jeudi 24 novembre 2022

Crime de guerre : des prisonniers russes ont-ils été exécutés en Ukraine pendant leur reddition ?

 

liberation check-news – 23 novembre 2022

Guerre entre l'Ukraine et la Russie            dossier

Plusieurs vidéos authentifiées montrent qu’une dizaine de soldats russes sont morts après une fusillade déclenchée par l’un d’entre eux pendant leur reddition. Moscou et Kyiv s’accusent mutuellement de crime de guerre, mais les circonstances précises de cette scène restent difficiles à éclaircir.

Depuis une dizaine de jours, les images d’une reddition de soldats russes aux forces ukrainiennes qui aurait fini en tuerie ont été massivement partagées. (Capture d'écran /Telegram)

par Alexandre Horn

publié le 23 novembre 2022 à 20h19

Depuis une dizaine de jours, les images d’une reddition de soldats russes aux forces ukrainiennes qui aurait fini en tuerie ont été massivement partagées et alimentent les interrogations sur un potentiel crime de guerre ukrainien. En cause : une douzaine de soldats russes sont morts après une capitulation aux circonstances troubles, où l’on peut voir l’un d’entre eux ouvrir le feu sur les hommes de Kyiv. Plusieurs vidéos, authentifiées par le New York Times et CheckNews, montrent les instants précédant le drame, puis les corps des prisonniers. Les autorités russes dénoncent une exécution sommaire et un crime de guerre, ce que les instances ukrainiennes démentent. Ces dernières sont allées jusqu’à ouvrir une enquête contre les forces russes en question pour violation du droit de la guerre.

Comme l’a relevé le New York Times, on peut retrouver 3 séquences de cette scène. CheckNews n’a pas été en mesure de trouver les sources primaires de ces séquences, mais les premières occurrences encore en ligne sont publiées les 12 et 13 novembre sur Telegram et Twitter. Dates auxquelles le village de Makiivka, où la scène a eu lieu, était justement en train d’être récupéré par les forces ukrainiennes, comme d’autres vidéos et déclarations officielles le montrent.

Une première vidéo (attention, des corps sont visibles dans cette séquence), vraisemblablement filmée au drone, montre les instants qui précédent la reddition des soldats russes, alors encore dans la cabane où ils sont abrités. Quatre soldats ukrainiens sont visibles à l’écran, et deux d’entre eux visent déjà le bâtiment d’où sortiront les hommes de Moscou. Deux corps, dont la couleur des uniformes indique que ce sont des militaires russes, sont également visibles.

La deuxième vidéo (attention, des corps sont visibles dans cette séquence) est filmée au format vertical. CheckNews n’a pas été en mesure d’en trouver la source primaire, c’est-à-dire l’auteur de la séquence, mais il s’agit vraisemblablement d’un ensemble de séquences captées par un soldat ukrainien, qui montre à plusieurs reprises son visage. On le voit d’abord dans un champ avec un autre militaire, puis dans la cour de la bâtisse d’où commencent à sortir, un par un et les mains en l’air, les soldats russes. A ses côtés, on aperçoit au moins deux soldats ukrainiens, dont celui allongé au même endroit que sur les images de drone. Son fusil-mitrailleur toujours dirigé vers l’abri où sont encore terrés les hommes de Moscou. On entend une série de coups de feu, mais il est difficile de savoir qui tire, et où.

Cette séquence coupe, on voit déjà six soldats russes allongés par terre (dont seuls deux donnent des signes de vie visible, les autres ne bougent pas), quatre autres viennent les rejoindre tour à tour, visiblement sans arme et en levant les mains en l’air. C’est lorsque qu’un 11e soldat russe sort du bâtiment, armé, et ouvre le feu en direction des soldats ukrainiens. Le téléphone et l’appareil qui filme tombe, et la vidéo s’interrompt juste après le début des échanges de tirs.

