dimanche 17 novembre 2019

Huffington Post Gilets jaunes: Le 17 novembre, ce "grand soir" qu'ils tentent en vain de revivre - aul Guyonet


Depuis ce samedi de 2018 qui avait vu près de 300.000 manifestants se presser dans les rues de France, le mouvement n'a cessé de chercher à réitérer ce succès en se diversifiant. Mais sans pour l'instant y parvenir...




Lucas BARIOULET / AFPLe 17 novembre 2018, près de 300.000 personnes avaient défilé en France à l'occasion du premier samedi de manifestation des gilets jaunes. Un triomphe que le mouvement n'a jamais su réitérer.
GILETS JAUNES - La vague jaune d’une colère noire. Le samedi 17 novembre 2018 fera probablement date dans l’Histoire de France moderne, et sans aucun doute dans celle du mandat d’Emmanuel Macron.
Ce jour-là, 287.710 personnes s’étaient mobilisées, selon le ministère de l’Intérieur -bien plus selon les participants-, sur quelque 2000 points de rassemblement et de congestion. S’ils n’avaient pas réussi à “bloquer la France” comme ils l’escomptaient, en vue de faire entendre leur voix, ils avaient en revanche donné naissance à un mouvement d’un genre nouveau.
Sans visage clairement identifié (du moins au début), sans attachement syndical ou politique affiché (du moins au début), sans même de liste précise de revendications (du moins au début), ces gilets jaunes, dont l’accoutrement est très vite entré dans le langage commun, allaient réussir à déranger durablement l’exécutif, jusqu’à obtenir une série de mesures, annoncées le 10 décembre par Emmanuel Macron.
Sauf que les gilets jaunes n’ont jamais réussi à reproduire leur “grand soir” du samedi 17 novembre -une mobilisation annoncée, qui avait rencontré un vaste succès populaire et qui s’était prolongée en de nombreux endroits pendant tout le week-end. Et pourtant, ils ont réessayé, sous diverses formes.






    • Les candidatures électorales 

Cela semblait être la suite logique pour les gilets jaunes. Après avoir pesé dans la rue, et à quelques semaines d’un scrutin d’ampleur nationale, les élections européennes sont vite devenues un rendez-vous au cours duquel ils espéraient faire franchir un palier à leur contestation.
Mais il n’en a rien été. Au soir du 26 mai, les deux listes qui se revendiquaient du mouvement ne dépassaient pas le pourcent des suffrages exprimés. L’Alliance jaune, dont la tête de liste était le chanteur Francis Lalanne, a réalisé un score de 0,54%, et Évolution citoyenne, emmenée quant à elle par Christophe Chalençon, à peine plus de 2000 voix, soit moins de 0,01%.
Bien loin du seuil des 5% qui aurait permis d’envoyer un gilet jaune au Parlement européen de Strasbourg, et même du 1% qui aurait permis de se faire rembourser par l’État les frais engagés. Et dire qu’au début de la campagne, certains sondages donnaient une hypothétique liste soutenue par le mouvement à plus de 5%, et souvent proche voire au-delà des 10%...
Mais le cheminement n’a pas été simple pour valider cet apparent soutien populaire. Car de menaces en déchirements, de querelles de personnes en affrontements idéologiques, jamais les contestataires n’ont réussi à faire émerger une liste derrière laquelle se ranger massivement. Et ce n’est pas Ingrid Levavasseur, qui a dû renoncer à former une liste à la suite d’insultes et d’intimidations, qui dira l’inverse.
    • Les partis politiques

Car il faut admettre que le lien des gilets jaunes à la politique traditionnelle est compliqué à saisir. On l’a vu, électoralement, les partis gilets jaunes ont connu un violent revers lors du scrutin européen. Et ses figures engagées sur des listes plus conventionnelles n’ont pas fait mieux, avec un score de 3,5% pour Benjamin Cauchy sur la liste de Nicolas Dupont-Aignan et de 0,65% pour Jean-François Barnaba au côté des Patriotes de Florian Philippot.
Il faut dire que la composition même du mouvement le rendait difficilement traduisible en une force politique. Parce que son hétérogénéité faisait sa force et que les classes populaires sont traditionnellement abstentionnistes lors des élections européennes, la force -déclinante qui plus est au moment du vote- des gilets jaunes n’a pas su se métamorphoser en une vague électorale.
De la même manière, la cacophonie revendicative qui a toujours accompagné la vague jaune n’a jamais permis aux manifestants de se regrouper en une formation constituée. Et ses têtes d’affiche ont toujours refusé d’endosser la responsabilité de devenir des visages politiques, à l’image de Priscillia Ludosky, de Jérôme Rodrigues ou de Maxime Nicolle.
Ceux qui ont essayé, comme Jacline Mouraud, qui avait fait un tabac avec sa vidéo sur le prix de l’essence et qui a fondé “Les Émergents” début 2019, n’ont jamais réussi à peser réellement. Là encore, des menaces et un procès en dévoiement du caractère apolitique du mouvement lui ont été renvoyés au visage. Au point que la structure est en train de muer de parti politique à groupe de réflexion.
Reste à voir si ceux qui croient encore à un avenir politique pour les gilets jaunes, à l’occasion des élections municipales notamment, sauront concrétiser cette vision. Ingrid Levavasseur, qui sera candidate sur une liste soutenue notamment par EELV et les Insoumis dans une petite ville de l’Eure, et Benjamin Cauchy, à Vigneux-sur-Seine dans l’Essonne, le verront dès le mois de mars.
    • Les manifestations alternatives 

