vendredi 27 septembre 2019

. . . ma mémoire de Jacques Chirac

 
. . . ma mémoire de Jacques CHIRAC. Je pleure, sans doute autrement et plus que beaucoup de Françaises et de Français. Pourquoi ? Parce que cet homme a fait partie de ma vie, une vie d’analyse politique par amour de notre pays (qu’il avait certainement lui aussi, et EM a vu très juste : Nous, Français, perdons un homme d’État que nous aimions autant qu’il nous aimait, c’est même essentiel et le plus vrai hommage qui puisse lui être rendu, car cela peut … ? tout contre-balancer), parce que je l’ai rencontré, toujours seul à seul, une seule fois en réunion (la réception à l’Hôtel de Ville du président du Kazakhstan quand j’y ouvrais notre ambassade, fin Septembre 1992, et son discours, lu, était très bien, je l’en félicitais, ce furent d’ailleurs mes dernières paroles verbales à son endroit), parce que c’était un homme dont la mémoire particulière que j’ai et garderai de lui n’est qu’entre lui et nous, même si maintenant j’essaye de la dire et de la faire partager. Elle va à l’encontre des clichés, des hommages de maintenant et n’est pas non plus celle des combats qu’il mena ou qui furent menés contre lui. Je pleure quelqu’un que j’ai connu, vraiment, même si ma vue et mon expérience de lui, sont partiels : je n’ai jamais travaillé ni avec lui ni pour lui, je n’ai pas été de son entourage. La dialectique peut se résumer ainsi : il me remarqua au combat (alors que la plupart des politiques ne me remarquèrent qu’en me lisant dans Le Monde, notamment : Mars 1972 à Avril 1982), c’était ma tentative de succéder dans le Haut-Doubs à Edgar FAURE quittant par sécurité la députation pour le Sénat, ce qu’il faillit manquer, l’automne de 1980. J’eus presque aussitôt : Février 1981 à choisir entre lui, une candidature sous son étiquette à Thionville et contre la gauche pour les législatives à venir, de date inconnue puisque dépendant de la présidentielle dont nous étions à quatre mois, et François MITTERRAND. J’avais choisi FM depuis Juin 1977 et avant, depuis que je l’avais vu/entendu à la télévision, en Avril 1966, aux côtés de « mon » préfet, maître de mon stage ENA à Blois. Choisi en ce sens que je ne partageais pas la haine méprisante des « gaullistes » pour lui. J’étais à de GAULLE depuis mes quinze ans, ceux du retour au pouvoir de celui-ci et jusqu’aujourd’hui (l’homme du 18 Juin a conduit ma vie et mon intelligence de la chose publique et de notre pays), mais après lui ou en dehors de lui, ce serait FM que je préfèrerai et que je préfère encore. Je refusai donc. Deux entretiens déjà auparavant. Il avait son candidat « indépendant » à Pontarlier, choisi par raccroc, médiocre mais bon camarade qui, élu en Novembre 1980, a du rester dans la place jusqu’il y a peu (2012 ou même 2017). Pierre MESSMER, fréquenté depuis sa tentative d’Avril 1974 vers l’Elysée depuis Matignon, m’avait dit que je ne pouvais rester seulement en écriture, professionnellement j’étais attaché puis conseiller commercial près nos ambassades, et alors à Munich (consulat général), très proche de la France. Il me pressentit pour Verdun, j’eusse accepté (PETAIN aussi) mais quelqu’un d’autre vint et PM n’était que relatif au RPR. Je n’aimais pas (alors) Valéry GISCARD d’ESTAING, qu’à tort je jugeais depuis 1966, l’anti-de GAULLE, comme l’immense majorité des « gaullistes » qui diminua à son élection (Jacques FAUVET entre les deux tours les qualifia : ce ne sera pas une ruée, ce sera une ruée sauvage). JC sut, son comportement le plus magistral avec la « prise » de l’Hôtel-de-Ville de Paris (élection pourtant créée par VGE et réservée à d’ORNANO, manque total de discernement), prendre un mouvement qui avait toujours eu la culture du chef et venait de tomber en déshérence, mais entreprit sa quête du pouvoir (la politique, comme cela a été remarqué hier, selon je ne sais plu quelle dépêche, a un caractère exceptionnel en France, au contraire de tout autre pays, et sans doute est-ce notre trait le plus monarchisant, pas la personne du roi ou son sacré, mais la noblesse du métier au regard de toutes autres catégories d’emploi et de vocation chez nous) dans la haine, et celle-ci, dirigée contre VGE, puis contre FM, ne le quitta jamais. C’était sans doute son ressort, détester qui est à la place qu’il brigue, pas du tout – je le crois – par conscience d’une supériorité (VE… EM…), mais simplement par trajectoire, par conséquence des opportunités l’ayant placé dans la course, sur la cendrée. Suivant intensément notre vie politique, depuis mon retour de quinze mois de service national en Mauritanie, et selon DG et les éphémérides électoraux, sociaux, gouvernementaux, je ne le remarquais qu’en fin de la campagne de 1974. Ministre de l’Intérieur, carte jeune et maîtresse de Georges POMPIDOU tentant son va-tout pour une réélection anticipée suffisamment pour que la maladie ne l’ait pas trop diminué encore. Il avait gagné une popularité propre en étant ministre de l’Agriculture, y apprenant une façon de séduction et de proximité qu’il garda toujours : gouaille et familiarité, photogénique et chaleureuse à l’antenne. La haine ne venait sans doute pas de son tréfonds, mais d’un couple qui prétendit le « formater » sinon le « robotiser », Pierre JUILLET et Marie-France GARAUD. Un homme sous influence… et écrivant peu par lui-même… ses Mémoires, et chacun de ses livres… avec parfois le retournement provoqué par une emprise passagère : Philippe de SAINT-ROBERT (gaulliste intégral, plume et discernement exemplaires, mais triste et parfois médisant, Michel JOBERT me le rappela, à mon endroit) pour « l’appel de Cochin ». Il avait également inspiré GP lui faisant citer Kiel et Tanger devant un aréopage rue Saint-Guillaume. Haine des deux compères contre Jacques CHABAN-DELMAS, plus rayonnant que Georges POMPIDOU leur maître, puis haine de VGE nourrie et argumentée par sa collaboration avec celui-ci mais en sous-ordre (Premier ministre). Je n’aimais pas, alors, VGE mais en 1978 je pris parti pour lui, contre la haine des « gaullistes » et du R.P.R. Je ne sus que beaucoup plus tard , par le très généreux Jean CHARBONNEL, la genèse qui me manquait. Celui-ci élu dans la vague imprévue mais magnifique de Novembre 1962, à la suite du referendum sur l’élection du président de la République, désormais au suffrage universel direct, parraina de Brive-la-Gaillarde à Ussel, le « jeune loup ». GP en avait lancé beaucoup à l’assaut du Massif Central tenu depuis près d’un siècle par les radicaux. JC était alors d’amours et de comportements d’extrême-droite, en relation indirecte avec les généraux putschistes emprisonnés à Tulle. Il aura l’honnêteté de bien dire qu’il était « fana-mili » pendant la guerre d’Algérie. Auditeur à la Cour des comptes à sa sortie de l’E.N.A. et au cabinet du Premier ministre, dans des circonstances que je ne sais pas, mais l’Auvergne peut-être (mot de COUVE de MURVILLE sous VGE : trop d’Auvergnats à se succéder au pouvoir), il séduisit POMPIDOU par une prise de notes en réunion, une mise au net et des photocopies en sorte que la ou les pages étaient sur le bureau du Premier ministre, son arrivée le lendemain matin (je ne sais comment je l’ai appris, mais bien des vies « notoires » commencent par ce genre de toutes petites circonstances et par un rapport pratique avec un puissant). Ensuite, un rôle : secrétaire d’État à l’Emploi, donc subordonné à Jean-Marcel JEANNENEY qui m’en dit du bien trente ou quarante ans plus tard. Un rôle en Mai 1968, des relations avec la C.G.T., un revolver dans la main, tandis que se préparèrent les négociations rue de Grenelle, au ministère des Affaires sociales ? l’homme de POMPIDOU évincé de Matignon, pour piéger la formation du gouvernement MCM, recommandations de GP à Alexandre PARODI, vice-président du Conseil d’État : refuser le ministère du Travail et des Affaires sociales.

