ou privée à une autre. La crise en moralité et en efficacité des élites censées diriger notre économie a sa racine dans ce mode de recrutement, le changement de situation par rapport à l'Etat conduit ces anciens haut-fonctionnaires à être encore plus libéraux que la moyenne du patronat privé quand celui-ci a été de recrutement direct ou est d'hérédité familiale, d'autant que la notion de risque personnel sur deniers propres ou à peine d'éviction sans prébende de remplacement - qui doit caractériser une gestion "capitaliste" - a été perdue totalement de vue par ces "parachutés". Cet abus a donné lieu à des faillites de gestion notoires dans le secteur public ; il a fait opérer dans l'esprit de beaucoup un amalgame avec l'Ecole Nationale d'Administration et l'ensemble des personnels issus de celle-ci. Il donne depuis quelques années lieu, dans le secteur privé, à de véritables rachats de carnets d'adresses et donc à des acquisitions, non de compétences, mais d'influences (supposées). L'ensemble de ces pratiques a donné prise au reproche que se font mutuellement les gouvernements et majorités successives de "noyauter" à leur profit l'Etat et l'économie.

Remède = un délai de plusieurs années entre la sortie d'un cabinet ministériel et l'entrée dans le secteur industriel ou financier par retour aux administrations d'origine ou promotion dans des corps de contrôle. - La surveillance des "pantouflages" dont les dispositions (M. DURAFOUR) ont une dizaine d'années n'a pas été dissuasive.

2 - La nomination aux fonctions d'autorité de l'Etat n'a pas à être motivée ; en relever non plus. C'est légitime quand l'Etat est démocratique et qu'alternent au pouvoir gouvernemental personnalités, équipes, programmes et convictions. Pour les administrations, les risques sont un système des dépouilles que pratiqueraient les gouvernants et le développement d'un esprit de meute et de corporation au sein des corps dont les titulaires s'estimeraient privés de leurs espérances de carrière par des nouveaux arrivés par l'extérieur et par le haut. Pour ceux, titulaires ou non, qui accèdent à ces emplois, le risque est personnel. Une éviction non motivée, une perte considérable en émoluments et en avantages accessoires, une perte de dignité sinon d'honneur, une fin de carrière que ne pallient pas le service des traitements de base ou diverses positions administratives ad hoc. Quand les serviteurs de l'Etat, les plus en vue du public, sont passibles de disgrâce s'apparentant à celles de l'Ancien Régime, il est tentant qu'ils y obvient par les comportements de cette époque : l'inertie ou l'esprit de cour, voire des systèmes de garanties corporatives ou occultes. L'Etat et les Gouvernements disposeraient de docilités, mais non plus d'imagination et de dévouement réels.

Remède = imposer par la loi des règles de forme pour toute mise fin à des fonctions à la discrétion du Gouvernement (communication du dossier et préavis, sauf urgence ou secret-défense dûment motivés) ; assurer une transition en matière d'émoluments qui mette à pied d'égalité avec un haut cadre d'entreprise licencié pour raison économique, soit le versement d'une indemnité correspondant à une ou plusieurs années de traitement dans l'emploi retiré ; permettre à ceux qui étaient au moment de leur nomination, déjà titulaires, de souscrire à des assurances pertes d'émoluments ou chômage.
La réalité des carrières dans la haute fonction publique ou assimilée n'est plus la sécurité de l'emploi ni la transparence des affectations. Toutes proportions gardées, les conditions de "survie" en cas de disgrâce sont apparentées à celles d'un demandeur d'emploi, sans cependant que les statuts aient prévu ni organisé ces situations peu dignes de l'employeur : l'Etat. Cas notamment des engagements financiers souscrits selon des espérances de carrière dont rien ne laissait penser qu'elles seraient inopinément controuvées.


