26
Septembre 1973
Le 6
Septembre 1973, le Conseil des ministres approuve le projet de loi
portant révision de l’article 6 de la Constitution sur la durée
du mandat présidentiel – qu’il diminue de sept à cinq ans.
L’exposé des motifs indique que « les événements et leur
évolution doivent permettre aux Français de se prononcer sur les
orientations générales de la politique nationale à intervalles
plus fréquents », mais la durée du mandat présidentiel ne
doit pas être liée à celle de l’Assemblée nationale. Le Congrès
du Parlement sera convoqué pour le 19 Octobre. Pour être adopté,
le projet voté dans les mêmes termes par chacune des deux Chambres,
doit y recueillir une majorité des trois cinquièmes.
Les
débats montrent que cette majorité n’existera pas :
l’Assemblée nationale n’adopte le projet que par 270 voix contre
211 dont celle de Maurice Couve de Murville, et sept abstentions,
dont celle de Michel Debré. Deux anciens Premiers Ministres du
général de Gaulle ne soutiennent pas le troisième troisième, qui
lui a succédé. Guy Mollet, ancien président du Conseil sous la
IVème République a vu dans le projet l’accentuation du pouvoir
« d’un seul » et cité le texte ci-dessous, comme
représentant le point de vue gaulliste, aussi hostile que lui à
cette révision.
Le 20
Octobre, Georges Pompidou annule la convocation du Congrès. A cette
occasion, commence la publication mensuelle d’un magazine de petit
format, dont le comité de rédaction se réunit 5 rue de Solférino,
siège de l’Institut Charles-de-Gaulle, où le Général avait ses
bureaux sous la IVème République et l’Association pour le soutien
de son action au pouvoir, à partir de 1958, y eut son siège. J’y
collabore.
Le quinquennat contre la
Constitution
« Certains
crimes sont si habilement commis que l’honnête homme lui-même ne
peut en les voyant se garder d’une sorte de triste admiration »
(de Gaulle, 1er
avril 1942). Avec quel aplomb, le président de la République
décrète en conseil des ministres ce qui – en matière
constitutionnelle - « lui
paraît trop long »,
ce qui « est
convenable ».
Avec quelle assurance, le gouvernement fixe le calendrier de la
révision : débat dans chaque Chambre la troisième semaine
d’octobre, congrès le 19 du même mois et « tout
doit être terminé avant la fin de 1973 ».
Quelle hâte pourtant pour régler une question qui ne se posera
qu’en 1976 ! Quel langage d’évidence pour n’éveiller
aucun débat ! En réalité, aplomb et assurance masquent mal
et la gravité du problème soulevé et les difficultés auxquelles
le pouvoir va se heurter.
Humour involontaire –
l’exposé des motifs publié 1
par le gouvernement le 11 septembre dernier, énumère en effet et
très exactement les raisons de refuser le projet présidentiel…
S’il est vrai que c’est
« pour des
raisons purement circonstancielles que le mandat du président de la
République a été fixé à sept ans, il y a exactement cette année
un siècle »,
comment ne pas faire la différence entre les « circonstances »
de 1873 et celles de 1973. L’Assemblée
nationale monarchiste choisissait le septennat au nom d’une
certaine conception de l’intérêt général : rendre possible
à terme la restauration de la royauté. Où est
en
1973 cette invocation – même erronée – d’un intérêt
général ? Le quinquennat permettrait-il à terme la
restauration de la République ? Le pouvoir n’ose être à ce
point cynique, et dans le mutisme de M. Georges Pompidou on ne voit
que des raisons bien personnelles, surtout depuis qu’au printemps
dernier sa santé n’a plus semblé être ce qu’elle devrait. Sept
ans c’est trop, mais on veut se réserver dès maintenant la
possibilité d’en prendre douze, et même de laisser crédible pour
l’avenir celle d’un troisième mandat. Alors pourquoi cinq ans
comme pour les députés – alors que par ailleurs on ne veut pas de
la coïncidence des élections législatives et présidentielles, et
qu’on fait imaginer mille acrobaties pour rendre cette conjoncture
impossible 2 ?
Et pourquoi pas quatre, comme aux Etats-Unis, ou six, comme projeté
par ces mêmes Etats-Unis ? Pourquoi tel chiffre – tat qu’on
y est – et pas tel autre ?