Et puisque le mode d’action politique n’a pas franchement rallié toutes les voix, les gilets jaunes ont tenté d’autres approches pour retrouver l’allant du 17 novembre. À l’instar d’un autre mouvement qui n’avait pas réussi à réellement se politiser, “Nuit Debout”, les manifestants ont voulu se montrer dans l’obscurité.
C’est ainsi qu’à la fin du mois de janvier, dans un appel notamment soutenu par Éric Drouet, une première “nuit jaune” a été organisée. Le but était de créer un “rond-point géant” place de la République, et de sortir du paradigme des casseurs lors de manifestations de l’après-midi. Un rassemblement pacifiste et apaisé qui visait à capitaliser sur l’engouement suscité par les déambulations diurnes et, si l’on écoute Maxime Nicolle, à “crever les forces de l’ordre”, mais qui n’a pas franchement rencontré son public. Pire, elle avait été rapidement évacuée, avant 20 heures.
De la même manière, des rassemblements fixes ont eu lieu en nocturne dans plusieurs villes où les gilets jaunes étaient en nombre (Toulouse et Tarbes par exemple), tout comme des marches de nuit, à l’image de ce qu’il s’est passé à Dunkerque le 25 janvier. Ce jour-là, environ 400 personnes s’étaient rassemblées dans le calme et avaient réussi à faire entendre des doléances. Mais pas suffisamment pour faire de la nocturne un mode d’action aussi puissant que le premier samedi de manifestation.
    • Les menaces contre le système bancaire

Le “bank run”. Voici ce que comptaient créer les gilets jaunes après avoir échoué à obtenir l’instauration du RIC, le référendum d’initiative populaire, dont ils n’ont eu de cesse de marteler l’importance: une panique bancaire. Début janvier, dans une énième vidéo publiée sur Facebook, Maxime Nicolle, l’une des figures du mouvement, expliquait qu’il voulait faire passer la pression des rues au porte-monnaie.
“Votre pouvoir, c’est l’argent qui est sur vos comptes”, lançait-il le 7 janvier à ses dizaines de milliers de followers. “On va essayer de fixer un jour précis où tout le monde ira retirer une somme d’argent, le maximum possible. Le pognon, on va le récupérer. C’est le nôtre, c’est légal, ce n’est pas violent.” Un message auquel s’étaient joints d’autres participants au mouvement, à l’image de Tahz San, qui souhaitait organiser un “référendum des percepteurs”.
L’objectif: pousser les clients des banques à vider leurs comptes pour que les établissements se retrouvent sans dépôts dans leurs caisses et qu’ils ne puissent par conséquent pas honorer leurs engagements, terminant contraints de se déclarer en faillite. Une situation qui s’est déjà produite dans l’Histoire à l’occasion de crises financières, mais qui était impossible à mettre en place pour les gilets jaunes.
Les retraits étant limités en France, et surtout le mouvement étant très insuffisamment suivi, le plan n’avait aucune chance de réussir. D’après un calcul des Échos basé sur des chiffres de la Banque de France, au vu des montants présents en liquide dans les coffres des banques du pays, il aurait fallu que chaque Français retire près de 6000 euros pour provoquer les faillites des établissements bancaires.
    • Les blocages d’ampleur 

Dans la même veine que cette offensive contre le système économique, les gilets jaunes ont un temps cru pouvoir raviver la flamme en s’en prenant à l’un des pôles d’activité d’Île-de-France: le marché géant de Rungis. Fin décembre, de nombreux appels ont circulé, appelant à bloquer les accès de concert avec les VTC réclamant de meilleures conditions d’emploi.
Le but était de bloquer les principales portes d’accès au marché de manière à frapper un grand coup contre les centres stratégiques de l’économie nationale, et en particulier ce symbole (Rungis est détenu en partie par l’État et c’est un point de passage obligatoire pour les candidats en période électorale). Si l’action a été répétée pendant quelque temps, et qu’elle a même fait des émules avec des syndicalistes de la CGT qui s’y sont parfois joints, comme lors de la “grève nationale” du 5 février, le blocage total n’a jamais eu lieu.
En somme, et malgré toutes ces tentatives, ces nouveaux modes d’action et ces changements de sphère d’intervention, les gilets jaunes n’ont donc jamais réussi à réitérer leur “grand soir” de l’acte I, il y a tout juste un an. Il leur reste toutefois de nombreuses échéances, à commencer par cet anniversaire, pour voir si la grogne sociale qu’ils ont incarnée est toujours aussi vivace, à mi-chemin dans le mandat d’Emmanuel Macron.
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