Note
à
l’attention personnelle de Monsieur Nicolas Sarkozy,
Président de
la République
N’étant
pas encore au pouvoir, vous avez traité le sujet à deux occasions : devant
les Fondation Konrad Adenauer et la Société allemande de politique
étrangère, le 16 Février 2006, puis
devant les Friends of Europe et la Fondation Robert Schuman le 8 Septembre 2006.
Vous avez
alors proposé un « traité court reprenant certains éléments du traité constitutionnel »,
dix ou quinze articles, retenant notamment :
. la
double majorité,
. la
présidence stable du Conseil européen,
.
l’extension du champ d’application de la co-décision et de la majorité
qualifiée,
.
l’institution du ministre des Affaires étrangères de l’Union,
. le
contrôle de la subsidiarité par les parlements nationaux,
Evoquant ainsi un
« mini-traité » ou une « maxi-réforme » – adoptée par le
Parlement européen à élire en 2009.
1° Etat des lieux : les
impasses = poids sur les psychologies collectives
L’impasse qui se voit, celle des institutions.
Les impasses auxquelles nous sommes habitués, auxquelles nous sommes
résignés en France et en Europe – les gouvernants davantage que les peuples –
impasses qui font la désaffection des opinions, cf. referendum.
L’impasse des institutions, certes le vote négatif de deux
Etats membres rejetant le projet de Constitution européenne, mais surtout
le fonctionnement qui reste – sauf l’augmentation régulière des prérogatives du
Parlement (l’avis conforme, la co-décision) – celui du traité de Nice (bâclé
par votre prédécesseur et Lionel Jospin, Hubert Védrine aussi, en fait par une
diplomatie qui n’a plus la valeur des années 50 à 70).
Le texte du projet de la Constitution introduit la procédure de sécession
et prévoit les modes de révision, mais ces dispositions ne seraient applicables
à l’un quelconque des Etats membres que si le texte était en vigueur. L’Europe
est dans la situation de l’été de 1954 quand l’Assemblée nationale française
refuse de ratifier le traité instituant la Communauté européenne de défense,
déjà ratifié par les cinq autres Etats membres de la Communauté européenne du
charbon et de l’acier.
Les impasses de fond. Les objectifs initiaux ne sont pas atteints.
L’Europe n’est pas – et de très loin – le troisième « grand » qu’on
voulait dans les années 1950 et qu’on crut vers 1970. Dans le seul domaine où
elle pourrait peser – l’OMC et les règles du jeu commercial, elle « se
fait avoir » : démantèlement de la politique agricole commune,
brouille avec ses partenaires africains et avec le Tiers Monde par sa conversion
forcée aux accords de libre-échange (au lieu des systèmes de préférences
asymétriques, adaptés aux besoins des pays pauvres et conformes aux
déclarations des Nations Unies et même à certaines exceptions prévues au GATT).
Et elle contraint à l’application d’une idéologie économique et financière qui
n’est pas originellement la sienne et qui ne la fait pas pour autant réussir.
Les gouvernants y sont résignés. L’opinion n’est pas suscitée.
2° Une proposition pour
prendre date devant les opinions et l’Histoire
Elle montrera aux gouvernants que la France – et vous-même – vous
n’êtes pas en retard parce que vous bloqueriez la mise en œuvre de la
Constitution. Vous êtes au contraire en avance, et vous déplacez la charge de
la preuve. Aux autres de répondre à votre défi, ce qui situe au moindre niveau
– qui est le véritable – la question immédiate des institutions selon la
Constitution, lesquelles sont encore trop complexes pour n’être pas
transitoires, elles aussi.
Vous proposez qu’à terme le président du Conseil européen, en fait le
président de l’Europe, soit élu au suffrage universel direct par tous
les citoyens européens.
Sans rien changer des traités ou de la
Constitution – dans son texte actuel ou selon sa nouvelle version – il a les
mêmes prérogatives que le président du Conseil actuellement, sauf à lui donner
dans la logique du mode de son élection, la possibilité d’en appeler au
referendum européen : la procédure ne peut porter que sur les matières
prévues par les traités (ou pour ratifier dans l’ensembe des Etats-membres une
révision des traités ou de la Constitution si celle-ci n’est pas encore adoptée
– la Constitution est en effet censée se substituer à tous les traités
antérieurs et les reprendre).
