Le général de Gaulle
recourant directement au referendum pour assurer la pérennité de sa
fonction et en somme une succession qui ne soit pas un changement de
régime – les personnes lui donnèrent imprévisiblement raison, à
commencer par l’auteur du Coup
d’Etat permanent –
imposa sa lecture de l’article 11 de la Constitution. Les deux
présidents de la République précédente le contredirent et le
président du Sénat affirmant que l’homme du 18 Juin se rendait
coupable de forfaiture, déclara : « Non,
vous n’avez pas le droit, vous le prenez ».
Il s’agissait, benoîtement, de laisser au Parlement la faculté
d’empêcher, par la lettre de l’article 89 de la même
Constitution, le recours au peuple, procédure bonapartiste et
plébiscitaire dans l’esprit rémanent de l’époque. C’est
d’ailleurs ce qui piégea François Mitterrand en Juillet 1984
puisque voulant étendre la compétence référendaire aux libertés
pour traiter ainsi la réforme de l’éducation nationale, il
n’entendit pas confirmer la jurisprudence d’Octobre 1962 et se
soumit donc par avance au bon vouloir du Sénat : la Haute
Assemblée, dominée par le R.P.R. de Jacques Chirac refusa à Robert
Badinter l’approbation prévue par l’article 89, préalable du
referendum de révision. Aujourd’hui que l’Assemblée nationale,
par la coincidence de durée et de date originelle des mandats avec
celui du président de la République, est aux ordres de celui-ci, le
Parlement joue le même rôle, mais putativement et pour protéger le
pouvoir du moment d’avoir à recourir à la consultation
populaire : c’est le sens des révisions du 23 Juillet 2008.
Là est le premier abus de la République par ceux qui en ont
pourtant la charge. Le président sortant a consolidé cet abus, même
s’il propose inopinément des referendums s’il est réélu.
Le second abus aurait été –
selon beaucoup – celui de François Mitterrand, se maintenant à
l’Elysée, sinon au pouvoir, en Mars 1986 et en Mars 1993 alors
qu’il n’avait plus la majorité parlementaire. Il fonda une
jurisprudence reprise par son successeur Jacques Chirac, mais
seulement en apparence. Car en Juin 1997, le défaut de majorité
parlementaire pour l’élu de Mai 1995 était la réponse du peuple
à l’appel qui lui avait été lancé par la dissolution de
l’Assemblée nationale. Les deux premières cohabitations ne se
fondaient pas sur un désaveu du président de la République, à
preuve il fut réélu en Mai 1988, mais de ses gouvernements. La
fonction arbitrale du chef de l’Etat sortait même renforcée par
cette décision de François Mitterrand, et la procédure d’appel
était à portée de deux ans seulement, la reconduction ou pas à
l’Elysée. Le président de la République en ne laissant au
gouvernement d’opposition à la gauche que le strict exercice des
prérogatives que lui permettait sa majorité à l’Assemblée
nationale, le privait de beaucoup des moyens prévus par la
Constitution, notamment de la procédure des ordonnances, voire de la
convocation de sessions extraordinaires : François Mitterrand
comme le général de Gaulle se déclara juge souverain de leur
opportunité, la privatisation de Renault et peut-être de la Poste
(déjà) et de la S.N.C.F. furent ainsi évitées. Elles étaient au
programme de la droite en 1986. La République protégeait les acquis
de 1981, comme d’ailleurs elle continue de protéger ceux de 1997,
notamment la loi sur les 35 heures, puisque leur abolition a été
constamment reportée par la droite et que pour y parvenir, c’est
tout le droit du travail que l’on attaque.
Le troisième abus n’avait
pas été imaginé avant Mai 2007. Sans doute, le général de Gaulle
avait-il été vivement critiqué quand – systématiquement – il
concluait les campagnes pour le renouvellement de l’Assemblée
nationale, après leur clôture et non pendant leur durée officielle
réservée à l’expression des partis. Mais le même n’avait pas
usé, dans la campagne pour le premier tour de l’élection
présidentielle de Décembre 1965, de tout son temps de parole !