3 La culture d'Etat est en péril. A l'instar de l'Ecole polytechnique, une institution censée préparer au service de l'Etat et en donner les structures mentales, a dérivé en école de préparation à des carrières de direction. La question des élites en France se pose dans des termes aussi urgents qu'il y a un siècle quand fut fondée l'Ecole libre des Sciences Politiques. L'engagement dans les partis, la course aux cabinets ministériels, les débouchés dans le secteur éconoiuue et financier sont le fait d'ambitions personnelles et non d'une vocation à servir. La libéralisation de l'économie et donc le recentrage de l'Etat sur ses missions arbitrales et régaliennes auraient dû n'être qu'une déréglementation, qu'une façon conviviale et non plus contraignante d'organiser la vie collective et la pérennité de la substance nationale ; la " trahison des élites ", la vulnérabilité de celles-ci à l'argent et à l'idéologie la plus simpliste du capitalisme sont assurément bien plus pernicieuse que le mouvement européen ou des privatisations. Le prétendu souci d'efficacité et de performance dans la fonction publique cache la réalité d'une banalisation de l'Etat, considéré en termes d'entreprise.
Remèdes = à côté de l'E.N.A. et des cycles y préparant, instituer une Fondation ayant pour but explicite cette renaissance de l'esprit public ; elle rassemblerait, sur la base de convictions personnelles, toutes compétences et notoriétés voulant s'atteler à cette restauration, qui passera par un inventaire des grandes valeurs françaises, sinon de notre modèle propre ; elle enquêtera et publiera, "colloquera" et enverra en missions d'études. La Fondation Elf-Air-France à son origine, sous Jacques CHABAN-DELMAS, avait un peu cet objectif ; elle a dérivé.
Les divers organes et revues traitant d'administration pourraient être associés à la prospective de cette Fondation.
La multitude - coûteuse et redondante - des publications dans la plupart des ministères, sinon même les divers bulletins de liaison des principales administrations (surtout économiques et financières, serait soumise à un audit. Le support que leur ensemble constitue serait davantage consacré à cette recherche et illustration de l'Etat.
Les assemblées représentatives au niveau national et à celui des collectivités locales, seront mises à contribution. Un rapport annuel, débattu au Parlement, serait présenté par le Ministre compétent, qui illustrerait l'évolution, l'adaptation et l'infongibilité de l'Etat en France. La discussion sur les missions, les démembrements, les moyens, la neutralité et/ou l'engagement de l'Etat aurait lieu à cette occasion.
Des orientations, des imaginations, des propositions se feraient alors jour, dans ce cadre souple et de volontariat. La "cause" par elle-même attirerait en France et depuis l'étranger. Le creuset des vocations serait à nouveau évident. (29.X.97 - BFF)
 

L'INTERMINISTERIALITE

DANS LA HAUTE-FONCTION PUBLIQUE




La fondation de l'Ecole Nationale d'Administration, à la Libération, bien moins qu'à un souci de qualité auquel répondaient depuis la République les recrutements par concours et le prestige des "grands corps", a voulu remédier à un cloisonnement des grandes administrations de l'Etat. Ce qui était préjudiciable politiquement aux époques de coalitions gouvernementales disparates et éphémères (la Quatrième République) et sociologiquement puisque certaines responsabilités publiques étaient très hautement servies et prisées, et d'autres moins, quoiqu'elles fussent autant nécessaires. La méthode choisie en 1945 n'était pas seulement l'unicité du concours (dit de sortie) donnant lieu à affectation (moyennant la diversité des voies d'accès par concours d'entrée différents), elle était de prévoir une gestion commune des ressources humaines de l'Etat et le passage aisé d'un ministère à l'autre, selon les goûts des individus et les besoins de la chose publique.

Dans la pratique, on est revenu aux cloisonnements et esprits de corps des régimes antérieurs, au corporatisme d'un ministère à l'autre, et dans le cas de l'Economie et des Finances d'une direction à l'autre ; enfin, l'appartenance à un " grand corps " met hors compétition ceux qui y ont accédé, presqu'à l'adolescence. La fonction publique sous la Cinquième République paraît donc un régime de castes et de nomenclature ; l'impression produite est d'autant plus dangereuse que la fondation du régime visait principalement à la restauration de l'autorité de l'Etat. Cette autorité perd sa légitimité, si la démocratie est mise en doute, mais tout autant si ceux qui exercent cette autorité ne sont pas "gérés" avec transparence et selon un système démocratiquement contrôlable.


