Toute
situation appelle la communion
Sondages… 63% des Français (les catholiques
pratiquants étant d’avis contraire à 62%), souhaitent la démission du cardinal
Barbarin, et de 72 à 77%, depuis au moins une année, souhaitent que ni François
Hollande ni Nicolas Sarkozy ne se présentent à la prochaine élection
présidentielle : qui s’exécutera ? De 70 à 85% des Français
souhaitent que l’Eglise se réforme, la jugeant "très/trop
conservatrice" (83%), "trop éloignée du quotidien des Français"
(64%) et "pas transparente" (81%) [1].
Mêmes proportions et même libellé des critiques pour le fonctionnement de notre
démocratie : la peur du referendum depuis 2005, le maintien à l’Elysée
d’un président ayant manqué la dissolution de l’Assemblée nationale et perdu un
referendum, deux décisions n’incombant qu’à lui, sans que ce soit reproché à
aucun des chefs du moment. Mais des prises de position, de l’insistance
médiatique quand il s’agit d’un des plus dynamiques de nos évêques (certes la Manif. pour tous, contre laquelle
j’ai plusieurs fois écrit à l’ensemble de notre épiscopat, dont le primat des
Gaules, mais aussi les voyages en Irak et la cause des chrétiens là-bas d’une
manière qui sauve l’honneur-même de la France).
Le chef et les subordonnés qu’il nomme … la démission
de François Hollande, président de la République, a-t-elle été exigée (et
pourquoi pas par des hommes d’Eglise ?) quand Jérôme Cahuzac a été
convaincu d’avoir menti, en séance publique à la représentation nationale, et à
propos de ce dont il prêchait l’abolition… tandis que le Premier ministre
(homme d’Etat) réclame celle d’un évêque qui s’était fait refiler par un
confrère un prêtre à la dérive ? François Hollande avait cru sur parole
son ministre du Budget, exactement comme Philippe Barbarin a cru à la parole de
l’abbé Bernard Preynat.
Ce que nous vivons à l’époque contemporaine montre que
l’Eglise catholique sait se réformer et même s’analyser. Il y a eu le concile
Vatican II. Pourquoi pas Vatican III qui ne serait en rien dogmatique mais tout
entier pastoral ? Il serait consacré à l’insertion du clergé dans le
peuple chrétien, à plein temps, comme tout laïc, sans autre particularisme que
son ordination sacerdotale et sa disponibilité pour administrer les sacrements.
Mariage et paternité de sang…, travail rémunéré dans l’entreprise, la fonction
publique, l’agriculture, les arts, les médias, etc… comme « tout le
monde ». Le sacré y gagnait, le côté professionnel s’amenuiserait. Et – en
regard puisque la comparaison éclaire et que les médias traitent de même toutes
personnes et toutes institutions, aujourd’hui – depuis vingt ans au moins (le
départ de François Mitterrand), la dénaturation de nos institutions pratiquées
au rebours de que nous avait fait vivre le général de Gaulle : le peuple
hors du coup, les consciences contraintes dans toute votation significative à
l’Assemblée nationale, les ministres anciens parlementaires retrouvant leur
siège sans que soient interrogés leurs électeurs, le vote blanc toujours
assimilé à un vote nul soit même à une abstention, etc… Qui hurle ou condamne
ce manque de cohérence, de sincérité ? La République ne s’amende que dans
la catastrophe, pour le pire : Juillet 1940 ou pour le meilleur :
Septembre 1958. L’Eglise, elle, en France a inventé les prêtres-ouvriers, et l’Eglise
universelle a toujours su se réformer, souvent dans une inspiration de
religieux et de prélats français. Les appels à la conscience nationale de trois
de nos évêques, l’été de 2010 [2],
quand le discours de Nicolas Sarkozy à propos des Rroms était tel, à Grenoble
que la commissaire européenne à la Justice, nous crut en 1944… la lettre de
Benoît XVI aux Irlandais sur les crimes pédophiles ou les « Magdalena
sisters »… attestent que l’Eglise sait voir et a les moyens d’améliorer
les siens, au temporel.
