dimanche 30 avril 2017
samedi 29 avril 2017
vendredi 28 avril 2017
jeudi 27 avril 2017
Le départ du général de Gaulle ---- quelques considérations quarante ans après
page 1 Le
fait
page 7 I
- Le débat
page 7 Les
réactions dans le moment
page 11 L’évaluation de son
départ par de Gaulle lui-même
page 14 L’homme qui nous fit
page 22 II
- Les explications
page 22 Le traitement de l’enjeu : erreurs et
responsabilités ?
page 29 La distance née
entre Georges Pompidou et le Général
page 35 De Gaulle, la France et le peuple
page 38 III
- Les conséquences
page 38 Volonté de gagner
pour rester, le contraire d’un suicide
page 43 La vraie
responsabilité de l’ancien Premier ministre
page 54 Des normes qui,
jusqu’à présent, ont été des exceptions
page 62 Diagnostic
page 62 La fin du
gaullisme : mort clinique et possible résurrection
Annexes
page 68 comparaison
statistique électorale : de Gaulle et les suivants
page 69 l’agenda
prévisionnel du Général si le oui l’avait emporté, le 27 Avril 1969
15 Septembre . 1er Octobre 2009
Un très haut
fonctionnaire, serviteur fécond de la continuité de l’Etat pendant les mandats
des quatre premiers présidents de la Cinquième République, énonce qu’un certain mystère autour de ce départ,
et de ses motifs profonds, sied bien à l’image du Général, qu’il lui est même
indispensable. Il est certes loisible de chercher, quarante ans après, à le
percer – c’est encore une façon de célébrer le grand homme – mais il est des
questions qui doivent rester dans l’enveloppe des secrets qui n’auront
appartenu qu’à lui…
Que lui – dont le
témoignage que j’ai recueilli, eût été beau car il est juste – et que ceux des
lecteurs d’Espoir, partageant son opinion, me permettent cependant d’aller
au mystère – puisqu’il a passionné mes vingt-cinq ans et ne m’a pas quitté
depuis : j’y vois plutôt le mystère des Français quand ils gaspillent,
sciemment et résolument, la France
Le
général de Gaulle, depuis qu’il avait rétabli en France métropolitaine la
légalité républicaine, n’avait jamais perdu une seule consultation nationale,
depuis la première – le 12 octobre 1945 – introduisant la pratique référendaire
et ouvrant, par cela, la voie constitutionnelle, à une République nouvelle. Il
ne quitte le pouvoir, le 20 janvier 1946, que pour en émanciper l’exercice de
l’emprise des partis et, rappelé par l’effondrement de la Quatrième
République qui n’était guère nouvelle relativement à la Troisième, il remporte
pendant dix années consécutives tous les scrutins : référendums, élections
de l’Assemblée nationale à terme échu ou sur dissolution, première élection
présidentielle au suffrage universel direct. Il échappe aussi à une vingtaine
d’attentats, il triomphe – contre toute attente – des inextricables
« événements de Mai », enfin, il rétablit – là aussi, contre
toute attente – la situation monétaire que ces événements, la spéculation et
des maladresses de son gouvernement, avait profondément compromise. Le 27 avril
1969, par temps politique et social relativement calme, sur un sujet –
intrinsèquement bien moins polémique que sa personne – et à une date
discrétionnairement fixée, l’homme du 18 Juin est battu : le non obtient 53,17% de suffrages
exprimés, les abstentions ne sont que de 19,42% des inscrits. A l’instar de
chacune des consultations dont il était sorti victorieux, il avait
explicitement posé la question de confiance personnelle : il se retire,
donc. Son mandat devait ne s’achever qu’en janvier 1973, il n’était âgé que de
soixante-dix-huit ans et selon tous les témoignages contemporains, sa santé
était excellente, le rythme de ses activités et de ses engagements, en France
et hors de France, n’avait pas diminué.
« Le
seul fait notable de la semaine écoulée, pour ce qui concerne la situation
internationale, c’est le départ du général de Gaulle. Partout a régné la
stupéfaction. Comment une majorité de Français a-t-elle pu rejeter celui qui
fut l’artisan de leur libération, le restaurateur de leur indépendance ?
On aperçoit bien les causes circonstancielles, mais on s’étonne qu’elles aient
exercé une influence décisive. Presque partout, nos ambassadeurs constatent un
profond et sincère regret. Les fortes idées de notre siècle, liberté des
hommes, liberté des nations, détente, coopération internationale, avec le
retrait du général, perdent leur champion le plus illustre. Rarement un chef a
quitté le pouvoir en entraînant dans son sillage un tel chagrin des hommes de
tout âge, de toutes conditions, de toutes religions et sur tous les continents.
Il en est certes à l’étranger quelques-uns qui se réjouissent. Nous les
connaissons. Ce sont ceux qui se réjouissent toujours de l’abaissement de la France et de sentiments
élevés qu’en face de certains calculs, elle représente quand elle est sûre
d’elle-même et maîtresse de son destin. Il est vrai que leur joie est teintée
de mélancolie. Ils se rendent compte en effet qu’immense est l’armée des
Français qui serrent les rangs pour sauvegarder l’héritage économique et
spirituel, social et moral de notre patrie, tel que le général de Gaulle l’a
enrichi. En résumé, la France,
à la face du monde, a connu dimanche une défaite. Cependant, la leçon de celui
qui fut pour tant d’hommes un espoir et un réconfort n’est nullement perdue,
et, me semble-t-il, nombreux hors de nos frontières sont les esprits qui l’ont
compris, s’en félicitent et en attendent bientôt la preuve. »
C’est ce qu’au premier conseil des ministres à se réunir sans de
Gaulle (30 avril), déclare Michel Debré. Il est le ministre des Affaires
étrangères, depuis le 30 Mai 1968, en remplacement de Maurice Couve de Murville
qui avait occupé le poste depuis le retour du Général au pouvoir, le 1er
juin 1958. Cette communication est publiée aussitôt. Alain Poher, président du
Sénat, président de la
République par intérim, qui avait présidé le conseil – 2 mai
1969 – proteste : les débats sont secrets. L’évidence du fait et du texte
le dément. Il ne pouvait y avoir débat à huis clos sur le départ de l’homme du
18 Juin, fondateur de la République nouvelle.
Mais le débat eut-il ensuite lieu ? Causes ?
Conséquences ? Plus naturel et factuel, le Premier ministre, Maurice Couve
de Murville avait dit, le dimanche soir dès avant l’annonce de la décision
présidentielle, que « c’est un
événement dont la gravité va très vite apparaître à tous en France et dans le
monde. A partir de demain, une nouvelle page est tournée dans notre
histoire. Le général de Gaulle était au
centre de notre vie politique et nationale, rétablissant la paix, restaurant
l’Etat, affirmant la stabilité du pouvoir. Nous lui restons, pour notre part,
fidèle, certain que ce qu’il a fait et construit est assuré de la durée,
certains aussi que c’est dans cette ligne que se trouve le seul avenir
politique de la France ».
Dans l’histoire de la France contemporaine, d’autres départs ont
marqué. Celui du « père la Victoire » : le 16 janvier 1920,
Georges Clemenceau, président du Conseil depuis vingt-sept mois, évidente
personnalité pour succéder à Raymond Poincaré comme président de la République,
est écarté lors d’un vote indicatif que détermine, eu égard à son âge et à ses
convictions, la minable crainte de possibles obsèques civiles à l’Elysée [1]
: il démissionne aussitôt. Celui de Pierre Mendès France, mis en minorité à
l’Assemblée nationale, le 5 février 1955, et par conséquent démissionnaire
forcé [2].
Ces deux départs sont sans doute ceux de grandes autorités morales et
politiques, à l’aune-même du général de Gaulle, selon certains, mais ils n’ont
pas de conséquence ni pour les institutions – celles-ci ont d’ailleurs joué
contre les deux présidents du Conseil de Républiques maladivement
inconséquentes – ni pour la suite des affaires françaises malgré les programmes
affichés par l’un et par l’autre [3]
Un destin change mais pas une entreprise, encore moins des institutions.
Le départ du général de Gaulle est donc sans précédent parce qu’il
interrompt un cours politique et a permis des pratiques institutionnelles,
diverses mais chacune différente de celle qu’il avait fondée et qui, à
l’expérience, répond seule et du texte de 1958 et de l’intérêt du pays. Parce
que le scrutin qui a motivé ce départ[4]
marque une rupture – à laquelle il n’a toujours pas été remédié explicitement
et durablement – entre le principal animateur de la vie publique nationale et
les Français. Beaucoup d’élections présidentielles et législatives ont suivi la
retraite du général de Gaulle, quelques référendums aussi mais personne après
l’homme du 18 Juin, n’a été aussi constamment et grandement populaire (au point
que le ballottage du premier tour de l’élection présidentielle en 1965 parut
une défaite)., personne depuis lui n’a gagné pendant dix ans d’affilée tous les
scrutins, personne n’a pendant dix ans et sans interruption, non pas seulement
occupé une fonction, mais exercé pleinement toutes les prérogatives de cette
fonction.
Mais ce départ présente aussi une autre exceptionnalité, dans la
vie politique française contemporaine, qui le fait rejoindre nos grands faits
et gestes nationaux depuis Alésia jusqu’au Bellérophon, voire aux cortèges
d’exil de nos derniers rois ou du vainqueur de Verdun emmené à Sigmaringen. De
Gaulle, même dans ces souvenirs, tranche puisqu’il reste où il a toujours
vécu : attente et gloire, et qu’immense la foule remonte les Champs Elysées et
s’étreint quand de la Boisserie, l’auto-motrice blindée vêtue de tricolore sort
pour le dernier trajet. J’entends encore murmurer à côté de moi l’inconnu
désignant Malraux : « Vois, le
pauvre vieux, comme il souffre… ». Les jours précédents le dimanche,
puis ce soir-là, depuis quelques mois déjà et encore pour longtemps, c’est un
drame affectif, un déchirement entre un peuple et son chef, et entre celui-ci
et beaucoup de ses familiers, de ses fidèles, de ses collaborateurs. De Gaulle
ayant été ce qu’il avait été depuis le 18 Juin ne laissait insensible aucun de
ses adversaires, quand ceux-ci avaient du corps et avaient combattu, comme lui.
Cette dimension, si elle est ignorée – concernant aussi les causes et
conséquences de la genèse, puis de l’échec du projet référendaire – empêcherait
de bien comprendre l’événement et surtout les conséquences qu’il a encore
aujourd’hui en France et dans le monde. Le legs du fondateur, ce qu’on appelle
– et qui est si divers – le gaullisme a peu de sens s’il n’y a cette charge
intense des dévouements, des abnégations, des espérances et des regrets qui
sont ceux de l’âme nationale quand elle a été à ce point suscitée [5].
Unisson et mouvements divers aussi, puisqu’il s’agissait du pouvoir et d’une
succession autant que de la grande histoire, la suite en a été marquée et
l’actualité en porte encore la trace [6].
I
Le débat sur un fait
Du côté
du général de Gaulle, deux carrières
seulement s’arrêtent : par solidarité. René Capitant démissionne du
ministère de la Justice [8], et
Jacques Vendroux de la présidence de la commission des Affaires étrangères à
l’Assemblée nationale. Et le destin fait un silence : le matin du scrutin
en effet, François Mauriac, sortant de son domicile parisien pour voter, se
fracture l’épaule droite. Depuis quatre semaines, son bloc-notes était
interrompu à la suite d’une infection ayant nécessité un premier séjour à
l’hôpital. Les communiqués « gaullistes » sont, eux, tous tendus vers
« l’avenir ».
Du côté
hostile, les contre-sens l’emportent. Hubert Beuve-Méry en donne le ton :
« Charles de Gaulle s’en va, aucun
problème ne se trouve pour autant résolu. On veut espérer que cette piété
quelque peu idolâtre qu’il a toujours portée à la France l’incitera à ne pas
renouveler les erreurs du R.P.F. et à réprouver les tentations que ses ultras
ne manqueront pas de susciter. Ceux qui lui restent fidèles éprouvent une
tristesse que partagent plus ou moins beaucoup de ses antagonistes. Ces
derniers ont du reste quelques bonnes raisons d’avoir le triomphe modeste. Pour
tous, la tâche sera d’autant plus malaisée que, au lieu d’établir solidement
les institutions et les mœurs que les Français attendaient de lui, le chef de
l’Etat leur a trop souvent appris à ne pas s’embarrasser de règles et de
garanties devenues gênantes, créant ainsi des précédents que d’autres
pourraient invoquer sans s’imposer les mêmes limites. Telle est, dans leur
grandeur, la faiblesse de la plupart des héros historiques ». Et
Jacques Soustelle énonce une conclusion que n’a probablement pas récusée
le Général s’il l’a lue : « Le
succès du non n’est pas un succès
partisan. Ce n’est pas un non ni de
droite ni de gauche. C’est un non
global de la France à de Gaulle. Et aucun parti ne peut se prévaloir de cet
échec du référendum ». Alexandre Sanguinetti assure que
l’ « on vient de nous donner
une base de départ pour de nouvelles victoires ». De fait, le score du
oui, même minoritaire, représente un
électorat, dont la composition évoluera très sensiblement jusqu’à nos jours
mais dont le nombre n’a plus jamais été égalé lors d’un premier tour à
l’élection présidentielle (cf. annexe I – statistiques électorales).
Dans
l’opposition, ceux qui resteront connus, apportent peu mais resteront fidèles à
eux-mêmes. Seul Michel Rocard se prononce sur l’homme : « Le peuple français a voulu mettre fin à la
présidence d’un vieux chef historique glorieux et respecté, mais dépassé par
l’événement et qui ne répondait plus aux problèmes du pays ». Beaucoup
pensent d’abord à la suite. Pour René Billères, « le peuple français reprend en main ses destinées » et
Maurice Faure lui fait écho, « le
gaullisme et son chef sont victimes de leurs propres excès, de leur prétention
orgueilleuse, de leur exclusivisme intolérant et de leur inefficacité dans
l’action. Le peuple de France vient de rejeter par son vote la conception
plébiscitaire et bonapartiste du régime ». Guy Mollet observant que
« pour choisir entre les candidats,
il faut savoir ce qu’ils pensent du rôle du président de la République »,
annonce déjà sa préférence pour le président intérimaire, Alain Poher, tandis
que Jacques Duhamel affiche sa disponibilité : « Il faut maintenant qu’une équipe se forme et travaille pour construire
avec un nouveau style, de nouvelles méthodes et de nouveaux choix, une France
moderne qui entraine, dans le respect des institutions, l’élan des Français ».
Quoique parmi ceux qui « essaieront
de transformer l’essai », François Mitterrand, assurant n’être, cette
fois, candidat à rien, proclame que « pour
qu’elle reste fidèle à elle-même, il faut que la gauche ne cède jamais à
l’esprit de revanche contre ceux qui l’ont tant et si injustement attaquée. Il
faut surtout qu’elle sache s’unir pour demain, dans la clarté et l’honnêteté de
ses choix ». Jean Daniel, pour Le
Nouvel Observateur est le plus nuancé, féroce quoiqu’il anticipe, sans le
savoir, le fameux dessin de Faizant : « Le naufrage n’est pas somptueux : on croyait que le plus grand
chêne de la forêt française s’abattrait dans un fracas historique. Il a été
congédié » … mais il ajoute plus noblement : « Comme le disait jadis un grand
socialiste : ‘ Enfin les difficultés commencent’. Oui, ‘enfin’. Nous
avions fini par ne plus savoir où elles se trouvaient. Nous attendions la mort
du père en nous réjouissant parfois qu’il lui arrive d’aller sans nous, ou contre
nous, dans la direction de nos
nostalgies. Maintenant, c’est l’heure de vérité ». C’est cette année
1969 que la gauche non communiste, divisée entre deux candidats, constate son
plus mauvais score …
Mais
certains opinent avec détail sur le sujet référendaire, et non sur le scrutin
ou sur la procédure. Louis Pradel, maire de Lyon, centriste, se dit « satisfait du résultat du référendum.
