Reniac, le lundi 11 Juin
2018
votre lettre du 9 Mai –
répondant à la mienne du 9 Avril – m’honore et je vous en
remercie sincèrement.
Vous
me permettez alors de continuer notre échange et je suis à votre
disposition pour aussi le mener tête-à-tête : hors
organigramme, périodiquement, quelques minutes chaque fois :
vous-même au pouvoir, et moi l’ayant beaucoup observé et
commenté, en étant parfois proche. Les trente-quatre ans séparant
nos naissances biologiques et l’écart de nos situations présentes,
peuvent apporter – je le crois – à votre action et à ses
perspectives des éléments différents de ceux organisés déjà :
l’imagination est encore plus libre, quand la sert une longue
mémoire du jour le jour, j’ai vécu depuis mes vingt ans ce que je
savais devenir mémoire. Comme vous le souhaiterez.
Par prochaine lettre, je
vous entretiendrai de l’Afrique sub-saharienne et de notre
contribution particulière au devenir des Etats sahéliens, lequel
commande la part méridionale de notre sécurité européenne :
mon premier abord de cette région très attachante date de Février
1965, si peu après les indépendances, et continue de fonder mes
séjours et observations sur la confiance et l’amitié que
m’accorda alors un des fondateurs exemplaires de ce qui
politiquement et économique est possible, là-bas qui n’est pas
loin de nous, le président Moktar Ould Daddah, de la République
Islamique de Mauritanie. Je vous parlerai aussi de l’actuel « homme
fort » que nous avons cautionné contre espèces sonnantes et
trébuchantes en 2008 et que nous ne devons pas souhaiter se
maintenir prochainement au pouvoir.
Le service national,
obligatoire et universel dont le dispositif donne lieu à rapport
devant vous, mais aussi à rumeurs et à critiques de nos cadets,
n’est pas du tout ce que je vous ai déjà proposé : longue
durée (deux ans), une année militaire, une année coopération en
milieux ou pays défavorisés avec démonstration de notre
détermination nationale, mise en place d’une défense
opérationnelle du territoire (supposé envahi ou sous une menace
nucléaire) et contagion à espérer dans chacun des Etats-membres de
l’Union. Brassage social entre nous et entre peuples européens. Ce
qui vous est proposé ne sera pas moins coûteux et n’imprègnera
pas : son sens ne sera pas évident.
Participation à la
politique nationale, inexistence de l’Europe sauf novation et
initiative majeures, c’est-à-dire les projets en cours et ce que
vous venez de vivre au Canada. C’est ce que je veux vous dire
maintenant.
1°
un renforcement de la participation citoyenne à la vie publique,
selon les termes de votre lettre et selon ma conviction – depuis la
pratique de nos institutions par le général de Gaulle.
Aucune des propositions
actuellement en gestation devant le Parlement ne me paraît répondre
à votre souhait.
Diminuer le nombre des
députés est – à l’instar de la diminution autoritaire du
nombre des régions, sous le mandat précédent – éloigner
l’électeur de son élu. Paradoxalement, vous maintenez un
gouvernement pléthorique, dont les membres ne peuvent avoir un réel
prestige, alors qu’une véritable collégialité en conseil des
ministres et en dynamique de groupe sans discipline ni révérence,
se ferait avec un équipe de dix ministres au maximum, plus le
Premier, et naturellement vous-même, pas davantage. De grands
directeurs, éventuellement des parlementaires en mission, au lieu de
tant de ministres pour l’affichage et de secrétaires d’Etat. La
proximité des élus demande leur nombre, l’intimité
gouvernementale impose le contraire.
La novation démocratique
serait le vote de conscience, le quorum de participation physique et
effective à tout vote pour que soit valable le scrutin. Ce quorum
doit être exigé dans tout scrutin et élection pour des instances
publiques, à quelque niveau national et local que ce soit. Assorti
de la légalisation du vote blanc, tant réclamée depuis le
referendum d’Octobre 1962, cette disposition permettrait d’ailleurs
de rendre obligatoire le vote national. Vous savez que vous avez été
le moins bien voté au premier tour de votre élection, en
comparaison de tous vos prédécesseurs, et que le renouvellement,
l’an dernier, de notre Assemblée nationale, a été boudé par 54
et 57% des votants (premier tour, puis second). L’enjeu, vous ne
vous y êtes pas trompé, est bien la participation, thème conclusif
de Mai 1968.
La non-réélection à
quelque mandat que ce soit ou la limitation du nombre d’exercices
d’un même mandat, y compris celui que vous avez reçu, doit être
laissée à l’appréciation des élections, sauf fraudes ou recel
d’influence mais sans disposition de texte. Quotas et autres font
moins de promotion que de contrainte. Liberté du vote, surtout quand
il est nominal.
Enfin, nos institutions et
nos habitudes depuis soixante ans, sont telles au Parlement, et les
prérogatives du gouvernement selon la Constitution et selon les
règlements de chaque assemblée sont telles – également – que
nous pouvons adopter la représentation proportionnelle pour
l’ensemble de l’Assemblée nationale : dosage et homéopathie
seraient malhonnêtes, et ne susciteraient pas cette participation et
ce surcroît de légitimité de notre représentation nationale. Ils
introduiraient – malaisément justifiables – des catégories
entre nos députés. La question que pose la représentation
proportionnelle est autre : comment maintenir un lien personnel
entre l’élu et l’électeur ? et comment éviter que les
partis commandent, en tant que tels, la composition de listes, s’il
est démontré que scrutin de liste et proportionnelle sont forcément
liés (je crois qu’une alternative peut s’imaginer) et que ce
soit, comme pour les listes européennes, un outil pour placer tel ou
tel que le suffrage direct ne favorise pas.
Il faut des juridictions
politiques – ou pour dire plus précisément, un tribunal
d’honneur, sans échelle de peine – afin de juger les ministres
et le président de la République : tant de personnalités de
premier plan, ces temps-ci doivent être jugées et surtout
qualifiées pour ce qu’elles ont commis, au mépris de toute parole
publique, de toute conscience de leur mission et du bien commun.
L’existant est moins bien, je crois, que l’ancienne Haute Cour :
ce peut être perfectionné. Dans le même mouvement, ce serait
rétrograde que d’envisager des cours pénales sans jury et dont la
compétence se déterminerait par la peine encourue.
Je ne suis pas informé des
modifications envisagées en procédure parlementaire, mais il est
impossible pour un régime démocratique de limiter le droit de
chaque député et de chaque sénateur à proposer des amendements.
D’une
manière plus générale et beaucoup plus grave, il me semble que la
table rase – démontrée par votre élection, par l’évolution de
nos partis politiques et par le peu de prise du mouvement social sur
les décisions gouvernementales, quand il est organisé par nos
syndicats – appelle de votre part une posture nouvelle. Nullement
profiter de cela pour assécher le dialogue social et imposer une
majorité « centrale », mais redonner un cadre aux
négociations, et surtout aux mises en commun des acteurs économiques
et sociaux : c’est la planification dite « souple et à
la française ». Les groupes de travail, les diverses
institutions du Plan, assortis d’une obsession et d’une
ré-institutionnalisation de l’Aménagement du territoire (cf. les
réformes ou privatisation de la S.N.C.F.
et de nos aéroports, voire la privatisation d’Air
France)
sont des organes de prévision et de rencontre. Eux aussi, sont de
participation et de réelle, consciente utilité publique. Ne vous
appuyez vous-même sur aucun parti, surtout si c’est vous qui en
nommez les animateurs. Ne soyez que le Président de tous, le faiseur
de dialogue, d’imagination et de proposition. L’arbitre, le
garant, celui qui voit loin et nous amène tous à cette vue et de
nous-mêmes et des choses. Pas un pédagogue : ce qui minore ou
déconsidère le catéchumène. Pas un maître de management et de
gestion, traitant au QCM les ministres ou l’inventaire de tout
l’existant français pour le débaptiser, le déstructurer. Soyez
l’homme-repère et plus encore, selon l’article 5 de notre
Constitution, l’arbitre. Les très belles dernières pages du livre
posthume de Georges Pompidou, saint Louis sous un chêne à
Vincennes, le
nœud gordien,
et son intuition étonnante pour un écrit de 1969. Le totalitarisme
à venir est exactement nos extrêmes actuels, chez nous et en
Europe, et pas l’emprise communiste qu’on redouta et contre
laquelle se fit le « réarmement moral » dans les années
1950. Vous êtes le responsable de notre esprit national et de notre
patrimoine : celui-ci est spirituellement en péril, pas
seulement notre langue et pas du fait des nouveaux venus, et plus
encore matériellement de Thomson (imagerie médicale) en 1986 aux
Chantiers de l’Atlantique l’été dernier, la liste est
atterrante et des pertes de savoir-faire, des positions mondiales
seront très difficiles à réacquérir.
La participation des
Français à l’élan de renouveau que vous incarnez est plus
affaire de pratique de nos institutions que de leur réforme
textuelle. Oui, ce peut être sans précédent, ce nous est
nécessaire par défaut des partis et des syndicats. Et ce partage
nouveau de conscience politique peut réorganiser le dialogue social
et l’anticipation économique. Il y a re-redonner à nos
institutions et à votre propre pratique du premier rang que vous
donne le mode de votre élection autant que la lettre
constitutionnelle, le nerf et l’âme qu’elles n’ont pas
aujourd’hui : passivité et monocratie ne peuvent nous faire
nous reprendre. L’institution du quinquennat, acceptée seulement
par une très petite minorité des Français votant, c’est-à-dire
la coïncidence de durée entre les mandats du président de la
République et de l’Assemblée nationale, rendit désastreuse la
dépendance du second par rapport au premier, puisque la chronologie
de l’époque, à la première mise en œuvre de la « réforme »
fut inversée : ces deux décisions hâtives de 2000 et de 2002
ont fait notre rigidité actuelle, donc l’éloignement populaire
vis-à-vis des pouvoirs constitués.
Le
referendum, la dissolution, la consultation nationale sont en
désuétude. Le retour à nos fonctionnements originels ne serait pas
rétrograde, mais une résurrection, celle d’une effective
responsabilité populaire du chef de l’Etat, ce qui est tout
différent d’accaparement de l’image et de la décision publique.
Ce serait aussi légitimer
à nouveau notre Etat, marquer la supériorité démocratique et
éthique du politique
sur l’économique, donner au civisme son champ et au social ses
outils : ce qui eut tant cours et nous reconstitua, le sens de
l’État, le service public. Une liberté mentale ainsi retrouvée
évitera aussi de tomber dans le piège d’écrire dans la
Constitution quelque particularité régionale. Au contraire,
inscrivez le droit des Français à la différence, le droit de tous
les Français définissant eux-mêmes leurs collectivités en
consistance et en compétences, la vie et les responsabilités
décentralisées « à la carte », sans modèle unique.
Ci-joints,
deux articles publiés par Le
Monde
sur le moment :celui de la première proposition d’abréger la
durée du mandat présidentiel (1973) et celui de la fusillade
d’Aléria, date originelle des pétitions corses (1975). Le
quinquennat contre la Constitution… les Français ont droit à la
différence.
Une
Cinquième République vraiment aboutie rendrait cours au civisme et
l’esprit de toute carrière, privée ou publique, locale ou
nationale retrouverait une imprégnation unique. Nous ne serions plus
ni en vente ni sur la défensive.
En
faire le sens des quatre années à venir peut se dire aussi selon
une ambition qui pas plus que la première ne peut rester une
gestion. Cette ambition, vous l’avez, j’en suis sûr, mais
comment la faire aboutir – elle aussi ? C’est surtout une
vision du monde, une compréhension de notre époque qu’il vous
appartient de nous dire à titre personnel. Cela fera comprendre les
« réformes » jusqu’à présent sans lien explicite les
unes avec les autres, sans « toile de fond ». Vous devez
être pour nous une réponse, une vision du monde latente en nous
mais que vous exprimez pour nous.
Sens,
je crois de « l’appel » du 18-Juin, qu’en pièce
jointe, je vous prie de trouver aussi.
2° donc l’Europe,
mais en tant que telle elle s’est perdue dans l’esprit public et
comme actrice majeure, plus de soixante-dix ans après la
déclaration de Robert Schuman.
Les
épreuves de ces semaines-ci en relations des peuples avec l’ensemble
qu’ils voulaient former fièrement et solidairement, et en
relations avec les Etats-Unis si longtemps inventeurs et
constructifs, peuvent en faire prendre conscience et faire renaître
une envie collective jusqu’à ces jours-ci disparue :
psychologiquement, militairement et dans l’actuel développement
commercial. Psychologiquement, les peuples, y compris le nôtre, se
sont détachés d’une espérance et d’une évidence, Etat par
Etat, sans compter que les particularismes qui pouvaient avoir leur
exutoire par l’Union européenne quand fait défaut un accueil
national, vont proliférer. Militairement, l’Alliance atlantique
n’a pas su se rénover comme proposition d’outil commun aux
Nations Unies et sa protection pour notre Vieux Monde – une
solidarité nucléaire – est devenue bien plus aléatoire qu’au
temps du général de Gaulle, depuis l’élection de Donald Trump.
