samedi 7 juillet 2018

réforme des institutions, Europe - lettre à Monsieur Emmanuel MACRON, Président de la République


Reniac, le lundi 11 Juin 2018






votre lettre du 9 Mai – répondant à la mienne du 9 Avril – m’honore et je vous en remercie sincèrement.

Vous me permettez alors de continuer notre échange et je suis à votre disposition pour aussi le mener tête-à-tête : hors organigramme, périodiquement, quelques minutes chaque fois : vous-même au pouvoir, et moi l’ayant beaucoup observé et commenté, en étant parfois proche. Les trente-quatre ans séparant nos naissances biologiques et l’écart de nos situations présentes, peuvent apporter – je le crois – à votre action et à ses perspectives des éléments différents de ceux organisés déjà : l’imagination est encore plus libre, quand la sert une longue mémoire du jour le jour, j’ai vécu depuis mes vingt ans ce que je savais devenir mémoire. Comme vous le souhaiterez.

Par prochaine lettre, je vous entretiendrai de l’Afrique sub-saharienne et de notre contribution particulière au devenir des Etats sahéliens, lequel commande la part méridionale de notre sécurité européenne : mon premier abord de cette région très attachante date de Février 1965, si peu après les indépendances, et continue de fonder mes séjours et observations sur la confiance et l’amitié que m’accorda alors un des fondateurs exemplaires de ce qui politiquement et économique est possible, là-bas qui n’est pas loin de nous, le président Moktar Ould Daddah, de la République Islamique de Mauritanie. Je vous parlerai aussi de l’actuel « homme fort » que nous avons cautionné contre espèces sonnantes et trébuchantes en 2008 et que nous ne devons pas souhaiter se maintenir prochainement au pouvoir.

Le service national, obligatoire et universel dont le dispositif donne lieu à rapport devant vous, mais aussi à rumeurs et à critiques de nos cadets, n’est pas du tout ce que je vous ai déjà proposé : longue durée (deux ans), une année militaire, une année coopération en milieux ou pays défavorisés avec démonstration de notre détermination nationale, mise en place d’une défense opérationnelle du territoire (supposé envahi ou sous une menace nucléaire) et contagion à espérer dans chacun des Etats-membres de l’Union. Brassage social entre nous et entre peuples européens. Ce qui vous est proposé ne sera pas moins coûteux et n’imprègnera pas : son sens ne sera pas évident.

Participation à la politique nationale, inexistence de l’Europe sauf novation et initiative majeures, c’est-à-dire les projets en cours et ce que vous venez de vivre au Canada. C’est ce que je veux vous dire maintenant.

1° un renforcement de la participation citoyenne à la vie publique, selon les termes de votre lettre et selon ma conviction – depuis la pratique de nos institutions par le général de Gaulle.

Aucune des propositions actuellement en gestation devant le Parlement ne me paraît répondre à votre souhait.

Diminuer le nombre des députés est – à l’instar de la diminution autoritaire du nombre des régions, sous le mandat précédent – éloigner l’électeur de son élu. Paradoxalement, vous maintenez un gouvernement pléthorique, dont les membres ne peuvent avoir un réel prestige, alors qu’une véritable collégialité en conseil des ministres et en dynamique de groupe sans discipline ni révérence, se ferait avec un équipe de dix ministres au maximum, plus le Premier, et naturellement vous-même, pas davantage. De grands directeurs, éventuellement des parlementaires en mission, au lieu de tant de ministres pour l’affichage et de secrétaires d’Etat. La proximité des élus demande leur nombre, l’intimité gouvernementale impose le contraire.
La novation démocratique serait le vote de conscience, le quorum de participation physique et effective à tout vote pour que soit valable le scrutin. Ce quorum doit être exigé dans tout scrutin et élection pour des instances publiques, à quelque niveau national et local que ce soit. Assorti de la légalisation du vote blanc, tant réclamée depuis le referendum d’Octobre 1962, cette disposition permettrait d’ailleurs de rendre obligatoire le vote national. Vous savez que vous avez été le moins bien voté au premier tour de votre élection, en comparaison de tous vos prédécesseurs, et que le renouvellement, l’an dernier, de notre Assemblée nationale, a été boudé par 54 et 57% des votants (premier tour, puis second). L’enjeu, vous ne vous y êtes pas trompé, est bien la participation, thème conclusif de Mai 1968.