L’homme qui me reçoit à l’Hôtel de Ville, en plein ma campagne pontissalienne, aux frais mesurés mais excédant mes émoluments, est plus que chaleureux, nous parlons de confiance, il va dans un angle de son vaste bureau, dissimulé par un lourd rideau, coffre-fort, liasses de billets le bourrant et me donne 80.000 francs, même si un jour vous me traitez de tout, de « va-de-la-gueule », je n’en parlerai jamais. Je remarque la belle photo de Georges POMPIDOU, portrait devant un monument aux morts pendant sa propre campagne de 1969 qui sera sa photographie pour les dossiers de presse, sur fond noir, le contexte effacé, et évidemment celle du Général, à la Ville de Paris, compagnon de la Libération. Il n’en a pas une pour lui-même ni de DG ni de GP, les proches des deux grands personnages n’ont pas pensé en demander une dédicacée. Chez aucun des anciens ministres de DG, je n’en ai vue. Il m’en fait choisir une de lui qu’il dédicace très chaleureusement. Est-ce à cette première rencontre qu’il m‘interroge sur sa candidature à la très prochaine élection présidentielle ? Je lui réponds de laisser courir Michel DEBRE, il ne court aucun risque et ce sera honorable. Nous nous revoyons une seconde fois avant le dénouement : 2,7 % des suffrages exprimés, mais dans les villages où le contact s’est noué, je suis parfois en tête devant les deux conseillers généraux rivalisant pour la place. Je quitte Pontarlier avant les résultats du vote, en publiant que les électeurs sont majeurs et décideront sans recommandation pour le second tour. A quatre heures du matin, je suis déjà dans le midi (Saint-Tropez que j’affectionne et où je passe quelques jours avant de regagner mon poste bavarois, dont je m’étais mis en congé pour un mois), JC m’appelle au téléphone : pour une première et en solitaire, c’est très bien. La bataille est au couteau, communiquez que vous soutenez… Impossible, Monsieur le Premier ministre, j’ai dit que je ne donnerai pas de consigne. Il semble ne pas m’en vouloir puisque nous nous revoyons (à ma demande?) en Février. Je continue alors de rencontrer FM, seul à seul, rue de Bièvre puis rue de Solférino qui s’inaugure. Nous apprenons l’un de l’autre, Michel JOBERT (qui n’a pu recueillir les 500 parrainages!) et moi que nous faisons le même pari et la même alliance : FM et je porte à celui-ci deux idées que nous mettons au point et qui seront prises : quitte à « supprimer » les préfets, leur titre, dire comme à la Libération ou en 1968, quelques minutes du 30 Mai, commissaire de la République. Et marquer la rupture en politique étrangère ou une autre manière d’être et de faire : le ministère des Relations extérieures. A l’Hôtel de Ville, le maire et Jacques TOUBON, l’homme du parti. Thionville, mais je ne veux pas combattre la gauche surtout si elle est communiste. Je suis envoyé faire connaissance avec Alain JUPPE, rue de Tilsitt. C’est de là que j’assiste au lancement officiel de la campagne de JC.

