Monsieur le Président de la
République,
comment ne pas admirer, tout ce qu’il nous est arrivé ce samedi
9 ?
Le peuple français, nous tous, emmenés dans l’émotion et la
communion, par certains de nous : une « classe d’âge », une
origine de souche, une culture, chacune précise, mais justement en rien exclusive,
et la contagion d’un amour et d’un parcours avec un artiste hors du commun à
tant d’égards et pendant tant de décennies, s’est opérée. Le miracle français
de l’union, transcendant toutes les classifications et analyses convenues, tous
les clivages sociaux, culturels, ethniques, s’est opéré. Nous en perdions
mémoire et plus encore expérience.
Vous-même, nous présidant et – pour la première fois, vraiment,
depuis votre avènement – nous exprimant si bien. D’autant que votre
discernement, souvent hors du commun (avoir discerné que votre prédécesseur non
seulement ne se représenterait pas, mais ne lutterait même pas, avoir discerné
la grande lassitude des Français vis-à-vis du système de reproduction à chaque
élection d’une joute puis d’un échec devenus habitudes, et par ce discernement
avoir été favorisé de tant de chances par élimination de votre principal
concurrent et par évidence de la nullité d’une adversaire si favorisée par les
sondages jusqu’à réduire l’élection présidentielle à son seul premier tour),
vous avait archi-préparé à l’échéance : une intimité de six mois avec
l’artiste telle que son épouse vous prévient avant tous, une vue de la journée
en très grand par le rythme et par le parti magnifique tiré de toutes les
ressources de notre capitale. Enfin, le chef d’œuvre, sans rien toucher à
l’option séculaire de notre laïcité, de faire reconnaître à tous – grâce il est
vrai à la nature profonde de Johnny Hallyday – les racines spirituelles de
notre pays.
A Johnny et à vous, dette certaine de reconnaissance. Cela s’est
contracté en quelques minutes de votre correspondance à tout quand vous avez
commencé de parler, au point qu’à treize heures quinze de ce jour-là, quand a
retenti, délibérée et vraie, votre invite à applaudir celui que ne nous quittait
que physiquement, votre quinquennat alors, et seulement alors, a véritablement
commencé.
Il est décisif pour notre pays, plus encore que pour votre destin
personnel, que ce fil enfin trouvé, presque par instinct, vous ne le lâchiez
plus. Il va rester fragile tant que la durée ne l’aura pas vraiment dévidé. Ce
fil, c’est la communion nationale et celle-ci ne peut durer que si la
participation des Français n’est pas qu’émotionnelle et événementielle, mais
pratique, appliquée aux décisions d’intérêt commun, aux grandes gestions. Le
thème et l’envie, quoiqu’apparemment différencie en chacun de nous, la
responsabilité des pouvoirs publics, à commencer par celle du président de
notre République ne sont pas nouveaux quoique tellement oubliés : ainsi,
cette procédure par ordonnance pour adapter ou changer un des éléments
fondamentaux de notre vie sociale, celle au travail et en entreprise. Vous
n’avez en rien gagné du temps, puisque les décrets d’application n’entreront en
vigueur que le huitième mois de votre quinquennat : des sessions
exceptionnelles, des procédures d’urgence eussent été plus rapides, les
consultations et débat à « ciel ouvert » et les compétences du
gouvernement et du Parlement, que vous avez eu tendance à accaparer et même à
fusionner pour votre mise en évidence, et bien trop en scène, auraient été
pratiquées, reconnues. Présider notre République, c’est nous animer et nous
conduire, nous incarner, pas nous réduire.
La participation s’est fondée chez nous, quoique cela ne soit pas
dit, à ma connaissance, le 18 Juin 1940. De Gaulle n’appelait pas, il
répondait. L’espérance de Français refusant que la partie soit jouée, et qui en
appelait au destin, sinon à un inconnu. Toute la guerre de résistance et de
libération a été une intense participation parce que le volontariat
apparaissait en conscience au meilleur et aux meilleurs de nous-mêmes. De
Gaulle a tenté de prolonger sous des formes pérennes une ambiance et l’emploi
de chacun, dans des contextes ensuite changés par la paix. L’effort pour la
participation dans l’entreprise : son gouvernement, son discernement des
opportunités technologiques et commerciales, ses bénéfices, n’est toujours pas
la tension législative que nous devrions exiger de nous-mêmes. En politique, le
referendum et l’engagement personnel et à fond du président de la République ne
s’est jamais reproduit depuis de Gaulle : résultat, 54% d’abstentions, ou presque, pour votre élection
présidentielle, un peu plus pour la composition de la nouvelle Assemblée
nationale, presque la même chose pour les élections corses. Cela fait de la
légalité, mais pas de l’élan.
Vous devez susciter cet élan, et ce sera exemplaire pour la cause
européenne qui échoue car depuis une vingtaine d’années, elle n’est plus que
gestation intergouvernementale.
Quelques chantiers, que je me suis permis de déjà vous suggérer.
La planification délibérative – le rythme quinquennal s’y prête – de l’ensemble
des projets et actions de tous les acteurs politiques, financiers, économiques
et sociaux. L’esprit de défense manifesté par un service national universel,
garçons et filles, en deux étapes, chacun d’une année, la préparation
militaire, le devoir et la prudence d’une coopération par les jeunesse avec les
pays et peuples en déshérence d’espoir et de démocratie. Par courriel, j’ai dit
à Philippe Etienne, amical truchement pour que cette lettre vienne sous vos
yeux, ainsi qu’à mon ami Jean-Marc Chataigner, combien la Mauritanie est un
test pour vos manières de traiter avec les dictatures (votre entretien de
campagne avec Bourdin, le 18 Avril dernier) et pour la nécessité d’inspirer
confiance à nos partenaires européens dans la question du Sahel, frontière
méridionale de l’Union européenne.
Leçon que chaque jour me donne notre fille unique de treize
ans : l’éducation nationale est devenue mutuelle entre générations (internet
et informatique pratiqués par nos enfants, quasiment de naissance, et surtout
ataviquement compris dans leurs développements au lieu du labeur consentis à
consentir par les adultes). Pas de réforme, pas de rôle tant attendu de l’école
en tous domaines si ceelle-ci, et par extension ce qu’il se passe après le
baccalauréat ne sont pas vécus, définis, appliqués à égalité de responsabilité
par les enfants, par les étudiants et par les cadres enseignants de toute
expérience.
Le numérique, commodité certaine en documentation, en
communication, en archives mais vulnérabilité à toute attaque et a fortiori à
une guerre informatique, entre Etats ou menée par des entités non identifiées
en intérêt et en organisation, est aussi une formidable vulnérabilité. C’est
aussi l’atrophie, l’isolement de celles et ceux qui ne peuvent pratiquer
informatique et internet. Les personnels de nos administrations régaliennes
désespèrent – j’en vis de nombreux exemples – de cet oubli ordonné de la
relation humaine. Ce danger est là, les dégâts vont être substantiels. C’est
l’exact contraire de la participation. Or, celle-ci doit devenir votre
ambition, votre souci, votre vérification de chaque jour. Votre quinquennat
commençait mal, alors que tout demande l’application de votre liberté d’esprit
et de votre puissance de travail. Samedi dernier quand en France partout, à
votre demande, nous avons applaudi le don de soi d’un grand homme (se faire
inhumer sous son nom de naissance, et pas de seule gloire…), l’esprit de notre
participation et donc de votre mandat présidentiel, s’est éveillé.
Vous savez,
Monsieur le Président de
la République, mes sentiments
déférents
et d’espérance.
Bertrand Fessard de Foucault
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