Général de Gaulle, président de la République
Voeux pour l'année 1969 – radiotélévisés le 31 Décembre 1968
La transcription de l’enregistrement par l’I.N.A. ne correspond pas, mot pour mot, à la publication définitive des Discours et Messages publiés par Plon
31 décembre 1968
14m 52s
Notice
Résumé :
Six mois après les événements de
mai 68, le Président présente ses voeux aux Français. Le principal thème abordé
est la situation intérieure de la France et la relance économique nécessaire
après la crise sociale du mois de mai. Néanmoins, le Général évoque aussi la
situation internationale : le Moyen-Orient, la guerre du Vietnam, le Québec, le
Biafra.
Type de média :
Date de diffusion :
31 décembre 1968
Type de parole :
Conditions de tournage :
Petite(s) phrase(s)
:
- Il faut que nous surmontions le malaise moral qui, chez nous plus que partout, à cause de notre individualisme, est inhérent à la civilisation mécanique et matérialiste moderne.
- Après son passage à vide, la nation française s'est ressaisie.
- Portons donc en terre les diables qui nous ont tourmentés pendant l'année qui se termine.
Éclairage
Pour la huitième et dernière fois depuis qu'il est à la tête de la Cinquième République, le général de Gaulle présente, par l'intermédiaire de la radio et de la télévision, ses voeux au peuple français pour la nouvelle année 1969.Le chef de l'État consacre une large part de son allocution aux événements de Mai 1968, dont il fait la chronique. Il évoque le " passage à vide " qui a ébranlé son autorité et secoué un pays tout à coup " saisi de vertige ", mais il insiste également sur les graves conséquences économiques qui résultèrent de cette crise. Pourtant, dit-il, " la nation française s'est ressaisie " : en effet, la grande manifestation de soutien au général de Gaulle du 30 mai 1968, ainsi que le raz-de-marée gaulliste aux élections législatives qui suivirent, prouvaient que les Français étaient très majoritairement en faveur d'un retour à l'ordre.
De Gaulle indique ensuite les directions dans lesquelles la France doit diriger ses efforts pour l'année 1969. Ainsi annonce-t-il le prochain référendum sur la participation, la création des régions et la réforme du Sénat : le résultat de cette consultation populaire, le 27 avril 1969, sera négatif, et comme il l'avait annoncé, le Général cessera aussitôt d'exercer ses fonctions, mettant un point final à la République gaullienne.
Le reste de cette allocution est consacré à la politique internationale : il évoque pêle-mêle le premier vol américain autour de la lune (l'année suivante, Neil Armstrong y marchera pour la première fois), l'Europe (le 24 août 1968, les Soviétiques pénétraient en Tchécoslovaquie ce que le général de Gaulle condamnait fermement), le Viêt-Nam (où le conflit Vietnamien se poursuit avec rage malgré le démarrage des accords de paix de Paris en mai 1968), le Moyen Orient (où il réprouve le raid de représailles du 28 décembre qu'Israël menait sur l'aéroport de Beyrouth après l'attentat perpétré à Athènes contre un avion d'El Al), le Biafra (la guerre civile au Nigeria fait alors des milliers de victimes), ou bien encore la Chine, l'aide aux pays sous-développés et le système monétaire international. Il achève son discours en souhaitant aux Français " la foi et l'espérance nationales " en cette nouvelle année 1969.
Aude Vassallo
Françaises, Français !
Mes meilleurs voeux de nouvelle
année, je vous les offre de tout mon coeur. Un coeur, que depuis longtemps, permettez-moi
de le dire, n'épargnent pas les soucis, au sujet du sort de la France. Mais
qui, je vous l'affirme, est aujourd'hui rempli d'espoir.