Remèdes =


1 compétence plénière de la Direction générale de la Fonction publique pour la gestion des corps issus de l'Ecole Nationale d'Administration (contreseing du Ministre pour toute nomination, affectation et pour toute évolution de carrière)

2 instance d'appel à cette Direction générale et/ou à une commission paritaire commune à l'ensemble des corps issus de l'E.N.A., pour toute décision des Directions ou des commissions paritaires internes aux Directions d'administrations centrales ou des divers Ministères (les recours grâcieux des fonctionnaires s'estimant lésés par leur administration ou leur ministre de tutelle seraient également co-examinés par la Direction générale)

3 titularisation dans les corps d'inspection et de contrôle, non plus à la sortie de l'Ecole, mais sur dossier et après un délai (par exemple décennal) de service dans les administrations

4 contrôle par la Direction générale du respect des règles concernant le "pantouflage" exorbitant des engagements souscrits à la sortie de l'Ecole, ou des délais à établir entre la participation à un cabinet ministériel ou à une fonction administrative d'autorité économique, et le recrutement par une entreprise publique ou privée ou la nomination à une autorité dans le secteur public industriel ou financier

5 transparence des créations et vacances d'emplois dans l'ensemble de la haute fonction publique, y compris pour ceux à la discrétion du Gouvernement et pour ceux relevant du secteur public industriel, commercial ou financier. (29.X.97 - BFF)
L'APPLICATION DU DROIT DU TRAVAIL

DANS LA FONCTION PUBLIQUE




La réflexion vaut davantage pour les principaux cadres et agents d’autorité que pour les fonctionnaires et agents d’exécution que les gestions paritaires et les affiliations syndicales peuvent efficacement protéger. Mais ce serait à enquêter, et une pratique commencée pour les hauts-cadres pourrait s’étendre progressivement. Les non-remplacements en cas de départs à la retraite, les compressions et remaniements d’organigramme ne portent pas atteinte strictement à des garanties statutaires et ne sont donc pas juridiquement contestables, mais celles-ci et toutes mesures tendant à diminuer le coût de l’Etat ou son emprise sur la société française mettent en cause les serviteurs de celles-ci, entrés au service généralement davantage par goût de la chose publique, que par considération d’avantages pratiques, en gros la sécurité à défaut d’émoluments concurrentiels avec le « secteur privé ». Ces avantages sont sensibles pour l’extérieur, plus que pour ceux censés en « bénéficier ».

Cette réflexion se fonde sur un principe de dignité. Les mises au placard atteignent les personnes dans leur âme, la plupart ne se regimbent gardant l’espoir d’être « repris » ou de retrouver grâce. Elles atteignent aussi l’image du haut-fonctionnaire dans le public, sans doute les mises au rancart sont peu publiées et commentées, donc peu connues, mais quand elles sont connues, elles décrient rétrospectivement la fonction occupée, tout le parcours, et éventuellement même l’œuvre accomplie.

Elle participe d’un souci d’efficacité. Si les parcours et la sécurité des carrières dépendent de la corporation, c’est rendre celle-ci maîtresse des administrations centrales, un des rares espaces publics où le clientélisme et la féodalité n’ont pas encore vraiment pénétré. En sécurisant les carrières, notamment chez les fonctionnaires d’autorité, on assure mieux l’autorité gouvernementale sur les procédures et institutions d’Etat. On moralise aussi, car il n’est pas sain qu’une carrière fondée à son départ sur la vocation à servir l’Etat, c’est-à-dire le bien commun, trouve ses débouchés dans un enrichissement personnel à l’occasion d’une pénétration du secteur privé, notamment par une gestion des privatisations.

