Guillaume Berlat
18 avril 2016
AVEC LE SAINT-SIÈGE, ÉLEVER LA VOIX NE DONNE PAS RAISON…
« M. Laurent Stéfanini, ministre
plénipotentiaire de deuxième classe, en fonctions à l’administration centrale,
est nommé ambassadeur, délégué permanent de la France auprès de l’Organisation
des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, à compter du 25
avril 2016, en remplacement de M. Philippe Lalliot, appelé à d’autres
fonctions »1.
Sous la sobriété, la froideur toute technocratique de cet extrait du journal
officiel de la République française (JORF) du 8 avril 2016, qui reprend une
mesure prise en conseil des ministres le 6 avril 20162,
se dissimule quelque chose de plus sérieux, de plus significatif dans le même
temps. Pour le lecteur attentif de cette bible administrative et l’observateur
au fait de l’actualité internationale, cette information, pour habituelle
qu’elle soit, sonne à la fois comme la fin d’un mauvais feuilleton, d’un
pitoyable vaudeville diplomatique, mais aussi et surtout comme un cinglant
désaveu pour la diplomatie française.
Un bref retour en arrière sur cette affaire, loin d’être
anodine en termes de droit diplomatique (celui de la procédure d’accréditation
des ambassadeurs3),
s’impose pour mieux apprécier la réalité de la déconvenue du président de la
République, François Hollande, sa reculade en rase campagne face au Pape
François en dépit de ses déclarations bravaches du début de l’année 2015.
FRANÇOIS NE CÉDERA PAS FACE À FRANÇOIS : PASSER SOUS
LES FOURCHES CAUDINES !
Bien qu’il apparaisse aux yeux de tous comme le candidat
idéal pour le poste, une maladresse diplomatique inconcevable va entraver le
bon déroulement de la procédure d’agrément.
Le candidat idéal. Il en mourrait d’envie par passion
de la chose religieuse et de la chose diplomatique. Dans le microcosme
parisien, tout le monde savait que Laurent Stéfanini, brillant diplomate
français, ancien élève de l’ENA, caressait depuis belle lurette le projet
d’occuper le poste d’ambassadeur de France auprès du Saint-Siège à Rome. Il
avait toutes les qualités requises pour ce poste sensible : le
professionnalisme ; le sens des convenances ; le tact ; la
connaissance du monde des religions ; et pour ne rien gâter, une forme
d’onction toute cardinalesque dans le port. En un mot, il représente le
candidat idéal pour occuper la villa Bonaparte4.
D’autant plus que, depuis plus de cinq ans, il assume la tâche lourde et
ingrate de chef du protocole, d’abord sous le virevoltant Nicolas Sarkozy (un
an), puis sous le placide François Hollande (quatre ans). Cela mérite une juste
récompense. Telle est la tradition bien établie pour les chefs du protocole,
dans le passé. Toute peine mérite salaire : une sortie par le haut !
La maladresse diplomatique. En janvier 2015, François
Hollande sollicite l’agrément du Vatican à la désignation de Laurent Stéfanini
comme ambassadeur de France5.
Avant même que l’agrément pontifical ne soit obtenu, la nomination est
claironnée comme acquise urbi et orbi dans les gazettes. L’intéressé rejoindra
son poste dès le départ de son prédécesseur. Mais patatras ! Un grain de
sable dans la mécanique bien huilée de la procédure d’accréditation vient
contrarier les efforts du prétendant et de son mentor, le chef de l’État. Le
plus petit État au monde n’apprécie guère d’être mis devant le fait accompli,
et de surcroit, par la fille ainée de l’église après l’épisode mal vécu à Rome
du mariage pour tous. Et cela d’autant plus que certains « chers
collègues » véhiculent dans les dîners en ville, où se font et défont les
réputations, quelques « boules puantes » sur le candidat putatif. Il
n’en faut pas plus pour que le Saint-Siège se braque6.
Paris feint de ne pas entendre les fortes réserves implicites puis explicites,
voire l’opposition frontale du Pape à cette candidature7.
FRANÇOIS CÈDE DEVANT FRANÇOIS : ALLER Á
CANOSSA (ANDARE A CANOSSA) !
En dépit de plusieurs relances de l’Elysée, le Saint-Siège
s’en tient à son refus implicite initial de la candidature du diplomate qui lui
était présentée.
Le refus implicite du candidat. La demande d’agrément
reste dans Les Caves du Vatican8.
Les silences succèdent au silence. Des noms de candidats de substitution, pour
la plupart auto-désignés, font florès dans les médias. C’est au printemps 2016
que les choses bougent. Dans les cercles bien informés, l’hebdomadaire
satirique, Le Canard enchaîné, il se murmure déjà depuis plusieurs semaines que
le président de la République a décidé de nommer comme ambassadeur de France
auprès du Saint-Siège, Philippe Zeller, occupant éphémère du poste stratégique
de directeur général de l’administration et de la modernisation (DGAM),
actuellement « conseiller diplomatique du gouvernement ». Les gens
bien intentionnés en ont aussitôt conclu que la candidature de son chef du
protocole, introducteur des ambassadeurs, Laurent Stéfanini, pendante depuis
janvier 2015, était discrètement passée à la trappe, aux oubliettes de la diplomatie
française. Cette situation de refus d’un candidat au poste d’ambassadeur n’est
pas inédite, d’autres États en font l’expérience, y compris très récemment9.