L’argument des circonstances
risquant de se retourner contre les vues du pouvoir, on cherche à
s’établir en droit et on affirme alors – autant dans la
déclaration gouvernementale du 10 avril que dans l’exposé des
motifs du 11 septembre – que le raccourcissement du mandat
présidentiel était en germe depuis la décision populaire de faire
élire le chef de l’Etat au suffrage universel. Ce disant, le
premier ministre consacre les deux erreurs d’interprétation dont
notre Constitution est constamment victime ; en doctrine, il ne
pouvait faire plus beau cadeau à l’opposition.
La
première manière de refuser de comprendre la Constitution revient à
soutenir que l’élection présidentielle au suffrage universel
direct aurait posé la question de la durée du mandat présidentiel,
parce qu’elle aurait changé la nature de notre loi fondamentale.
Il n’en est rien. La loi référendaire du 6 novembre 1962 n’avait
d’autre but que de consacrer pour l’avenir le fonctionnement des
pouvoirs et les prérogatives présidentielles tels qu’établis
depuis 1958 : il s’agissait de « marquer
par un scrutin solennel que, quoi qu’il arrive, la République
continuera, telle
que nous l’avons voulue à une immense majorité »
(de Gaulle, 26 octobre 1962). La stature nationale, conférée au
chef de l’État par le collège populaire et non plus sénatorial,
institutionnalise autant que faire se peut ce qui était le privilège
historique du général de Gaulle. Même si l’on admet que cette
dimension naturelle du premier président de la Vème République
n’autorise pas à soutenir que son premier septennat était déjà
aussi populaire dans son fondement que ceux commencés en 1965 et en
1969. Il faut remarquer que par les trois référendums précédant
celui d’octobre 1962, le général de Gaulle tenait bien déjà
son mandat du peuple et non de sa seule élection par quatre-vingt
mille notables.
A supposer d’ailleurs que
l’élection au suffrage universel direct transforme le régime,
dans un sens si présidentialiste qu’il ferait demander au chef de
l’État grâce de deux ans de surmenage et de mandat…, on
perdrait décidément de vue l’existence d’un premier ministre,
dirigeant le gouvernement et responsable devant le Parlement,
fonction et responsabilité qu’on eût pu supprimer à deux
reprises en 1962 et dans le projet de 1969, si les réformes d’alors
avaient été aussi présidentialistes qu’on le prétend
aujourd’hui. Et qu’il eût été de bonne guerre, quand le
référendum d’octobre 1962 s’annonçait malaisé, d’annoncer
alors que désormais le mandat présidentiel ne serait plus que de
cinq ans. On ne le fit pas, car ce sont bien les articles 20 et 21 de
notre Constitution qui déchargent le chef de l’Etat du quotidien
et même de beaucoup plus, suivant les tempéraments respectifs des
titulaires de l’Elysée et de Matignon et suivant la conjoncture ;
ce sont ces articles et eux seuls qui permettent au président de la
République de durer sans s’user.
La
réforme de 1962 n’a donc posé ni le problème du quinquennat ni
aucun autre ; elle a réglé le seul qui soit resté pendant –
en ce domaine – en 1958 : l’équation personnelle du
successeur. Définitivement, elle a libéré le président de la
République – pourvu qu’il le veuille – des partis et de
l’administration pour qu’il réponde de la seule France, et elle
l’a laissé – par le premier ministre interposé – au contact
du Parlement pour qu’il réponde de la démocratie. La mise en
regard des articles 5 et 20 de notre Constitution – que si
fréquemment on juge impossible – marque bien cette spécialisation
réciproque de l’Elysée et de Matignon. En charge de l’essentiel
défini dans le titre II relatif au président de la République, le
chef de l’État fait en sorte « que
la politique
(qui est du ressort du gouvernement suivant le titre III) soit
conforme à ce qui est essentiel »
(de Gaulle, 27 novembre 1967). Le respect de cette distinction
établie par les deux articles, l’un spécialisant le président de
la République, l’autre le gouvernement, était bien celui du
général de Gaulle, quoi qu’on en ait dit. Celui-ci ne pesait dans
la consultation législative – scrutin mettant par nature en
question la relation Parlement-gouvernement – qu’en vertu de ses
responsabilités de garant de la France et du fonctionnement des
pouvoirs, c’est-à-dire en vertu de l’article 5. En revanche,
dans une consultation référendaire – ayant précisément pour
objet de donner mandat au président de la République pour qu’il
oriente lui-même et directement la politique dans une direction et
un domaine précis – le Général s’engageait sur un projet
ressortissant normalement des responsabilités gouvernementales, au
sens du titre III, l’accord du gouvernement étant
significativement requis par l’article 11 pour que soit possible
momentanément cette confusion des compétences, en un domaine donné.