Ses discours étaient rares à toutes époques mais il mettait son
mandat en jeu à chaque consultation nationale quelle qu’en fut la
nature. Au contraire, le quinquennat de Nicolas Sarkozy produit à
ses débuts un discours fondateur par semaine et vers sa fin des vœux
à presque chaque profession, état de vie, employés de l’Etat,
toujours ex cathedra et estampillés officiellement. La participation
de chefs d’Etat ou de gouvernement étrangers – Barack Obama puis
Angela Merkel – est même requise pour la mise en valeur d’une
action d’exception. Le prix moyen d’un de ces déplacements en
province a été établi, le soupçon de rassemblements populaires
truqués est explicite, la mobilisation des forces de l’ordre
boucle parfois jusqu’à la quasi-totalité de villes chefs-lieux de
région : c’est rarement le plein air et en France comme à
l’étranger, où il polémique avec l’opposition de gauche,
autant que s’il se trouvait sur le territoire national, Nicolas
Sarkozy ne prend jamais le temps de séjourner, de prendre vraiment
l’écoute de la population ou de ses homologues, la communication
prend tout le temps ou presque de chaque exercice. Communication en
propre, personnelle en ce sens qu’elle doit mettre en valeur les
implications présidentielles mais pas au sens où il rédigerait
lui-même ses interventions. Décalage évident entre deux genres
– l’un ressortissant à une plume de service, généralement
celle d’Henri Guaino produisant ce qu’il y aura rétrospectivement
autant qu’immédiatement de plus polémique : Dakar et
Grenoble, 26 Juillet 2007 et 30 Juillet 2010…mais parfois ad hoc,
celle d’Emmanuelle Mignon au Latran, 12 Décembre 2007 – l’autre
en langage parlé, censé faire partager davantage l’indignation ou
l’appel au bon sens. C’est dans le second registre que Nicolas
Sarkozy a très vite accoûtumé d’argumenter son appréciation des
éphémérides judiciaires ou de passer commande d’une proposition
de loi. Cet abus est personnel, il caractérise la posture
constamment en campagne électoral d’un président encore plus
constamment désavoué par les sonsdages. La réponse est toujours de
la communication, de la justification, les débats ne sont que des
convocations à des « sommets », notamment sociaux, qui
se tiennent à l’Elysée. Le style – s’il en est – n’est
pas ici en cause, mais l’abondance, le flux continu, sa
substitution à l’exercice d’une présidence pas seulement en
scène. Car pour autant cette communication ne donne pas le
fonctionnement interne d’un pouvoir et la pratique de sa
centralisation ; elle ne synthétise pas le bouleversement des
structures étatiques aussi bien par modification des organigrammes,
amenuisement de la couverture institutionnelle du territoire, que par
suppression des emplois. Elle maintient en vue la personnalité au
pouvoir, mais ne permet guère d’évaluer son action et de la
mettre en perspective. Elle n’est pas républicaine en ce sens
qu’elle n’est pas participative.
Le quatrième abus est
maintenant vécu depuis que l’opposition a désigné – pour la
gauche – son principal champion. La campagne présidentielle a
alors commencé sans que le président de la République reçoive le
statut de candidat. L’égalité est donc à sa discrétion.
L’argument n’est pas nouveau, il avait été ostensiblement celui
de Jacques Chirac, Premier ministre de François Mitterrand. Aux
autres, la politique évidemment politicienne – Nicolas Sarkozy
modernise : l’idéologie – à lui, la veille sur les
intérêts suprêmes de la France. Et le président sortant
d’expliquer par le devoir d’assumer jusqu’au bout l’ensemble
de sa charge la difficulté de déclarer sa candidature, faute de
temps… pour ne faire que campagne. Cette tournure inspire les
ajustements constants du discours et force à oublier le passé, même
le plus récent. Le sortant est en possession d’état et parle et
se conduit comme si la compétition était illégitime puisque chacun
des compétiteurs est dans l’erreur, l’incompétence, s’enfonce
en fait dans le lèse-majesté. Mentalement, la dictature est
établie, au moins dans l’esprit de celui qui fut initialement élu.
La révérence de son parti est telles qu’il est interdit à
celui-ci de se choisir un autre candidat et que la procédure
d’élections primaires chez les adversaires est raillée comme
l’aveu que – là-bas – ne se discerne aucun charisme, aucun
chef…
L’argumentation du président
sortant peut être suivie, mais pour aboutir à d’autres solutions
que la façon de double jeu à laquelle obligent la lettre actuelle
de la Constitution et la jurisprudence des candidatures à
réélection.
