Lundi, 08 Juillet 2013 18:16
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Par le Général Bernard MESSANA….
Premier coup : la suspension du service national.
C’est assurément M. Chirac qui, en « suspendant » le service national en 1996, a frappé le premier coup. Pour certains, cette décision parfaitement inattendue était bien dans le style d’un Président très « sous-lieutenant de cavalerie ». Pour d’autres, il ne s’agissait là, en fait, que de pure démagogie. De plus, comme on allait très vite le réaliser, cette « suspension » était du modèle « haut et court » puisqu’elle condamnait, dans sa pratique, tout retour en arrière. Elle était enfin en parfaite contradiction avec un livre blanc à peine édicté- en 1994- qui déclarait que le service national était « un cadre nécessaire », qu’il était « le meilleur gage de l’attachement de la nation et des citoyens à leur défense », et qu’il « renforce ainsi la dissuasion ». La décision de M. Chirac ne suscita cependant que très peu de réactions.
L’institution militaire resta muette, ou presque, devant cette mesure, et pourquoi s’en étonner ? Débarrassé de la menace de « l’ennemi rouge », le quotidien de nos Armées, à cette époque, n’était plus fait que d’ « actions extérieures » auxquelles nos appelés ne pouvaient, en droit, participer, sauf à tourner
Deuxième coup : le Livre blanc 2008.
Avec toute l’énergie que les observateurs lui ont reconnue, M. Sarkozy porta le deuxième coup. Assez peu « amateur » lui-même de la « chose » militaire, traitée avec une souveraine condescendance, il choisit d’y appliquer, avec le livre blanc de 2008, le type de réforme structurelle que, crise régnant, il fallait se décider à mettre en oeuvre. La potion fut rude, au-delà même de ce que les plus pessimistes redoutaient. Un quarteron de contrôleurs généraux s’attacha à en définir le contenu, que l’on peut résumer en deux volets : suppression de postes, et mutualisation des soutiens.
La suppression de postes, colossale, toucha 54 000 personnels, c’est-à-dire bien au-delà des directives de la RGPP, fixant le non- remplacement d’un poste sur 2 pour les personnels quittant le service actif. Un complément généreusement évalué y fut rajouté, peut-être basé sur les suppressions prévues dans les autres grands corps de l’Etat qui, on le savait par avance, n’obéiraient pas.
Quant à la mutualisation des soutiens, déjà autrefois expérimentée, le plus humble de nos caporaux savait que, pertinente conjoncturellement, elle ne pourrait fonctionner dès lors qu’on voudrait en faire une loi générale. Et cela, effectivement, ne fonctionna pas. Cet échec global de la réforme de M. Sarkozy fut d’ailleurs dénoncé dès Mars 2012 par M. Hollande alors candidat à la présidence, stigmatisant sans détour « l’absence de cohérence » entre le Livre blanc de 2008, la loi de programmation, et la RGPP, entraînant un « fort sentiment de confusion et de désordre » et la « grande insatisfaction des personnels ».
Dès lors il convenait de prendre la juste mesure de cette insatisfaction des personnels, née bien sûr de la brutalité des mesures appliquées, mais aussi de la manière humiliante dont elles avaient été annoncées. D’abord avec le mensonge absurde du politique promettant une augmentation régulière du budget défense dès 2012. Ensuite par l’attribution au contrôle général des Armées, sorte de corps
Le troisième coup : le Livre blanc 2013.
Le troisième coup se fit un peu attendre. Puisque M. Hollande, désormais président, avait dénoncé l’échec sarkozien, et annoncé un nouveau Livre blanc, n’était-ce pas là promesse de correction des erreurs sarkoziennes ?
Et bien non. Au terme d’un « enfumage » au lourd parfum d’agit-prop du temps jadis, où l’on feignit de s’indigner des plans assassins de Bercy, des médias complices saluèrent soudain la douteuse victoire d’un prétendu lobby militaro-industriel qui, avec l’onction présidentielle, avait réussi à déjouer les basses manœuvres des financiers. La Défense serait sauvée, et l’effort à son égard serait maintenu, claironnaient les « experts » !