L’échec des relances de l’Élysée. Pourtant, l’Élysée
tente de rattraper le coup pour éviter le ridicule. Rien n’y fait !
D’abord, la diplomatie du coup de menton. Elle indispose celui que l’on pense
impressionner par la vigueur et la fermeté du propos. Ensuite, la diplomatie de
connivence en dépêchant dans la ville éternelle, le ministre de l’Intérieur en
sa qualité de ministre en charge des cultes. Elle laisse de marbre le bouillant
Pape argentin qui n’a toujours pas rendu de visite officielle à la France,
n’était son bref passage à Strasbourg en route pour le parlement européen et au
Conseil de l’Europe.
Enfin, la diplomatie du chien crevé au fil de l’eau chère au
président André Tardieu. Elle porte le coup de grâce (sans mauvais jeu de mots)
à la candidature de l’un des plus proches collaborateurs du président de la
République, François Hollande. La déculottée n’est pas anodine. Elle fait coup
double, visant personnellement le chef de l’État10 et
politiquement sa diplomatie vaticane. Elle vient s’ajouter à quelques autres
grosses déconvenues, en particulier au Proche et Moyen-Orient.
« L’histoire finit toujours par punir la frivolité
stratégique »11.
Et malheureusement c’est bien de cela dont il s’agit dans l’affaire
Stéfanini ! Elle constitue le révélateur d’une sorte d’aveuglement, de
méconnaissance impardonnable des usages ancestraux de la diplomatie chez ceux
qui sont censés en être les gardiens. A ce niveau d’amateurisme, on reste
confondu. « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent qui change
de sens » avait coutume de dire Edgard Faure. Il faudra plus d’un an à nos
brillants décideurs et à leurs indispensables communicants pour jurer mais un
peu tard qu’on ne les y prendrait plus12.
Et ce n’est pas le Saint-Siège que l’absence prolongée d’ambassadeur gênait,
mais bien la France. Gageons que le futur ambassadeur de France à Rome
rejoindra rapidement son poste.
Une fois encore, nos éminences technocratiques seraient bien
inspirées de relire, à tête reposée, quelques recueils – et il n’en manque pas
– de proverbes et d’adages anciens qui portent la marque du bon sens populaire
si négligé de nos jours. Le terme populaire n’est-il pas devenu aujourd’hui un
terme presque incongru tant il frise celui de populisme ? Le premier
proverbe, bien de chez nous, est qu’il ne faut jamais vendre la peau de l’ours
avant de l’avoir tué. Le second, venu de l’Empire du milieu, est qu’élever la
voix ne donne pas raison, surtout avec le Saint-Siège.
1 Décret du 7 avril 2016 portant nomination d’un ambassadeur, délégué permanent de la France auprès de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science, la culture – M. STEFANINI (Laurent), JORF n° 0083 du 8 avril 2016, texte n° 39, www.legifrance.gouv.fr
2 Communiqué du conseil des ministres du 6 avril 2016, www.elysee.fr .
3 Jean-Paul Pancracio, Dictionnaire de la diplomatie, Micro Buss éditions, G. de Bussac, 1998, pp. 73-74.
4 Vincent Jauvert, Gay d’Orsay (chapitre 10) dans La face cachée du Quai d’Orsay. Enquête sur un ministère à la dérive, Robert Laffont, 2016, pp. 169-175.
5 Le professeur Jean-Paul Pancracio (agrégé de droit public, expert en droit diplomatique, précité) rappelle que, par principe et règle intangible, ce n’est jamais le Saint-Siège qui sollicite l’établissement de relations diplomatiques avec un État ni qui les rompt. Il laisse toujours venir le demandeur, avec la puissance infinie de patience que confère l’esprit d’éternité.
6 D.H., Menace de guerre franco-vaticane, Le Canard enchaîné, 1er avril 2015, p. 1.
7 Guillaume Berlat, Bras de fer entre les deux François : le choc des diplomaties, prochetmoyen-orient.ch
8 André Gide, Les Caves du Vatican, Gallimard, 1950 (œuvre de 1914).
9 Israël renonce à faire d’un colon son ambassadeur à Brasilia, Le Monde, 30 mars 2016, p. 6 (L’État hébreu a renoncé le 28 mars 2016 à faire de Dani Dayan son ambassadeur à Brasilia après un bras de fer de plusieurs mois avec les autorités brésiliennes. Brasilia avait décidé de ne pas porter la querelle sur la place publique. L’intéressé a été nommé consul général à New York).
10 Valéry Hache, Nicolas Sarkozy au Vatican : les coulisses d’une « visite privée », Le Point.fr, 21 mars 2016.
11 Henry Kissinger, L’ordre du monde, Fayard, 2016, p. 81.
12 Jean de la Fontaine, Le corbeau et le renard, Fables choisies mises en vers, Fables I à VI, 1668, Chez Claude Barbin, p. 55
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