ENTRETIEN. L’ex-président de l’Assemblée, Jean-Louis Debré, analyse les difficultés de la droite à six mois de la présidentielle et la montée d’Éric Zemmour.
Propos recueillis par Florent Barraco et Julie Malaure
Publié le 02/10/2021 à 08h00 - Modifié le 03/10/2021 à 09h10
À six mois de la présidentielle, la droite n’a toujours pas choisi son candidat. Pis, la voilà reléguée, médiatiquement, à suivre Éric Zemmour et à se positionner par rapport aux déclarations du polémiste. Les Républicains semblent pris en tenaille entre Emmanuel Macron, qui a capté une partie de leur électorat, et le bloc Zemmour-Le Pen. Ancien ministre de l’Intérieur, président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré regarde ce combat présidentiel avec distance, mais non sans intérêt et inquiétude. L’ami de Jacques Chirac déplore un manque de vision de candidats. Éloigné de la vie politique active, Jean-Louis Debré investit la scène en présentant un spectacle, Ces femmes qui ont réveillé la France, avec Valérie Bochenek, au théâtre de la Gaîté et les librairies avec Quand les politiques nous faisaient rire (édition Bouquins). Entretien.
Le Point : Comment jugez-vous la bataille pour la présidentielle dans votre ancienne famille politique ?
Jean-Louis Debré : D’abord, une précision, j’ai quitté la vie politique depuis 14 ans. Je regarde, j’observe, mais je ne participe plus. Quand on regarde l’Histoire, il y a eu très peu de moments où la société politique dans son ensemble n’a pas fait émerger de grands personnages. Clemenceau, Poincaré, de Gaulle, Mitterrand, Giscard, Chirac, Sarkozy structuraient leur camp et il y avait d’autres personnages qui les accompagnaient (Barre, Mauroy). Aujourd’hui, ni à droite ni à gauche n’émerge une personnalité. Ce qui est extrêmement dangereux pour la société. Nous sommes dans une époque où les idéologies ont disparu. Avant, la notion de droite et de gauche évoquait quelque chose ; aujourd’hui, personne ne sait plus ce que c’est. Avant, les présidents étaient élus sur une espérance, peu importe qu’elle soit réalisée ou pas : la France moderne de Giscard, les 110 propositions de Mitterrand, la fracture sociale de Chirac… Personne en 2021 n’est capable d’offrir de l’espoir. Enfin, la présidentielle est désormais le moment pour des personnalités de se faire repérer : pour certains candidats, il ne s’agit pas d’être élu, mais de montrer qu’on existe. Soit pour régler un conflit local, soit pour prendre date pour des fonctions futures. Si on ajoute que le président sortant n’a pas su créer de l’empathie avec le peuple, le panorama est très ouvert…
… et très indécis !
Oui, surtout qu’on ne connaît pas encore tous les candidats. Et les personnes qui sont actuellement en lice, soit déclarées ou non, ne sont pas certaines d’obtenir leurs 500 signatures. Ce n’est pas une épreuve facile, surtout depuis que les noms des parrains sont publics. Nous sommes dans le tour de chauffe. Pour être élu, aujourd’hui, il faut essayer de créer des alliances, mais cela semble impossible, car il y a une tension entre les différents partis.
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La droite abandonne la primaire pour un congrès. N’est-ce pas un retour en arrière et un aveu de faiblesse, par rapport à la primaire de 2016 ?
On sait depuis toujours que les primaires sont une absurdité – en 2017, ceux qui les ont gagnées n’ont pas gagné les élections. Dans ce système médiatique qui est le nôtre, vous demandez à des candidats d’une même famille de se déchirer à la télévision. Comment voulez-vous dire après aux électeurs : « Nous sommes tous ensemble ! » Le problème n’est pas la primaire, mais l’absence de personnage faisant l’unanimité. Aucun président de parti n’a la légitimité et l’autorité pour y aller ou imposer son choix.
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Comment expliquez-vous qu’en cinq ans d’opposition, Les Républicains n’aient pas un projet avec des idées précises et nouvelles à présenter aux Français ?