Ainsi en 1961 et en 1969, en des matières qui ne mettaient pas en
cause l’essentiel, mais seulement l’organisation et l’orientation
politiques.
Le
projet présidentiel que défend le gouvernement ne perd pas
seulement de vue cette distribution des rôles, mais « l’équilibre
des pouvoirs publics »
auquel il se prétend attaché. On privilégie en effet non seulement
et indûment le président de la République au sein de l’exécutif
en effaçant toute spécificité gouvernementale, mais aussi
vis-à-vis du Parlement et du peuple. En effet, on se fonde sur le
rôle – abusif - « que
le président de la République joue dans la définition des
orientations générales de la politique nationale »
(pour ne pas dire dans le classement des dossiers et la nomination
aux plus infimes places) pour en déduire que « les
événements et leur évolution
(lesquels?) doivent
permettre aux Français de se prononcer sur ces orientations à
intervalles plus fréquents ».
Ainsi l’élection présidentielle serait la seule qui oriente la
politique nationale, et ce serait là la raison ultime de la rendre
plus fréquente par souci affiché de démocratie ? Que faire
alors des élections législatives, surtout si on ne veut pas
qu’elles coïncident avec les présidentielles ? On donne a
posteriori raison
à la gauche unie qui, jusqu’au 11 mars dernier, a demandé si et
comment le président de la République respecterait le verdict des
électeurs. Il n’y aurait donc plus qu’une seule élection :
celle du chef de l’État, tout le reste devant s’y conformer.
C’est faire détester notre Constitution, s’il fallait
l’interpréter ainsi. Alors qu’au contraire il est clair 3
que la dernière en date des consultations politiques et nationales –
quel que soit son objet – fait prime sur celles qui l’ont
précédée, et que, faute d’une majorité soutenant son
gouvernement à la Chambre, le président – avec ou sans seconde
consultation du peuple s’il s’agit d’élections législatives –
doit se retirer. On ne dédaigne pas seulement l’élection du
Parlement, on oublie la consultation référendaire – toutes deux
bien plus claires que l’élection présidentielle, où chacun fit
assaut en juin 1969 de mimétisme et de centrisme et fera promesse
dans un an ou dans trois ans de socialisme à la française ne
dérangeant pas les riches et riant aux pauvres.
Car,
de même que M. Georges Pompidou a le don des « plates-formes »
présidentielles ambiguës, de même la consultation du peuple avec
son corollaire que le président de la République s’engage à se
retirer si le scrutin est défavorables, cette consultation nette et
franche – loin des coulisses parlementaires – lui fait horreur.
Ce sentiment, à la base de tout le plan présidentiel, montre
combien notre régime a changé de nature depuis le départ du
général de Gaulle. L’actuel président de la République a passé
tout le second septennat du général de Gaulle à dissuader ce
dernier de mettre sa tête sur le billot référendaire à propos
d’indépendance nationale en 1966, de participation en 1967 et en
1968, de régionalisation en 1969. Davantage, une fois le couperet
tombé, il soutient que le fondateur de la Vème République n’avait
rien compris au référendum et qu’il eût pu y survivre : dès
le 10 juillet 1969, le nouveau président tient le départ de son
prédécesseur pour « une
décision entièrement libre »,
et il récidive devant les corps constitués le 1er
janvier 1970 : « le
général de Gaulle résilia volontairement ses fonctions ».
Affirmation qui fut alors dénoncée comme « une
contre-vérité »
4
par le meilleur connaisseur et commentateur de notre régime, René
Capitant. Ce refus de lier son destin à un référendum coûta à M.
Georges Pompidou 40 % d’abstentions le 23 avril 1972, pourtant
jour de sa fête, et il va peut-être lui coûter l’abandon de son
projet constitutionnel.
La voie parlementaire choisie
pour la révision constitutionnelle confirme ce désaveu du
référendum : on aurait bien voulu le 3 mai dernier que M.
