mardi 8 mars 2016

la question d'Europe - exposée à Nicolas Sarzkoy . 15 Mai 2007







La question d’Europe [1] – Possibilités et stratégie de traitement




Note
à l’attention personnelle de Monsieur Nicolas Sarkozy,
Président de la République


N’étant pas encore au pouvoir, vous avez traité le sujet à deux occasions : devant les Fondation Konrad Adenauer et la Société allemande de politique étrangère, le 16 Février 2006, puis devant les Friends of Europe et la  Fondation Robert Schuman le 8 Septembre 2006.
Vous avez alors proposé un « traité court reprenant certains éléments du traité constitutionnel », dix ou quinze articles, retenant notamment :
. la double majorité,
. la présidence stable du Conseil européen,
. l’extension du champ d’application de la co-décision et de la majorité qualifiée,
. l’institution du ministre des Affaires étrangères de l’Union,
. le contrôle de la subsidiarité par les parlements nationaux,
Evoquant ainsi un « mini-traité » ou une « maxi-réforme » – adoptée par le Parlement européen à élire en 2009.


  Etat des lieux : les impasses = poids sur les psychologies collectives


L’impasse qui se voit, celle des institutions.
Les impasses auxquelles nous sommes habitués, auxquelles nous sommes résignés en France et en Europe – les gouvernants davantage que les peuples – impasses qui font la désaffection des opinions, cf. referendum.

L’impasse des institutions, certes le vote négatif de deux Etats membres rejetant le projet de Constitution européenne, mais surtout le fonctionnement qui reste – sauf l’augmentation régulière des prérogatives du Parlement (l’avis conforme, la co-décision) – celui du traité de Nice (bâclé par votre prédécesseur et Lionel Jospin, Hubert Védrine aussi, en fait par une diplomatie qui n’a plus la valeur des années 50 à 70).
Le texte du projet de la Constitution introduit la procédure de sécession et prévoit les modes de révision, mais ces dispositions ne seraient applicables à l’un quelconque des Etats membres que si le texte était en vigueur. L’Europe est dans la situation de l’été de 1954 quand l’Assemblée nationale française refuse de ratifier le traité instituant la Communauté européenne de défense, déjà ratifié par les cinq autres Etats membres de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. 

Les impasses de fond. Les objectifs initiaux ne sont pas atteints. L’Europe n’est pas – et de très loin – le troisième « grand » qu’on voulait dans les années 1950 et qu’on crut vers 1970. Dans le seul domaine où elle pourrait peser – l’OMC et les règles du jeu commercial, elle « se fait avoir » : démantèlement de la politique agricole commune, brouille avec ses partenaires africains et avec le Tiers Monde par sa conversion forcée aux accords de libre-échange (au lieu des systèmes de préférences asymétriques, adaptés aux besoins des pays pauvres et conformes aux déclarations des Nations Unies et même à certaines exceptions prévues au GATT). Et elle contraint à l’application d’une idéologie économique et financière qui n’est pas originellement la sienne et qui ne la fait pas pour autant réussir.

Les gouvernants y sont résignés. L’opinion n’est pas suscitée.


  Une proposition pour prendre date devant les opinions et l’Histoire


Elle montrera aux gouvernants que la France – et vous-même – vous n’êtes pas en retard parce que vous bloqueriez la mise en œuvre de la Constitution. Vous êtes au contraire en avance, et vous déplacez la charge de la preuve. Aux autres de répondre à votre défi, ce qui situe au moindre niveau – qui est le véritable – la question immédiate des institutions selon la Constitution, lesquelles sont encore trop complexes pour n’être pas transitoires, elles aussi.

Vous proposez qu’à terme le président du Conseil européen, en fait le président de l’Europe, soit élu au suffrage universel direct par tous les citoyens européens.

Sans rien changer des traités ou de la  Constitution – dans son texte actuel ou selon sa nouvelle version – il a les mêmes prérogatives que le président du Conseil actuellement, sauf à lui donner dans la logique du mode de son élection, la possibilité d’en appeler au referendum européen : la procédure ne peut porter que sur les matières prévues par les traités (ou pour ratifier dans l’ensembe des Etats-membres une révision des traités ou de la Constitution si celle-ci n’est pas encore adoptée – la Constitution est en effet censée se substituer à tous les traités antérieurs et les reprendre).

