Au
sujet de la gestion de la fonction publique,
réflexions
pour le Premier ministre
p.
2 LES
EMPLOIS A LA DISCRETION DU GOUVERNEMENT
p.
5 L'INTERMINISTERIALITE
DANS
LA HAUTE-FONCTION PUBLIQUE
p.
7 L'APPLICATION
DU DROIT DU TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE
LES EMPLOIS A LA DISCRETION
DU GOUVERNEMENT
La sociologie contemporaine,
plus largement que la lettre de la Constitution, admettent que le
Gouvernement puisse disposer discrétionnairement de certains emplois
d'autorité dans l'Etat ou de direction des entreprises ou des
services du secteur public industriel et financier.
1
- La pratique des nominations et des remplacements dans le secteur
public économique assimile la carrière des personnalités qui en
sont l'objet, à ce qui prévaut dans le secteur privé
; les origines sont souvent les mêmes, avoir participé au cabinet
du ministre de l'Economie et des Finances quelle qu'ait été
l'étiquette politique de celui-ci. C'est-à-dire qu'un emploi de
discrétion, le cabinet ministériel, débouche sur un droit viager à
passer de la direction d'une entreprise publique ou privée à une
autre. La
crise en moralité et en efficacité des élites censées diriger
notre économie a sa racine dans ce mode de recrutement,
le changement de situation par rapport à l'Etat conduit ces anciens
haut-fonctionnaires à être encore plus libéraux que la moyenne du
patronat privé quand celui-ci a été de recrutement direct ou est
d'hérédité familiale, d'autant que la
notion de risque personnel sur deniers propres ou à peine d'éviction
sans prébende de remplacement - qui doit caractériser une gestion
"capitaliste" - a été perdue
totalement de vue par ces "parachutés". Cet abus a donné
lieu à des faillites de gestion notoires dans le secteur public ; il
a fait opérer dans l'esprit de beaucoup un amalgame avec l'Ecole
Nationale d'Administration et l'ensemble des personnels issus de
celle-ci. Il donne depuis quelques années lieu, dans le secteur
privé, à de véritables rachats de carnets d'adresses et donc à
des acquisitions, non de compétences, mais d'influences (supposées).
L'ensemble de ces pratiques a donné prise au reproche que se font
mutuellement les gouvernements et majorités successives de
"noyauter" à leur profit l'Etat et l'économie.
Remède
= un délai de plusieurs années
entre la sortie d'un cabinet ministériel et l'entrée dans le
secteur industriel ou financier par retour aux administrations
d'origine ou promotion dans des corps de contrôle. - La surveillance
des "pantouflages" dont les dispositions (M. DURAFOUR) ont
une dizaine d'années n'a pas été dissuasive.
2
- La nomination aux fonctions d'autorité de l'Etat
n'a pas à être motivée ; en relever non plus. C'est légitime
quand l'Etat est démocratique et qu'alternent au pouvoir
gouvernemental personnalités, équipes, programmes et convictions.
Pour les administrations, les risques sont un système des dépouilles
que pratiqueraient les gouvernants et le développement d'un esprit
de meute et de corporation au sein des corps dont les titulaires
s'estimeraient privés de leurs espérances de carrière par des
nouveaux arrivés par l'extérieur et par le haut. Pour ceux,
titulaires ou non, qui accèdent à ces emplois, le risque est
personnel. Une éviction non motivée, une perte considérable en
émoluments et en avantages accessoires, une perte de dignité sinon
d'honneur, une fin de carrière que ne pallient pas le service des
traitements de base ou diverses positions administratives ad hoc.
Quand
les serviteurs de l'Etat, les plus en vue du public, sont passibles
de disgrâce s'apparentant à celles de l'Ancien Régime, il est
tentant qu'ils y obvient par les comportements de cette époque :
l'inertie ou l'esprit de cour,
voire des systèmes de garanties corporatives ou occultes. L'Etat et
les Gouvernements disposeraient de docilités, mais non plus
d'imagination et de dévouement réels.
Remède = imposer par la loi
des règles de forme pour toute mise fin à des fonctions à la
discrétion du Gouvernement (communication du dossier et préavis,
sauf urgence ou secret-défense dûment motivés) ; assurer une
transition en matière d'émoluments qui mette à pied d'égalité
avec un haut cadre d'entreprise licencié pour raison économique,
soit le versement d'une indemnité correspondant à une ou plusieurs
années de traitement dans l'emploi retiré ; permettre à ceux qui
étaient au moment de leur nomination, déjà titulaires, de
souscrire à des assurances pertes d'émoluments ou chômage.
