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Le blog de Bertrand Renouvin
Emmanuel Macron, le Vel d’Hiv, la mémoire et l’histoire – Chronique 140
18 Mardi juil 2017
Écrit par Bertrand Renouvin dans La
guerre, la Résistance et la Déportation
Lorsqu’il prononce son
discours (1) sur la rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet, Emmanuel Macron sait-il
ce qu’il dit et ce qu’il fait ? Sans doute pas. Je ne suis pas dans le
secret de la préparation du texte, mais il est probable que le président de la
République a décidé de reprendre la thèse de la culpabilité française pour
faire plaisir aux personnalités présentes et pour montrer qu’il respecte les
prescriptions de la fraction dominante de l’intelligentsia. Il y a gagné un
concert de louanges médiatiques d’autant plus unanime que les déviationnistes n’ont
pas été invités à s’exprimer – le rappel de la prise de position de Marine Le
Pen permettant désormais de disqualifier toute voix dissidente (2).
Cette dissidence a été
condamnée en termes violents : elle serait contraire à la vérité
« implacable, irrévocable », énoncée par « tous les
historiens ». Contester cette vérité, c’est faire preuve de
« relativisme », c’est être un « faussaire », c’est
commettre une « lâcheté » car il faut avoir « le courage collectif
d’affronter ses fautes et ses crimes », c’est se rendre complice d’un
« mensonge ». Mais le général de Gaulle, mais François Mitterrand qui
refusèrent de reconnaître la culpabilité française ? Emmanuel Macron dit
qu’ils restèrent « mutiques » – qu’ils choisirent le mensonge par
omission pour éviter les traumatismes sociaux que provoque l’expression des
vérités.
Ainsi disqualifié, insulté,
humilié et somme toute exclu de la « conscience nationale » puisque
la dite conscience a entériné le verdict de « tous les historiens »,
je réaffirme que l’opinion selon laquelle « c’est bien la France qui
organisa la rafle puis la déportation » de juillet 1942 est une ineptie –
scandaleuse quand c’est un président de la République, à la suite de ses deux
prédécesseurs, qui la propage et la confirme dans son statut de vérité
officielle. Je ne reprends pas ici les démonstrations faites au fil de
plusieurs articles et chroniques (3), quant à l’illégitimité et à l’illégalité
de Vichy afin de me concentrer sur le discours d’Emmanuel Macron.
D’une manière générale, le
chef de l’Etat n’a pas à proclamer la vérité historique, surtout lorsqu’il la
dit « irrévocable » en effaçant les ouvrages d’historiens qui
s’écartent de la thèse officielle ou la récusent. Le viol de ce principe évoque
de fâcheux précédents et expose le prétendu maître de vérité à l’examen de ses
propres erreurs et omissions. Recopiant François Hollande, Emmanuel Macron
affirme que « pas un seul Allemand » ne participa à la rafle. C’est
omettre que les arrestations et internements furent opérés par la police française
sur injonction allemande (4). Cette omission porte atteinte à la vérité
historique. Elle risque aussi de pousser les Français à s’interroger sur les
omissions et les silences qui entourent l’histoire de l’Allemagne. Emmanuel
Macron a insisté sur la prétendue culpabilité de la France, qui serait une
nation criminelle à ce moment de son histoire. Si l’on établit pour nous une
culpabilité collective, comment expliquer que l’Allemagne a été dispensée de ce
jugement ? Les dirigeants français ont été « mutiques » parce qu’il y
avait la Guerre froide, parce qu’il fallait « faire l’Europe » mais
il est historiquement établi que le peuple allemand et le peuple autrichien ont
massivement accepté, souvent encouragé et activement participé à la politique
d’extermination menée par le Troisième Reich. Ce n’est pas le cas du peuple
français, résistant ou résilient face à un pouvoir de fait qui s’était soumis à
la puissance occupante. La repentance macronienne n’est pas de bon augure pour
les relations entre Français et Allemands. Elle l’est d’autant moins que depuis
que les dirigeants français se frappent la poitrine, nos voisins allemands et
autrichiens financent des thèses universitaires en vue d’une réécriture de
l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.