L’emprise du président de l’Europe sur les opinions lui donne sur les institutions un pouvoir suffisant. Ce qui a été organisé par les traités et maintenant par la Constitution – rôle du Conseil de ministres et contrôle de la subsidiarité par les Parlements nationaux – suffit à garantir que les nations ne seront pas débordées.

Saut qualitatif que cette proposition – même niveau historique que la proposition Schuman de Mai 1950. Elle remet la balle dans le cas de vos partenaires et homologues. Elle met les opinions de votre côté. Elle initie un cheminement – sans doute long – et qui n’offre aucun danger immédiat.

Elle rend à la France son rôle de créatrice d’espérance. Elle situe les négociations de ravaudage immédiat – peu enthousiasmantes et minimales – dans une perspective haute. Elle s’inscrit dans une dialectique éprouvée de l’entreprise européenne, le dépassement d’une impasse par le traitement d’une autre question.  La sortie de crise – quand la C.E.D. s’avéra dans l’impasse – a été trouvée en faisant, toujours à Six, tout autre chose, qui a été bien davantage fondateur : fiasco de la Communauté militaire, accord sur le traité de Rome et pleine réussite – longtemps – de la Communauté économique.

Bien entendu, la France et ses gouvernants n’ont pas à « rougir » du non qui est au contraire un signal salubre.


  Les fausses solutions


Elles consisteraient à s’en tenir aux traités existants, en faisant fonctionner l’Union selon certaines dispositions d’exception pour qu’elle progresse dans des directions différentes de celles d’hier et d’aujourd’hui.

les clauses de coopération renforcée. Selon le traité de Nice (état actuel des institutions de l’Union), huit Etats, dûment autorisés par l’ensemble, réalisent entre eux un des objectifs des traités lorsqu’une action de l’Union dans son ensemble n’apparaît pas réalisable – article 27C du traité de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune, article 40A des traités consolidés pour l’espace de liberté, de sécurité et de justice, article 11 des traités consolidés pour les matières communautaires Le traité d’Amsterdam était plus exigeant (la moitié des Etats membres) et le projet de la Constitution aussi (le tiers).
Ce système est déjà appliqué dans certains domaines du militaire, il ne peut couvrir une application de la Constitution à seulement ceux des Etats qui l’ont ratifiée et qui laisseraient les autres – dont nous – dans l’état du traité de Nice. Ce n’est pas une procédure de révision simplifiée, au sens du projet de la Constitution.
C’est un instrument de pression utilisable par ceux des Ertats membres qui veulent « faire quelque chose » sur leurs partenaires réticents., ce n’est pas une panacée ou un mode de fonctionnement habituel.

les coopérations par accord international en dehors des traités. Ainsi des accords de Schengen, à leur origine, mais ils sont maintenant intégrés dans les traités, comme l’avaient proposé leurs premiers signataires. Ainsi, le protocole social, annexé au traité de Maastricht et auquel la Grande-Bretagne ne s’associe pas. Ou le traité de Prüm (27 Mai 2005) organisant entre sept Etats-membres : Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Allemagne, Autriche, France, Espagne, la coopération transfrontalière contre le terrorisme, mais son article 1 dit la proposition des Sept de l’intégrer dans les trois ans dans le cadre juridique de l’Union.