Nous correspondons beaucoup quand la mairie de Paris s’oppose à l’Elysée sur une exposition universelle pour le bicentenaire de la Révolution : JC calcule les dépenses incombant à la Ville, j'essaye de l'amener,  sur ce point précis, à FM. Le ton est souvent à la confidence, mais nous n’allons nous revoir – je suis rarement à Paris puisqu’affecté à l’étranger, Grèce, Brésil – qu’à l’Elysée. J’attends d’être reçu par Jean-Louis BIANCO avec qui FM ayant recommencé à me recevoir à partir de Janvier 1983, m’a mis en relation qui sera durable, pas efficace mais très informative. Et voici le Premier ministre, JC, montant l’escalier, apparaissant, venant pour le Président de la République : il me voit et s’écrie, vous : ici ! Je n’ai pas l’esprit de répliquer : mais vous aussi. De là, sans doute, le fossé, le mur. Un aparte en Septembre 1993, je l’ai déjà dit. Je suis « viré » de « mon » ambassade d’Almaty et du Quai d’Orsay (je n’y étais que détaché et à un très mauvais grade, malgré des promesse de BRERGOVOY et de DUMAS, mais ce ne sont pas les ministres qui règlent les carrières, surtout là…), et je deviens demandeur, d’autant que mon administration d’origine (la Direction des Relations économiques extérieures au ministère de l’Economie et des Finances) me répudie, que le « privé », banques ou avocats, ne me considèrent que si j’apporte du chiffre et beaucoup. Hâte pour m’exclure, crainte que la gauche gagne la présidentielle et que je revienne en cour. Donc, JC : je parviens à l’approcher lors d’une réception dont une relation amicale (QUENTIN, plume de JC alors et candidat à la succession de LIPKOWSKI à Royan) me ménage l’entrée. A parte aisé et sympathique avec le président de la République : oui pour vous recevoir, voyez avec VILLEPIN. Sept ou huit ans plus tard, je sus par Bertrand LANDRIEU, préfet de la Manche, rencontré à la Trappe de Bricquebec, et dirigeant désormais le cabinet à l’Elysée, que DdeV, secrétaire général, avait systématiquement détruit mes correspondances vers JC. Je tentais même – , ce me semblait, sans emploi, et probablement contraint de vendre mon seul bien immobilier, acquis à l’instant de m‘envoler en Asie centrale (Juillet 1992), vie ou mort ou presque ? - de faire passer une lettre par Claude CHIRAC. J’attendis plusieurs heures sa sortie, un soir, rue de l’Elysée, mais sans qu’elle apparaisse. La lettre fut pour son chauffeur.