La non-réélection à quelque mandat que ce soit ou la limitation du nombre d’exercices d’un même mandat, y compris celui que vous avez reçu, doit être laissée à l’appréciation des élections, sauf fraudes ou recel d’influence mais sans disposition de texte. Quotas et autres font moins de promotion que de contrainte. Liberté du vote, surtout quand il est nominal.

Enfin, nos institutions et nos habitudes depuis soixante ans, sont telles au Parlement, et les prérogatives du gouvernement selon la Constitution et selon les règlements de chaque assemblée sont telles – également – que nous pouvons adopter la représentation proportionnelle pour l’ensemble de l’Assemblée nationale : dosage et homéopathie seraient malhonnêtes, et ne susciteraient pas cette participation et ce surcroît de légitimité de notre représentation nationale. Ils introduiraient – malaisément justifiables – des catégories entre nos députés. La question que pose la représentation proportionnelle est autre : comment maintenir un lien personnel entre l’élu et l’électeur ? et comment éviter que les partis commandent, en tant que tels, la composition de listes, s’il est démontré que scrutin de liste et proportionnelle sont forcément liés (je crois qu’une alternative peut s’imaginer) et que ce soit, comme pour les listes européennes, un outil pour placer tel ou tel que le suffrage direct ne favorise pas.

Il faut des juridictions politiques – ou pour dire plus précisément, un tribunal d’honneur, sans échelle de peine – afin de juger les ministres et le président de la République  : tant de personnalités de premier plan, ces temps-ci doivent être jugées et surtout qualifiées pour ce qu’elles ont commis, au mépris de toute parole publique, de toute conscience de leur mission et du bien commun. L’existant est moins bien, je crois, que l’ancienne Haute Cour : ce peut être perfectionné. Dans le même mouvement, ce serait rétrograde que d’envisager des cours pénales sans jury et dont la compétence se déterminerait par la peine encourue.

Je ne suis pas informé des modifications envisagées en procédure parlementaire, mais il est impossible pour un régime démocratique de limiter le droit de chaque député et de chaque sénateur à proposer des amendements.

D’une manière plus générale et beaucoup plus grave, il me semble que la table rase – démontrée par votre élection, par l’évolution de nos partis politiques et par le peu de prise du mouvement social sur les décisions gouvernementales, quand il est organisé par nos syndicats – appelle de votre part une posture nouvelle. Nullement profiter de cela pour assécher le dialogue social et imposer une majorité « centrale », mais redonner un cadre aux négociations, et surtout aux mises en commun des acteurs économiques et sociaux : c’est la planification dite « souple et à la française ». Les groupes de travail, les diverses institutions du Plan, assortis d’une obsession et d’une ré-institutionnalisation de l’Aménagement du territoire (cf. les réformes ou privatisation de la S.N.C.F. et de nos aéroports, voire la privatisation d’Air France) sont des organes de prévision et de rencontre. Eux aussi, sont de participation et de réelle, consciente utilité publique. Ne vous appuyez vous-même sur aucun parti, surtout si c’est vous qui en nommez les animateurs. Ne soyez que le Président de tous, le faiseur de dialogue, d’imagination et de proposition. L’arbitre, le garant, celui qui voit loin et nous amène tous à cette vue et de nous-mêmes et des choses. Pas un pédagogue : ce qui minore ou déconsidère le catéchumène. Pas un maître de management et de gestion, traitant au QCM les ministres ou l’inventaire de tout l’existant français pour le débaptiser, le déstructurer. Soyez l’homme-repère et plus encore, selon l’article 5 de notre Constitution, l’arbitre. Les très belles dernières pages du livre posthume de Georges Pompidou, saint Louis sous un chêne à Vincennes, le nœud gordien, et son intuition étonnante pour un écrit de 1969. Le totalitarisme à venir est exactement nos extrêmes actuels, chez nous et en Europe, et pas l’emprise communiste qu’on redouta et contre laquelle se fit le « réarmement moral » dans les années 1950. Vous êtes le responsable de notre esprit national et de notre patrimoine : celui-ci est spirituellement en péril, pas seulement notre langue et pas du fait des nouveaux venus, et plus encore matériellement de Thomson (imagerie médicale) en 1986 aux Chantiers de l’Atlantique l’été dernier, la liste est atterrante et des pertes de savoir-faire, des positions mondiales seront très difficiles à réacquérir.

La participation des Français à l’élan de renouveau que vous incarnez est plus affaire de pratique de nos institutions que de leur réforme textuelle. Oui, ce peut être sans précédent, ce nous est nécessaire par défaut des partis et des syndicats. Et ce partage nouveau de conscience politique peut réorganiser le dialogue social et l’anticipation économique. Il y a re-redonner à nos institutions et à votre propre pratique du premier rang que vous donne le mode de votre élection autant que la lettre constitutionnelle, le nerf et l’âme qu’elles n’ont pas aujourd’hui : passivité et monocratie ne peuvent nous faire nous reprendre. L’institution du quinquennat, acceptée seulement par une très petite minorité des Français votant, c’est-à-dire la coïncidence de durée entre les mandats du président de la République et de l’Assemblée nationale, rendit désastreuse la dépendance du second par rapport au premier, puisque la chronologie de l’époque, à la première mise en œuvre de la « réforme » fut inversée : ces deux décisions hâtives de 2000 et de 2002 ont fait notre rigidité actuelle, donc l’éloignement populaire vis-à-vis des pouvoirs constitués.

Le referendum, la dissolution, la consultation nationale sont en désuétude. Le retour à nos fonctionnements originels ne serait pas rétrograde, mais une résurrection, celle d’une effective responsabilité populaire du chef de l’Etat, ce qui est tout différent d’accaparement de l’image et de la décision publique. Ce serait aussi légitimer à nouveau notre Etat, marquer la supériorité démocratique et éthique du politique sur l’économique, donner au civisme son champ et au social ses outils : ce qui eut tant cours et nous reconstitua, le sens de l’État, le service public. Une liberté mentale ainsi retrouvée évitera aussi de tomber dans le piège d’écrire dans la Constitution quelque particularité régionale. Au contraire, inscrivez le droit des Français à la différence, le droit de tous les Français définissant eux-mêmes leurs collectivités en consistance et en compétences, la vie et les responsabilités décentralisées « à la carte », sans modèle unique.

Ci-joints, deux articles publiés par Le Monde sur le moment :celui de la première proposition d’abréger la durée du mandat présidentiel (1973) et celui de la fusillade d’Aléria, date originelle des pétitions corses (1975). Le quinquennat contre la Constitution… les Français ont droit à la différence.
Une Cinquième République vraiment aboutie rendrait cours au civisme et l’esprit de toute carrière, privée ou publique, locale ou nationale retrouverait une imprégnation unique. Nous ne serions plus ni en vente ni sur la défensive.

En faire le sens des quatre années à venir peut se dire aussi selon une ambition qui pas plus que la première ne peut rester une gestion. Cette ambition, vous l’avez, j’en suis sûr, mais comment la faire aboutir – elle aussi ? C’est surtout une vision du monde, une compréhension de notre époque qu’il vous appartient de nous dire à titre personnel. Cela fera comprendre les « réformes » jusqu’à présent sans lien explicite les unes avec les autres, sans « toile de fond ». Vous devez être pour nous une réponse, une vision du monde latente en nous mais que vous exprimez pour nous. Sens, je crois de « l’appel » du 18-Juin, qu’en pièce jointe, je vous prie de trouver aussi.


2° donc l’Europe, mais en tant que telle elle s’est perdue dans l’esprit public et comme actrice majeure, plus de soixante-dix ans après la déclaration de Robert Schuman.