le « noyau dur »  ou « Core Europe » ou « Kerneuropa ». L’idée est émise en 1994 dans un mémoire de la CDU-CSU, Helmut Kohl étant encore chancelier (rapport Schaüble-Lamers) : en fait, c’est un retour à l’Europe des Six, voire des Cinq sans l’Italie : le critère d’alors est le respect des critères de convergence pour la troisième phase de l’Union économique et monétaire. LePremier ministre britannique la récuse aussitôt. Elle fait écho à la dialectique franco-allemande des années 1960.
C’est un penchant rémanent, pas seulement en France : Quermonne au commissariat au Plan, « l’Europe du nombre et l’Europe de la puissance » selon Valéry Giscard d’Estaing, les « cercles concentriques » d’Edouard Balladur ou, selon Mark Eyskens, ancien Premier ministre belge, le « modèle Saturne ». Les socialistes allemands… la démarche de Joshka Fischer à l’Université Humboldt de Berlin (12 Mai 2000) ; d’étapes en étapes, on irait des coopérations renforcées à un centre de gravité, qui se formaliserait en traité-cadre et aboutirait à une structure fédérale, « l’Euro 11 » devenant union politico-économique. Façon d’instituer l’Europe à deux vitesses soit que certains Etats membres refusent l’intégration (la Grande-Bretagne) soit que d’autres n’en soient pas capables (les nouveaux venus en 2004). Jacques Delors avait dénoncé devant le Sénat français (colloque du 29 Mars au 7 Avril 1994) « le mythe de l’élargissement unificateur ». Jacques Chirac (au Reichstag, 27 Juin 2000) évoque un « groupe pionnier » pour des coopérations renforcées, qui se doterait d’un secrétariat, distinct de la Commission ou du secrétariat général du Conseil. Enfin, Guy Verhofstadt, actuel Premier ministre belge, relance un Manifeste pour les Etats-Unis d’Europe.

Chacune de ces manières
1° n’a pas de chance de recueillir l’unanimité requise pour toute novation des institutions existantes par un nouveau texte,
2° désespère de l’avancée nécessaire pour que les Européens sortent de l’impasse de fond dans laquelle se trouve l’entreprise depuis des décennies.
3° ne répond pas à la question de savoir que faire d’un texte ratifié par une majorité des Etats membes (18), refusé par d’autres (2), pas encore soumis à délibération par un troisième groupe devenu attentiste.



  Sortir provisoirement de l’impasse à propos de la Constitution


L’Allemagne veut illustrer sa présidence, elle consentira à beaucoup, mais il y a très peu de temps à courir encore.

Nous sommes-nous concertés avec les Pays-Bas ?

Quelle est la position des Anglais qui étaient prêts au referendum avant que nous ayons dit non : ils avaient déjà traité par referendum en Juin 1975 et positivement.

Le « mini-traité », s’il est celui des seules institutions à l’exclusion des politiques, ne peut être un simple tri de la première partie du projet. D’autant que l’article 1er présage déjà les politiques détaillées dans la partie III. Celle-ci, selon les politiques à mettre en oeuvre, contient presque autant de dispositions institutionnelles, que la partie I.

Votre proposition pourrait être :

1° la création d’une ambiance tonique par la perspective donnée en 2° (le suffrage direct pour le président de l’Union et pour la décision dans le domaine communautaie). C’est cette ambiance qui fera « passer » l’abandon d’un texte déjà ratifié par la majorité de nos partenaires, et leur sauvera la face ;

2° le choix dans le projet actuel de toutes les dispositions qui satisfont de façon minimale l’unanimité des Etats membres ;

3° la réécriture de ces dispositions pour une autre articulation et pour leur inscription dans une référence de transition politique, appelant éventuellement le 1° voire établissant un calendrier (méthode du traité de Rome) ;

4° une ratification en deux temps : par chacun des Parlements nationaux selon les Constitutions nationales, par le premier referendum européen (même question, même texte, même jour, circonscription unique = le territoire de l’Union et les citoyens européens à travers le monde).

Les politiques de la partie III donneront lieu à des lois européennes, cadre ou pas (les règlements dans les traités actuels). La partie II consacrée à la Charte des droits fondamentaux peut faire partie de la consultation référendaire, sans réécriture sinon l’affirmation que la Convention européenne des droits de l’homme, et donc la Cour de Strasbourg, font partie du droit de l’Union (même si elles ont ouvertes à bien davantage d’Etats signataires que les Etats membres).

Traiter ainsi le provisoire, écrire nos nécessités et nos convictions (lesquelles ont abouti au vote négatif de Mai 2005), roder une procédure qui formera l’opinion publique européenne (et non plus la juxtaposition des opinions nationales), appeler l’avenir.

Notre referendum nous a donné la minorité de blocage. Il nous faut aussi la carte de l’anticipation. Les deux dans votre main vous donnent la quasi-dictée du traité constitutionnel de transition.



BFF . 15 V 07


[1] - l’expression est d’Etienne Burin des Roziers, secrétaire général de l’Elysée de 1962 à 1967 et notre représentant permanent à Bruxelles de 1969 à 1974

Aucun commentaire: