samedi 1 décembre 2018
couriellé à l’Elysée et à Matignon, à 23 heures 16 : couper court
Monsieur le Secrétaire général, chère Madame,
je me permets de vous courieller à tous deux ensemble, par exception.
Le génie de la Cinquième République est qu'il y ait un président avec toutes prérogatives pour s'imposer non aux autres acteurs et institutions publiques, mais face aux circonstances. Il ne doit pas gouverner. Il est un recours et un garant. Le génie de notre République est qu'il y ait un Premier ministre, chef d'une majorité parlementaire, responsable devant l'Assemblée nationale et ayant la nécessité de la confiance présidentielle. Ils sont absolument distincts.
Dans la crise multiforme que nous affrontons en clair - mais qui se vivait depuis l'élection présidentielle - cette distinction des deux fonctions et des deux personnes, car Edouard Philippe a de l'autorité certes, de la conviction certes, mais c'est surtout un pacifiant. Il ne doit pas être un exécutant. Premier élément de souplesse, immédiatement disponible, car la crise dont les violences et les scandales nous surprennent, ne sont que la conséquence d'une rigidité totale, sans appel. Alors même que le pays ne se connaît plus depuis plusieurs années et que les élus qu'il s'est choisis pour l'Elysée et pour le Palais-Bourbon, ne l'ont été que par défaut. La vérité n'a pas été leur élection mais la table rase dont ils ont été le produit. Dans les débats sur petit écran, ce soir, quelqu'un a eu le mot juste : fulgurance. Celle de la montée en puissance puis de l'élection du Président. Celle des gilets jaunes et de ce que nous vivons scandaleusement mais significativement, car la rigidité ne produit que de la casse.
Rigidité et autoritarisme : les dernières lois sociales sous François Hollande, la procédure des ordonnances (défiance s'il en est vis-à-vis de tout débat, même au sein d'une majorité nouvelle et archi-dévouée au Président encore ce soir), puis la "réforme" de la S.N.C.F. et ce qui nous est promis à venir, voté au forceps. Des acquis, de la propriété nationale dans la psychologie de tous les Français sont démantelés sans que soit indiqués la perspective, le bien commun qui en seront le produit. De continuité qu'une méthode autoritaire avec des velléités, selon la rumeur et parfois de mots du Président : "encadrer" le droit d'amendement des parlementaires. Cette rigidité est encore le fait de ce soir : le "pouvoir" ne peut reculer, pas de concession, de la pédagogie (la supériorité de quel droit et selon quelle science ? de quelques-uns sur le grand nombre qui subit..). Or, il faut dénouer. Ces événements de maintenant doivent opérer une prise de conscience, nous n'étions plus en démocratie alors que notre République - celle voulue, fondée et pratiquée par le général de Gaulle - en est le cadre rêvé : solidité des autorités, mais participation de tous, sanction populaire de l'exercice de l'autorité présidentielle.
Voici le chemin que je suggère - tout en regrettant que l'habitude se soit prise que le Président, de l'étranger sans égard pour ses hôtes ni pour le sujet de son déplacement (ils étaient et sont gravissimes ces trois derniers jours) apprécie et commente une situation intérieure française. Et cela sans la vivre et par principe.
1° interdiction de toute manifestation sur la voie publique urbaine, pendant le temps qu'il faudra pour repérer, coffrer et punir les "casseurs", et en regard réponses significatives et aussi immédiates à certaines des revendications des "gilets jaunes", concernant le pouvoir d'achat, le minimum vital.
2° démission du gouvernement actuel et constitution d'une nouvelle équipe, d'union nationale que formera l'actuel Premier ministre, dont les qualités, etc... et dont le parcours couvre aussi bien la majorité actuelle que la partie responsable de la droite d'opposition actuelle. Ce gouvernement d'union nationale auquel il sera proposé de participer à toutes les formations politiques actuelles, "extrêmes" comprises... ainsi qu'aux gilets jaunes, y compris à des personnalités incontestables des lettres et des sciences françaises, administrera le pays mais aussi traitera consensuellement les sujets brûlants pour les ajourner ou les reprendre à zéro s'ils étaient au programme et pour étudier ce qui est réclamé et passera avant : l'imposition de la fortune, la taxation des dividendes, les pensions de réversion, les retraites. Il débattra les objectifs et moyens de la transition énergétique : la confusion entre le tout pétrolier (fonctionnement des véhicules particuliers et des transports routiers) auquel nous avons échappé à partir de 1973 et du choix du tout nucléaire, doit cesser, l'enjeu étant comment produire l'énergie dont nous avons besoin, multiples pistes en pensée depuis vingt ans, à peine débattues et n'ayant donné lieu à aucune politique de production industrielle et d'innovation technologique correspondante.
3° le pays dans son ensemble, sans que soit encore mis en cause le Président comme il l'est déjà par les "gilets jaunes" et une partie de l'opinion publique, sera consulté par la dissolution de l'Assemblée nationale. Tout sera fait par le nouveau gouvernement multi-partis et d'union nationale pour que la participation à l'élection des députés soit un record - positif. Il y a dix-huit mois, le record était honteux : 52% d'abstention au premier tour, et 54 au second.
Cette remise en route doit être un retour à la démocratie. Il sera alors temps de redonner à notre Constitution les traits dont on aurait jamais du la priver, sous le prétexte mensonger que le quinquennat ne changeait rien. On l'a vu ! Elle doit aussi permettre au Président, au gouvernement et au Parlement - ensemble - de proposer aux opinions de tous les Etats-membres, à leurs institutions ainsi qu'à celles de l'Union européenne les novations urgentes pour que notre Vieux monde se donne visage et voix, et ainsi devenir le môle autour duquel bâtir un nouvel "ordre" international qu'ont achevé de détruire ces derniers mois deux énormes et cyniques dictatures (Chine et Russie) et un géant du simplisme révélant ? ou défigurant les Etats-Unis . Cohésion sociale : je milite pour... depuis vingt ans : service national garçons et filles, un an militaire et un an dédié au développement, instauration exemplaire proposée à tous nos partenaires.
Tout cela, je vous le propose comme de simple bon sens en homme attaché à personne mais qui a soixante-quinze ans de respiration française de Stalingrad à aujourd'hui et dont l'adolescence et la sortie de l'E.N.A. furent dans la lumière et la sérénité du général de Gaulle.
Quant aux événements et aux scandales d'aujourd'hui dont les images ont été données à nous et au monde entier, propos de bon sens. 65.000 personnes pour l'ordre ? mais 4.500 seulement à Paris ? une vue générale et dynamique de la capitale absente, les vides consentis par nos forces de l'ordre exploités par des déploiements autres et ailleurs (de simples méditations sur les croquis de batailles de Napoléon ou sur les combats des Versaillais avec la Commune inspireraient d'autres préparations et mises en oeuvre). Evidentes lacunes non seulement en stratégie, mais plus encore en commandement sur le terrain : les hommes trop groupés, puis trop détachés, des isolés ce qui est une faute majeure, les hommes ayant manifestement peur... Les photographes au milieu des mêlées et des combats : interdiction absolue pour la suite, de films et d'images. Ceux-là opérés par les professionnels de la police et aux seules fins du gouvernement et des identifications, et des analyses nécessaires. Mai 68 à Paris : un préfet de police d'exception, le maintien de tout en un périmètres précis exclusif de tous autres théâtres. Propos de non spécialiste mais à la portée de tout téléspectateur : la critique de nos dispositifs, de la stratégie et des commandements aura été faite par beaucoup. Et à la charge du gouvernement.
Expression politique générale : le chemin que je vous suggère, dessiné par le Président, mais pas aussitôt revenu... vingt-quatre heures au moins de latence, d'attente publique (et de consultations), et dix minutes au plus de parole publique pour l'annonce sans commentaire ni justification.
Ce matin, le Premier ministre a manqué la belle occasion de se recueillir et de parler au sein des militants et cadres de la République en marche. En toute souplesse pouvait enfin être donnée à entrevoir une possibilité d'évolution sereine et non rigide, cassante de l'exercice du pouvoir dans les semaines et mois à venir. Car le mouvement n'est pas sectoriel, il n'est pas même revendicatif, il est constat que tout se décide sans les Français et sans qu'ils soient considérés... et c'est cela qui ne doit pas continuer.
Je vous donne une parole confiante et libre. Inquiète si le Président et le Premier ministre s'en tiennent à de la pédagogie et à des invitations que quelques-uns viennent les voir... mais certaine de la qualité de notre pays et de sa capacité à susciter, d'âme et de corps celles-ceux qu'il lui faut.
Pensées déférentes. La confiance peut se rétablir, et nous faire tous revenir de la seule légalité à la légitimité : aucun pouvoir n'a de prise sur les événements et les consciences si sa légitimité n'est pas reconnue. Cela ne se décrète ni ne s'écrit.
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