Si le oui l’avait emporté,
c’était en effet fini des libertés locales. Ce n’est un secret pour personne
qu’il existait un projet de réforme des communes, voire des conseils généraux,
qui aurait été particulièrement inopportun. D’autre part, la réforme de la
région telle qu’elle est prévue, aurait amené des impôts nouveaux. Il est faux
de croire, enfin, que les préfets auraient pu résoudre tous les problèmes de la
région. » Le Mouvement fédéraliste européen relève « que pour ‘participer’ dans les régions et
les communes, il faut des assemblées élues au suffrage universel direct et
dotées de ressources financières effectives, des exécutifs élus ; que pour
‘participer’ dans l’entreprise et l’économie, il faut une forme d’autogestion
et une planification démocratique élaborée et contrôlée à tous les niveaux ».
Personne
ne semble réaliser que le vœu de Pierre Mendès France motivant son refus [9] des
pleins pouvoirs à de Gaulle, le 1er juin 1958, a été accompli à la
lettre – sauf son auteur, qui, précisément, se tait au départ de l’homme du 18
Juin 1940, dont il fut d’enthousiasme le ministre pour la Libération,
l’admirateur explicite à sa propre arrivée au pouvoir, un 18 juin 1954, et même
le visiteur déférent pendant qu’il est président du Conseil. « Puisse l’Histoire dire un jour que de Gaulle
a éliminé le péril fasciste, qu’il a maintenu et restauré les libertés, qu’il a
rétabli la discipline dans l’administration et dans l’armée, qu’il a extirpé la
torture qui déshonore l’Etat, en un mot qu’il a consolidé et assaini la
République. Alors, mais alors seulement, le général de Gaulle représentera la
légitimité. Je ne parle pas de la légitimité formelle des votes et des
procédures, je parle de la légitimité profonde, celle qu’il invoquait justement
en 1940. Elle tenait alors à l’honneur du combat pour la libération du sol.
Elle tient aujourd’hui, par delà les constitutions qui se modifient, à des
principes qui datent de 1789, mais qui devaient avoir mûri très profondément
dans les souffrances du peuple et dans l’effort des penseurs de l’ancienne
France, pour avoir pu être formulés,
dans le tumulte d’une seule séance, en une langue si belle ; à ces
principes qui dominent nos lois, qui ont fait à la France une grandeur
singulière, incommensurable, à ses forces matérielles, et qui survit à ses
revers » [10].
Avec le
recul, Jean-Marie Domenach donne le quitus,
pas tant à de Gaulle, qu’à la forme de son départ. « Oui, il est bon que le grand homme soit tombé de la sorte. Lui qui
avait abattu tous ses adversaires ne pouvait être victime que de lui-même, de
son entêtement, de son isolement, de sa manie de forcer le destin, comme ces
aventuriers, ces guerriers, ces pilotes de course, qui, parvenus, près du but
et presque victorieux, en font un peu trop, oublient la prudence et
disparaissent dans la catastrophe. C’est l’ « ubris » des Grecs,
la provocation à la divinité. En punissant cet excès, le peuple exécutait un
décret salutaire. Il peut y avoir de la grandeur aussi dans cette décision
obscure, qu’aucune statistique ne signale et que plusieurs ont prise en
pleurant. La démocratie est un sacrilège. Maintenant que l’homme vertical n’est
plus là comme un totem au milieu de la patrie, pour figurer son unité
mythologique, il faudra bien que les Français se déclarent… Que retiendront-ils
de l’image de la France ?
Ont-ils voulu se débarrasser d’un homme ou du poids de l’histoire ? La
majorité, quelle qu’elle soit, sera bien forcée d’agir de telle sorte qu’on
sache s’il y a un oui caché derrière
tous ces non, si le départ du général de Gaulle signifie la résolution
d’aborder de front les tâches d’une démocratie moderne, ou s’il n’est qu’un
épisode supplémentaire de cette fatigue, de cette « médiocrité » qui,
depuis la fin de la Grande Guerre,
pousse la masse des Français à se retirer de l’histoire » [11].
Dès le
28, Georges Pompidou écrit à Colombey [12]
tandis qu’un comité à Saint-Nazaire s’institue pour soutenir sa candidature. Le
lendemain à Brest, un autre prône celle de Maurice Couve de Murville. L’ancien
Premier ministre ne se prononce pas publiquement sur le verdict[13] mais
se déclare le 29 : « Après la
décision du général de Gaulle de renoncer à son mandat, et dans l’incertitude
que connaît actuellement le pays, j’ai
résolu de me présenter au suffrage des Français. En le faisant, j’ai le
sentiment d’obéir à mon devoir, la volonté de maintenir une continuité et une
stabilité nécessaires, l’espoir de préparer l’avenir » [14].
L’évaluation de son départ par de Gaulle lui-même
De Gaulle
a laissé ses mémoires, inachevés à la fin du chapitre II de son second tome, le
premier – avec un immense succès de librairie – avait paru un mois avant sa
mort. Le portrait de son successeur, daté donc de l’automne de 1970, peu
flatté, ne correspond qu’aux fonctions que ce dernier occupait pendant que le
Général était le président de la République. Ou, plus précisément, commençait
d’occuper. Le jugement ne vaut donc ni pour l’ensemble de la collaboration, ni
a fortiori pour la politique française après le 27 avril 1969.
En
revanche, les Mémoires d’Espoir sont
très clairs, même s’ils ne sont pas, en l’état laissé par l’auteur, consacrés
aux événements postérieurs à l’automne de 1962. C’est ainsi par exemple que
l’on peut déduire l’appréciation faite par de Gaulle de la décision du 8 août
1969 de dévaluer le franc, de ce qu’à plusieurs reprises, il écrit sur la tenue
de notre monnaie et le refus de la dévaluer [15].
D’ailleurs, à considérer le récit et les observations présentés par l’auteur
pour traiter de la bataille référendaire d’octobre 1962, en restant si proche
des discours prononcés à cette époque, il n’est pas interdit de croire que le
général de Gaulle aurait probablement présenté les circonstances, les
conséquences de son départ et les suites à long terme du legs qu’il laissait,
dans des termes voisins de lettres personnelles qu’il adressa pendant son
séjour en Irlande à des parents, à des amis, à des personnalités.
« Quant aux événements, il s’est produit ce
qui devait un jour arriver. Les Français d’à présent ne sont pas encore, dans
leur majorité, redevenus un assez grand peuple pour porter, à la longue,
l’affirmation de la France que je pratique en leur nom depuis trente ans. Mais
ce qui a été fait sous cette égide, d’abord pendant la guerre, ensuite au cours
des onze dernières années, a été d’une telle dimension que l’avenir est de ce
côté-là. La période de médiocrité dans laquelle notre pays vient d’entrer en
fera bientôt la démonstration[16] … De toute façon, à mon sens, l’événement du 27-28
avril aura de graves conséquences et
qui, à terme, pourront comporter du bon, bien que, pour l’instant, tout soit à la médiocrité. C’est
donc à ces lointains que je pense beaucoup plutôt qu’à l’immédiat [17] … Ce qui s’est passé
ne m’a pas surpris. Mais, pour me sentir « délié », il me fallait,
vis-à-vis du pays et de moi-même, la preuve que c’était le moment. Voilà donc
qui est fait. A présent inévitable crise nationale de médiocrité. Nous verrons
la suite [18]
… Ce qui s’est passé ne m’a pas étonné. Il est difficile à notre pays de rester
longtemps sur les sommets dès lors qu’il n’est plus menacé. Mais je crois que
la médiocrité le lassera aussi tôt ou tard. C’est pourquoi ce que nous avons pu
semer, germera un jour de nouveau [19] … Voici donc le tour
de la médiocrité. Je ne crois pas qu’elle dure toujours. C’est pourquoi ce que
nous avons fait garde toute sa valeur [20] … la psychologie de
l’événement qu’a pu représenter mon départ. Il est possible qu’un jour,
l’époque terminé, le 28 avril apparaisse comme préférable à celle qui la suit,
et cela aux yeux mêmes de ceux qui ne supportent pas l’altitude. En attendant,
ne plaignez pas Sisyphe qui ne roule plus son rocher [21] … ».
Ayant
écrit ainsi avant que soit acquise l’élection de son successeur, le général de
Gaulle – sauf ouverture d’archives privées – ne s’exprime jamais, à compter du
15 juin 1969, sur le cours commencé par son ancien Premier ministre et
successeur [22]. Ses visiteurs font
périodiquement savoir qu’il n’est pour rien dans quelques affaires publiques
que ce soit, et lui-même n’écrit plus que sa résolution de se tenir « tout
à fait à part » [23] :
sa « retraite à Colombey est délibérément complète » [24].
D’ailleurs, les Français souhaitent vite qu’il en soit ainsi [25].
Mais les Mémoires d’espoir rappellent
explicitement ce qui avait été en jeu [26] :
« Tirant la leçon et saisissant
l’occasion des évidences muses en lumière aux usines et à l’Université par les
scandales de mai 1968, je tenterai d’ouvrir toute grande, en France, la porte à
la participation, ce qui dressera contre moi l’opposition déterminée de toutes
les féodalités, économiques, sociales, politiques, journalistiques, qu’elles
soient marxistes, libérales ou immobilistes. Leur coalition, en obtenant du
peuple que, dans sa majorité, il désavoue solennellement de Gaulle brisera, sur
le moment, la chance de la réforme en même temps que mon pouvoir. Mais,
par-delà les épreuves, les délais, les tombeaux, ce qui est légitime peut, un
jour, être légalisé, ce qui est raisonnable peut finir par avoir raison. A vrai
dire, en avril 1969, bien peu se souviendront – mais l’auront-ils jamais
su ? – de la situation dans
laquelle étaient l’économie, les finances et la monnaie de la France, lorsque,
onze ans plus tôt, j’en reprenais la conduite ».
L’homme qui nous fit
Celui qui
quitte le pouvoir le 28 avril 1969 à midi, selon une décision publiée la veille
au soir peu avant minuit, ne vaut pas seulement par la longévité de son
exercice du pouvoir, sans précédent en France depuis nos régimes monarchiques,
ceux des Bourbon et des Bonaparte.
Charles
de Gaulle est d’abord un personnage dont l’autorité dans le pays comme en
tête-à-tête avec ses collaborateurs ou avec les visiteurs, compatriotes ou
étrangers, excède de beaucoup sa fonction. Deux éléments sont décisifs.
Le
premier est d’avoir fait montre d’une lucidité, puis d’une force d’âme, d’une
habileté dans l’exécution, incontestablement uniques, face à des drames
évidents et considérables, le désastre militaire et moral de 1940, l’insoluble
guerre d’Algérie. Coup d’œil et force qui continuent d’être vérifiés pendant
toute la durée de sa présidence : la crise de Berlin en 1958 et en 1961,
celle de Cuba en 1962, la dénonciation de la guerre américaine du Vietnam de
l’engagement au Laos en 1963 au discours de Phnom-Penh en 1966, la condamnation
des actions militaires et des occupations territoriales d’Israël à partir de
1967, le soutien à l’émancipation du Québec à partir de 1967 aussi, cela sur la
scène internationale, mais à l’intérieur le charisme devant les « porteurs
de pancarte » à Dakar en août 1958 et à Djibouti en août 1966, la présence
physique et émotionnelle pendant les nombreux voyages algériens de juin 1958 à
décembre 1960, l’autorité à l’écran de télévision le 22 avril 1961 face aux
putschistes, ou à l’antenne le 30 mai 1968 face au désordre total. Cet élément
donne à la parole publique du Président un poids, un impact qui n’a pas eu son
pareil dans l’histoire de France ni depuis 1969. Un orateur de plein air et de
foule que n’ont pu être ses successeurs parlant plus souvent dans le huis clos
de bâtiments publics ou devant des corps constitués. Plein air et foule en
France métropolitaine, outre-mer et à l’étranger (l’Allemagne occidentale d’Adenauer,
l’Amérique latine de 1964, le Canada français en 1967). Ce qui ne s’est plus
jamais reproduit [27].
Le second
élément est le sérieux, l’application du général de Gaulle pour exercer ses
fonctions. Ils ont frappé ses ministres [28],
tous les interlocuteurs. L’homme de l’histoire et des discours au monde entier,
travaille avec une ponctualité de métronome, annote personnellement, rédige
parfois le compte-rendu des audiences qu’il accorde. Bien entendu, la paternité
de ses discours ne peut faire l’objet d’aucune exégèse [29]
parce qu’elle ne fait aucun doute et ne peut être revendiquée par aucun
individu ni aucune équipe : les Mémoires
d’espoir décrivent le travail dominical et sa pénibilité [30].
L’écriture-même de mémoires, si elle donne lieu à des lectures-tests par
certains collaborateurs [31], est
entièrement personnelle [32].
Sans doute, le chef de la France libre puis le président de la République
appelle-t-il des conseils, des avis, des documents et soumet-il des passages
prévisionnels de ses conférences de presse à des collaborateurs ou aux
ministres compétents. Parce qu’il écrit et parle de lui-même, avec des
prouesses de diction, de mémorisation et d’autorité dans la délivrance de ses
messages, de Gaulle n’encombre jamais et retient toujours : il en est d’ailleurs
conscient [33]. Sa présence médiatique –
dont il travaille à l’extrême autant pour l’image que pour le texte [34]–
n’est pas sollicitée par son agenda ou par ses services, sauf message à la
nation. Elle tient tout bonnement à ce que Gaulle fait, par lui-même,
l’événement. Qu’il s’impose n’est pas artificiel, les discours sont attendus,
respiration nationale coupée par le drame algérien à partir du discours sur
l’autodétermination, le 16 septembre 1959, jusqu’à la nuit des barricades le 24
mai 1968 ou au refus [35] de
la dévaluation le 25 novembre suivant. En sorte qu’aucune décision n’est
improvisée et que toute annonce, surtout si elle est surprenante, est le fruit
de méditations et de consultations approfondies. De Gaulle peut passer des
heures à apparemment ne rien faire que réfléchir, seul, sans plume ni papier ni
interlocuteur [36]. Il écoute [37] . Sa
personnalité, rapportée à l’exercice-même du pouvoir, est adéquate à un point
qui subjugue, ses proches, d’un bout à l’autre de sa carrière politique [38].
Ces deux
éléments, le premier unique, le second rare, ont fait oublier quelques
évidences qui forcent le contraste du Général avec ses successeurs. Et d’abord
la pérennité de sa popularité personnelle et la puissance relative de son
électorat [39]. Par rapport au nombre d’électeurs
inscrits, le général de Gaulle obtient 36,78 % des voix, le 5 décembre 1965, et
36,68% au référendum du 27 avril 1969. Georges Pompidou, le 1er juin
1969, n’obtiendra que 33,35 %, seul François Mitterrand approche ce score avec
36,1% des inscrits, mais seulement le 5 mai 1974 ; ensuite personne
n’approche même les 30%, sauf Nicolas Sarkozy atteignant 31,18% des inscrits le
22 avril 2007.
Autre
évidence : la sobriété de vie, la relation avec l’argent et avec les gens
fortunés, la fidélité conjugale, la discrétion strictement maintenue sur sa vie
privée et familiale. De Gaulle n’offrait de prise aux médias et aux
commentateurs que relativement à la politique qu’il décidait ou qu’il animait.