Il nous faut aller vers une dissuasion proprement européenne,
vis-à-vis notamment de la Russie tant que le nationalisme tente d’y
faire oublier le démocratique et le libertaire. Dissuasion par le
nucléaire, donc une entente enfin organisée, travaillée entre nous
et la Grande-Bretagne, conversation suspendue depuis l’automne de
1962 (de Gaulle/MacMillan à Rambouillet). Industrie européenne de
l’armement, c’est pendant depuis Mendès France en 1954 et c’est
peu développé quoiqu’avec l’Allemagne : il nous faut des
porte-avions, le nôtre a été raté, et l’exportation des Rafale
doit se faire en Europe et pour elle, non avec les dictatures
d’Egypte et de péninsule arabique. Dissuasion par l’esprit de
défense, donc le service national garçons et filles, obligatoire
dans chacun des Etats-membres, et avec dépaysement mutuel de nos
jeunesses nationalement et sociologiquement : je viens de vous
l’écrire plus haut. Développement commercial… nous venons de
vivre un revirement, en sus d’un manque de savoir-vivre envers vous
de votre homologue américain de toute l’évolution des relations
commerciales, depuis le Dillon round de 1961. Cette rupture d’une
constante anglo-saxonne de soixante ans coincide avec la poussée
chinoise en investissements, constitution de stocks stratégiques,
prise de contrôle sous des faux nez. Les stratégies de certains
Etats, fondées sur des frustrations que souvent nous, les Européens,
leur avons fait subir (« shoah » pour Israël, perte de
l’empire soviétique par la Russie, « traités inégaux »
avec la Chine) sont dangereuses si nous ne les réorientons pas vers
une solidarité avec le reste du monde. Votre « plaidoyer »
pour le multilatéralisme doit être affiné, approfondi : il
est d’excellent esprit.
Au
manque d’Europe, le remède n’est pas principalement la
constitution de groupes à conviction européenne et démocratique
dans le prochain Parlement, il est dans une novation de grande portée
psychologique : l’élection
au suffrage direct du président ou de la présidente de l’Union.
Cette « réforme » pourrait précéder et commander la
prochaine élection du Parlement européen lequel serait – par
avance – déclaré constituant. Rédaction d’un nouveau texte,
et, comme celui-ci serait nouveau, il périmera le brexit,
et nos amis britanniques (décisifs pour un rebond de l’euro, pour
la dissuasion nucléaire, pour une présence européenne à deux voix
au Conseil de sécurité) seront naturellement conviés à sa
rédaction : l’appeler Loi
fondamentale
(européenne), ce qui fera plaisir à nos chers allemands, et prévoir
qu’ensuite il sera révisable, non plus selon les gouvernements et
en forme de traité, mais bien selon ses dispositions propres (ce qui
fut l‘avancée du projet Dehaene-Giscard d’Estaing). Nous ne
pouvons nous passer d’aucun des Etats-membres, à commencer par la
Grande-Bretagne. En réécrivant tout à nouveau, il sera naturel que
sans référence elle soit parmi nous.
C’est cela que vous devez
proposer, « par-dessus » les gouvernements, à l’ensemble
des opinions et peuples européens. Combien je le souhaite ! Je
crois que le nouveau mode de désignation du président du Conseil
européen peut se faire par simple accord des membres de ce Conseil,
en sorte que le nerf du débat et de la votation au prochain
Parlement européen soit fort d’une inspiration déjà visible et
personnalisée.
Vous venez de le vivre :
vous ne pouvez – par seul défaut – être, sans institution ni
mandat face à nos compétiteurs ou adversaires américain, russe,
chinois, ce président de l’Union dont nous avons un criant besoin,
nous à près de 400 millions de personnes, bien plus démocrates et
enracinés que beaucoup de peuples dans le monde, nous qui ensemble
sommes vraiment la première puissance économique du monde. Mais
vous le deviendriez – très légitimement – si vous proposiez
cette institution nouvelle qui transfigurera toutes les autres, et
notamment les deux plus visibles et efficientes (Parlement et
Commission), désormais mieux compris par l’ensemble des Européens.
Ce serait pour un autre que vous, peut-être presque anonyme qui
inaugurerait cette procédure cardinale. Les choses commenceraient
par votre succession à cette première personnalité, ou par votre
implication forte à ses côtés de débutante ou de débutant.
Cette élection directe est
au programme du S.P.D. depuis son congrès de Leipzig à l’automne
de 2006. Raison de plus pour que la proposition soit
franco-allemande, et que la Chancelière ne soit jamais – si cela
put sembler ces derniers mois – minorée par votre fait. Cela ne
correspondrait d’ailleurs ni aux nécessités européennes ni à la
vérité de nos forces et personnalités respectives. Fondation,
amitié et confiance mutuelles sont synonymes avec l’Allemagne :
de Gaulle et Adenauer l’ont su d’emblée, ou alors il n’y a
rien, et avec les Allemands, c’est banal, donc dangereux.
Espérant que commence –
avec la liberté de ton que, je l’espère, vous voulez bien me
pardonner – cette relation d’échanges et de communion que j’ai
évoquée au début de cette lettre,
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