Qu’on se le dise : Emmanuel Macron est un
président en-ra-ci-né. La preuve : il va consacrer deux jours pleins,
dans un agenda par nature surchargé, aux problèmes de la Somme, son
département d’origine, où il va multiplier les rencontres avec les
acteurs locaux de toutes sortes. Qui peut s’en plaindre ? Il est bon que
les dirigeants suprêmes, de temps à autre, se replongent dans le
quotidien des citoyens qu’ils sont censés représenter et gouverner. Mais
le geste – soigneusement médiatisé – traduit aussi la difficulté
politique dans laquelle se trouve le Président.
Il vient après beaucoup d’autres – le «grand débat», les concessions
consenties aux gilets jaunes, les interminables palabres qui préludent à
la réforme des retraites, les déambulations régulières du Président
lors de ses visites sur le terrain, la volonté appuyée de
caresser les maires dans le sens du poil démocratique, etc.
Ces efforts à la fois méritoires et herculéens ont pour but, on l’aura
compris, d’effacer la désastreuse image laissée par la première année du
quinquennat, celle des réformes à la hussarde, des provocations
verbales plus ou moins contrôlées, du «président des riches» et de
l’image technocratique imprimée par un pouvoir pressé de libéraliser
l’économie sans s’embarrasser des «corps intermédiaires» qui sont la
trame de la société française. Jupiter, en l’espèce, a endossé la
tunique de Nessus.
Emmanuel Macron avait fustigé «les fainéants»
qui l’ont précédé à l’Elysée, ces réformateurs en peau de lapin qui
s’engluaient régulièrement, selon lui, dans la concertation stérile et
l’hésitation permanente. Or ces «fainéants» – Chirac, Sarkozy, Hollande,
pas forcément nuls en politique – savaient aussi qu’à brusquer outre
mesure l’opinion, on risque de l’ameuter contre soi et de bloquer ainsi
la mise en œuvre des changements nécessaires. On croit gagner du temps,
on en perd encore plus. Ce qui risque d’advenir dans le délicat dossier
des retraites. On voulait une refonte ambitieuse du système, on risque
de repousser l’échéance de trente ou quarante ans pour apaiser
l’inquiétude qu’on a soi-même suscitée. Le lièvre a buté sur
l’obstacle : on enfourche la tortue.
Du coup les commentateurs libéraux, ainsi que la droite LR, trouvent
matière à réquisitoire. Voir l’implacable papier pondu dans
le Figaro
par un chroniqueur emblématique de ce courant, Nicolas Baverez.
Constatant que les réformes (qui sont en fait des sacrifices) s’enlisent
dans le marécage des consultations, que les finances publiques qu’on
voulait redresser s’enfoncent dans le rouge, que cette impuissance
réelle est seulement camouflée sous un discours volontariste et un
activisme de politique étrangère qu’il estime brouillon et
contre-productif, il prononce une condamnation sans appel, comparant le
Président à un cannelé bordelais, dur à l’extérieur, mou à l’intérieur.
Il ne s’agit pas de suivre Baverez, auteur libéral coupant qui
déplore qu’on n’en fasse pas assez dans un sens contestable. Mais de
relever une contradiction difficile à surmonter. Emmanuel Macron veut un
bilan de réformes nombreuses et audacieuses. Il s’y est pris de telle
manière que son vaste plan a déclenché révoltes, colères et oppositions
irréductibles, au risque de disloquer son action en le contraignant à
une défensive anxieuse. On passe de l’audace à l’angoisse. On veut
dépasser les clivages traditionnels, on les exacerbe en prenant le rôle
du représentant de l’élite coupé des vraies souffrances de la
population. Une fois n’est pas coutume, on laissera la conclusion à
Baverez, auteur d’une chute d’article gaullienne :
«Dans une formule ironique du Fil de l’épée,
De Gaulle
rappelait que "parfois les militaires, s’exagérant l’impuissance
relative de l’intelligence, négligent de s’en servir".» Emmanuel
Macron nous montre comment les technocrates, s’exagérant l’impuissance
relative de la politique, négligent de s’en servir.
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