La réalité des carrières
dans la haute fonction publique ou assimilée n'est plus la sécurité
de l'emploi ni la transparence des affectations. Toutes proportions
gardées, les conditions de "survie" en cas de disgrâce
sont apparentées à celles d'un demandeur d'emploi, sans cependant
que les statuts aient prévu ni organisé ces situations peu dignes
de l'employeur : l'Etat. Cas notamment des engagements financiers
souscrits selon des espérances de carrière dont rien ne laissait
penser qu'elles seraient inopinément controuvées.
3
La culture d'Etat est en péril.
A l'instar de l'Ecole polytechnique, une institution censée préparer
au service de l'Etat et en donner les structures mentales, a dérivé
en école de préparation à des carrières de direction. La question
des élites en France se pose dans des termes aussi urgents qu'il y a
un siècle quand fut fondée l'Ecole libre des Sciences Politiques.
L'engagement dans les partis, la course aux cabinets ministériels,
les débouchés dans le secteur éconoiuue et financier sont le fait
d'ambitions personnelles et non d'une vocation à servir. La
libéralisation de l'économie et donc le recentrage de l'Etat sur
ses missions arbitrales et régaliennes auraient dû n'être qu'une
déréglementation, qu'une façon conviviale et non plus
contraignante d'organiser la vie collective et la pérennité de la
substance nationale ; la " trahison des élites ", la
vulnérabilité de celles-ci à l'argent et à l'idéologie la plus
simpliste du capitalisme sont assurément bien plus pernicieuse que
le mouvement européen ou des privatisations. Le prétendu souci
d'efficacité et de performance dans la fonction publique cache la
réalité d'une banalisation de l'Etat, considéré en termes
d'entreprise.
Remèdes
= à côté de l'E.N.A. et des cycles y préparant, instituer
une Fondation ayant pour but explicite cette renaissance de l'esprit
public
; elle rassemblerait, sur la base de convictions personnelles, toutes
compétences et notoriétés voulant s'atteler à cette restauration,
qui passera par un inventaire des grandes valeurs françaises, sinon
de notre modèle propre ; elle enquêtera et publiera, "colloquera"
et enverra en missions d'études. La Fondation Elf-Air-France à son
origine, sous Jacques CHABAN-DELMAS, avait un peu cet objectif ; elle
a dérivé.
Les divers organes et revues
traitant d'administration pourraient être associés à la
prospective de cette Fondation.
La
multitude - coûteuse et redondante - des publications dans la
plupart des ministères, sinon même les divers bulletins de liaison
des principales administrations (surtout économiques et financières,
serait soumise à un audit.
Le support que leur ensemble constitue serait davantage consacré à
cette recherche et illustration de l'Etat.
Les assemblées représentatives
au niveau national et à celui des collectivités locales, seront
mises à contribution. Un rapport annuel, débattu au Parlement,
serait présenté par le Ministre compétent, qui illustrerait
l'évolution, l'adaptation et l'infongibilité de l'Etat en France.
La discussion sur les missions, les démembrements, les moyens, la
neutralité et/ou l'engagement de l'Etat aurait lieu à cette
occasion.
Des
orientations, des imaginations, des propositions se feraient alors
jour, dans ce cadre souple et de volontariat. La "cause"
par elle-même attirerait en France et depuis l'étranger. Le creuset
des vocations serait à nouveau évident. (29.X.97
- BFF)
L'INTERMINISTERIALITE
DANS LA HAUTE-FONCTION PUBLIQUE
La fondation de l'Ecole
Nationale d'Administration, à la Libération, bien moins qu'à un
souci de qualité auquel répondaient depuis la République les
recrutements par concours et le prestige des "grands corps",
a voulu remédier à un cloisonnement des grandes administrations de
l'Etat. Ce qui était préjudiciable politiquement aux époques de
coalitions gouvernementales disparates et éphémères (la Quatrième
République) et sociologiquement puisque certaines responsabilités
publiques étaient très hautement servies et prisées, et d'autres
moins, quoiqu'elles fussent autant nécessaires. La méthode choisie
en 1945 n'était pas seulement l'unicité du concours (dit de sortie)
donnant lieu à affectation (moyennant la diversité des voies
d'accès par concours d'entrée différents), elle était de prévoir
une gestion commune des ressources humaines de l'Etat et le passage
aisé d'un ministère à l'autre, selon les goûts des individus et
les besoins de la chose publique.