Mais l’effet était bien plus considérable que cette invulnérabilité personnelle
aux « affaires » : son mode de vie, son désintéressement
financier s’imposaient en norme et en exemple aux collaborateurs, aux membres
de ses gouvernements successifs et d’une certaine façon à l’ensemble des acteurs
– politiques, économiques, financiers, sociaux – de la vie nationale. Les
prurits, dont sous Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas les affaires
Aranda et Rives-Henrys furent les premiers symptômes et dont la chronique est
sans cesse renouvelée depuis trente ans, ne pouvaient tout simplement pas se
produire. Les graves affaires Ben Barka et Markovic – sous de Gaulle –
n’étaient pas crapuleuses, ni financières : la première donna lieu à
sanctions dès qu’elle fut mise au jour, la seconde ne se traduisit pas par des
entraves mises par l’exécutif au fonctionnement du judiciaire alors même que
son enjeu politique apparut vite, ainsi que c’est évoqué plus loin.
De Gaulle
maintenait non seulement la référence populaire de toute action politique, mais
il forçait tous les acteurs à un certain type de comportement. Encore moins,
eût-il été envisageable qu’il assortit la lutte éventuellement électorale
d’arguments personnels [40],
dont après lui personne ne se priva – en insinuations ou en procédures. Ainsi,
la politique n’était-elle que la politique, ni en vase clos, ni avec des
sous-entendus, des réseaux [41], des
initiés. Et lui-même n’a jamais pu être considéré ni par ses partenaires
étrangers ni par l’opinion nationale comme sous influence de son entourage ou
d’un quelconque de ses ministres ou de ses conseillers. Après lui, ce ne fut
plus le cas. Pas davantage, quelque moment ou fait de sa propre vie qui put
donner prise à quelque compromis à extorquer de lui. Qui après lui peut s’en
vanter ? Au contraire, parrainages
initiaux ou en cours de carrière ou pour être au pouvoir forment une histoire
épousant le rythme de celle de la France : la relation avec le maréchal
Pétain, avec Paul Reynaud, avec Léon Blum, avec le général Weygand, les
dévouements socialistes pendant la guerre et le concours, en 1958, de chefs de
la S.F.I.O., la dialectique avec les communistes quand la situation est de
force en 1945 ou en 1968 sont complexes mais ce n’est ni d’alcôve ni de
corruption. Les circonstances exceptionnelles de la guerre dont il avait su s’approprier
l’essentiel lui avaient conféré une sorte d’aînesse éthique et une mémoire
supérieure relativement à toute la classe politique française, née à cette
époque même si elle se ligua souvent contre lui de 1946 à 1969 : surtout,
la référence chronologique et l’acte de naissance que presque tous tenaient du
général de Gaulle, firent que pendant les années fondatrices de la République
nouvelle, une distinction s’imposait même aux adversaires. Il y avait les
combats, les éphémérides mais ceux-ci cédaient le pas devant un respect et une
reconnaissance qui, après le départ, d’autant que celui-ci marqua le début d’un
total silence sur ce qui suivait, et après la mort, se manifestèrent de toutes
parts et continuent aujourd’hui de la part de tout survivant.
De Gaulle
n’avait pas seulement rétabli la France-même,
la République, l’efficacité de la politique et donc les chances
véritables des talents, qui sous les régimes précédents avaient forcément le
souffle court (André Tardieu sous la Troisième, Pierre Mendès France ou Félix
Gaillard sous la Quatrième en firent l’amère expérience) et plus encore des
grands courants d’opposition (la gauche interdite de durer plus de deux ans
après ses triomphes du Cartel des gauches ou du Front populaire, trouva dans la
Cinquième République, la possibilité enfin de gouverner vraiment : à déjà
trois reprises de cinq ans chaque fois), il avait défini le cadre de la vie
publique, parce que – comme pour les institutions – il l’avait pratiqué
lui-même. « Je ne mange pas de ce pain-là » tout en constatant pour
la suite, dès 1947 : « Mes amis
aiment trop l’argent ». Quant aux réseaux, ils ne furent que ceux de
la France libre – pendant que le Général était au pouvoir.
Autant
que l’acte du 18 Juin 1940, le comportement quotidien, du président de la
République, sans aucune dissimulation [42],
pendant onze ans, presque, a été la matrice d’une France viable et fidèle à
elle-même. Pour beaucoup, ce fut pleinement le sens de l’Etat et la vocation au
désintéressement financier et de carrière, qui va avec. Pour une majorité de
Français, c’était au moins et pudiquement une esthétique [43] – de
l’action politique comme de la vie du pays. En fait, la manifestation d’une
échelle de valeurs, sensible à tous, en France et dans le monde.
La
rédaction de ses mémoires est donc l’acceptation de ce que lui offrent les
circonstances : proposer aux Français une ultime forme de la
participation, leur faire comprendre ce qu’il avait voulu faire [44].
Ceux d’Espoir diffèrent d’ailleurs de
ceux de Guerre, car les pièces
jointes n’y sont plus nécessaires, tout s’est accompli et a été dit
publiquement : les discours-mêmes du Général constituent, en fait, à
partir de mai 1958 et jusqu’en avril 1969, l’écriture de l’histoire de France,
à mesure des événements. Le président de la République et les Français en sont
co-acteurs, à la fois parce que tout est dit, chaque fois, et parce que le
peuple est couramment consulté sur le cours de cette histoire en devenir et à
confirmer.
*
*
*
I I
Les
explications
Le traitement de l’enjeu : erreurs et
responsabilités ?
La
préparation du référendum, le calendrier, les hésitations, les acteurs
inadéquats ? Non dite, c’est l’opinion de Georges Pompidou et de son
entourage. C’est aussi l’opinion d’un rallié tardif au non qui avait été compagnon de la première heure de l’homme du 18
Juin, de Londres à la Libération et au gouvernement provisoire de la
République. René Pleven, dès les résultats, communique avoir « toujours pensé qu’il était déplorable que ce
référendum soit organisé dans les conditions où il l’a été, c’est-à-dire avec
une seule réponse [45]pour plusieurs
questions, et que l’on ait entraîné ainsi le chef de l’Etat dans une bataille
où les risques étaient considérables » [46].
Soumis au
referendum en janvier, le projet aurait sans doute bénéficié de 60%
d’intentions de vote favorables : les sénateurs n’avaient pas encore eu le
temps de leur campagne. Le texte n’est examiné en Conseil des ministres que le
27 février 1969. Edgar Faure, parlementaire s’il en est, plusieurs fois
président du Conseil sous la Quatrième République, fait apporter une
modification considérable rendant au Sénat sa saisine pour tous projets de loi,
comme en avait joui le Conseil de la République de 1946 à 1958, alors que le
texte de Jean-Marcel Jeanneney – selon le souhait du Général - ne lui
attribuait que l’examen des projets à caractère économique et social. Le texte
est arrêté le 24 mars, après que le Conseil d’Etat ait émis, comme en 1962, un
avis négatif sur l’avant-projet. La date de la consultation avait été choisie,
également en conseil le 19 février précédent. En ce sens, l’opinion fut
longtemps fondée à croire que le référendum n’aurait pas lieu ou bien plus
tardivement. Les rumeurs sur une pluralité de questions avaient également pu
faire douter que le président de la République mit son mandat en jeu ; son
allocution du 11 mars ne pose pas la question de confiance. Le 10 avril, au
contraire, le général de Gaulle, interrogé par Michel Droit de la même manière
qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1965, et qu’à la veille
du second tour des élections législatives de 1968, répond : « il ne peut y avoir le moindre doute à ce
sujet. De la réponse que fera le pays à ce que je lui demande va dépendre
évidemment, soit la continuation de mon mandat, soit aussitôt mon départ ».
75% des Français ont connaissance de l’entretien, 50% jugent excessif son
engagement tandis que 31% le trouvent légitime [47]. Le
14, Valéry Giscard d’Estaing déclare : « avec regret mais avec certitude, je n’approuverai pas le projet de loi
référendaire ». René Pleven et Jacques Duhamel opinent dans le même
sens, le lendemain. Tous trois, avec élégance, ne font qu’accompagner les
sondages
L’intention
favorable, dans les sondages [48],
persiste jusqu’au 17 avril, augmentant d’un point (à 52%), par rapport à
l’ouverture de la campagne le 11 mars. 45% contre 35% des sondés approuvent
d’être interrogés personnellement par le général de Gaulle, mais au début
d’avril 38% désapprouvent que le Parlement n’ait pas au préalable statué, au
lieu de 29% que cela ne dérange pas. Au demeurant, 57% des sondés ne savent pas
si la Constitution autorise de se passer de l’approbation parlementaire
préalable. Surtout, les électeurs, décidés entre le oui et le non, passent de
47% le 23 mars à 84% la veille du scrutin. La campagne, proprement dite, a donc
été décisive, et c’est bien le général de Gaulle qui a fait prendre
position : malgré celle de son chef, le oui progresse de 74 à 75% dans l’électorat des Républicains
indépendants (les « giscardiens ») et les responsables centristes
n’ont fait que suivre leurs électeurs favorables au non à 62% Les ouvriers, votant pour de Gaulle à 45% au premier tour
de l’élection présidentielle, sont en début de campagne favorables au projet
dans la même proportion, mais ne le sont plus qu’à 38% en fin de campagne.
Outre de
Gaulle, le principal acteur, les autres – dans son dispositif – sont-ils à la
hauteur ? Dès la crise monétaire de l’automne de 1968, la question du bon
choix pour le ministre de l’Economie et des Finances avait été posée [49].
Celle d’un nouveau Premier ministre ne le sera que rétrospectivement. Envisagé
depuis l’élection présidentielle pour prendre effet après le renouvellement de
l’Assemblée nationale en mars 1967, le remplacement de Georges Pompidou par
Maurice Couve de Murville n’a pas été improvisé à la suite des
« événements de Mai ». Il n’a été reporté que par la quasi-absence de
majorité dans la nouvelle assemblée et surtout par le fait que l’intéressé,
lui-même, a été battu dans le VIIème arrondissement où il s’était imprudemment
et de son seul chef, présenté, mais la rumeur courait déjà, avec même l’exposé
des motifs [50]. Cette nomination qui
n’appartenait qu’au général de Gaulle, Maurice Couve de Murville – tout en
confiant à Bernard Tricot que c’était une erreur ! – l’avait pressentie
quand le président de la République lui laisse entendre le 27 mai 1968 qu’il va
remplacer aux Finances Michel Debré démissionnaire, et lui demande de s’y
préparer. Ce qu’il fait en recevant longuement Jean-Yves Haberer de la part de
son ministre. Justement, les accords, négociés rue de Grenelle, au ministère
des Affaires sociales par Georges Pompidou, en l’absence de Michel Debré, sont
récusés par les ouvriers de Renault, que consulte à titre de test le secrétaire
général de la CGT Trente après, l’ancien Premier ministre s’expliquait sa
nomination – sur laquelle le Général ne s’est jamais exprimé – bien
davantage par son propre désintéressement politique que par sa capacité [51].
Georges Pompidou, sur le moment, ne critiqua pas ce choix [52] et
eut l’intuition juste que de Gaulle voulait « signer de son seul nom les
dernières années de son pouvoir » : intuition qui fut la certitude et la
clé du comportement du nouveau Premier ministre, justement nommé pour cela. Le
choix est donc celui du Général et il donne toute sa transparence à la
consultation, ce qui n’avait pas été le cas des élections législatives des
23-30 juin 1968, réputées gagnées autant par le Premier ministre des
« événements de Mai », que par de Gaulle…
Dans la
période où Georges Pompidou n’est plus au pouvoir, soit les onze mois pendant
lesquels son successeur à Matignon a la charge de conclure les
« événements de Mai » dans l’économie, dans le budget, dans
l’enseignement et avec les partenaires sociaux, son entourage, très critique
sur le projet du Général autant que sur les gestions gouvernementales, laisse
entendre, par des fidèles au Parlement, que le député du Cantal serait le
meilleur pour faire gagner de Gaulle.
Pourtant,
quoique peu ressenti ni commenté, même rétrospectivement, sauf par les
partenaires et les collaborateurs, le mérite insigne de Maurice Couve de Murville est de préparer au
mieux, ce que pourra être la suite pour le pays [53].
C’est sa responsabilité principale, il s’y adonne, tout en laissant la bride
souple aux ministres et en les respectant plus encore que ses prédécesseurs, ce
qui est une novation dans la pratique gouvernementale. La campagne et le
scrutin référendaires ne sont siens qu’en termes de fidélité personnelle (mais
très convaincue) à l’homme du 18 Juin. La campagne n’est pas la sienne, il n’en
a d’ailleurs pas vraiment le talent et, s’il ne déteste pas l’exercice en tant
que tel – il l’a montré dans son quartier parisien deux ans auparavant – en
revanche il tente de dissuader le Général dans son projet référendaire. Cela
avec beaucoup d’autres dont il est le porte-parole malgré lui, parmi lesquels
Michel Debré. Mais, exactement comme au paroxysme de la tempête monétaire de
l’automne, il juge de sa fidélité, de sa loyauté et au fond de sa confiance
absolue dans le jugement et le charisme de l’homme du 18 Juin, d’avoir à lui
laisser les rênes, la gloire du succès s’il y a lieu, l’accomplissement de
tout, si ce doit être le résultat. Très nettement, à ses yeux, quand il ne
refuse pas la charge et qu’il est nommé Premier ministre, « le référendum n’était pas une décision à prendre, c’était un héritage à
assumer car la décision, elle, était prise depuis le 24 mai ; elle avait
été ajournée le 30 mai, mais elle restait et il n’y avait aucune espèce de
doute que le général de Gaulle était parfaitement décidé à y donner suite, à
une époque et sur un sujet à déterminer ». Confessant n’avoir jamais été
« très heureux de cette affaire du référendum … parce qu’elle me paraissait
pleine à la fois d’ambiguïtés et de périls », Maurice Couve de
Murville précise : « Il est
évident que nous en avons parlé des quantités de fois et que je ne lui ai
jamais caché ce que j’en pensais, c’est-à-dire que je n’en étais pas heureux,
pour employer une expression très modérée, et que s’il pouvait y renoncer, ce
serait à mon avis beaucoup mieux » [54].
Quotidiennement au contact du président de la République, le
secrétaire général, Bernard Tricot est d’un avis contraire : « Outre le contenu des réformes, qui me
paraissaient dans leurs principes bonnes, il me semblait que le Général s’était
trop engagé vis-à-vis de l’opinion et de lui-même. Je croyais que s’il
renonçait, non seulement sa position serait affaiblie, mais qu’il se sentirait
diminué à ses propres yeux et qu’il en résulterait pour lui une crise morale.
Bien sûr, il aurait évité un risque politique majeur. Mais la contrepartie
aurait été la constatation, renouvelée après la renonciation, en principe
temporaire, de la fin de mai 1968, qu’il ne pouvait plus essayer d’obtenir
l’adhésion du pays à des réformes à la fois importantes et difficiles. Alors, à
quoi bon rester ? S’il s’agissait de faire de la gestion courante,
d’autres pouvaient s’en acquitter aussi bien que lui. Il fallait non pas renoncer
au référendum, mais le faire le plus vite possible »[55].
Tenue l’été de 1968 dans le fil du
triomphe électoral ou à la fin de l’automne de 1968 dans l’ambiance,
presqu’aussi tonique, des décisions de redressement monétaire, la consultation
aurait eu une issue positive, et le Général serait redevenu maître des formes
et du moment de son retrait du pouvoir. L’alternative fameuse que présente
André Malraux, le 23 avril 1969, aurait été tranchée. « Il est grand temps de comprendre qu’il n’y a
pas d’après-gaullisme contre le général de Gaulle. On peut fonder un
après-gaullisme sur la victoire du gaullisme, mais on ne pourrait en fonder
aucun sur la défaite du gaullisme. Il ne s’agit pas de rassurer ceux qui ont
toujours eu besoin de l’être. Il y a un poids de l’histoire plus lourd que
celui de l’ingéniosité. Et aucun gaulliste d’avant-hier, d’hier ou de demain ne
pourrait maintenir la France
appuyée sur les non qui auraient écarté de Gaulle » [56].