Alors parut le nouveau livre blanc et furent annoncées les décisions à venir, constituant ce troisième coup qui, pour l’Armée de Terre en particulier, peut être considéré comme funeste. Aux 54 000 suppressions de postes voulues par M. Sarkozy s’ajouterait en effet une nouvelle suppression de 24 000 postes décidée par M. Hollande. Quant aux budgets, plafonnés à leur niveau de 2012, et artificiellement abondés d’obscures recettes exceptionnelles, on estime qu’ils pourraient conduire, au terme de la future loi de programmation militaire (LPM), à une Défense passant progressivement du niveau actuel, -moins de 1,6% du PIB-, à environ 1,2%. C’était là, exactement, ce que planifiait Bercy.
A ce stade, on peut donc raisonnablement penser qu’au sein des Armées, l’insatisfaction va devenir audible.
Mais au moins, ce livre blanc de 2013, et ces nouvelles mesures annoncées, malgré leur dureté, ont-elles enfin mis un terme à cette « confusion » et ce « désordre » que M. Hollande dénonçait ?
Sans surprise, la haute hiérarchie militaire a répondu par l’affirmative, et l’on a pu noter que dans sa présentation du Livre blanc, le Ministre avait tenu à citer nommément chacun des Chefs d’état-major (CEM), les présentant ainsi comme des collaborateurs acquis à l’entreprise.
Mais c’est un « oui » de grognard que le CEM de l’armée de Terre a semblé exprimer pour sa part, en invitant à « serrer les rangs et les dents », tandis que celui de l’armée de l’Air adjurait stoïquement d’être « unis pour faire face ». En fait les CEM entérinent ainsi, avec l’esprit de discipline inhérent à leurs fonctions, la baisse des ambitions de la France, celles-ci restant toutefois, selon M. Hollande, à « un niveau élevé ». Les Armées vont perdre des effectifs, verront leurs moyens et leur entraînement se réduire, mais « je veillerai, -a promis M. Hollande par son 60ème et dernier engagement de campagne- à ce que les Armées disposent des moyens de leur mission ». Dès lors les choses, effectivement, semblent claires : M. Hollande ayant décidé de réduire encore davantage les moyens des Armées a ainsi signifié la réduction du contrat opérationnel d’intervention. On fera « moins », avec « moins ». A ceux qui en seraient scandalisés, un des omniscients conseillers de cabinet ministériel saurait certainement rappeler qu’il n’y a absolument pas péril en la demeure, et que les moyens des Armées sont encore aujourd’hui toujours bien proportionnés aux menaces qui nous concernent. La dissuasion « sanctuarisée », et même sanctifiée, étant censée nous couvrir face aux risques étatiques, et protéger nos intérêts vitaux, nos adversaires du quotidien sont à notre pointure. Malgré une suppression de 54 000 postes, ne sommes-nous pas intervenus, vite, fort, et bien, en Côte d’Ivoire, en Libye, au Mali ?
Le langage et la réalité.
Il faut pardonner au conseiller. Il jongle avec des concepts, et ne sait pas que le soldat qui transpire à Tombouctou se désole, lui, de voir la semelle de ses rangers se décoller et bailler. Ils n’ont pas le même langage, et de toute façon, le soldat parle peu. Autrement, il pourrait dire à l’expert qu’en réduisant les moyens du soldat, il fait le jeu d’un adversaire qui lui, chaque jour, apprend et s’améliore.
Au milieu des années 60, on réglait à peu près tous les problèmes d’intervention en Afrique avec un détachement Guépard d’environ 300 hommes. Moins de vingt après, les effectifs avaient décuplé,- 3 000 hommes au Tchad en 1983-, les moyens s’étaient multipliés, et déjà l’aide de certains de nos Alliés nous était précieuse.
Aujourd’hui, si nous avons apparemment balayé au Mali des hordes de djihadistes acharnés, mais sommairement armés, il nous aura fallu pour cela, outre l’essentiel de nos moyens, dont les forces prépositionnées, l’aide indispensable de nos Alliés en de multiples domaines, y compris le combat au sol, où se sont illustrés les valeureux soldats tchadiens.