Dans la pratique, on est
revenu aux cloisonnements et esprits de corps des régimes
antérieurs, au corporatisme d'un ministère à l'autre, et dans le
cas de l'Economie et des Finances d'une direction à l'autre ; enfin,
l'appartenance à un " grand corps " met hors compétition
ceux qui y ont accédé, presqu'à l'adolescence. La fonction
publique sous la Cinquième République paraît donc un régime de
castes et de nomenclature ; l'impression produite est d'autant plus
dangereuse que la fondation du régime visait principalement à la
restauration de l'autorité de l'Etat. Cette autorité perd sa
légitimité, si la démocratie est mise en doute, mais tout autant
si ceux qui exercent cette autorité ne sont pas "gérés"
avec transparence et selon un système démocratiquement contrôlable.
Remèdes =
1
compétence plénière de la Direction générale de la Fonction
publique pour la gestion des corps issus de l'Ecole Nationale
d'Administration (contreseing du Ministre pour toute nomination,
affectation et pour toute évolution de carrière)
2
instance d'appel à cette Direction générale et/ou à une
commission paritaire commune à l'ensemble des corps issus de
l'E.N.A., pour toute décision des Directions ou des commissions
paritaires internes aux Directions d'administrations centrales ou des
divers Ministères (les recours grâcieux des fonctionnaires
s'estimant lésés par leur administration ou leur ministre de
tutelle seraient également co-examinés par la Direction générale)
3
titularisation dans les corps d'inspection et de contrôle, non plus
à la sortie de l'Ecole, mais sur dossier et après un délai (par
exemple décennal) de service dans les administrations
4
contrôle par la Direction générale du respect des règles
concernant le "pantouflage" exorbitant des engagements
souscrits à la sortie de l'Ecole, ou des délais à établir entre
la participation à un cabinet ministériel ou à une fonction
administrative d'autorité économique, et le recrutement par une
entreprise publique ou privée ou la nomination à une autorité dans
le secteur public industriel ou financier
5
transparence des créations et vacances d'emplois dans l'ensemble de
la haute fonction publique, y compris pour ceux à la discrétion du
Gouvernement et pour ceux relevant du secteur public industriel,
commercial ou financier.
(29.X.97 - BFF)
L'APPLICATION
DU DROIT DU TRAVAIL
DANS LA FONCTION PUBLIQUE
La réflexion vaut davantage
pour les principaux cadres et agents d’autorité que pour les
fonctionnaires et agents d’exécution que les gestions paritaires
et les affiliations syndicales peuvent efficacement protéger. Mais
ce serait à enquêter, et une pratique commencée pour les
hauts-cadres pourrait s’étendre progressivement. Les
non-remplacements en cas de départs à la retraite, les compressions
et remaniements d’organigramme ne portent pas atteinte strictement
à des garanties statutaires et ne sont donc pas juridiquement
contestables, mais celles-ci et toutes mesures tendant à diminuer le
coût de l’Etat ou son emprise sur la société française mettent
en cause les serviteurs de celles-ci, entrés au service généralement
davantage par goût de la chose publique, que par considération
d’avantages pratiques, en gros la sécurité à défaut
d’émoluments concurrentiels avec le « secteur privé ».
Ces avantages sont sensibles pour l’extérieur, plus que pour ceux
censés en « bénéficier ».
Cette réflexion se fonde sur un
principe de dignité. Les mises au placard atteignent les
personnes dans leur âme, la plupart ne se regimbent gardant l’espoir
d’être « repris » ou de retrouver grâce. Elles
atteignent aussi l’image du haut-fonctionnaire dans le public, sans
doute les mises au rancart sont peu publiées et commentées, donc
peu connues, mais quand elles sont connues, elles décrient
rétrospectivement la fonction occupée, tout le parcours, et
éventuellement même l’œuvre accomplie.
Elle participe d’un souci
d’efficacité. Si les parcours et la sécurité des carrières
dépendent de la corporation, c’est rendre celle-ci maîtresse des
administrations centrales, un des rares espaces publics où le
clientélisme et la féodalité n’ont pas encore vraiment pénétré.
En sécurisant les carrières, notamment chez les fonctionnaires
d’autorité, on assure mieux l’autorité gouvernementale sur les
procédures et institutions d’Etat. On moralise aussi, car il n’est
pas sain qu’une carrière fondée à son départ sur la vocation à
servir l’Etat, c’est-à-dire le bien commun, trouve ses
débouchés dans un enrichissement personnel à l’occasion d’une
pénétration du secteur privé, notamment par une gestion des
privatisations.