Double peine… quel évêque ne souffrirait des fautes
lourdes commises par l’un ou plusieurs des siens (ce semble le cas), non
seulement de n’avoir pas su les prévoir et les empêcher, mais surtout de telles
contradictions avec la foi que le clergé, par son exemplarité, est chargé de
maintenir et de propager. C’est assurément, longtemps dans le secret, la peine
de Philippe Barbarin. Mais le voici aujourd’hui, vivant une Semaine sainte et
une entrée dans la Passion de son Seigneur qui a peu de précédents contemporains
(Mgr. Pican n’a pas été lynché et son nom n’a pas intitulé des faits alors
qu’il y a dans les médias et dans la presse écrite : « l’affaire
Barbarin » comme si le cardinal était, de sa personne, le prédateur…).
Peine peut-être triple puisqu’il souffre pour lui-même, c’est évident à chaque
nouvelle image de son visage et de sa silhouette : ecce homo…, et plus encore pour l’Eglise, d’autant qu’il en est
l’un des cadres les plus en vue.
Les photos en camp scout, sans que le récit détaillé
des faits soit donné, il serait d’ailleurs banal, montrent des garçons sans
doute jeunes mais de taille physique et de maturité suffisantes pour, d’un ou de
quelques gestes ou mots, rappeler n’importe quel adulte à la conscience de ce
qui va se perpétrer. Je ne discute pas s’il y a consentement, soumission,
fascination ou violence mais il y a connaissance mutuelle et des liens
préalables à expliquer ou connaître. Dans la vie scoute que j’ai pratiquée, à
tous ses « grades », ce sont des jeunes qui sont encadrés par d’à
peine moins jeunes. Aucune situation de pédophilie entre eux, et guère de
pratique homosexuelle (qui serait librement consentie) entre les mêmes
puisqu’en camp de toile et en patrouilles, la paire et l’isolement sont
impossibles ou aussitôt remarqués. Si le chef de troupe a de l’allant, voire du charisme et de la pédagogie innée,
l’aumônier n’est pas au contact direct ni individuel avec les jeunes. La
maîtrise elle-même guère davantage. La patrouille s’auto-gère et comme l’a
voulu Baden Powell, « le fort protège le faible ».
Quelles sont les causes et les circonstances d’un
éveil à l’évaluation de faits anciens ? quel traumatisme a donc traversé
une conscience longtemps sans la marquer et en quoi une vengeance – la ruine
d’une réputation, pas même celle du violeur ou de l’agresseur si c’en fût un,
mais celle de ses supérieurs de maintenant qui ne l’étaient pas autrefois –
guérit-elle ? Se venger de l’agresseur peut-être ? mais se venger sur
l’institution ? La pédophilie, dans les mêmes délais décennaux ou deux
fois décennaux, a – elle aussi – changé de sens en droit pénal et en
retentissement médiatique. Les mêmes mots désignent aujourd’hui des situations,
des gestes, des agressions pour viol bien plus graves factuellement
qu’autrefois.
Il reste que le drame actuel – vécu par le primat des
Gaules – bien différent de ce que vécurent les victimes, met en évidence
salutairement de très graves lacunes de notre société.
L’exigence citoyenne est sélective. Nous tolérons, en
France, une vie politique complètement
désaccordée avec les circonstances et avec les nécessités. C’est un théatre
d’ombres, en totale contradiction avec les frontispices et les principes de la
République. En tant que tel, quoique quotidiennement perçu et stigmatisé, il
est toléré. L’Eglise est en bien moindre décrépitude et contradiction puisque
ses manquements à raison de son clergé ou ses raideurs et simplismes en matière
de mœurs ou de bio-éthique, choquent et font crier à la punition et à la
réforme. Les absolutions données au libéralisme économique et au mondialisme
aussi. Mais il est aussi vrai que Benoît XVI – premier pape à le reconnaître –
a légitimé eros et le droit au
plaisir sexuel et a insisté sur la déviance des spéculations financières :
la première et la dernière en date de ses encycliques.