Jacques Duhamel et ses amis prennent l’initiative de déposer une
proposition de oi répondant au désir élyséen. Mais en lisant plus
attentivement l’article 89, on s’aperçut que l’initiative
parlementaire ne dispenserait pas du référendum. Seule, l’origine
gouvernementale du projet permet de substituer à l’approbation
populaire celle du congrès des deux Chambres.
Que les adversaires du régime
fondé par le général de Gaulle se réjouissent ! Point n’est
besoin de modifier l’article 11 de la Constitution ; il tombe
en désuétude au moins dans la mesure où il commande le destin du
chef de l’État. L’article 29 sur la convocation des sessions
extraordinaires du Parlement ? On a bien failli avant l’été
à l’Elysée accepter une initiative centriste pour une telle
convocation, ce n’est qu’à Matignon qu’on s’est ravisé.
L’article 89, voie royale de toute révision ? On y est en
plein. Il n’est jusqu’au Programme commun de la gauche – loi
éventuelle d’une législature – qu’on ne singe dans la forme
en découpant à chaque session une rondelle du fameux programme de
Provins… Non seulement l’opposition a fait échouer le projet de
1969 soudant les débuts de démocratie régionale à celle déjà
établie au niveau national, mais elle va – sur l’initiative même
du président de la République – se substituer à la majorité ou
l’épauler si cette dernière n’ouvre les yeux, pour ruiner
l’édifice de onze ans.
On
a raison d’écrire que « le
quinquennat pourrait changer la face du régime »
et que « dans
cette voie, l’abandon du septennat constitue le premier pas »
5.
On ne peut en effet défendre le projet présidentiel qu’avec des
arguments hostiles à tout ce qui a été fondé depuis 1958. Qui va
bénéficier de cette ruine de la Constitution? Dans l’immédiat,
sûrement pas l’opposition, car M. Georges Pompidou ne domine pas
en vertu des textes ni même d’une coutume créée par le général
de Gaulle – car la sienne abusive, en est radicalement différente.
L’omnipotence présidentielle ne tient qu’à l’incompréhensible
révérence ou crainte que le chef de l’ETat inspire à ceux qui le
détestent en secret et le louent ou se taisent en public.
L’abaissement des caractères n’atteindra qu’un degré de plus
quand cette domination élyséenne aura été en quelque sorte
légalisée par l’adoption de l’exposé des motifs de la réforme.
Mais, dans l’avenir, les gaullistes – ou soi-disant tels – qui
auront cru sauver la prérogative présidentielle en même temps que
leurs places, découvriront que la voie est désormais ouverte à un
retour en force du Parlement ; déjà, le pli se prend de ne
plus faire de révision ailleurs qu’à Versailles 6.
Qu’une seule fois se produise la coïncidence des élections
présidentielle et législatives, et le chef de l’État n’osera
plus user de son droit de dissolution, crainte d’un nouveau Seize
Mai.
Les gaullistes de la base
quant à eux, sauront bien lors de la prochaine élection
présidentielle qui fut ou non fidèle aux institutions en refusant
publiquement ou en acceptant honteusement le quinquennat.
1-
Le Monde du 13 septembre 1973, page 12
2-
La Nation du 8 mai 1973 : « Du septennat au
quinquennat »
3-
« L’élection présidentielle anticipée », le
Monde du 13 janvier 1973
4-
Notre République, nouvelle série, 9 janvier 1970, « Ecrits
politiques », René Capitant, page 383
5-
R.G. Schwartzenberg : « La démocratie quinquennale »,
le Monde du 20 septembre 1973
6-
« Le peuple est en dehors du coup », le Monde du
18 avril 1973
Ces
observations – datant de quarante-cinq ans – décrivent
exactement ce que nous vivons depuis l’adoption du quinquennat par
le referendum du 24 septembre 2000 (initiative
formelle de Jacques Chirac, mais proposition de la majorité
d’alors, celle des socialistes et du Premier ministre Lionel
Jospin) : oui à 73,21 % des suffrages exprimés mais
avec 69,81 % d’abstentions.
Les
débats de 1973 avaient enregistré le vœu des centristes de
limiter à deux mandats l’exercice des fonctions présidentielles
(ce qui a été décidé par la loi constitutionnelle du 23 Juillet
2008, voté en Congrès sur convocation de Nicolas Sarkozy : il
est alors précisé qu’il s’agit de deux mandats consécutifs)
et les opposants avaient
craint l’institution de fait d’un régime présidentiel, sinon
présidentialiste : nous y sommes.
14
Juin 2018
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