Le recours à la juridiction
administrative est intimidant pour le haut-fonctionnaire,
d’une part parce que la décision peut être longue à venir, et
parce que la seule saisine coupe les ponts avec l’employeur ;
se voir donner raison aussi. Le rétablissement n’est pas forcément
au bout de la procédure, puisque le juge ne donne pas d’injonction
à l’administration, qu’il n’y a pas dans l’Etat sauf les
fonctions gouvernementales et électives, un clivage comme dans
l’entreprise entre le patronat bien repéré et un salariat géré
autrement que le patron. Chacun, au moins dans la haute fonction
publique, est susceptible d’être tour à tour géré et gérant.
Les difficultés, surtout en fin de carrière, se règlent entre
pairs que les parcours et plus éphèmèrement un moment de parcours
placent différemment.
Il faut donc organiser et
banaliser l’arbitrage par un ministère d’esprit
« interministériel », et les recours juridictionnels ;
il faut atténuer, tant psychologiquement que financièrement, les
ruptures de carrière quand elles ne sont pas motivées par une faute
lourde, soumise éventuellement à l’appréciation du Conseil
d’Etat. La plupart de ces ruptures sont des « disgrâces »
et prennent la forme de sanctions non énoncées en tant que telles
et encore moins motivées. Il faut en effet que la notion d’emplois
discrétionnaires ne soit pas aussi extensive, qu’elle l’est
devenue en sorte qu’aujourd’hui beaucoup risque de paraître
faveur et relationnement. Dans la pratique des dernières décennies,
notamment à l’occasion des alternances au pouvoir de l’Etat, au
moins quinquennales depuis vingt-cinq ans, ceux qui sont défaits
d’emplois discrétionnaires s’en voient offrir en
« compensation » ou sont nommés dans des corps de
contrôle. Les emplois à la discrétion du gouvernement sont parfois
même des lieux de compensation pour des pertes de
portefeuilles ministériels voire de circonscriptions électorales.
Or, l’accès à ces lieux est tout aussi discrétionnaire que la
disgrâce.
Quelques mesures pratiques :
+ une gestion des carrières qui
ne soit pas seulement interne au corps d’origine, mais dont le
ministre de la Fonction publique soit l’un des signataires et
toujours un organe de recours et d’arbitrage ;
+ une première instance
prudhommale en cas de conflit, le Conseil d’Etat juge d’appel,
pour le point de vue de l’Etat employeur ;
+ des indemnités compensant
les ruptures et que le retour au « traitement de base »
ne constitue pas en réalité ; le chiffrage serait soit
juridictionnel, soit selon une grille rapportée à une moyenne du
passé et une projection de ce qu’eût été la carrière si elle
n’avait pas été interrompue.
Cette dernière mesure pour être
comprise en dehors de la fonction publique, devrait être organisée
en même temps qu’auront été réglés deux abus, l’un dans la
fonction publique : le système des primes, diminuant les
quotités qui fondent le montant des retraites et à l’origine de
profondes nigéalités de traitement pendant le temps d’activité,
l’autre dans le secteur privé : le système des indemnités
de départ et des « retraites-chapeaux ». Injuste
modicité d’un côté, et de l’autre largesses excessives aux
dépens du capital social et de la rémunération des actionnaires,
choquantes inégalités dans les deux ensembles ;
+ des systèmes de cessation
d’activité qui pourraient s’inspirer du corps des officiers dans
l’armée où l’accès à certains grades compense un âge de la
retraite qui est plus précoce que dans le reste de la fonction
publique.
Cette réflexion et ces mesures
propres à la haute fonction publique, laquelle est difficile à
définir sauf selon ses modalités de recrutement, des échelles
indiciaires et les emplois qu’elle occupe, pourraient conduire à
une réflexion plus large, atténuant le clivage
« public »/ « privé » - ce qui est déjà
en cours dans l’organisation économique du pays, mais pas du tout
pour les ressources humaines.
La pratique des privatisations
appelle l’imagination de garde-fous et de palliatifs pour préserver
les acquis sociaux, l’emploi et l’indépendance nationale. De
même, une gestion au plus près des ressources humaines de l’Etat
dans une ambiance de réduction des dépenses publiques et d’égalité
des conditions entre « public » et « privé »
serait plus aisée si elle se fondait davantage sur le droit
commun : le droit du travail. L’employeur et les employés
y gagneraient chacun. Quand beaucoup parlent de « refondation »
à bien des propos, l’Etat innoverait à propos de ce qui est le
plus sensible et donc le plus vrai : les femmes et les hommes
qu’il emploie directement.
(5.XI.05 - BFF)
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