S’il est si difficile d’être
en même temps le président de la République et un candidat comme
les autres, quoique lourd d’un bilan dont jusqu’à présent rien
dans les institutions ne permet l’évaluation en fin de mandat et
en avant qu’en soit décerné un autre, pourquoi ne pas innover par
pitié du président-candidat ? et pour éclairer les électeurs.
S’il faut tant retarder une candidature pour ne pas mêler les
genres, le grand et le contingent, ou pour pouvoir suffire à deux
tâches si différentes – alors que tout le quinquennat qui
s’achève a au contraire, comme jamais encore vu sous la Cinquième
République – précisément confondu la communication de campagne
avec une présidence réfléchie de nos institutions et du pays, la
solution est fort simple. Elle grandira celui ou celle qui, dans un
avenir à espérer proche : dès la conclusion du prochain
mandat… après que cela ait été inscrit dans notre Constitution
puisque décidément et malheureusement il faut tout préciser,
prescrire de ce qui va de soi ou devrait s’inventer selon les gens
et selon les circonstances…
Le président sortant qui
souhaite sa réélection démissionne à la date qu’il veut, ou
dans le délai – modulable – dans lequel doit avoir lieu le
scrutin présidentiel en cas d’ouverture de l’intérim.
Choisissant d’être à nouveau candidat, le président de la
République démissionne, ouvre l’intérim et il est entendu que le
gouvernement lui aussi remet à l’intérimaire de former un nouveau
gouvernement, en sollicitant le consensus des partis représentés au
Parlement. Ce « gouvernement de service » assure
l’impartialité des processus électoraux – c’est la
constitution de la Grèce qui le prévoit, même si d’aucuns
observeront que l’exemple de gestion sage n’est pas probant, à
quoi je réponds que Georges Papandreou en annonçant au Conseil
européen et autres conseilleurs ou bailleurs de fond qu’il
consulterait son peuple par referendum, administra à l’ensemble de
nos dirigeants une belle leçon de démocratie et leur fit exprimer,
clairement, que ceux-ci ne prisaient pas la démocratie et la mettait
bien en-dessous de leurs raisons propres, elles-mêmes dépendantes
d’autres façons de vivre et de voir que celles des démocrates. Ce
« gouvernement de service » en France permettrait enfin,
non seulement la claire distinction entre la période de campagne
électorale du président-candidat, remis à sa place comme tout
compétiteur et la gestion du pays, mais surtout que soit examinée
rétrospectivement cette gestion, à temps et en termes tels qu’elle
puisse être jugée et soit un élément déterminant de la décision
des électeurs…
La Constitution française ne
prévoyant qu’un très court délai « pour l’élection du
nouveau Président (qui) a lieu, squf cas de force majeure constaté
par le Conseil constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq
jours au plus après l’ouverture de la vacance ou de la déclaration
du caractère définitif de l’empêchement », la révision
constitutionnelle rendant obligatoire cet intérim au cas de la
candidature du président de la République sortant devra prévoir un
délai un peu plus long, par exemple celui prévu par la loi
organique – code électoral article 122 – pour les élections
générales, soit « les soixante jours qui précèdent
l’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale ». En
deux mois, l’audit du mandat dont le redoublement est sollicité du
peuple par le président-candidat serait effectué et produit
publiquement. La composition consensuelle du gouvernement permettrait
un accord des partis et des candidats concurrents pour la succession
présidentielle sur de grands sujets devant nécessairement inspirer
la conduite des pouvoirs publics dans les cinq années à suivre, ce
serait l’esquisse d’un plan quinquennal. Ce dispositif dont se
dota si heureusement la France après la Libération – la
« planification souple à la française » déjà entrevue
par Pierre Mendès France au sein du gouvernement provisoire à Alger
– est un des éléments à retrouver pour ces pratiques qui ne
doivent plus être discrétionnaires : la concertation de tous
les « acteurs » économiques et des partenaires sociaux.
Ainsi de la constatation du
plus grave abus de la République naîtraient deux instruments pour
notre démocratie et l’efficacité de nos gestions : la
manière d’assurer l’égalité des candidats se fonderait sur une
appréciation impartiale du mandat présidentiel qui s’achève, la
suite serait préparée non en termes de rupture ou de fracture, ou
de continuité si l’électeur le souhaite, mais selon un accord
minimum entre tous, quel que soit le résultat du scrutin
présidentiel. L’évidence est que nous avons besoin de cette
clarté et de ce consensus, dès maintenant.
BFF – mercredi 15 . lundi
20 Février 2012
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