Certes, au printemps dernier, notre pays qui, depuis dix ans, gravit la pente du
renouveau s'est trouvé, dans son ascension, tout à coup, saisi de vertige. On a
même pu croire un moment qu'il s'abandonnait à l’attrait morbide de l'abîme, et
qu'il allait rouler jusqu'au plus bas. Par la suite, le grave
déséquilibre de notre économie, résultat inéluctable d'une paralysie de près de
deux mois, des charges énormes subitement consenties pour la faire cesser, et
des crédits massivement prodigués pour la reprise, nous a conduit, soudain, et
à chaud, à une crise monétaire, qui mettait en cause la valeur de notre franc,
et par là même, celle de nos avoirs et de nos rémunérations, risquait de nous
faire passer sous la dépendance de prêteurs étrangers et suscitait la joie
odieuse des spéculateurs de la finance, de la politique et de la presse qui
jouaient notre déconfiture.
Mais au bout du compte, que nous
est-il arrivé ? Ceci d'abord, qu'après son passage à vide, la Nation française
s'est ressaisie. Le 30 mai, elle a, d'un seul coup, montré, massivement,
qu'elle répondait à l'appel du Chef de l'Etat. Après quoi, par les élections,
elle a prouvé d'une manière éclatante sa volonté de voir assurer l'ordre,
maintenir les institutions et poursuivre la marche vers le progrès Ceci encore
nous est arrivé qu'au total et dans l'ensemble, le bons sens reprend ses droits
à l'intérieur de nos facultés. Il nous est arrivé ceci enfin, que notre
activité productrice, vigoureusement relancée, dépasse le taux le plus élevé
qu'elle ait encore jamais atteint. Que notre monnaie, ayant traversé l'ouragan
sans perdre sa parité, se tient ferme sur sa position. Et que tous ceux qui ont misé sur le recul de la France en
sont pour leur honte et pour leur frais.
Portons
donc en terre les diables qui nous ont tourmenté pendant l'année qui se
termine. Laissons à leurs complices et à leurs partisans la tristesse et la
déception. Car le fait que nous ayons, une fois de plus, heureusement surmonté
les épreuves nous donnent les meilleures raisons d'être confiant en nous-mêmes.
Cependant il est bien vrai que nous ne réparerons pas dans la pagaille et dans
la facilité les mauvais coups qui viennent d'être portés à notre pays. Pour
l'éducation nationale, le retour à l'anarchie ne doit pas être toléré, sous
peine que soit inapplicable, tout ce qui a été fait pour elle depuis dix ans.
Et tout ce qui est en voie de l'être grâce à la loi d'orientation. L'intérêt
public exige qu'indépendamment des mesures qui, là comme ailleurs, incombent
des services d'ordre, ils reviennent à ceux qui sont dans nos universités, nos
lycées, nos écoles, sont en fonction, c'est-à-dire : en charge et en
responsabilité d'y exercer leur autorité. Et aux enseignants, aux étudiants,
aux familles de les y aider activement. Pour l'économie, qu'il s'agisse des
prix et des salaires ou bien des dépenses publiques ou bien des changes et du
crédit, les limitations, les contrôles voulus, sont absolument nécessaires
jusqu'au retour complet à l'équilibre. Ceci pour que nous puissions sauvegarder
la balance de nos paiements, consolider dans la réalité, les accroissements de
rémunération qui ont été apparemment fixés dans les chiffres. Faire en sorte
que nous vendions au dehors au moins autant que nous y achetions. Bref,
empêcher, que la supercherie de l'inflation ne nous fasse glisser au gouffre de
la ruine et de la misère, comme jadis le chant des sirènes faisait tomber les
marins dans la mer.