Les épreuves de ces semaines-ci en relations des peuples avec l’ensemble qu’ils voulaient former fièrement et solidairement, et en relations avec les Etats-Unis si longtemps inventeurs et constructifs, peuvent en faire prendre conscience et faire renaître une envie collective jusqu’à ces jours-ci disparue : psychologiquement, militairement et dans l’actuel développement commercial. Psychologiquement, les peuples, y compris le nôtre, se sont détachés d’une espérance et d’une évidence, Etat par Etat, sans compter que les particularismes qui pouvaient avoir leur exutoire par l’Union européenne quand fait défaut un accueil national, vont proliférer. Militairement, l’Alliance atlantique n’a pas su se rénover comme proposition d’outil commun aux Nations Unies et sa protection pour notre Vieux Monde – une solidarité nucléaire – est devenue bien plus aléatoire qu’au temps du général de Gaulle, depuis l’élection de Donald Trump. Il nous faut aller vers une dissuasion proprement européenne, vis-à-vis notamment de la Russie tant que le nationalisme tente d’y faire oublier le démocratique et le libertaire. Dissuasion par le nucléaire, donc une entente enfin organisée, travaillée entre nous et la Grande-Bretagne, conversation suspendue depuis l’automne de 1962 (de Gaulle/MacMillan à Rambouillet). Industrie européenne de l’armement, c’est pendant depuis Mendès France en 1954 et c’est peu développé quoiqu’avec l’Allemagne : il nous faut des porte-avions, le nôtre a été raté, et l’exportation des Rafale doit se faire en Europe et pour elle, non avec les dictatures d’Egypte et de péninsule arabique. Dissuasion par l’esprit de défense, donc le service national garçons et filles, obligatoire dans chacun des Etats-membres, et avec dépaysement mutuel de nos jeunesses nationalement et sociologiquement : je viens de vous l’écrire plus haut. Développement commercial… nous venons de vivre un revirement, en sus d’un manque de savoir-vivre envers vous de votre homologue américain de toute l’évolution des relations commerciales, depuis le Dillon round de 1961. Cette rupture d’une constante anglo-saxonne de soixante ans coincide avec la poussée chinoise en investissements, constitution de stocks stratégiques, prise de contrôle sous des faux nez. Les stratégies de certains Etats, fondées sur des frustrations que souvent nous, les Européens, leur avons fait subir (« shoah » pour Israël, perte de l’empire soviétique par la Russie, « traités inégaux » avec la Chine) sont dangereuses si nous ne les réorientons pas vers une solidarité avec le reste du monde. Votre « plaidoyer » pour le multilatéralisme doit être affiné, approfondi : il est d’excellent esprit.
Au manque d’Europe, le remède n’est pas principalement la constitution de groupes à conviction européenne et démocratique dans le prochain Parlement, il est dans une novation de grande portée psychologique : l’élection au suffrage direct du président ou de la présidente de l’Union. Cette « réforme » pourrait précéder et commander la prochaine élection du Parlement européen lequel serait – par avance – déclaré constituant. Rédaction d’un nouveau texte, et, comme celui-ci serait nouveau, il périmera le brexit, et nos amis britanniques (décisifs pour un rebond de l’euro, pour la dissuasion nucléaire, pour une présence européenne à deux voix au Conseil de sécurité) seront naturellement conviés à sa rédaction : l’appeler Loi fondamentale (européenne), ce qui fera plaisir à nos chers allemands, et prévoir qu’ensuite il sera révisable, non plus selon les gouvernements et en forme de traité, mais bien selon ses dispositions propres (ce qui fut l‘avancée du projet Dehaene-Giscard d’Estaing). Nous ne pouvons nous passer d’aucun des Etats-membres, à commencer par la Grande-Bretagne. En réécrivant tout à nouveau, il sera naturel que sans référence elle soit parmi nous.


C’est cela que vous devez proposer, « par-dessus » les gouvernements, à l’ensemble des opinions et peuples européens. Combien je le souhaite ! Je crois que le nouveau mode de désignation du président du Conseil européen peut se faire par simple accord des membres de ce Conseil, en sorte que le nerf du débat et de la votation au prochain Parlement européen soit fort d’une inspiration déjà visible et personnalisée.

Vous venez de le vivre : vous ne pouvez – par seul défaut – être, sans institution ni mandat face à nos compétiteurs ou adversaires américain, russe, chinois, ce président de l’Union dont nous avons un criant besoin, nous à près de 400 millions de personnes, bien plus démocrates et enracinés que beaucoup de peuples dans le monde, nous qui ensemble sommes vraiment la première puissance économique du monde. Mais vous le deviendriez – très légitimement – si vous proposiez cette institution nouvelle qui transfigurera toutes les autres, et notamment les deux plus visibles et efficientes (Parlement et Commission), désormais mieux compris par l’ensemble des Européens. Ce serait pour un autre que vous, peut-être presque anonyme qui inaugurerait cette procédure cardinale. Les choses commenceraient par votre succession à cette première personnalité, ou par votre implication forte à ses côtés de débutante ou de débutant.

Cette élection directe est au programme du S.P.D. depuis son congrès de Leipzig à l’automne de 2006. Raison de plus pour que la proposition soit franco-allemande, et que la Chancelière ne soit jamais – si cela put sembler ces derniers mois – minorée par votre fait. Cela ne correspondrait d’ailleurs ni aux nécessités européennes ni à la vérité de nos forces et personnalités respectives. Fondation, amitié et confiance mutuelles sont synonymes avec l’Allemagne : de Gaulle et Adenauer l’ont su d’emblée, ou alors il n’y a rien, et avec les Allemands, c’est banal, donc dangereux.

Espérant que commence – avec la liberté de ton que, je l’espère, vous voulez bien me pardonner – cette relation d’échanges et de communion que j’ai évoquée au début de cette lettre,


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