Mais le Général, pressé et impératif pendant l’été de 1958 au
point de menacer Michel Debré de lui arracher la plume, si le projet
constitutionnel n’est pas assez vite rédigé, n’impose pas à la fin de 1968 sa
façon de ressentir l’urgence. Il se laisse enfermer dans des préalables de
consultations que mène avec conscience Olivier Guichard avec tout ce qu’il est
possible d’imaginer de partenaires locaux et sociaux, et, très volontairement
et consciemment, s’enferme lui-même avec Jean-Marcel Jeanneney, rédacteur
principal dans la considération que le texte qu’adopteront les Français par
référendum, doit avoir son plein effet dès la promulgation et sans qu’il soit
nécessaire de prendre le moindre décret d’application. Législation-modèle s’il
en est, processus de consultation exceptionnel et exemplaire, au point
notamment que les débats parlementaires ne portent pas sur des textes mais sur
des options et des perspectives. Maurice Couve de Murville, « sur le plan non pas personnel mais humain »,
remarque qu’ « il (le Général) était pressé d’aboutir, il était impatient –
il a toujours été impatient – mais il l’était, disons davantage, à mesure que
le temps passait, c’est-à-dire à mesure qu’il en avait moins devant lui. Ce
désir, je ne veux pas dire de précipitation mais d’aller vite, était inspiré,
fût-ce instinctivement, par l’idée qu’il était âgé, qu’il n’avait plus
tellement d’années devant lui pour exercer les fonctions de président de la
République ».
Complexité du texte, vote bloqué sur deux sujets
différents ? Le Premier ministre de
l’époque assure (en 1976) qu’ « il
ne faut pas trop en demander aux électeurs – que la plupart, qu’ils aient voté oui ou non d’ailleurs, ne comprenaient pas très bien de quoi il s’agissait. On a
beaucoup parlé des textes et de leur complexité ; à mon avis, le résultat
n’aurait pas été très différent si les textes avaient été moins longs et moins
complexes. 99% des électeurs se prononcent pour une idée simple, en l’espèce,
pour ou contre de Gaulle. Ce pouvait être aussi pour ou contre le Sénat, pour
ou contre les régions, mais sans entrer dans aucun détail. Ceux qui ont voté oui ont eu des motivations de même nature que
ceux qui ont voté non. Ils ont voté
pour que le général de Gaulle reste au pouvoir. Je ne pense pas que la plupart
d’entre eux aient voté oui parce
qu’ils pensaient que les textes soumis au référendum étaient un élément
fondamental de la politique dudit général de Gaulle. Autrement dit, c’était
beaucoup plus élémentaire qu’intellectuel ».
La distance née entre Georges Pompidou et le Général
Une
explication rétrospective de la « chute » du Général a été cherchée
dans un conflit de personnes et dans le transfert de l’autorité du président de
la République à son Premier ministre sur les élus et le mouvement politique
appuyant de Gaulle depuis son retour au pouvoir. Transfert qui aurait reflété,
d’ailleurs, celui de l’électorat. Le référendum de 1969 serait la tentative de
réplique du général de Gaulle à cette perte d’emprise, et même à la brigue
personnelle de Georges Pompidou.
La
différence entre les deux personnalités, les deux parcours et surtout les
dimensions de chacun a été perçue avec constance par les Français, mais pas de
manière défavorable ni pour le Général ni pour le collaborateur entré dans sa
confiance dix ans avant l’exercice ensemble du pouvoir. Leurs différends n’a
pas été sur la place publique avant la démission du premier [57]. Le
procès en fidélité – de dessein et de fait – qui pouvait s’intenter à
l’encontre de Georges Pompidou, ne fut guère instruit que par Notre République, le mensuel des
« gaullistes de gauche » [58] exigeant
davantage de progrès social (le fameux amendement Vallon, l’association
capital-travail définie dès Londres et formulée par les assises successives du
R.P.F. pendant la « traversée du désert » et le rappel constant à
partir de la réélection du général de Gaulle, de ces décisives options [59]),
par un ministre démissionnaire en 1967 contestant la procédure des pleins
pouvoirs : Edgard Pisani motivant ensuite fortement son vote de censure en
mai 1968, enfin par quelques plumes très vite après l’élection présidentielle
de 1969, l’anti-de Gaulle de Louis
Vallon [60]
notamment, valant à l’ancien rapporteur général du budget l’exclusion du parti
gaulliste. A ce procès, le successeur du Général était particulièrement
sensible, ce qui montre en fait – et à son honneur – qu’il restait
fondamentalement attaché à de Gaulle.
Mais la
distance exista, elle marqua le Général, l’attrista et le lassa [61] : le
point principal était la participation. De nombreux témoignages présentent
Georges Pompidou goguenard en comités interministériels à Matignon sur le
sujet, grossièrement dubitatif quand à la suite du triomphe électoral de 1968
il se voit demander par de Gaulle s’il veut bien être l’homme de cette grande
réforme, et se répandant en propos négatifs là-dessus auprès des journalistes
comme des parlementaires quand il ne fut plus Premier ministre. Bien d’autres
divergences dans l’action et le rythme à partir de 1966 l’opposèrent à de
Gaulle, mais la distance était née d’abord dans l’esprit du Premier ministre.
Dès la première élection présidentielle de la Cinquième République, il s’était
cru le candidat naturel [62] et
il craignit dès lors que la succession lui échappe soit parce que de Gaulle se
représenta, sans l’avoir délibéré au préalable avec lui, soit parce qu’à
Matignon un autre pourrait progressivement s’imposer à la fois par la durée et
par un certain parrainage du Général pour le dernier de ses Premiers ministres.
De Gaulle s’était lassé de ses entretiens de travail avec Georges Pompidou, il
ne se lassa jamais de ceux avec Maurice Couve de Murville, pourtant aussi
nombreux en rythme annuel et plus anciens de près de quatre ans. Le projet
référendaire de 1969 mettait sur orbite présidentielle le Premier ministre
puisque celui-ci désormais aurait assuré l’intérim au lieu que ce soit le
président du Sénat [63]. Nul
ne peut plus dire si vraiment Georges Pompidou était le Premier ministre que de
Gaulle aurait voulu dès le début de son premier septennat, au lieu que ce fût
Michel Debré, ni si, à la suite des événements de Mai, Maurice Couve de
Murville était seul dans l’intention du Général de remplacer un Georges
Pompidou démissionnaire de son propre chef, encore moins si le nouveau Premier
ministre aurait été le successeur désiré [64]. Au
plus, peut-il se noter que les deux principaux ministres de la confiance du
général de Gaulle, celui des Affaires étrangères et celui des Armées, ont été
les candidats putatifs à l’Elysée – le premier après le fondateur, le deuxième
après son immédiat successeur – dont il est généralement pensé qu’ils auraient
mieux convenu au rôle que ceux qui finalement l’obtinrent. Maurice Couve de
Murville au lieu de Georges Pompidou, Pierre Messmer au lieu de Valéry Giscard
d’Estaing.
L’affaire
Markovic [65] semble avoir monté un
engrenage qui a échappé aux prévisions. L’assassinat d’un familier et garde du
corps du couple Delon, alors très en vue, fait mettre en cause l’épouse de
l’ancien Premier ministre selon des procès-verbaux d’interrogatoire judiciaire.
La chronologie lie cette posture gênante pour Georges Pompidou avec ses
déclarations, très médiatisées, à Rome puis réitérées à Genève qui, dans le
courant de janvier 1969, ouvrent une alternative rassurante pour une partie
conservatrice de l’électorat en cas de départ du général de Gaulle. L’avocat
des parties civiles est Roland Dumas, proche de François Mitterrand et qu’a mis
très en vue le débat parlementaire sur le monopole d’Etat en matière de
télévision : c’est, au Parlement, le prélude non médité à l’explosion du
Quartier-Latin. L’avocat du principal inculpé est Jacques Isorni, trouvant dans
la comparution du principal compagnon politique du Général et de son probable
successeur l’occasion inespérée et très symbolique de venger la condamnation du
Maréchal et de tout le régime de Vichy. La coalition de 1962 et de 1965 contre
de Gaulle – droite et gauche réunies [66]– se
reforme, apparemment contre Georges Pompidou, en réalité contre le président de
la République et son nouveau Premier ministre qui ont chacun à perdre si
Georges Pompidou est contraint à devenir leur adversaire. Il l’est par leur
maladresse puisque Maurice Couve de Murville ne peut s’imaginer prévenir
lui-même son prédécesseur de ce qui se dit sur l’épouse de celui-ci et puisque
de Gaulle ne communique pas directement son appui, mais au contraire a des mots
qui se rapportent : « Il faut
voir… cela lui apprendra à aller trop souvent à Saint-Tropez… ». Mise
en évidence s’il en est que Georges Pompidou, déjà dissonnant dans le gaullisme
faute d’avoir été résistant, n’a pas non plus la retenue ou la prudence, dans
ses relations et dans celles de sa femme, qui sont l’ambiance générale (sinon
compassée) des entourages du président de la République. L’affaire est
aujourd’hui limpide quoique le non-lieu ait été prononcé, mais quinze ans après
les faits et moyennant deux ans de réclusion pour l’inculpé sans procès – des
assises mettant en cause (même si ce n’eût été qu’occasionnel) un ancien
Premier ministre, voire celui-ci devenu président de la République, étaient
évidemment inimaginables. Ce n’est pas – ici – le lieu de l’exposer.
La
réaction très vive du général de Gaulle aux déclarations de Georges Pompidou
mit en évidence celles-ci : elles seraient sans doute passées inaperçues
sans cela [67]. Le président de la
République avait d’ailleurs longuement reçu son ancien Premier ministre, moins
d’une semaine avant le départ de ce dernier pour Rome, et René Brouillet autant
qu’Etienne Burin des Roziers, présents lors de la première réunion de presse et
dont la fidélité au Général ne peut être contestée, ont toujours assuré n’y
avoir sur le moment vu aucune brigue ni manœuvre ni malice. Georges Pompidou,
en fait, ne visait pas le président de la République, mais ses propres
rivaux dans la brigue d’une succession pas encore datée : Michel Debré et
Maurice Couve de Murville ; c’est d’ailleurs ainsi que le Premier ministre
en place, comprit aussi bien l’affaire Markovic que les déclarations de
candidature présidentielle de son prédécesseur. Malheureusement, la vivacité du
Général montra pour ceux qui ne s’en doutaient pas, la distance qui s’était
faite. Il aurait été ensuite – encore plus maladroitement – tenté auprès du
candidat putatif de lui faire publier qu’en aucun cas il ne donnerait suite à
sa candidature, c’est-à-dire en cas de vote négatif au référendum, dont la date
fut fixée à la suite de ses déclarations. [68]
La
candidature, annoncée en lien avec la perspective d’un référendum au résultat
de moins en moins prévisible, manifestait pourtant une excellente connaissance
de la psychologie politique du Général, dont la démission et donc
l’interprétation démocratique fondant nos institutions, ne faisaient donc pas
de doute alors pour Georges Pompidou. Etait-elle seulement un pare-feu dans les
procédures de l’affaire Markovic ? Le souci de ne pas faire campagne après
soixante ans, la conscience aussi d’un état de santé qui pouvait du jour au
lendemain ne plus être contrôlable – secret que Georges Pompidou dût sans doute
partager avec le président de la République dès 1967 – ont probablement pesé
davantage.
Reste –
accessoirement ? – qu’avec Valéry Giscard d’Estaing de trente-six ans son
cadet, Charles de Gaulle est le seul président de la Cinquième République dont
l’exercice du pouvoir n’ait pas été marqué, sinon secrètement dominé, par la
question de santé. Sobriété d’une vie et de mœurs oubliée aujourd’hui – un
divorcé n’était pas invité à l’Elysée même s’il s’appelait Catroux, qui avait
été pourtant la décisive caution à cinq étoiles d’un général de brigade
prétendant à Londres, et un collaborateur encore plus intime, sinon domestique
que Georges Pompidou, pendant la « traversée du désert », mais gâtant
sa maîtresse de bijoux de famille, attendait neuf ans son premier portefeuille.
De Gaulle, la France et le peuple
De Gaulle
faisant l’ambiance de 1958 à 1965 et ne la faisant plus depuis sa banalisation
par la réélection. En revanche, il fait l’événement et il est plus
testamentaire et fondateur à partir de 1966 qu’avant. Difficultés intérieures
et de nouveau économiques, horloge de l’âge battant plus vite le rythme du
temps, aboutissement presque acquis des grandes initiatives de la
décolonisation, de la réconciliation franco-allemande, de la détente en Europe,
de Gaulle s’attaque aux chantiers qu’il n’avait pu auparavant aborder, la
participation à l’intérieur, l’émancipation dans les relations internationales.
Mais l’opinion le suit de moins en moins.
Chacun
des grands coups d’éclat au début du second mandat du Général est mal compris
par une majorité de Français même si de Gaulle reste populaire. A propos du
retrait de l’OTAN, de la condamnation d’Israël pour sa guerre des Six-Jours, du
« Québec libre », la coalition de droites et de gauches
chroniquement hostiles et peu perspicaces, se reforme dans la presse, dans les
partis et dans l’opinion. Elle atteint même la majorité censée soutenir le
président de la République. Israël surtout divise les soutiens traditionnels du
Général [69]. C’est patent l’été de
1967, c’est politiquement ruineux à trois mois du référendum, quand – en
réplique au bombardement israélien de Beyrouth – la France décrète l’embargo
sur les ventes d’armes à Israël, même contractuellement acquises : le 7
janvier 1969, sa condamnation du bombardement de Beyrouth est énoncée en des
termes tels que Joël Le Theule, ministre de l’Information, se met en grande
difficulté pour en rendre compte.
Aussi
bien, ces décisions et déclarations spectaculaires que les perspectives
développées par le président de la République font de celui-ci un facteur
d’imprévisibilité – et donc d’incertitude pour tous les intérêts ou groupes
établis. D’une certaine manière, le relais des « événements de Mai »
est pris par le Général lui-même dans l’interprétation résolument réformiste
qu’il leur donne, alors que le réflexe conservateur a été celui du pays pour
renouveler l’Assemblée nationale et va trouver sa pleine et commode expression
avec la candidature de Georges Pompidou, providentiel rechange à l’homme du 18
Juin.
Selon de
multiples traits qui lui sont prêtés, dans le moment et rétrospectivement, le
Général en a précisément conscience. D’autre part, sa conception des
institutions et plus encore sa façon d’être à la disposition du pays commandent
que le rapport au peuple soit revivifié, vérifié. Il est dans une situation
parente de celle qui le poussa à la démission en 1946, mais au contraire de
pointages aisés à l’Assemblée constituante d’alors et d’une gestuelle des
partis parmi lesquels aucun n’est le sien, de Gaulle peut penser que la preuve
n’est pas faite. Sans démagogie de gestion économique et fiscale, sans non plus
rien rabattre de ses projets et réactions – sur les sujets difficiles comme la
candidature britannique au Marché commun, la tenue de la monnaie – de Gaulle
doit cependant poser la question de confiance. Autrement, il ne s’inscrirait
plus dans la continuité historique de la France, dont le salut diffère des
péripéties et réclame une conduite rectiligne.
Son
dernier voyage en province – en Bretagne – est une expérience douloureuse.