Alors, nous étant remis d'aplomb,
nous franchirons certainement dans l'expansion et dans la règle, une étape
nouvelle de développement et de prospérité. Encore faut-il que nous surmontions
le malaise moral qui chez nous plus que partout à cause de notre individualisme
est inhérent à la civilisation mécanique et matérialiste moderne. Faute de quoi
les fanatiques de la destruction, les doctrinaires de la négation, et les
spécialistes de la démagogie auraient encore une fois beau jeu, de susciter
l'amertume pour provoquer l'agitation. Sans que d'ailleurs leur stérilité
qu'ils appellent insolemment et dérisoirement la révolution puissent tendre à
rien d'autre qu'à tout dissoudre dans le néant ou bien à tout pousser sous les
broyeuses totalitaires. Or à l'origine de ce trouble, il y a le sentiment
attristant, irritant qu'éprouvent les hommes d'à présent, d'être saisis et
entraînés par un engrenage économique et social sur lequel ils n'ont pas de
prise et qui fait d'eux des instruments à ce mal du siècle, qui est le mal des
âmes. Nous pouvons pour notre part, contribuer à remédier en organisant la
participation de tous à la marche de l'activité à laquelle ils contribuent. De
telle façon que chacun soit dignement associé à ce qui se passe à son propre
sujet, et qu'il assume des devoirs en même temps qu'il fait valoir des droits.
C'est cela que nous sommes en train de faire dans notre université. C'est cela
que nous allons développer après l'avoir commencé à l'intérieur de nos entreprises.
C'est cela que nous réaliserons en associant les collectivités territoriales de
notre pays et les catégories économiques et sociales. Soit au plan de la
région, aux mesures qui touchent la vie locale, soit au plan de la Nation, à la
préparation des lois. Voilà la réforme de la
condition des hommes, autrement dit : de leurs rapports, qui doit marquer l'an
de grâce 1969, et nous faire à la fois plus forts et plus fraternels. D'autant
mieux que si nous, Français, ne sommes pas actuellement une nation physiquement
gigantesque, si par exemple, il nous faut laisser à d'autres, l'admirable
mérite de réussir le tour de la lune, nous n'en avons pas moins à jouer dans le
monde, à l'avantage de tous les peuples, un rôle qui soit bien à nous.
Cela implique que sans nuire
aucunement à nos amitiés traditionnelles, nous restions solides et
indépendants. C'est parce que nous le sommes redevenus, depuis dix ans, après
une longue période où le malheur alternait avec l'inconsistance que nous nous
trouvons en mesure d'agir. Pour aider efficacement à la solution des problèmes
aigus de l'univers, lesquels, chacun peut les énumérer. Il s'agit de la détente
et de la coopération à pratiquer au lieu de la guerre froide avec le reste de
l'Europe qui d'ailleurs de ce fait, est en évolution. Soit aussi de l'affreux
conflit vietnamien auquel peuvent mettre un terme des négociations à Paris.
Soit de l'issue internationale au drame du Moyen-Orient. Issue qui est déjà
tracée, mais qui doit être absolument mise en oeuvre, ce dont les grandes
puissances ont les moyens, par l'évacuation des territoires conquis par la
force. La garantie accordée à chaque camp quant à une juste frontière et quant
à sa sécurité. Par la libre navigation attribuée partout et à tous et par un
sort acceptable assuré aux réfugiés. Il s'agit aussi de l'entrée de l'énorme
Chine dans le concert des grandes puissances et dans celui des Nations Unies
parce que, elle a sa place à y tenir et que l'isolement ne vaut rien. Soit
encore de la libre conduite de sa propre vie nationale par le peuple français
du Canada. Soit du droit de disposer de lui-même à reconnaître au vaillant
Biafra. Soit de l'aide qui doit être apportée par les nations bien pourvues, au
progrès de celles qui ne le sont pas. Soit de l'établissement d'un système
monétaire mondial qui soit fondé non pas sur le privilège d'une monnaie, mais
sur deux critères impartiaux. D'une part, la valeur de l'or, d'autre part, une
organisation du crédit, exclusive de la spéculation. Ces positions qui sont les
nôtres, qui ont été naguère âprement contestées, mais que les évènements
justifient à l'évidence, nous avons à les soutenir pour l'équilibre et pour la
paix du monde. Car cette action là, elle est de notre intérêt vital et elle
répond parfaitement bien à la nature et à la figure millénaire de la patrie.
Françaises, Français, au début de
l'année, pour la réussite de la France, je nous souhaite à tous, en son nom, la
foi et l'espérance nationale.
Vive la République !
Vive la France !
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