La gestion des ressources humaines, la formation des
cadres et la notion de responsabilité – couramment mais à tort entendue comme
la revendication d’une exclusivité de la décision, alors qu’il s’agit de payer
pour tout manquement, vg. la démission exigée d’un prélat, mais donnée in
extrêmis par un politique sous contrainte judiciaire – demandent chacune, dans
l’Eglise, dans l’Etat, dans l’entreprise, dans les vies associatives des
révisions complètes. L’Education nationale où la psychologie et la sociologie
ont si peu cours pour la préparation et l’évaluation des maîtres, en est
l’exemple le plus quotidien. Notre clergé, formé à l’étude et au dogme, n’est
entraîné ni à l’ « éloquence sacrée » (que d’homélies
lamentables ou hors sujet, bien des dimanches…), ni à la communication, ni au
simple savoir-vivre. Quand il s’agit d’une personnalité ayant charge d’un
diocèse et représentant une part très visible de l’institution écclésiale, ces
manques de formation et de savoir-faire sont dangereux. Un de nos compatriotes
– homme de foi et d’Eglise – les plus populaires, génial auteur de l’appel à
une générosité insurrectionnelle de tous les Français dans l’hiver 1953-1954,
ne pouvait pas quarante ans plus tard sortir de la nasse de ce qui fut appelé
« l’affaire Garaudy » et quand même pas « l’affaire Abbé
Pierre ».
Ce qui me frappe ces heures-ci, c’est le haro. Qui –
quels que soient fautes, fautifs, responsables – n’est jamais signe de santé
dans une société. C’est le péremptoire de certains, de ceux qui ont le
privilège de la parole et, plus encore, de la répétition publiques. Et c’est
aussi le bredouillement de tant d’anonymes, mes proches en sont, qui hésitent
et prétextent – pas tant pour condamner ou absoudre, et qui ? – mais pour
ne pas réfléchir par eux-mêmes.
Oui, cette Semaine Sainte, période liturgique tellement
signifiante pour les chrétiens, « tombe » bien cette année. Les
récits de la Passion du Christ sont des récits de mouvements de foule,
browniens, en sens contraires, des récits de causes entendues d’avance, de
syllogismes décrétant une condamnation à mort.
Paul Ricoeur remarquait fréquemment à la fin de sa vie
qu’en France, nous ne savons pas débattre. Nous avons évolué – tristement.
C’est pire : nous ne savons plus réfléchir, trouver nos repères. Et quels
que soient la cause, le sujet, il nous faut avoir le recul de la compassion qui
fait d’une souffrance décalée dans le temps et par essence solitaire, une
souffrance partagée par une époque, par des institutions, par des chefs aujourd’hui
autres. Les victimes font à leur tour des victimes, et – elles-mêmes –
n’ont-elle pas changé ? Comment n’ont-elles pas fait de ce qu’elles ont
subi une certaine voie, plus subtile, et à terme bonifiante ? Elle a son
alchimie et ses remèdes, la souffrance tenant à des situations auxquelles on
n’était pas préparé quand eut lieu ce qu’aujourd’hui on reproche à d’autres.
Nous n’avons prise que sur le présent, et ainsi le
pouvoir de créer un fort précédent pour panser ou guérir des blessures et des
attentats qui – la nature humaine étant ce qu’elle est – ne manqueront
malheureusement de continuer à se produire. La peine de mort n’a jamais été
exemplaire ni dissuasive, mais une société se grandit en l’abolissant.
Bertrand
Fessard de Foucault,
ancien ambassadeur et chrétien de base depuis sa naissance – bientôt 73
ans
dimanche 20 mars 2016
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