Michèle Cotta, qui, pour la première fois de sa carrière encore jeune de
journaliste, suit un voyage du président de la République, voit celui-ci
manquer d’être frappé d’un parapluie par un manifestant [70]. Une
polémique s’élève, par ailleurs, sur la bande-son d’une partie des moments dans
la foule, où les sifflets sont remplacés par des ovations ? Jean Mauriac
note, mais ne publie pas, qu’il a été craché au visage de l’homme du 18 Juin…
De la
politique économique et sociale du Général, sont satisfaits au mieux 35% des sondés, et il
y a toujours plus de mécontents que de satisfaits, tandis qu’au contraire la
politique étrangère est soutenue le plus souvent à davantage que 50%. Les
mécontents ne dépassent les 25% qu’à notre retrait de l’O.T. A.N. C’est au
moment de la guerre des Six-jours que l’approbation atteint son maximum :
57% et l’opinion négative à 12%. Les Français, dans ces deux domaines, sont en
connaissance de cause : dix-huit mois après notre sortie de l’OTA.N. 47%
savent pertinemment que nous n’en faisons plus partie, contre 20% qui croient
que nous y sommes encore, et 52% savent que nous demeurons cependant dans
l’Alliance atlantique, pour 12% de mal informés. La distinction entre
l’Alliance et l’organisation intégrée est assimilée. [71]
Sondée
six mois après le retrait du fondateur de la Cinquième République, l’opinion
française reste d’autant plus fidèle à celui-ci qu’elle est celle de gens plus
modestes. Le Monde le commentant,
titre « Les classes populaires sont restées plus attachés que les autres
classes » [72].
La
réalité est que, même et surtout pour ses contemporains, de Gaulle transcende
les clivages droite-gauche et plus encore les concepts ou manœuvres
d’ouverture. Il ne va pas aux concours qui lui seraient utiles, dans tel ou tel
secteur de l’opinion, ce sont ces concours qui lui viennent. Significatifs,
fondés essentiellement sur sa politique extérieure, l’appel des
« Vingt-Deux » au début du second septennat et le vote des
communistes à l’Assemblée nationale contre la censure de notre retrait de
l’O.T.A.N. et en faveur de l’amnistie. Naturellement, les « gaullistes de
gauche » incarnent, encore plus pour l’opinion et les commentateurs que
pour le Général qui est l’origine de cette conviction, cette crédibilité
vis-à-vis d’une gauche, à l’époque peu cohérente [73]
*
* *
I I I
Les
conséquences
Volonté de gagner pour rester, le contraire d’un
suicide
Les
contre-sens et les réactions à courte vue quand, en même temps que les
résultats du scrutin, est annoncée la conséquence qu’en tire celui qui l’avait
fait organiser, avaient présagé dans le moment l’incompréhension, très vite
quasi-générale, de ce qu’avait fait de Gaulle et de la manière dont il s’y
était constamment pris, depuis 1940, pour le faire. Mais la dénégation la
plus forte du sens de la décision du général de Gaulle est d’y voir la
tentation suicidaire, c’est-à-dire l’aveu et l’acceptation d’une impuissance
désormais sur les faits et pour ce qu’il souhaitable que demeure et devienne la
France. Frédéric Grendel en a tout simplement raison [74]:
« Si de Gaulle, une fois encore,
recherche le soutien populaire, c’est qu’il en a besoin, donc qu’il reste. Et
s’il demeure, qui pourrait raisonnablement en douter ? c’est pour
agir ».
« Roulette russe ? » a titré Sirius[75] au
lendemain du référendum. Opinion répandue rétrospectivement par beaucoup,
qu’appuie avec éclat André Malraux [76] et
qu’a discutée Espoir [77].
Les faits
du 24 mai 1968 – première proposition de faire adopter la participation par
référendum – jusqu’au 19 Février 1969 – quand est fixée la date du référendum
sur la transformation du Sénat et la régionalisation, font conclure au
contraire.
D’une
part, de Gaulle – en nommant Premier ministre, Maurice Couve de Murville dont
il sait, non seulement la totale fidélité personnelle mais surtout le complet
désintéressement de carrière politique – entend reprendre plus directement
qu’avec Georges Pompidou, la direction des grandes affaires. La situation
internationale est caractérisée par les pourparlers de paix entre Américains et
Vietnamiens commencés à Paris en coïncidence paradoxale avec les
« événements de Mai », aussi par le second coup de Prague, et surtout
par une approche beaucoup compréhensive des relations franco-américaines tant
le président Nixon est un admirateur convaincu du Général. Le seul sujet
difficile est le maintien de la candidature britannique, qui peut opposer les
Allemands aux Français. De Gaulle a changé de ministre des Affaires étrangères,
celles-ci sont devenues presque secondaires au regard du nouveau souffle, du
second souffle qu’est la réforme intérieure dont les « événements de Mai »
donnent une excellente occasion. Au gouvernement et au nouveau Premier
ministre, que le Général et son entourage considèrent, quant à eux, comme
particulièrement capable en matière économique et financière, de traiter les
conséquences de la grève générale de plus d’un mois et des engagements pris rue
de Grenelle par Georges Pompidou. Au Général lui-même de répondre de la réforme
des institutions et des avancées sociales. Mais comme depuis 1958, de Gaulle
tient la barre sur tous les sujets en respectant les compétences de chacun.
Malgré un
affaiblissement passager de l’économie française, par suite de la grève
générale de Mai.Juin 1968 – dont la restauration spectaculaire en 1959-1960,
dix ans auparavant, avait d’emblée été décisive pour le crédit international du
général de Gaulle – celui-ci, depuis le début de 1969, a manifestement un
grand dessein de politique étrangère. Les difficultés qu’attestent
« l’affaire Soames » ou le dialogue franco-allemand avec le
chancelier Kiesinger, plus très éloigné d’une élection générale qui le privera
du pouvoir, sont en réalité le commencement d’une nouvelle période. S’étant
fait – décisivement – comprendre des Etats-Unis, grâce à l’élection de Richard
Nixon, et comprenant que la crispation soviétique, manifestée par le second « coup
de Prague », commande une pause dans la détente en Europe, le président de
la République est en train de concevoir comment aller vers l’indépendance et la
défense européenne, au niveau exemplaire de la Communauté des Six. La
compréhension – si nouvelle, mais qui ne tient qu’à lui – des Etats-Unis est un
point, décisif déjà marqué. : Nixon en est même à s’étonner publiquement
que les partenaires du Général n’adhère pas encore à son dessein ! Pour
continuer, il faut du temps à ce dernier. De même, au plan social sans jamais
reprendre à son compte, textuellement, les mécanismes préconisés par Marcel
Loichot et Louis Vallon pour faire de l’intéressement des travailleurs aux
résultats de l’auto-financement de l’entreprise, le Général tient à ce qu’à la
suite du référendum, le gouvernement dépose des projets de loi sur la gestion
des entreprises et sur le financement des investissements.,Maurice Schumann
rédige même un projet de loi sur la participation, mais ne le dépose pas[78].
Son
agenda témoigne de cette dialectique où politique étrangère et vérification de
l’appui populaire sont liés. Le refus, finalement, de dévaluer le franc a été
approuvé par une disponibilité spectaculaire de Lydon Jonhnson pour soitenir la
Banque de France et – à la suite du voyage de Richard Nixon en Europe,
privilégiant et jusifiant explicitement la priorité donnée à sa première
étape : de Gaulle et la France - les égards exceptionnels dont le
président de la République bénéficie, à dix-sept jours du référendum, quand il
assiste aux obsèques de Dwight Eisenhower, montrent bien que les cartes, enfin,
sont dans les mains du Général. Assemblées avec tant de ténacité et de
continuité depuis plus de dix ans. La recherche d’une solution de remplacement
ou d’attente pour la candidature britannique, le point approfondi de la
relation franco-allemande, la réaffirmation du point de vue français sur la
crise israélo-arabe sont des éphémérides retenant le commentaire et même
l’opinion publique, mais elles s’ibscrivent dans une dialectique bien plus dynamique
et à moyen terme. Enfin, dans la tradition et avec l’application de tout le
premier septennat, il y a le voyage, très appliqué, très mûri, en Bretagne..
Aussi bien le libellé du texte référendaire, sa complexité selon beaucoup, sa
facilité de mise en pratique dès sa promulgation selon ceux qui auront à
l’appliquer sans qu’aucun texte ne soit à prendre en plus, ne font aucune part
à la complaisance de qui brigue des suffrages. La position de 1969 est celle de
1965. Elle est, au moins intellectuellement et en toute cohérence avec dix ans
d’exercice du pouvoir, une position de force. A la politique, au peuple de
ratifier et de concourir.
Le
général de Gaulle est donc pressé d’aboutir, non pour savoir si oui ou non le
lien de confiance avec et envers les Français existe toujours, mais très
précisément parce que le projet lui semble décisif – à raison puisque la
régionalisation va se trouver au soir du 27 avril retardée de treize ans,
c’est-à-dire jusqu’aux lois Defferre de 1982, et puisque le rôle et le recrutement
du Sénat continue de faire question, que cette question est chronique depuis
l’établissement définitif de la République en France en 1875, et qu’elle n’est
soluble qu’en passant outre au veto
du Sénat, c’est-à-dire que par référendum… et parce qu’il sait son âge. Autant,
l’éventualité d’une démission avant terme, donc à son quatre-vingtième
anniversaire, ne peut être écartée, autant l’abandon voulu et délibéré de
chantiers décisifs et d’une réelle influence sur le choix de son successeur par
le peuple, paraît – chez de Gaulle – peu vraisemblable. C’est son âge qui
pousse le président de la République à proposer un texte, constitutionnel pour
sa partie essentiel et dont l’application sera donc indépendante de tout
rapetassage parlementaire ultérieur.
Le
Général a donc deux raisons pour ne pas mourir politiquement le 27 avril
1969 : l’importance du sujet, l’avenir de son legs. Un refus populaire
rend forcément timide toute prétention ultérieure à continuer exactement la
course commencée : c’est ce qu’il advint sur tous les sujets
difficiles, la crédibilité et la pratique tous azimuts de notre indépendance,
l’inventivité française de positions et de politiques européennes à la fois
acceptables par nos partenaires et conformes à nos intérêts essentiels et
naturels. Surtout, l’acceptation du verdict populaire parut d’une exemplarité
démocratique telle qu’elle grandissait – s’il en avait eu besoin – l’homme du
18 Juin, mais inclinait les successeurs à la réticence devant une telle
procédure, puisqu’il est aujourd’hui tenu pour certain qu’aucun référendum ne
pourra plus être positif en France, sauf massives abstentions, ce que Georges
Pompidou apprit à son grand mécontentement en 1972, ce qu’analysent dans des
livres de campagne en termes identiques [79], avant
de parvenir à leurs fonctions, les actuels président de la République et
Premier ministre.
Gagné le
référendum du 27 avril et de Gaulle restant à l’Elysée, dix-huit mois ou trois
ans encore, l’avenir n’aurait pas été ce qu’il fut : la succession présidentielle,
l’évolution des grandes questions internationales (convertibilité du dollar,
existence d’Israël au sein du monde arabe, indépendance du Québec, arrangements
américano-vietnamiens, construction européenne), le réagencement des partis
d’opposition et la probable redistribution des personnes et des mouvements de
Gaston Defferre à Jacques Duhamel, pour n’évoquer que ce qui a été tranché dans
un sens très différent de ce qui était possible avec le Général.
La
réalité du référendum est bien que le général de Gaulle cherche la confirmation
de son mandat présidentiel, dont les élections législatives du 30 juin 1968,
malgré leur résultat triomphal, ne l’ont pas assuré. « Mon devoir est donc tracé et pour aussi
longtemps que le peuple voudra me suivre », écrit-il pour se
caractériser rétrospectivement au début de son retour au pouvoir [80].
Paradoxalement, c’est l’un des fauteurs du non,
qui l’a le mieux compris, mais il ne le formule que trente-sept ans plus
tard ! « Le général de Gaulle
tirait-il sa légitimité du fait qu’il avait rétabli, par sa démarche solitaire,
l’existence-même de la République française, et qu’il avait vocation à la
diriger, ou bien cette légitimité lui avait-elle été conférée par son
élection ? J’imagine que dans son for intérieur, c’est la première lecture
qui prévalait, et il laissait de temps à autre jaillir une expression en ce
sens. Cette attitude a donné un caractère unique dans l’histoire à son départ
de la fonction présidentielle, lorsqu’il s’est trouvé pour la première fois en
désaccord avec la majorité du peuple français : alors que d’habitude ce
sont les peuples qui se débarrassent de leurs dirigeants, dans son cas c’était
le dirigeant qui se débarrassait du peuple, auquel par la suite il n’a plus
jamais adressé la parole ! Ce n’est pas, contrairement à ce qu’on a pu
écrire, que le général de Gaulle ait cherché à organiser son départ, mais c’est
parce qu’une fois le désaccord constaté, il a tenu à couper lui-même tous les
liens antérieurs ». [81]
La vraie responsabilité de l’ancien Premier ministre
Objectivement
loyal envers son successeur à Matignon, quoique ce dernier – par Jacques Chirac
interposé – ait composé le nouveau gouvernement selon la plupart de ses
suggestions (ainsi François-Xavier Ortoli aux Finances, faute qu’Olivier
Wormser ait accepté l’offre de Maurice Couve de Murville, patron qu’il estimait
suprêmement pourtant) ou de ses interdits (ainsi Alexandre Parodi,
vice-président du Conseil d’Etat, dissuadé discrètement de troquer la solidité
de sa position pour la précarité du ministère des Affaires sociales), Georges
Pompidou le fut aussi dans la crise du franc à l’automne de 1968, au moins en
apparence [82] pendant laquelle il ne se
fit pas remarquer. La campagne référendaire lui rendit un rôle qu’il accepta
pleinement : « Nous gagnerons si nous sommes unis dans la. Nous gagnerons ou
nous perdrons tous ensemble. Encore faut-il que le gouvernement nous aide »
[83].
Le non l’emportant, sa candidature était
naturelle[84], elle fut explicitement,
quoique secrètement, approuvée par le démissionnaire [85] –
mais Georges Pompidou en négocia les chances – publiquement, il est vrai –
d’abord avec les Républicains indépendants, puis avec les centristes Progrès et
démocratie moderne. L’ancien Premier ministre engagea donc par avance son
exercice du pouvoir avec deux groupes qui avaient notoirement prôné le non à de Gaulle et au projet
référendaire. Sans doute, ces engagements correspondaient non seulement à sa
propre vision des choses, mais aux convictions qu’il s’était faite pendant les
six ans où il avait été Premier ministre, et plus encore à ce qu’il jugeait de
la politique-même de l’homme du 18 Juin. Pour Georges Pompidou, le nœud gordien
[86]n’était
pas tant le lien entre celui-ci, l’histoire, la France et l’actualité, il était
fait d’un certain nombre de lacunes et d’impasses dont il pensait avoir la
solution. Il laisserait à l’histoire la charge de décider si, ce faisant, il
aurait trahi ou pas la personne et le legs d’un prédécesseur qu’il tenta
parfois d’imiter. Les conférences de presse, l’exposé des motifs du projet de
référendum en 1972 équivalant à une lecture complaisante d’un rôle qu’il aurait
primordialement joué, pour ainsi dire à l’égal du président de la République,
depuis qu’en 1962 il avait été nommé Premier ministre, sans oublier la
direction du cabinet et la réorganisation économique et financière en 1958 et
les négociations avec la rébellion algérienne.