Mais qu’est-ce que pense la gauche ? C’est la même chose ! Qui, aujourd’hui, peut prévoir demain ? Il y a deux ans, personne n’imaginait la pandémie. Toutes les certitudes du passé ont été bousculées. Le « en même temps » a tout cassé, de manière inquiétante. Ce qui permet aux extrêmes de monter. Il y a une idée porteuse et émergente qui pourrait structurer le débat : l’écologie. Sauf que les écologistes sont en train de la casser. Ils sont dans l’intolérance, l’incompréhension et la division.
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Et la droite n’arrive pas à investir ce terrain alors que la conservation des paysages, du mode de vie, est dans son identité…
Elle a perdu du terrain alors que c’est la droite qui a créé le premier ministère dédié à cette cause (Robert Poujade) ; c’est Chirac qui avait imposé un euro de taxe sur chaque voyage en avion pour la reforestation… Mais, aujourd’hui, la droite ne propose rien. Elle colmate ses brèches, mais quel est son discours sur l’avenir ? Ils sont paralysés, comme à gauche, car ils sont incapables d’avoir un corps de doctrine.
Jean-Louis Debré estime que la droite et la gauche ne parlent plus aux Français. © Elodie Gregoire pour « Le Point »
Que ce soit Valérie Pécresse, Xavier Bertrand ou Michel Barnier, selon vous, rien ne va changer…
Je n’ai pas dit ça. Les électeurs de droite ne se reconnaissent pas. Il faut attendre que cela se structure. Les élections sont devenues un jeu médiatique. Il faut apparaître. Aujourd’hui, à l’Assemblée, par exemple, le plus important, ce n’est pas l’hémicycle, mais la salle des Quatre Colonnes. Quand j’étais président, certains députés voulaient installer une salle de maquillage juste avant cette salle… Cela veut tout dire. L’image et l’apparence ont pris une place trop importante et éclipsent les idées.
N’est-ce pas la faute des anciens, notamment Jacques Chirac, qui a brouillé le positionnement de la droite en faisant évoluer le RPR d’un parti souverainiste à une formation qui vante le travaillisme à la française et un mouvement qui s’affirme européen ?
Entre Chirac et aujourd’hui, il s’est déroulé combien de temps ? Quatorze ans ! Le monde a changé. L’erreur fondamentale, qui va avoir une conséquence à moyen terme, est d’avoir cassé le lien entre l’élu national et l’élu local. On voit qu’il est en train de se constituer une technocratie parisienne politique. Il y a derrière tout ça une volonté de casser l’union nationale. Nous voyons une dilution du sentiment national comme on a pu le voir pendant le Covid dans certaines régions : « On ne veut pas des Parisiens. »
Zemmour est surtout porté par la presse.
Il y a un potentiel candidat qui, lui, a une idéologie : Éric Zemmour, qui n’en finit pas de monter dans les sondages au point de talonner le ou la candidat(e) LR…
Il est surtout porté par la presse ! Vous lui faites son lit. Il répond à un besoin de nombreux Français puisqu’il porte des idées, que l’on peut combattre, alors que les autres ne portent qu’eux-mêmes. Zemmour porte des idées défendues par l’extrême droite. Quand on regarde l’Histoire, il y a eu des moments similaires : le général Boulanger, Pierre Poujade et Jean-Marie Le Pen… Après, souvent, ils font pschitt. Personne aujourd’hui n’est capable de combattre Zemmour sur son terrain. Il a été habile, car il s’est placé sur un niveau culturel qui fait peur à tous les autres, car ils n’ont aucune culture politique.
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Éric Zemmour veut refonder le RPR de 1990. Le parti de Jacques Chirac avait une ligne très dure sur l’immigration. Est-ce faisable ?
Cela me rappelle ce que de Gaulle disait : « La France sera gaulliste. » Tout le monde se revendique gaulliste : les amis de Jean-Marie Le Pen allaient se recueillir sur la tombe du général de Gaulle. Ceux qui vantent le gaullisme et le RPR veulent capter cet héritage, car le RPR, c’est une certaine idée de la France, une certaine idée de la place de la France en Europe et une certaine idée de l’association capital-travail-intéressement. Mais chez eux, ce sont des slogans !