Le recours à la juridiction administrative est intimidant pour le haut-fonctionnaire, d’une part parce que la décision peut être longue à venir, et parce que la seule saisine coupe les ponts avec l’employeur ; se voir donner raison aussi. Le rétablissement n’est pas forcément au bout de la procédure, puisque le juge ne donne pas d’injonction à l’administration, qu’il n’y a pas dans l’Etat sauf les fonctions gouvernementales et électives, un clivage comme dans l’entreprise entre le patronat bien repéré et un salariat géré autrement que le patron. Chacun, au moins dans la haute fonction publique, est susceptible d’être tour à tour géré et gérant. Les difficultés, surtout en fin de carrière, se règlent entre pairs que les parcours et plus éphèmèrement un moment de parcours placent différemment.
Il faut donc organiser et banaliser l’arbitrage par un ministère d’esprit « interministériel », et les recours juridictionnels ; il faut atténuer, tant psychologiquement que financièrement, les ruptures de carrière quand elles ne sont pas motivées par une faute lourde, soumise éventuellement à l’appréciation du Conseil d’Etat. La plupart de ces ruptures sont des « disgrâces » et prennent la forme de sanctions non énoncées en tant que telles et encore moins motivées. Il faut en effet que la notion d’emplois discrétionnaires ne soit pas aussi extensive, qu’elle l’est devenue en sorte qu’aujourd’hui beaucoup risque de paraître faveur et relationnement. Dans la pratique des dernières décennies, notamment à l’occasion des alternances au pouvoir de l’Etat, au moins quinquennales depuis vingt-cinq ans, ceux qui sont défaits d’emplois discrétionnaires s’en voient offrir en « compensation » ou sont nommés dans des corps de contrôle. Les emplois à la discrétion du gouvernement sont parfois même des lieux de compensation pour des pertes de portefeuilles ministériels voire de circonscriptions électorales. Or, l’accès à ces lieux est tout aussi discrétionnaire que la disgrâce.

Quelques mesures pratiques :

+ une gestion des carrières qui ne soit pas seulement interne au corps d’origine, mais dont le ministre de la Fonction publique soit l’un des signataires et toujours un organe de recours et d’arbitrage ;

+ une première instance prudhommale en cas de conflit, le Conseil d’Etat juge d’appel, pour le point de vue de l’Etat employeur ;

+ des indemnités compensant les ruptures et que le retour au « traitement de base » ne constitue pas en réalité ; le chiffrage serait soit juridictionnel, soit selon une grille rapportée à une moyenne du passé et une projection de ce qu’eût été la carrière si elle n’avait pas été interrompue.
Cette dernière mesure pour être comprise en dehors de la fonction publique, devrait être organisée en même temps qu’auront été réglés deux abus, l’un dans la fonction publique : le système des primes, diminuant les quotités qui fondent le montant des retraites et à l’origine de profondes nigéalités de traitement pendant le temps d’activité, l’autre dans le secteur privé : le système des indemnités de départ et des « retraites-chapeaux ». Injuste modicité d’un côté, et de l’autre largesses excessives aux dépens du capital social et de la rémunération des actionnaires, choquantes inégalités dans les deux ensembles ;

+ des systèmes de cessation d’activité qui pourraient s’inspirer du corps des officiers dans l’armée où l’accès à certains grades compense un âge de la retraite qui est plus précoce que dans le reste de la fonction publique.

Cette réflexion et ces mesures propres à la haute fonction publique, laquelle est difficile à définir sauf selon ses modalités de recrutement, des échelles indiciaires et les emplois qu’elle occupe, pourraient conduire à une réflexion plus large, atténuant le clivage « public »/ « privé » - ce qui est déjà en cours dans l’organisation économique du pays, mais pas du tout pour les ressources humaines.

La pratique des privatisations appelle l’imagination de garde-fous et de palliatifs pour préserver les acquis sociaux, l’emploi et l’indépendance nationale. De même, une gestion au plus près des ressources humaines de l’Etat dans une ambiance de réduction des dépenses publiques et d’égalité des conditions entre « public » et « privé » serait plus aisée si elle se fondait davantage sur le droit commun : le droit du travail. L’employeur et les employés y gagneraient chacun. Quand beaucoup parlent de « refondation » à bien des propos, l’Etat innoverait à propos de ce qui est le plus sensible et donc le plus vrai : les femmes et les hommes qu’il emploie directement.

(5.XI.05 - BFF)

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