Il y a plus grave. Le discours
commis par Emmanuel Macron le 17 juillet risque de troubler la mémoire
nationale sous prétexte de lui permettre une « reconstruction ». Il
est étrange que cette reconstruction suppose que les Français d’aujourd’hui
reconnaissent que Vichy, c’est la France comme le martelait la
propagande pétainiste. Tel est le premier piège, dénoncé sur ce blog par René
Fiévet (5) : pour que la France soit coupable, il faut que Vichy soit la
France ! Dès lors, la dénonciation des mythes et des mensonges qui
auraient été répandus après la guerre par les gaullistes se confond avec
« l’imposture du résistancialisme » fustigée par les nostalgiques de
la Collaboration (6).
Il y a pire. Le trop fameux devoir
de mémoire qui a imposé une représentation officielle au détriment du
travail de la mémoire peut conduire à des rivalités mémorielles nourries de
l’importance plus ou moins grande donnée par les pouvoirs publics aux rites de
commémoration. Le discours d’Emmanuel Macron provoque le scandale au sens premier
du terme : il tend à nous diviser, nous les Français, il tend à créer ou à
recréer des mémoires rivales entre Déportés, entre Résistants, entre les
enfants et les petits-enfants. Je ne prendrai pas d’exemple parce que tout
exemple risque d’être mal interprété et d’alimenter les polémiques.
Enfant de la Résistance et de
la Déportation, je suis tenté de fonder mes jugements selon les engagements et
les souffrances des miens et je suis, comme mes compagnons, d’autant plus
attentif à ne jamais porter atteinte à la fraternité nationale et
internationale que nous éprouvons lors des commémorations auxquelles nous
participons. Je sais aussi que je choque des amis très chers en récusant le
discours officiel sur la culpabilité française mais la référence à l’histoire
et au droit ne permettent pas toujours d’adopter des positions de compromis à
la manière d’Annette Wieviorka écrivant que « la France, c’était à la fois
de Gaulle à Londres et Pétain à Vichy » (7).
Le travail de la mémoire est
toujours douloureux. La relation entre mémoire et histoire est toujours
difficile. Entre citoyens français, entre Français et amis de la France,
les désaccords et les franches disputes peuvent avoir lieu sans porter atteinte
à la fraternité. Le président de la République n’est pas un citoyen comme les
autres. Garant de l’unité nationale, il ne saurait raviver des souffrances et
réveiller des passions – ce que Jacques Chirac, François Hollande ont fait en
toute méconnaissance de cause. Pourquoi ? Je ne suis pas dans le cerveau de
ceux qui rédigent les discours ni dans la tête du président qui leur donne ses
consignes. Mon impression est qu’ils s’en foutent, de toute cette histoire, de
toute notre histoire et de l’histoire de l’Europe. J’ai vu un ministre, qui
représentait le gouvernement français à Mauthausen en mai 2015, se retourner
pour prendre des photos de notre cortège avec son téléphone comme un touriste
prend un défilé folklorique alors qu’il participait à la cérémonie
internationale sur la place d’appel. J’ai vu Emmanuel Macron, le 18 Juin au
Mont Valérien, faire patienter pendant une heure sous un soleil de plomb les
Compagnons et fils de Compagnons de la Libération, la petite foule des invités
et les soldats l’arme au pied pendant qu’il serrait électoralement des mains
sous l’œil de la caméra de BFMTV – le 18 juin, pour lui, c’était surtout le
deuxième tour des élections législatives. Après ou avant ces cérémonies, ils
lisent des discours émouvants, donnent des leçons de morale et assènent des
« vérités » humiliantes, au gré de leurs complaisances et de leurs
calculs. Ils prêchent avec vulgarité ou élégance, mais ils s’en foutent
résolument.
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