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Que pense l’ancien président du Conseil constitutionnel de la proposition d’Éric Zemmour de réduire le pouvoir des Sages pour affaiblir l’État droit qui, selon lui, va à l’encontre des décisions du peuple ?
Pour l'ancien président de l'Assemblée nationale, aucun candidat ne porte d'espérance pour le pays. © Elodie Gregoire pour « Le Point »
Je crois à l’État de droit et à la hiérarchie des normes. Il est important qu’il y ait une juridiction qui rappelle aux uns et aux autres qu’il y a des valeurs constitutionnelles que la loi ne peut pas bouger. Heureusement qu’il y a des principes comme l’égalité hommes-femmes, comme le respect des libertés… Contrairement à ce que disent les uns et les autres, le Conseil constitutionnel ne peut pas se saisir, il est saisi, car on suppose qu’il y a des manquements à la loi ou parce que des parlementaires, les présidents de la République, du Sénat ou de l’Assemblée considèrent qu’il y a une atteinte aux lois et aux libertés fondamentales.
Mais n’y a-t-il pas une judiciarisation excessive de la vie publique comme on l’a vu avec la mise en examen d’Agnès Buzyn ?
C’est une instance composée de parlementaires ! Ne parlons pas de judiciarisation. Par ce mot-là, on veut remettre en cause la justice. En tant que magistrat, je ne me reconnais pas dans cette cour de justice. La question est de savoir si un ministre est responsable ou pas. On a considéré qu’ils sont responsables politiquement et parfois, pénalement. Tout cela est encadré par la Constitution. L’acte d’accusation a été rédigé par des parlementaires et la cour, ensuite, n’est pas uniquement composée de juges. Je ne trouve rien d’exceptionnel et d’anormal à cela. Rien ne serait pire qu’une société où les politiques ne répondraient pas de leurs actes. Il n’y a que dans les pays non démocratiques où les hommes ou les femmes qui sont au pouvoir sont intouchables.
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Est-ce qu’Emmanuel Macron est le mieux placé pour l’emporter en 2022 ?
Je répondrai à votre question après les élections (rires). J’espère que la personne qui sera élue redonnera espoir aux Français et qu’elle reprenne la formule de Renan : « Une nation, c’est un rêve d’avenir partagé. »
Le Premier ministre n’existe plus et le président en est à choisir la casquette des policiers. Où est-on ?
La Ve République semble à bout de souffle. La faute à l’hyperprésidentialisation ?
Jean-Louis Debré publie « Quand les politiques nous faisaient rire » (édition Bouquins). © Elodie Gregoire pour « Le Point »
L’hyperprésidentialisation s’est accentuée. On avait créé la fonction de Premier ministre pour permettre au président de prendre du recul. Aujourd’hui, le Premier ministre n’existe plus et le président en est à choisir la casquette des policiers. Où est-on ? Tout est devenu du domaine du président. Il y a une dérive par la loi, car elle est devenue un moyen de communication pour les hommes politiques. Qu’importe si elle s’applique ou pas. Juste un exemple : on a fait une loi sur la laïcité (sur le séparatisme, NDLR), mais la Constitution dit déjà tout ! Mais, avec ce genre d’initiative, on donne le sentiment d’agir et de répondre au problème. Et en plus, ce sont des lois bavardes. Le malaise de la société vient de cette législation inappliquée et inapplicable.
On peut ajouter l’arrivée du quinquennat…
Oui, c’est une erreur à la mode : le quinquennat était voulu par Pompidou, puis pour le deuxième mandat de Giscard, réhabilité par Jospin et finalement réalisé par Chirac.
Vous jouez un spectacle, Ces femmes qui ont réveillé la France. Cette élection présidentielle semble faire la part belle aux candidates. Faut-il y voir une bonne nouvelle sur la place des femmes en politique ?
Je me réjouis qu’il y ait des hommes et des femmes compétents. Que le président de la République soit un homme ou une femme, je m’en moque dans la mesure où il ou elle est capable de porter les espérances d’un pays. Mais le combat de l’égalité n’est jamais totalement gagné.
Sur TMC, Michel Houellebecq a donné ses trois mesures s’il était élu président. Et vous, si vous étiez président ?
J’exclus cette hypothèse. Je n’en ai pas la capacité (rires).
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