L’emprise du président de l’Europe sur les opinions lui donne sur les
institutions un pouvoir suffisant. Ce qui a été organisé par les traités et
maintenant par la Constitution – rôle du Conseil de ministres et contrôle de la
subsidiarité par les Parlements nationaux – suffit à garantir que les nations
ne seront pas débordées.
Saut qualitatif que cette
proposition – même niveau historique que la proposition Schuman de Mai 1950.
Elle remet la balle dans le cas de vos partenaires et homologues. Elle met les
opinions de votre côté. Elle initie un cheminement – sans doute long – et qui
n’offre aucun danger immédiat.
Elle rend à la France son rôle de créatrice d’espérance. Elle
situe les négociations de ravaudage immédiat – peu enthousiasmantes et
minimales – dans une perspective haute. Elle s’inscrit dans une dialectique
éprouvée de l’entreprise européenne, le dépassement d’une impasse par le traitement
d’une autre question. La sortie de crise – quand la C.E.D. s’avéra dans
l’impasse – a été trouvée en faisant, toujours à Six, tout autre chose, qui a
été bien davantage fondateur : fiasco de la Communauté militaire, accord
sur le traité de Rome et pleine réussite – longtemps – de la Communauté
économique.
Bien entendu, la France et ses gouvernants n’ont pas à
« rougir » du non qui est
au contraire un signal salubre.
3° Les fausses solutions
Elles consisteraient à s’en tenir aux traités existants, en faisant
fonctionner l’Union selon certaines dispositions d’exception pour qu’elle
progresse dans des directions différentes de celles d’hier et d’aujourd’hui.
1° les clauses de coopération renforcée. Selon le traité de Nice
(état actuel des institutions de l’Union), huit Etats, dûment autorisés par
l’ensemble, réalisent entre eux un des objectifs des traités lorsqu’une action
de l’Union dans son ensemble n’apparaît pas réalisable – article 27C du traité de l’Union
européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune, article 40A des
traités consolidés pour l’espace de liberté, de sécurité et de justice, article
11 des traités consolidés pour les matières communautaires Le traité
d’Amsterdam était plus exigeant (la moitié des Etats membres) et le projet de la
Constitution aussi (le tiers).
Ce système est déjà appliqué dans certains domaines du militaire, il ne
peut couvrir une application de la Constitution à seulement ceux des Etats qui
l’ont ratifiée et qui laisseraient les autres – dont nous – dans l’état du
traité de Nice. Ce n’est pas une procédure de révision simplifiée, au sens du
projet de la Constitution.
C’est un instrument de pression utilisable par ceux des Ertats membres
qui veulent « faire quelque chose » sur leurs partenaires réticents.,
ce n’est pas une panacée ou un mode de fonctionnement habituel.
2° les coopérations par accord international en dehors des traités.
Ainsi des accords de Schengen, à leur origine, mais ils sont maintenant
intégrés dans les traités, comme l’avaient proposé leurs premiers signataires.
Ainsi, le protocole social, annexé au traité de Maastricht et auquel la
Grande-Bretagne ne s’associe pas. Ou le traité de Prüm (27 Mai 2005) organisant
entre sept Etats-membres : Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Allemagne, Autriche,
France, Espagne, la coopération transfrontalière contre le terrorisme, mais son
article 1 dit la proposition des Sept de l’intégrer dans les trois ans dans le
cadre juridique de l’Union.
3° le « noyau dur »
ou « Core Europe » ou « Kerneuropa ». L’idée est
émise en 1994 dans un mémoire de la CDU-CSU, Helmut Kohl étant encore
chancelier (rapport Schaüble-Lamers) : en fait, c’est un retour à l’Europe
des Six, voire des Cinq sans l’Italie : le critère d’alors est le respect
des critères de convergence pour la troisième phase de l’Union économique et
monétaire. LePremier ministre britannique la récuse aussitôt. Elle fait écho à
la dialectique franco-allemande des années 1960.