Commentaire trompeur

La troisième séquence (attention, des corps sont visibles) est filmée au même endroit, avec ce qui semble être un drone. On voit les cadavres de 11 soldats russes, dont au moins 8 font partie de ceux qui étaient allongés, et visiblement désarmés au moment de l’échange de tirs (auxquels s’ajoutent les deux corps présents avant l’altercation, et le tireur). Difficile d’être précis étant donné la qualité et la distance, mais les blessures semblent indiquer des tirs dans la tête. Cette dernière vidéo est d’ailleurs la première a avoir été partagée massivement par différents comptes pro-ukrainiens, le plus souvent avec un commentaire trompeur indiquant que ces soldats seraient morts à cause de tirs d’artillerie. Elle d’ailleurs été incorporée dans une compilation de frappes, diffusées très officiellement par différentes unités ukrainiennes, et par la page officielle des troupes d’assaut aéroportées ukrainiennes (attention, images violentes), dont plusieurs unités ont participé à la reprise de Makiivka d’après des éléments rassemblés par CheckNews.

Après sa médiatisation, la tuerie a rapidement été brandie comme un crime de guerre par la sphère informationnelle pro-Kremlin, des canaux Telegram aux relais de la propagande de Moscou. Nombre d’entre eux brandissent de façon contradictoire différents noms de soldats ukrainiens et d’unités qui seraient responsables, mais CheckNews n’a pas été en mesure de vérifier ces éléments. Du côté des canaux officiels du pouvoir russe, le ministère de la Défense a dénoncé un «crime de guerre» en affirmant que «personne ne pourra présenter le meurtre délibéré et méthodique de plus de 10 soldats russes qui étaient immobilisés […], avec des tirs directs dans la tête, comme une exception tragique». Mais l’attention portée à ces images ne se limite pas au camp russe. Interrogé par l’AFP, un porte-parole de l’ONU a déclaré : «Nous avons connaissance de ces vidéos et les examinons.»

«Les militaires russe ont eu recours à la perfidie»

Face à ces accusations, le porte-parole de l’armée ukrainienne a d’abord annoncé examiner la véracité des différentes séquences, avant de déclarer mercredi 23 novembre à CheckNews : «Récemment, dans le village de Makiivka, dans la région de Lougansk, des soldats russes, imitant une reddition aux militaires des Forces armées ukrainiennes, ont tiré sur des défenseurs ukrainiens. De telles actions sont interdites par le droit international humanitaire. Comme les militaires russes ont eu recours à la perfidie lors de la capture, nos soldats avaient le droit d’utiliser des armes pour se défendre.» Et de renvoyer à l’article 37 du protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux. Cet article interdit de feindre la reddition pour «tuer, blesser ou capturer un adversaire», ce qui serait ici le cas d’après les autorités ukrainiennes. L’armée ukrainienne n’a pas répondu à nos questions sur les unités impliquées, le bilan humain du côté ukrainien (certains prétendent qu’un soldat ukrainien aurait été tué ou blessé), ou encore le déroulé précis des faits. La justice ukrainienne également annoncé le 22 novembre l’ouverture d’une enquête visant les forces russes (et non les soldats ukrainiens) pour violation de ce même article.

Dans ce cas juridiquement complexe, où la Russie accuse les forces ukrainiennes d’avoir exécuté des prisonniers (un crime de guerre), et où les forces ukrainiennes expliquent avoir riposté dans leur droit et accusent les soldats russes d’avoir violé le droit de la guerre en feignant se constituer prisonnier (un autre crime de guerre), le déroulé exact des faits est primordial pour savoir ce qu’il s’est passé. De fait, au moins un homme de Moscou semble s’être livré à la «perfidie», à savoir le tireur, mais les circonstances dans lesquels les autres soldats russes ont été tués demeurent floues. La principale interrogation est de savoir si ces soldats ont été tués dans la fusillade, ou exécutés sommairement après coup, ce qui serait un crime de guerre, mais aucune image permettant d’éclaircir le déroulé des faits n’a été diffusé, malgré la présence d’un drone dans la zone juste avant la tuerie.

Depuis le début de la guerre, de nombreux cas de torture et d’exécutions de prisonniers de guerre par les deux camps ont été recensés. CheckNews et d’autres rédactions comme le Guardian ou le New York Times ont déjà enquêté sur plusieurs allégations concernant l’Ukraine et la Russie. L’ONU a d’ailleurs publié un rapport cette semaine soulignant des cas de maltraitance et de torture généralisée des prisonniers ukrainiens par les forces russes, ainsi que des cas similaires perpétrés par les forces ukrainiennes.

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