Jugement politique. Critique. Il a introduit la haine en politique, par pour les idées mais pour les personnes, pour le tenant du pouvoir, son pouvoir en brigue et en avenir. Peut-être initialement instillé par Marie-France GARAUD et Pierre JUILLET, mais avérée et structurelle ensuite. Le discours du Vel’ d’Hiv. effaçant à l’immense joie des vraies ennemis du général de GAULLE et de tout le gaullisme en fondation, en histoire, en gestes, en restructuration du pays et de notre figure nationale, a été négocié avec les représentants de la « communauté juive » avant l’élection présidentielle et pour la gagner. La reprise des essais nucléaires français, dont Pierre BEREGOVOY à si juste titre avait déclaré le moratoire, se fait à l’anniversaire d’Hiroshima : culture du Président et de ses proches ! La suppression du service national, dont je prêche sans succès depuis des années le rétablissement et l’extension aux filles, prive la France d’un outil de cohésion essentiel et exemplaire. Enfin, erreur majeure ayant fondé toutes les dérives présidentialistes de ces vingt ans, avoir accepté la réduction à cinq ans du mandat présidentiel puis, sans davantage de divination ou de simple examen, la dépendance désormais de l’élection législative vis-à-vis de la présidentielle par l’inversion des calendriers, en considérant une situation fortuite. Chacune de ces fautes, très difficilement réparables, me faitt juger que JC a été le plus nuisible de nos présidents de la République. Il était à le veille de nous faire réintégrer l’O.T.A.N, quand il manqua la dissolution d’Avril 1997. Alors, comme le soir du referendum de Mai 2005 sur « la constitution pour l’Europe », il achève son œuvre de destruction en ne démissionnant pas, donc en éludant la responsabilité populaire du président de la République, disposition mentale essentielle de nos institutions et facteur-clé de notre démocratie, sur le plan national. De lui et de VILLPIN, ministre pompeux des Affaires Etrangères en Conseil de sécurité, nous tiendrions au moins d’être resté à l’écart de l’invasion de l’Irak par l’Amérique sans mandat des Nations-Unies. Je ne crois pas à cette version ; de surcroît, DdeV a été très maladroit avec Colin POWEL qui était, au fond de lui-même, une « colombe ». La chance a voulu pour la France notamment que les deux inspecteurs, l’un suédois, l’autre égyptien, chargé explicitement de découvrir à Bagdad ou dans tout l’Irak, les armes de destruction massive qui motiveraient le mandat international sohaité à Washington, aient le courage (sans doute au risque de leur vie) de faire un rapport au Conseil de sécurité, concluant clairement par la négative. Nous n’eûmes donc pas à voter. L’Elysée avait fait savoir en début d’après-midi de ce vendredi-là si tendu que – contrairement à l’attitude que prenait notre ministre des Affaires étrangères à New-York – la France n’opposerait pas de veto à la résolution américaine.

Resquiescat in pace. De très loin, le meilleur livre sur Jacques CHIRAC est celui de mon condisciple Bernard BILLAUD au cabinet du maire, où Jean GUITTON prenant celui-ci pour le sauveur en puissance de la France (chrétienne), l’avait introduit après l’avoir discerné à notre ambassade près le Saint-Siège. Bernard dit excellemment comment évolua et apparut JC à mesure des circonstances et de l’entrée en influence de Edouard BALLADUR. L’audience puis la messe privée de Jean Paul II : récit saisissant, l’ennui affiché, la désinvolture du futur président français, pourtant préféré à Rome à V.G.E., l’avortement légalisé, refsué d’audience quant à lui. Il l’attendait, il en était sûr à l’été de 1995, l’ambassade dans l’Église, parmi les cardinaux qu’il connaissait tous, la Villa Bonaparte. JC ne l’y nomma pas. D’un Chirac l’autre.

Voilà. Président de la République, on peut beaucoup défaire. Succès incontestable : avoir su maintenir pendant quarante ans une même image très favorable d’empathie et de sincérité. Aucun avant lui et depuis lui, n’y est parvenu. Au total, l’homme était mystérieux et secret : ses engouements, les « affaires », ses liaisons qui firent la méchanceté sinon la haine de Bernadette. Mystère de ses structures mentales et spirituelles. Aurai-je pu en approcher en travaillant avec lui, ce que je n’eusse pas refusé, quand plus rien d‘autres ne me fut à portée, moins qu proposé : peut-être … Ceci est mon témoignage, sans doute pas généralisable, sur la personne. En revanche, certain et argumenté sur la malfaisance politique, sur nos structures nationales. Exception, son discours sur le drame dans une de nos banlieues. Villiers-le-Bel, Novembre 2005.

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