C’est un penchant rémanent, pas seulement en France : Quermonne au
commissariat au Plan, « l’Europe du nombre et l’Europe de la puissance »
selon Valéry Giscard d’Estaing, les « cercles concentriques » d’Edouard
Balladur ou, selon Mark Eyskens, ancien Premier ministre belge, le « modèle
Saturne ». Les socialistes allemands… la démarche de Joshka Fischer à
l’Université Humboldt de Berlin (12 Mai 2000) ; d’étapes en étapes, on
irait des coopérations renforcées à un centre de gravité, qui se formaliserait
en traité-cadre et aboutirait à une structure fédérale, « l’Euro 11 »
devenant union politico-économique. Façon d’instituer l’Europe à deux vitesses
soit que certains Etats membres refusent l’intégration (la Grande-Bretagne)
soit que d’autres n’en soient pas capables (les nouveaux venus en 2004).
Jacques Delors avait dénoncé devant le Sénat français (colloque du 29 Mars au 7
Avril 1994) « le mythe de l’élargissement unificateur ». Jacques
Chirac (au Reichstag, 27 Juin 2000) évoque un « groupe pionnier »
pour des coopérations renforcées, qui se doterait d’un secrétariat, distinct de
la Commission ou du secrétariat général du Conseil. Enfin, Guy Verhofstadt,
actuel Premier ministre belge, relance un Manifeste pour les Etats-Unis
d’Europe.
Chacune de ces manières
1° n’a pas de chance de recueillir l’unanimité requise pour toute
novation des institutions existantes par un nouveau texte,
2° désespère de l’avancée nécessaire pour que les Européens sortent de
l’impasse de fond dans laquelle se trouve l’entreprise depuis des décennies.
3° ne répond pas à la question de savoir que faire d’un texte ratifié
par une majorité des Etats membes (18), refusé par d’autres (2), pas encore
soumis à délibération par un troisième groupe devenu attentiste.
4° Sortir provisoirement de
l’impasse à propos de la Constitution
L’Allemagne veut illustrer sa présidence, elle consentira à beaucoup,
mais il y a très peu de temps à courir encore.
Nous sommes-nous concertés avec les Pays-Bas ?
Quelle est la position des Anglais qui étaient prêts au referendum
avant que nous ayons dit non : ils avaient déjà traité par referendum en
Juin 1975 et positivement.
Le « mini-traité », s’il est celui des seules institutions à
l’exclusion des politiques, ne peut être un simple tri de la première partie du
projet. D’autant que l’article 1er présage déjà les politiques
détaillées dans la partie III. Celle-ci, selon les politiques à mettre en oeuvre,
contient presque autant de dispositions institutionnelles, que la partie I.
Votre proposition pourrait être :
1° la création d’une ambiance tonique par la perspective donnée
en 2° (le suffrage direct pour le président de l’Union et pour la décision dans
le domaine communautaie). C’est cette ambiance qui fera « passer » l’abandon
d’un texte déjà ratifié par la majorité de nos partenaires, et leur sauvera la
face ;
2° le choix dans le projet actuel de toutes les dispositions qui
satisfont de façon minimale l’unanimité des Etats membres ;
3° la réécriture de ces dispositions pour une autre articulation et
pour leur inscription dans une référence de transition politique, appelant
éventuellement le 1° voire établissant un calendrier (méthode du traité de
Rome) ;
4° une ratification en deux temps : par chacun des Parlements
nationaux selon les Constitutions nationales, par le premier referendum
européen (même question, même texte, même jour, circonscription unique = le
territoire de l’Union et les citoyens européens à travers le monde).
Les politiques de la partie III donneront lieu à des lois européennes,
cadre ou pas (les règlements dans les traités actuels). La partie II consacrée
à la Charte des droits fondamentaux peut faire partie de la consultation
référendaire, sans réécriture sinon l’affirmation que la Convention européenne
des droits de l’homme, et donc la Cour de Strasbourg, font partie du droit de
l’Union (même si elles ont ouvertes à bien davantage d’Etats signataires que
les Etats membres).
Traiter ainsi le provisoire, écrire nos nécessités et nos convictions
(lesquelles ont abouti au vote négatif de Mai 2005), roder une procédure qui
formera l’opinion publique européenne (et non plus la juxtaposition des
opinions nationales), appeler l’avenir.
Notre referendum nous a donné la
minorité de blocage. Il nous faut aussi la carte de l’anticipation. Les deux
dans votre main vous donnent la quasi-dictée du traité constitutionnel de
transition.
BFF . 15 V 07
[1] - l’expression est
d’Etienne Burin des Roziers, secrétaire général de l’Elysée de 1962 à 1967 et
notre représentant permanent à Bruxelles de 1969 à 1974
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