Demain, il faut s’en persuader, nos adversaires auront progressé, quand nous aurons reculé. Et viendra alors le moment critique où nous serons rattrapés. Ne faudrait-il pas aussi rappeler au conseiller omniscient que malgré l’infériorité avérée de leurs moyens, nos adversaires ont su parfois nous tenir tête, et nous surprendre. Des noms comme Salal, Ati, Bedo, et bien sûr Uzbin, sont encore gravés dans certaines mémoires. De même, en 1983, la présence de l’Armée libyenne au Nord Tchad, avec des moyens supérieurs aux nôtres sur le théâtre, nous a bien contraint, nolens volens, et pendant de longs mois, à adopter une posture défensive, et définir une « ligne rouge » à ne pas franchir. Qui aujourd’hui oserait affirmer que des situations du même type sont désormais inconcevables ? Et si demain notre adversaire la franchissait cette « ligne rouge » ? Pour dissuader, il faut être crédible. Pour être crédible, il faut être fort. Le serons-nous encore demain ? Le sommes-nous d’ailleurs encore véritablement aujourd’hui ?
Nos présidents ont frappé les trois coups et le rideau s’est levé dans un théâtre où les citoyens ne se croient que spectateurs. Ils vont bientôt comprendre que la pièce qui se joue sous leurs yeux raconte l’histoire de l’effarant déclin de LEUR Défense. Déclin rythmé par des livres blancs.
Le premier, en 1972, essentiel, affirmait que la politique militaire était « le moyen nécessaire faute duquel rien ne tient ».
Le deuxième, en 1994, disant la nécessité de l’adhésion des citoyens à une « culture de défense », fut mis à mal par un Président qui, sans besoin de nouveau livre blanc, décida de la professionnalisation des Armées, et distendit ainsi le lien Armée-Nation.
Le troisième, en 2008, olympien, n’eut qu’un objectif, justifier les coupes sombres dans la Défense, variable d’ajustement des comptes de l’Etat.
Le dernier, en 2013, hâtif, sans doute voulu pour effacer l’empreinte sarkozienne, confirma et amplifia les coupes sombres. Pire encore, si les 54 000 postes supprimés par M. Sarkozy et les 24 000 de M. Hollande pouvaient être- amère satisfaction- considérés comme une « économie », l’observateur objectif n’aura pas manqué de constater qu’elle sera réduite à néant par la création de 70 000 postes dans l’Education nationale. Dès lors le décalage s’aggrave entre les défis, et nos moyens supposés y répondre.
En 2008, le contrat d’intervention, difficile à atteindre, était de 30 000 hommes, en 2013 il n’est plus que de 15 000 hommes, et apparaît dès à présent insuffisant. Aujourd’hui nous ne pourrions plus refaire Daguet. Demain, nous ne pourrons peut-être plus refaire Serval. En tous domaines, les personnels, les moyens, l’entraînement, nous avons atteint les limites de la cohérence.
Attention à l’exaspération au sein des armées.
Quant à « l’insatisfaction » du soldat face à la « lancinante dégradation de la condition militaire », elle s’exprime dans un violent sentiment d’exaspération que des apprentis sorciers attisent de mille manières, du prétendu comité de lieutenants « insolents, faméliques, et nuls » conspuant leurs Généraux, aux enfants de militaires homophobes, en passant par des cadres dangereusement « cathos ». Nous voilà revenus au « petit père Combes », aux « fiches », en préparation peut-être d’un prochain et inévitable « dégagement des cadres »… Si nous n’y prenons garde, le soldat, réduit à un rôle d’outil muet et mal traité, en butte à l’irrespect, va entrer en résistance, et mieux vaudrait s’en garder…
Déclin de l’armée, déclin de la France.
Nous avons pris le risque de la faiblesse, celui qui génère le grouillement soudain de menaces inattendues, multiformes, symptômes d’une sorte de pourrissement de l’organisme. Pour redonner l’espoir, nous espérons un sursaut. Un réveil par exemple des grandes voix autorisées, anciens responsables militaires et civils de haut niveau, qui sauront montrer un chemin qui n’est ni de droite, ni de gauche, et ignore les extrêmes, un chemin tout simplement national, patriote et rassembleur, digne de notre histoire. Un chemin de grandeur, balisé par une politique militaire cohérente et éclairée, « moyen faute duquel rien ne tient ».
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samedi 13 juillet 2013
défense, pays, politique - symptômes . le général Bernard Messana a notamment commandé nos forces à Berlin
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