Sa
présidence s’inaugura donc – conformément à des engagements de parti – par deux
décisions de la plus grande portée, rétrospectivement par deux fautes en
contre-pied avec ce qu’avait maintenu le général de Gaulle jusqu’au dernier
jour de l’exercice des fonctions présidentielles. La dévaluation du 8 août
détermina l’inflation qui a caractérisé notre économie pendant les quinze ans
qui suivirent [87]. Beaucoup plus grave,
l’engagement pris en Octobre suivant, lors du sommet européen (à Six) tenu à La
Haye, de ne plus faire obstacle à la candidature britannique au Marché commun,
moyennant l’irréalisable « approfondissement » de la Communauté,
c’est-à-dire dans les dix ans une union politique et monétaire. Jamais les
signataires du traité de Rome, ni ceux qui animèrent la Communauté des Six,
parfaitement homogène socialement et économiquement et dont le gouvernement
était possible en raison du petit nombre des Etats-membres, n’avaient prétendu
que ce fut la matrice d’une organisation
à vingt ou trente. « L’Europe de l’Atlantique à l’Oural »
était un autre dessein. De ce premier élargissement, sans réforme
institutionnelle autre que des ajustements de la procédure législative depuis
quarante ans, ont découlé tous les suivants et sans doute aussi l’impuissance
européenne à résister aux idéologies adverses. Georges Pompidou comprit – mais
tard – que la Grande-Bretagne garderait son statut à part, surtout après son
adhésion, ce qui fut, et que la défense et l’illustration de positions
européennes indépendantes de celles des Etats-Unis : la question de
l’Agence internationale de l’énergie et l’exclusivité du dialogue euro-arabe,
seraient très difficiles dans la Communauté européenne telle qu’elle devenait
avec la participation britannique. Le préalable concédé à nos cinq partenaires
n’avança pas la pétition de fond, qui restait gaullienne, au contraire elle
prépara qu’elle devînt émolliente, ce qu’ont consacré les traités de Maastricht
et de Lisbonne introduisant les engagements et donc les subordinations
atlantiques des Européens dans le corps-même des textes régissant l’Union.
En fait,
Georges Pompidou prit la responsabilité d’engager une lecture facultative et
relativiste du legs gaullien que son expérience et son passé auprès du général
de Gaulle pouvait authentifier, pour des esprits soit superficiels, soit
consentants au travesti pour ne pas interrompre leur propre carrière en
affrontant le nouveau chef puis ses successeurs, dispensateurs selon la
Constitution et dans nos mœurs plus
révérenciels envers le président de la République, depuis le fondateur que du
temps de celui-ci.
Deux
points posaient question au départ du général de Gaulle : les
institutions, la politique étrangère. Deux seulement puisque l’imagination des
meilleures modalités possibles pour la participation avait été refusée –
d’autant qu’au contraire de sa première intention le 24 mai 1968, de Gaulle,
finalement, n’en avait pas soumis au suffrage universel, ni le principe, ni son
application dans le domaine social [88].
Puisqu’aussi la dévaluation du franc avait été écartée. Ces deux points avaient
en commun de mettre en cause la crédibilité du chef de l’Etat, de l’élu du 15 juin
1969 et des successeurs qu’il aurait. L’enjeu est le même : la mise en jeu
de son mandat présidentiel à l’occasion d’une dissolution (1962 et 1968) ou
d’un référendum et l’indépendance de sa décision ou de ses initiatives en
politique étrangère étaient totalement crédibles. Le général de Gaulle avait
été totalement et constamment crédible. C’est de cette crédibilité que chacun
des ministres a tiré pendant onze ans, dans son domaine de compétence, son
autorité. C’est ce qui donnait aux faibles cartes françaises face à la
puissance de jeu des Américains, une capacité de persuasion ou de nuisance
critique sans commune mesure avec ces cartes en tant que telles. Parce qu’elles
étaient jouées par de Gaulle [89].
Le rôle
de la France, tant qu’elle demeurait encore dans l’Alliance atlantique, coulait
de source. Eviter que le pacte change d’objet, et par conséquent à l’implosion
soviétique, consécutive à la chute du « mur de Berlin », et à la
dissolution qui suivit du pacte de Varsovie, proclamer l’obsolescence de ce qui
n’avait été qu’une réponse aux ambitions de Staline puis à la succession des
défis et des immobilismes de ses successeurs. L’œuvre française – la détente –
aurait consisté à fonder les relations intraeuropéennes sur le processus
d’Helsinki. Elle aurait déterminé l’intégration européenne, comme elle le fit
en matière économique et monétaire, mais en imaginant des institutions enfin
démocratiques et une défense des Etats européens par eux-mêmes. La France au
contraire a consenti à un fixisme institutionnel, inviable à vingt-cinq ou
trente et la fiction d’une défense européenne assurée par la participation à
l’O.T.A.N. d’une partie des Etats-membres sans égard pour les neutres. Seule,
une contestation conséquente et constante de l’élargissement des compétences de
l’Alliance et donc de son champ d’application territoriale aurait dénoncé la
novation des pratiques hégémoniques américaines. L’ordre international, avec ou
sans mandat des Nations Unies, depuis la fin de la division de l’Europe, aurait
pu s’établir autrement que selon des coalitions – un contre tous – qui ont
caractérisé les opérations militaires de « maintien de la paix »,
depuis la guerre du Kosovo jusqu’aux opérations d’Afghanistan et d’Irak. Le
manque d’imagination pour prolonger la percée française sous de Gaulle, a été –
tristement – productif : c’est l’argument [90] qui
a fondé notre réintégration de l’O.T.A.N. sur l’observation que nous ne
l’avions jamais vraiment quittée ! et qu’après de Gaulle, chacun mais
honteusement, avait amoindri les effets pratiques d’une sécession seulement
d’apparence. D’une certaine façon, le président régnant n’a pas eu à prendre la
décision, ses prédécesseurs en n’exploitant pas le legs du Général, en ne
poursuivant pas le parcours initié, l’avaient putativement prise avant lui.
La
dernière année de son exercice des fonctions présidentielles, Georges Pompidou
l’avait parfaitement vu qui monta avec constance et énergie, malgré la maladie
et l’approche de la mort, son ministre des Affaires étrangères, Michel Jobert,
contre les menées, chantages et projets des Etats-Unis, alors encore plus
incarnés par Henry Kissinger que par Richard Nixon, sensible à l’indépendance
et au rôle de la France depuis de Gaulle [91], lui
accordant même, explicitement, une influence privilégiée. Synthétisant, le 27
mars 1974, la situation internationale, l’ancien Premier ministre et successeur
du général de Gaulle, parla – enfin – comme celui-ci.
« L’arrivée au pouvoir du gouvernement
travailliste va profondément bouleverser l’attitude de la Grande-Bretagne
vis-à-vis du Marché commun. Suivant en cela le cours d’une histoire séculaire,
le gouvernement de M. Wilson va essayer de conserver les avantages du Marché
commun et ceux, traditionnels, d’une alliance étroite avec les Etats-Unis. Nous
allons donc retrouver une Grande-Bretagne qui sera à la fois dedans et
dehors ; leur habileté va nous mettre fréquemment dans des situations
difficiles, car ils vont tenter en chaque circonstance de reporter sur autrui,
et au premier chef sur la France, la responsabilité des difficultés qu’ils
auront eux-mêmes suscitées.
L’une des premières difficultés que nous allons
rencontrer est leur volonté, partagée d’une certaine manière par les Allemands,
de soumettre, sous couvert de consultations, les décisions communautaires à un
accord préalable des Etats-Unis ; Nous ne pouvons pas soumettre en quoi
que ce soit la construction européenne à un veto du département d’Etat. Nous
assistons aujourd’hui à un immense chantage au départ des troupes américaines.
En fait, nous n’avons aucune raison de ne pas résister à ce chantage, qui n’est
absolument pas réaliste. Les intérêts profonds des Etats-Unis correspondent à
leur participation majeure à une défense de l’Europe. Ils peuvent menacer de se
retirer – en réalité, ils ne partiront pas tant que leur intérêt sera de
rester. Leur départ de l’Europe signifierait la fin du partage du monde avec
l’U.R.S.S., car les Etats-Unis se trouveraient immédiatement ramenés au
deuxième plan par rapport à leur adversaire principal. Je crois donc que nous
n’avons aucune raison de nous laisser impressionner par ce chante.
La France n’a qu’une attitude possible : c’est de
tenir. Ne pas tenir bon, ce serait pour notre pays disparaître en tant que
nation – en tant qu’entité libre de ses décisions. Mais aussi ce serait
disparaître en tant qu’acteur de la construction européenne. Si nous tenons –
et ce sera long et difficile – nous aurons… beaucoup de difficultés et beaucoup
d’ennuis car des choses essentielles sont en cause : nous sommes des gêneurs
en les révélant et nous serons susceptibles, ce faisant, de rencontrer un grand
courant d’hostilité ; mais il y a des choses que la France ne peut
admettre.
En ce qui vous concerne, messieurs les ministres, je
vous demande dans tous les débats de hausser le ton et de remonter sur les
hauteurs de l’intérêt national sans fioritures. Le langage que vous devez tenir
aux Français doit s’apparenter à celui de Clemenceau et, dans les circonstances
actuelles, ne laisser aucune place à la facilité, encore moins à la démagogie.
En 1962, à la tribune de l’Assemblée et à l’occasion d’un vote de confiance,
j’ai été amené moi-même pour gagner quelques voix, à dire un certain nombre de
choses destinées aux personnalités dont je sollicitais le suffrage de
confiance. Je m’en suis amèrement repenti, car elles ont empoché les bonnes
paroles et elles n’ont pas voté la confiance. Faites-en votre leçon. On ne
gagne jamais rien à adopter une attitude de facilité » [92].
A
l’automne de 1968, c’est-à-dire à six mois du référendum décisif, mais aussi de
la possibilité désormais de dénoncer l’Alliance atlantique moyennant un simple
délai d’un an, le commandant suprême de l’OTAN envisageait publiquement
l’éventualité d’opérations pour lesquelles non seulement les forces françaises
feraient défaut, mais aussi le territoire français – et la déplorait vivement.
Hors de l’OTAN, la France avait un poids d’autant plus important qu’elle
pouvait même quitter l’Alliance, ce qui faisait son intérêt pour l’Union
soviétique et pour les « non-alignés » qui sous la signature de Tito,
proposèrent à de Gaulle de participer à leur conférence au sommet. En matière
de non-prolifération nucléaire, la France ne signait pas, mais de son seul
chef, appliquait tout : dès son retour au pouvoir et à l’instigation de
Maurice Couve de Murville, les coopérations nucléaires militaires tant avec
l’Allemagne qu’avec Israël furent arrêtées. Cette crédibilité résista longtemps
– elle était d’ailleurs avantageuse même en vente d’armes, auprès des
« non-alignés » – au point que l’engagement discutable de François
Mitterrand en faveur du stationnement d’euro-missiles en Allemagne occidentale
rendit Helmut Kohl durablement son débiteur. Crédibilité d’ailleurs un temps
renouvelée par une résistance aux dispositifs de la « guerre des étoiles »,
exprimée par Roland Dumas, ministre socialiste des Affaires étrangères appuyé
par Maurice Couve de Murville, contre Jacques Chirac, désormais aligné.
Il est
significatif que la perte de la crédibilité présidentielle se soit manifesté –
en même temps et selon la même personne, c’est-à-dire à partir de 1995 – à
propos de nos institutions et sur la pierre de touche de notre politique
étrangère, la relation avec les Etats-Unis. Les deux domaines sont en fait
liés, ils ont le même ordonnateur suprême dans la construction du général de
Gaulle. La défaillance dans l’un s’accompagne systématiquement de lacunes ou de
travers dans l’autre. Elles procèdent du même esprit. Les tâtons de Jacques
Chirac vers l’O.T.A.N., succédant à nos participations à la guerre du Golfe et
préludant les mêmes à la guerre du Kosovo, ont pu mithridatiser l’opinion
française pour une réintégration dans le dispositif atlantique, emportant une
participation en règle à la guerre d’Afghanistan, assortie dernièrement du
premier établissement d’une nouvelle base militaire à l’étranger depuis le
dispositif arrêté de 1959. Ces tâtons ont constitué le principal argument pour
l’actuel président de la République et son gouvernement, lesquels sans majorité
sur le sujet au Sénat et pas assurés d’en avoir une à l’Assemblée nationale,
posèrent la question de confiance. Georges Pompidou et Maurice Couve de
Murville, en 1966, avaient choisi plus démocratiquement et moins timidement
d’attendre la censure contre l’initiative
du général de Gaulle.
Le principal
levier d’une politique étrangère indépendante – précurseur patient d’une
émancipation européenne de la fascination américaine – a donc été brisé. Et
cela dans une filiation de partis se réclamant encore de l’exemple gaullien (de
l’U.D.R. au R.P.R. élargi au centre avec
une U.M.P. faisant elle-même coalition avec les transfuges de la gauche),
alors que la gauche qui l’avait censuré en 1966, avait eu garde de le faire
sous François Mitterrand et l’empêcha même sous Lionel Jospin.
Les
principaux changements dans nos orientations diplomatiques et militaires, et
dans nos pratiques voire dans nos écritures constitutionnelles, ont été –
courageusement – présentés par les épigones du Général comme ne changeant rien
à son édifice [93]. Le même argument dans les
deux domaines : continuité avec le laisser-aller qui a rendu émollient le
legs gaullien, de génération en génération politiques et gouvernementales.
Au
lendemain de la démission du général de Gaulle [94],
Alfred Grosser constate que le non avance
de trois ans le moment où le successeur donnera un contenu nouveau aux mêmes
institutions : le successeur qui sera plus puissant que si le général de
Gaulle n’avait pas été là puisqu’il a élargi la fonction présidentielle, et qui
sera moins puissant que le général de Gaulle parce qu’il ne sera pas le général
de Gaulle. Les mêmes institutions qui peuvent aussi bien voir le président
dominer le gouvernement et l’Assemblée que le Premier ministre, appuyé sur le
Parlement, s’opposer au Président et s’imposer à lui ». La campagne
présidentielle de mai-juin 1969 et surtout le duel Pompidou-Poher traitent la
question du rôle du président de la République dans nos institutions mais la
victoire de l’ancien Premier ministre du général de Gaulle ne clôt pas le
sujet.
Nommant
Premier ministre Jacques Chaban-Delmas, Georges Pompidou sans doute paye une
dette et croit gérer l’élargissement de la majorité parlementaire aux
centristes, mais la présentation qu’après trois mois de réflexion et beaucoup
de délibérations et de projets de rédactions, le nouveau Premier ministre fait,
le 16 septembre 1969, de l’action gouvernementale est celle d’un président de
la République, en tout cas bien plus que celle de ses prédécesseurs à l’hôtel
de Matignon : le discours sur la
Nouvelle Société est, presqu’unanimement, entendu comme une somme politique
et l’ancien ministre de la Quatrième République paraît en situation de rallier,
à lui, plus qu’à l’élu du 15 juin 1969, des concours qui ont fait défaut aux
débuts de la Cinquième, de Gaston Defferre à Félix Gaillard. Pis, en
sollicitant et en obtenant une confiance massive de l’Assemblée nationale, le
17 mai 1972, alors que – de son côté – le président de la République a
enregistré presqu’autant d’abstentions, la plupart très motivées, que de oui, au référendum du 23 avril 1972,
Jacques Chaban-Delmas donne une interprétation parlementaire de l’exercice du
pouvoir après de Gaulle. Par loyauté de tempérament mais guère par calcul
politique, ne voulant pas être « un triste sire », il cède aussitôt,
cependant, au président de la République. Un sondage [95]
suivant de deux mois le discours sur la
Nouvelle Société, montre que les
Français croient que fixer les grandes orientations gouvernementales appartient
désormais au gouvernement et souhaitent, en majorité relative, qu’il en soit à
l’avenir ainsi. La démission de Jacques Chaban-Delmas – que la lettre de la
Constitution n’impose pas au Premier ministre, à première demande du président
de la République – règle la question jusqu’à l’épisode suivant, qui ne sera pas
le fait de Georges Pompidou : la cohabitation en 1986, puis en 1993 et
enfin en 1997. Pour une quinzaine d’années, Georges Pompidou, et à sa manière
jacques Chaban-Delmas, ont donc exploré des alternatives puis fait trancher
l’histoire du régime fondé par de Gaulle : ni l’un ni l’autre n’a donc –
là – entamé le legs fondateur. L’Elysée l’emporte sur le Palais-Bourbon s’il
s’agit de situer la confiance qui légitime le gouvernement. La responsabilité
est encourue après eux : Valéry Giscard d’Estaing, si les élections de
1978 avaient tourné comme il ne l’excluait pas lui-même, et François
Mitterrand, effectivement et à deux reprises, ont inscrit dans la pratique la
possibilité d’une autre lecture.
En
revanche, Georges Pompidou par sa proposition de réduire la durée du mandat
présidentiel trahit doublement le legs. D’abord en morale politique puisque
pour affaiblir l’adversaire, il débauche ses thèses, puisqu’aussi il obéit,
sans que ce soit aussitôt perçu, à des soucis de convenance personnelle, selon
sa santé compromise [96].
Certes « sec » dans le projet de 1973 comme dans le ralliement, en
2000, de Jacques Chirac, à la proposition de son compétiteur socialiste en vue
de 2002 soutenant Valéry Giscard d’Estaing, qui l’avait exhumé par vengeance,
le quinquennat bouleverse les équilibres institutionnels et attente d’abord à
l’esprit de la Constitution et à la pratique de démocratie directe qu’en avait
fait de Gaulle. En effet, le motif principal pour abréger la durée du mandat
présidentiel était, en 1973 comme en 2000, de rendre juges les Français plus
fréquemment. Adopter ce projet a accompli la prédiction de René Capitant [97] dès
qu’il entendit l’interprétation que Georges Pompidou, devenu président de la
République, donnait à la démission du général de Gaulle. Sont donc tombés en
désuétude ces modes de consultation populaire, de vérification de la confiance
ou d’adoption d’un texte que pratiquait de Gaulle : la dissolution de
l’Assemblée nationale, le référendum, chacune de ces deux procédures remettant
en jeu l’élection présidentielle ou l’actualisant. Depuis, plus s’accentue la
main-mise exclusive du président de la République sur l’ensemble des pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaire, plus nos institutions s’éloignent d’une
responsabilité populaire du chef de l’Etat et d’une mise en jeu constante de
son mandat électif.
Deux
autres écarts se firent plus immédiatement. La dévaluation du franc, le 8 août
1969. L’état d’esprit, rue de Rivoli, pendant le dernier trimestre où le
général de Gaulle est encore président de la République est rétrospectivement
donnée dans le dossier d’un séminaire tenu à l’automne de 1969 sur les budgets
économiques devant accompagner la dévaluation du 8 août [98]. Manifestement, on s’y situe par analogie à 1958 ;
on est en début de règne et d’une nouvelle politique économique. Nonobstant la
décision du Général, le 25 novembre 1968 de ne pas dévaluer, tout a été fait
pour que les successeurs aient le choix. Une note sous le sigle
« Opération Parme », datée du 8 mai 1969 indique que “ Malgré
les mouvements spéculatifs créés par les déclarations de personnalités
allemandes, une dévaluation à chaud paraît improbable au cours des prochaines
semaines. En effet, les réserves de change sont suffisantes pour soutenir un
nouvel accès de spéculation, il s’y ajoute des lignes de crédit importantes,
qui pourraient, le cas échéant, être renforcées, nul n’a avantage à une
dévaluation sauvage du franc. C’est donc le problème d’une dévaluation à froid
qu’il faut poser et que se posera nécessairement le Gouvernement issu des
prochaines élections présidentielles ”. Il est incidemment admis qu’on
avait préparé de même une éventuelle décision en novembre 1968. Une seule note
étudie une politique de rechange (rétablissement de l’équilibre extérieur sans
dévaluation). Bref, le dernier ministre de l’Economie et des Finances du
général de Gaulle recommande, le 20 juin, à son successeur la dévaluation [99].
François-Xavier Ortoli a dirigé le cabinet de Georges Pompidou, Premier
ministre, jusqu’en avril 1967.
Des normes qui, jusqu’à présent, ont été des
exceptions
La
majorité de Françaises et de Français soutenant de Gaulle et son action, selon
les sondages, mais aussi selon les scrutins référendaires et pour l’élection du
président de la République en 1965, et des députés se réclamant de lui de 1958
à 1968, correspond trait pour trait, dans sa distribution d’âges, de sexes, de
professions à l’ensemble national. Plus simplement dit, même le 27 avril 1969,
où l’homme du 18 Juin est finalement minoritaire, de Gaulle correspond à
l’ensemble des Français et les représentent – en sociologie électorale – comme
aucune autre personnalité avant lui et surtout après lui, aucun parti non plus
n’y était parvenue ou n’y parviendra. Par exemple, dès le 1er juin
1969, le vote pour Georges Pompidou est bien moins ouvrier et plus féminin que
le soutien au projet référendaire six semaines auparavant. Quoique bien plus
faible numériquement en mai 1974, le soutien à Jacques Chaban-Delmas, perçu
comme davantage gaulliste que Valéry Giscard d’Estaing, est plus proche,
sociologiquement, de l’échantillon national que l’électorat de ce dernier. Le
vote pour de Gaulle n’est pas clivé droite/gauche. Les adversaires du Général
se rencontrent autant à droite qu’à gauche et sont d’ailleurs plus résolus à
droite qu’à gauche.
De Gaulle
ne conçoit le pouvoir – en légitimité et en efficacité – qu’appuyé sur le
vouloir populaire. Encore faut-il le susciter et lui donner son champ
d’expression. Vouloir décisionnaire et arbitral. Les Français n’ont de bien
commun que la France, autrement ils se divisent. Le peuple décide, c’est le
référendum, c’est aussi l’élection des députés à l’Assemblée nationale. Le
peuple décide directement du projet proposé ou de la décision à ratifer :
les textes constitutionnels ou pas organisant les pouvoirs publics que de
Gaulle lui soumet en 1958, en 1962, en 1969, la décision d’en finir avec la
guerre en Algérie et d’accorder l’indépendance. Evidemment pas la démagogie ou
le report des décisions. La retraite des anciens combattants en 1959 ou
l’arrivée du tiers provisionnel juste avant le référendum de 1969. Le bras de
fer pour le Marché commun agricole en 1965 – de l’intérêt des agriculteurs qui
ne le comprennent et contribuent à la mise du Général en ballotage. La mise en
place d’un plan de stabilisation rigoureux en 1963, dont le gouvernement ne
s’était pas le premier aperçu qu’il était nécessaire et alors même que la
popularité du président de la République avait de la peine à se relever de la
grève des mineurs. En 1997, le gouvernement d’Alain Juppé, au contraire,
choisit d’avoir, par anticipation, les élections derrière lui pour imposer
ensuite les disciplines du passage à l’euro. Dissolution de confort (selon Valéry
Giscard d’Estaing) : procédé que sanctionna le peuple, ce qui n’était pas
pourtant le plébiscite de l’opposition de gauche. Pendant tout le quinquennat
de Lionel Jospin, les décisions difficiles : Nouvelle-Calédonie, Corse,
retraites sont reportées à la suite de l’élection présidentielle de 2002. Il
est surtout inimaginable que des décisions réputées essentielles par le pouvoir
– la ratification du traité de Lisbonne, la révision constitutionnelle – ne
soient pas prises par référendum. Georges Pompidou pour l’élargissement du
Marché commun et François Mitterrand pour la mue européenne qu’engage le traité
de Maastricht l’avaient compris. Mais, ni l’un ni l’autre n’avaient lié la
suite de l’exercice de la fonction présidentielle au résultat du référendum, en
sorte qu’ils préparèrent, et sanctionnaient par avance, le fiasco de 2005, qui
n’a nullement été le vote négatif mais la réduction à l’impuissance de Jacques
Chirac pour les deux dernières années de son mandat.
Ainsi de
Gaulle et – par leur comportement opposé au sien – ses successeurs
démontrent-ils que la démocratie directe est la seule manière de rester
légitime et d’être efficace. Ne pas faire trancher clairement le peuple, c’est
perdre le pouvoir même si l’on garde la place. Bien entendu, la question de
personne est décisive, c’est pourquoi elle est de confiance. Les Français ne
votent pas seulement un projet ou ne ratifient pas seulement une décision, ils
associent une personne à l’exécution de ce qu’ils ont manifesté vouloir. Chacun
des référendums décide donc non seulement de la question posée mais du maintien
du général de Gaulle à l’Elysée. La participation est donc très forte. Quand
cet enjeu de personne n’existe plus, elle devient dérisoire comme l’ont montré
les consultations sur la Nouvelle Calédonie et surtout sur la réduction de la
durée du mandat présidentiel. La démission du général de Gaulle suivant le vote
négatif au référendum de 1969 n’est donc pas le fruit d’une appréciation
personnelle ou d’une interprétation de l’état de l’opinion publique : si
le texte soumis n’obtient que 47% des suffrages exprimés, le Général reste
cependant populaire à plus de 53% des sondés et n’a été minoritaire dans
l’opinion que cinq mois [100] en
onze ans d’exercice du pouvoir – durée jamais égalée puisque des quatorze ans
passés par François Mitterrand à l’Elysée, il faut déduire quatre ans pendant
lesquels la majorité parlementaire et donc le gouvernement ne sont pas les
siens et puisque des douze ans de Jacques Chirac, il faut en enlever les cinq
ans du gouvernement de Lionel Jospin. Jamais les mécontents n’ont été plus
nombreux que les satisfaits de son action. De Gaulle cesse d’exercer ses
fonctions parce qu’il respecte la décision populaire, le contraire serait
trahir l’engagement pris devant le peuple et vider de tout sens la démocratie.
Georges Pompidou, recevant les vœux de la haute fonction publique au début de
1970 affirme que le Général « résilia volontairement ses fonctions »
dit donc une « contre-vérité » : René Capitant l’établit
clairement[101]. La jurisprudence de
1969 était fondatrice : la décision des sujets importants se fait par
référendum et elle engage le maintien ou pas dans ses fonctions du président de
la République qui a engagé la procédure. Elle a été éludée ou refusée par les
successeurs du Général. Eludée par les deux premiers, refusée par Jacques
Chirac en 2005 puisque celui-ci ne démissionne pas, et refusée par Nicolas
Sarkozy puisqu’il ne soumet pas les projets européens et constitutionnels au
référendum.
Le
tête-à-tête est avec le peuple. De Gaulle a besoin de la confiance des
Français, et plus encore d’être assuré qu’il peut – lui-même – leur faire
confiance, en ce sens qu’il lui faut s’assurer que les Français continuent de
vouloir ce bien commun : la France. Il n’en résulte nullement une
quelconque autocratie [102]: ce
n’est ni la réalité de la période 1958-1969 ni le tempérament, au contraire, du
Général. Tous les témoignages de ses Premiers ministres et de ses ministres
concourent à montrer que la prééminence présidentielle est morale, politique,
qu’elle n’est en rien une confusion des compétences, un interventionnisme dans
les différents domaines dont le président de la République délèguent les
gestions. Georges Pompidou peut répliquer à François Mitterrand, en débat
parlementaire sur la pratique institutionnelle, tandis que le Général subit une
intervention chirurgicale négligeable, qu’il attache grande importance à sa
propre signature. Le Premier ministre peut mettre sa démission en balance pour
obtenir la grâce de Jouhaud en 1961 ou la dissolution de l’Assemblée au lieu de
la tenue d’un référendum en 1968. Si aucune alternative ne lui est présentée,
de Gaulle est prêt à accepter la dévaluation du franc en 1968 quoiqu’il se soit
engagé au contraire. A un de ses ministres préférés, Edgard Pisani, il confie
qu’il peut « faire faire au Premier
ministre ce que celui-ci n’a pas envie de faire, mais pas ce qu’il ne veut pas
faire ». En conseil, lors de l’adoption du projet de loi sur les
pleins pouvoirs en matière sociale, à la suite des élections législatives très
difficiles de 1967, le président de la République entérine la procédure qu’ont
choisie le Premier ministre et le ministre de l’Economie et des Finances
(Georges Pompidou et Michel Debré) parce que son rôle se borne à garantir la
constitutionnalité de cette procédure, mais pas à décider de son opportunité.
Dans la vie quotidienne gouvernementale, de Gaulle et a fortiori le secrétariat
général de l’Elysée n’interviennent pas directement auprès des ministres. La
voie hiérarchique est le dialogue hebdomadaire entre le président de la
République et le Premier ministre. Les deux domaines essentiels pour la
continuité de l’Etat et que la Constitution attribue pour leur généralité, la
diplomatie et la défense, sont délibérés en tête à tête avec le ministre
compétent – de fait inamovible : Maurice Couve de Murville pendant dix des
onze ans de présence du Général à l’Elysée, Pierre Messmer pendant neuf.
Le
gouvernement est évidemment celui du président de la République [103]. Il
s’en distingue fonctionnellement mais pas politiquement. L’enjeu de la
composition puis du renouvellement de l’Assemblée nationale est de donner ou
refuser au président de la République les moyens de gouverner, de faire
prévaloir les orientations que seul doit décider le Président – par son
équation personnelle depuis le 18 juin 1940, le Général puis ses successeurs
par l’onction du suffrage universel direct les plaçant où ils seront. Le
gouvernement ne procède pas de la majorité parlementaire – contrairement à ce
qu’il se passa en 1986, en 1993 et en 1997 et se serait sans doute passé dès
1978 si Valéry Giscard d’Estaing, par l’activité que déploya son ancien Premier
ministre devenu son rival, n’avait inopinément remporté un scrutin réputé perdu
– il procède du seul président de la République. L’expression « chef du
gouvernement » appliquée au Premier ministre est impropre, de Gaulle
l’annota d’ailleurs en marge de demandes protocolaires d’un de ses homologues
étrangers. Le gouvernement est pleinement le gouvernement sans vote d’investiture :
ce fut l’avantage immédiat du gouvernement de Pierre Mauroy en 1981 face à la
fuite des capitaux. Il n’est réduit à l’impuissance que par un vote de censure,
donc par la démonstration d’une majorité adverse, et le président de la République,
par la dissolution, peut rendre juge le peuple.
Tout en
donnant – pour la première fois dans la Constitution – un rôle organique aux
partis et groupements politiques, de Gaulle tenait à ce que les pouvoirs
publics soient indépendants de ceux-ci. Pour empêcher le retour au
« régime des partis », les carrières électives et gouvernementales
étaient – innovation constitutionnelle – distinguées, au point que deux des
principaux ministres, qui, en 1967, s’étaient risqués à la candidature,
pour des raisons personnelles mais aussi parce que l’engagement de
personnalités d’importance semblait indispensable pour que la majorité demeure
à l’Assemblée nationale, et qui avaient été battus, furent cependant maintenus
dans leur fonction : Maurice Couve de Murville et Pierre Messmer. La
première brèche fut pratiquée par Georges Pompidou, rendant démissionnaires
d’office Maurice Schumann et René Pleven, respectivement ministre des Affaires
étrangères et Garde des sceaux, parce que candidats à leur réélection en 1973,
ils avaient été battus. Au contraire, François Mitterrand se réappropria le
recours du Général aux techniciens et aux non-élus pour certains ministères en
1981 (Nicole Questiaux du Conseil d’Etat, Pierre Dreyfus de la régie Renault)
et surtout en 1988 (Pierre Arpaillange et René Fauroux), en faisant apparaître
le concept indécis de la société civile distinguée ou appelée en renfort de
celles et ceux qui se sont professionnalisés en politique. Nommés sans avoir
exercé au préalable un mandat électif, Claude Allègre, Hubert Védrine, Francis
Mer, Luc Ferry, Christine Albanel et maintenant Frédéric Mitterrand
rejoignirent donc Maurice Couve de Murville, Louis Joxe, Pierre Messmer surtout
André Malraux pour l’époque fondatrice. Mais cette continuité n’a pas forcé les
mœurs et la loi du 23 juillet 2008, de révision constitutionnelle, abroge la
distinction établie en 1958 entre la fonction ministérielle et les fonctions
électives : un élu, entré au gouvernement, retrouve son siège, après
démission, sans avoir à comparaître à nouveau, devant ses électeurs.
Cumul des
mandats et dépendance de la carrière, et d’abord de la nomination
ministérielles, vis-à-vis de l’élection, donc de l’emprise personnelle sur ce
qui est couramment appelé depuis trente ans, un « fief » :
expression avouant le recul républicain. L’élection supposant l’investiture, le
régime des partis, faute de peser sur l’exécutif, pèse sur les libertés
d’expression et de vote. La vie parlementaire n’a plus de souplesse, pas tant
en raison des procédures constitutionnelles et des dispositions des règlements
intérieurs des assemblées, retouchées ou pas, mais parce que les débats sont
sans influence sur les votes que force la discipline des partis. Le coût de la
campagne présidentielle, le nombre et la publicité des signatures de parrainage
des candidats – qui ne pesèrent qu’après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing
– imposent, eux aussi, le régime des partis dans le processus électoral. De
Gaulle, jusqu’à sa mise en ballotage pour sa réélection présidentielle, avait tenu
à ce que personne, à commencer par son Premier ministre, ne mette la main sur
le mouvement censé le soutenir. Ce fut l’entreprise de Georges Pompidou à
partir du second tour de 1965, puis pendant son propre exercice de la fonction
présidentielle que de conquérir puis de garder la souveraineté sur la machine
électorale. Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy doivent, à cette école, d’être
parvenus à l’Elysée. Au lieu de l’adoption à la romaine qu’allait permettre le
projet référendaire de 1969, la brigue d’un maire du palais, par la prise de
pouvoir au sein du parti présidentiel, est devenu le mode de succession,
certainement à droite, et fut essayé à gauche par Michel Rocard, avant même le
succès de François Mitterrand : le congrès de Metz où ce dernier faillit
manquer l’investiture socialiste. Peut-être aux ordres jusqu’à ce que faiblisse
le chef, mais indispensables pour l’élection et la réélection du président de
la République, de chacun des parlementaires : les partis et donc leur
régime interne et leurs ententes, leurs « combinaisons ».
L’élection
présidentielle, pour de Gaulle, importe moins que la sanction des politiques
suivies ou proposées. C’est en terme de continuité qu’il se présente, en 1965,
pour continuer son œuvre, au lieu que tout autre candidat après lui, briguant
une réélection, a affirmé qu’il avait changé par rapport à la conduite de son
premier mandat. Affirmation qui devient presque mensuelle aujourd’hui en
l’absence-même de scrutin tant les sondages qui ne sauraient engager à la
démission, même s’ils sont constamment défavorables, sont l’indicateur du
discours présidentiel. Le passage d’un collège électoral du genre de celui du
Sénat à l’universalité du suffrage direct pour élire le président de la
République ne fut institué par le général de Gaulle qu’accidentellement –
l’attentat du Petit-Clamart, à deux centimètres de réussir – mais pour répondre
à sa hantise, que la pratique des institutions demeure après lui telle qu’il
était en train de l’inaugurer depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle
Constitution. Contrairement à ce qui a été dit et répété, la réforme de 1962
n’est pas une novation, elle est un acte conservatoire [104]:
donner au successeur l’équation personnelle, la légitimité nécessaires pour
qu’il s’impose à toute autre personnalité, à tout autre élu, à tout autre
dirigeant ou gouvernant en France, ce dont lui-même, par le 18 juin, avait si
peu besoin que – précisément – sa réélection par la nouvelle procédure le
diminua plutôt politiquement et le banalisa dans un jeu politique où il n’était
plus exceptionnel – hors jeu et hors compétition – mais un élu. Ce que,
judicieusement, observa le Comte de Paris, le plus à même de discuter d’un mode
de dévolution du pouvoir le moins précarisant possible.
Faute que
les normes – pratiquées, incarnées par de Gaulle – aient été maintenues après
lui, la vie politique a changé. Le débat qui pendant onze ans, et jusques dans
les urnes du 27 avril 1969, avait porté autant sur la personne-même et la
manière du général de Gaulle que sur le régime qu’il avait fondé et qu’il
incarnait, est devenu une rivalité de candidats et de machines électorales. La
politique entre deux scrutins n’a plus pu s’émanciper de ces joutes tandis que
celles-ci perdaient une part de leur enjeu thématique puisque – sauf en 1981 –
la course des principaux compétiteurs était orienté au centre, tout l’art étant
de s’annexer les extrêmes sans en épouser les analyses. L’élection
présidentielle de 2002 ne fait pas exception puisque Lionel Jospin a perdu par
excès de centrisme. Mais, en ressources humaines, le rassemblement et le
consensus est devenu impossible, les carrières se sont professionnalisées pour
se pérenniser, la bipolarisation s’est crispée, l‘autocratie a pu se développer
et la tolérance actuelle à ces dévoiements comme à la perte des grands axes de
nos relations extérieures, tient à cette distance qui, forcément, s’est creusée
entre la politique et les Français.
*
* *
Diagnostic
La fin du gaullisme : mort clinique et possible
résurrection
Se demander si, avec le départ du général de Gaulle,
voulu par une majorité de Français, le dimanche 27 avril 1969, le gaullisme a
fini, revient à se poser deux questions. Qu’était le gaullisme ? Et ne
tenait-il qu’à lui ?
Les
majorités le soutenant ont évolué, mais les actions ou les personnalités
bénéficiant du soutien populaire en France ont toujours les mêmes trois
caractéristiques, l’enthousiasme, une tendance à l’unanimité, une référence
immanente à une France dont l’image est pérenne, indépendante des politiques,
des époques, des circonstances [105].
Sans que les comparaisons soient totalement exactes, deux épisodes de la
politique étrangère française après de Gaulle, l’ont excellemment montré.
D’abord, en octobre 1973, la résistance de Michel Jobert aux stratégies d’Henry Kissinger, le
secrétaire d’Etat américain proclamant comme si c’était de sa compétence, une
« année de l’Europe » et prétendant rallier les
« Occidentaux » contre la politique pétrolière des Etats arabes,
défiés, une fois de plus par Israël – le ministre des Affaires étrangères, sur
instructions de Georges Pompidou, mais avec un talent qui lui était propre et
un charisme qui se révéla alors, assura que « vouloir rentrer chez soi
n’est pas être agressif » : c’était la guerre du Kippour. Plus près de
nous, en février 2003, le discours de Dominique de Villepin au Conseil de
sécurité des Nations unies, contestant le bien-fondé d’une intervention
militaire en Irak – contre laquelle dès 1995, avec le concours du secrétaire
général des Nations unies, s’était déjà élevé, mais alors avec succès, Jacques
Chirac, à peine élu président de la République.
Ces
approbations – certaines – de l’opinion publique donnent-elles une
définition ? « J’ai dit du
gaullisme qu’il y avait tellement d’interprétations que cela prêtait à
équivoque et même à imposture »[106].
L’observation du dernier des Premiers ministres du général de Gaulle est plus
pérenne que la définition du premier en date. Suscité en effet par la
contestation de Valéry Giscard d’Estaing depuis que celui-ci n’est plus au
gouvernement, Michel Debré, son successeur rue de Rivoli, s’écrie, peu avant
que les émeutiers de mai 1968 proclament que « dix ans, çà suffit ».
« Il est un courant de pensée à la fois
populaire et national, conscient au même titre des exigences de la liberté, et
d’une exigence de l’autorité authentiquement républicaine, tant par son respect
du suffrage clairement consulté que de sa volonté d’assurer l’indépendance de
l’Etat par rapport aux groupes de pression, aux influences étrangères, aux idéologies
irréelles. Ce courant de pensée a trouvé son expression de nos jours, une haute
et sereine expression, dans la personnalité du général de Gaulle. Comment la France a-t-elle pu, pendant
douze ans, le tenir à l’écart ! Laissons à l’histoire le soin de juger et
contentons-nous de la fierté de l’avoir suivi, d’avoir soutenu son action à
travers les difficultés du pouvoir et les épreuves qu’ont imposées les
mutations qui n’avaient pas été préparées. De cette fierté des années, tirons
aussi la volonté de continuer le combat.
La victoire en politique exige un permanent esprit
d’offensive. Le gaullisme demeure la seule chance de la France et des Français. Sur
notre route, aujourd’hui comme hier, demain comme aujourd’hui, nous
rencontrerons des adversaires. Chacun d’eux est l’expression d’une minorité de
passions, d’intérêts, d’idéologies. Comme toujours, ils tenteront de
s’associer, faisant litière de leurs divergences pour piper les dés et tromper
les suffrages. C’est le perpétuel cartel des non. C’est le perpétuel
apparentement du refus à la France. Notre
devoir est de dénoncer la coalition. Sur notre route, aujourd’hui comme hier,
demain comme aujourd’hui, nous serons abandonnés par des amis d’un moment, les
partenaires d’une occasion. C’est qu’ils suivaient moins une pensée que sa
déformation au gré de leurs désirs ou de leurs appétits ; c’est qu’ils
approuvaient moins une doctrine qu’un moyen d’action. Ne regrettons pas ces
départs, tout en sachant ouvrir nos rangs à tous ceux pour qui une politique française,
qu’elle soit économique ou sociale, qu’elle soit institutionnelle ou
internationale, est, avec la liberté et la paix auxquelles la France s’identifie, le but
suprême » [107].
Le
général de Gaulle y avait fait écho dans sa dernière conférence de presse, le 9
septembre 1968 : « Nous avons
vérifié, une fois de plus, qu’en ce temps plein d’incertitudes, par conséquent
de périls, et qui exige de la part de l’Etat des desseins fermes et continus,
des institutions constantes et une politique active, aucun système de pensée,
de volonté et d’action ne saurait inspirer la France, comme il faut pour qu’elle soit la France, sinon celui
que les événements ont suscité depuis juin 1940. Ce système est, en effet,
le seul qui permette à la nation de se tirer d’affaire quand la tempête se
déchaîne, le seul qui soit relié assez directement à son passé et assez
ambitieux de son avenir pour maintenir son unité et revêtir sa légitimité, le
seul qui soit, en partant de ses structures, habitudes et équipements plus ou
moins périmés, apte à la transformer, sans étouffer ses libertés, en une
puissance prospère et moderne, le seul qui soit capable d’assurer son
indépendance, de soutenir son rang dans l’univers, de répondre de sa sécurité.
. . . On voit donc quel est, pour longtemps, le devoir de cohésion et de
résolution de ceux qui, à mesure du temps, ont adhéré, adhèrent, ou adhèreront
à l’entreprise de rénovation nationale qui a le service de la France pour raison d’être,
pour moi et pour ressort. Cette entreprise, si on l’appelle « gaullisme »
depuis 1940, n’est que la forme contemporaine de l’élan de notre pays, une fois
de plus ranimé, vers un degré de rayonnement, de puissance et d’influence
répondant à sa vocation humaine au milieu de l’humanité ».
Leçon de
politique, à laquelle Olivier Guichard répondra en opposant – il est alors
ministre de Georges Pompidou et le Général est mort – une définition du
gaullisme comme « doctrine des
circonstances ». Défié par un autre ministre de son prédécesseur,
Christian Fouchet, lui donnant des « leçons
de gaullisme », Georges Pompidou répliquera[108],
que « quels que soient la grandeur
du personnage et le rôle qu’il a joué, l’horloge mondiale ne s’est pas arrêtée
en avril 1969. Les événements courent et je dirai même que, depuis cette
époque, il s’en est produit énormément et il s’en produit tous les jours, et
d’immenses. J’essaye d’agir de mon mieux, de réagir de mon mieux, de maintenir
la politique française de mon mieux dans tout cela, sur le plan intérieur et
sur le plan extérieur, et je ne m’abrite pas derrière le nom du général de
Gaulle, et je ne dis pas : ‘Je fais ce qu’il aurait fait’, mais je dénie à
quiconque de prétendre qu’il sait ce qu’il aurait fait ». Et il avait
auparavant menacé : « je n’ai de leçon de gaullisme à recevoir de
personne, vous m’entendez, de personne ! ». Furieux du vote hostile
de Maurice Couve de Murville, plus encore que de l’abstention motivée de Michel
Debré, lors du vote sur son projet de quinquennat, l’ancien Premier ministre du
général de Gaulle avait pensé faire exclure de l’U.D.R., son successeur à
Matignon [109]
Le débat – intense sous
Georges Pompidou – n’avait plus de sens sous Valéry Giscard d’Estaing puisque
celui-ci ne se prétendit pas continuateur ou fidèle de qui que ce soit, encore
moins avec François Mitterrand, quoique beaucoup de gaullistes, sans invoquer
évidemment l’homme du 18 Juin, le rejoignirent par opposition aux cours suivis
depuis le 27 avril : le champion de la gauche, dont la légitimité et la
stratégie unitaire dataient de son duel du 19 décembre 1965, pouvait d’ailleurs
être considéré comme « l’adversaire
le plus fidèle du général de Gaulle » [110].
Il a rebondi sous l’élu du 6 mai 2007 puisque Nicolas Sarkozy – explicitement –
revendique que son action, par l’étendue et le rythme qui lui sont reconnus,
est sans précédent depuis 1958. Mais l’actuel président de la République assure
aussi qu’ « au fond, le gaullisme
est une histoire qui a commencé avec le Général de Gaulle et qui s’est achevée
avec lui. Mais c’est une histoire qui a encore pour nous une signification
profonde parce que ce dont elle nous parle nous concerne tous … Ce fut cela le
gaullisme, non pas une religion, non pas une doctrine, mais un état d’esprit,
et une façon d’être. Il n’y a pas de catéchisme du gaullisme et nul ne sait ce que
le général de Gaulle dirait ou ferait aujourd’hui »[111].
C’est s’inscrire textuellement dans le raisonnement de Georges Pompidou. C’est,
dans l’action et les initiatives présidentielles de maintenant, s’interroger à
propos notamment des institutions et de la politique étrangère. Sans
consultation référendaire, une révision constitutionnelle profonde, au cours de
laquelle la fonction même du Premier ministre et donc le contrôle parlementaire
de l’exécutif, faillirent être emportés, et si ce ne fut heureusement pas le
cas, il n’avait pas tenu au président de la République que cela ne se fasse
pas. Et une réintégration de l’O.T.A.N. sans qu’ait changé la pratique de
l’Alliance atlantique, ni progressé une défense proprement européenne, dans un
contexte d’extension mondiale du champ d’application du pacte initial de 1949
et des circonstances telles – le positionnement d’un bouclier anti-missile dans
certains des pays anciennement vassaux de l’Union soviétique – que les
dangereux clivages de la « guerre froide » sont ravivés au lieu de
« la détente, l’entente et la coopération ».
Il est aisé de discerner quotidiennement,
si l’on garde l’esprit libre et que l’on n’a rien à demander pour soi, ce qui
n’est pas de l’intérêt du pays et l’on voit assez bien que l’exercice du
pouvoir suprême qui serait fondé sur une constante recherche du soutien
populaire et sa vérification fréquente, conduirait immanquablement à une autre
façon de gouverner, à une politique étrangère et européenne indépendantiste
pour la France et pour le Vieux Monde, à une refonte du cadre de l’économie
d’entreprise. Le fait est que ce réflexe n’existe plus depuis le 27 avril 1969,
et qu’il avait tenu pendant trente ans, pour la gloire de la France et
l’efficacité de ses gouvernements, à la personnalité du général de Gaulle.
« J’ai demandé à de Gaulle de nous dire lui-même qui était de
Gaulle. Et maintenant je reviens à ma première ébauche, et je la confronte au
personnage qui s’est composé sous mon regard,
à travers les propos publics du Général, l’expression de sa pensée
claire, non peut-être de son arrière pensée. Dois-je faire des retouches à ma
première esquisse ? C’est toute la question, au moment de conclure.
Au vrai, tous
les livres écrits sur de Gaulle vivant se ressemblent au moins par le dernier
chapitre. Tous aboutissent à ce portique ouvert sur l’inconnu, à cette cohue
des professionnels de la politique, déçus et inquiets, tout tremblants
d’impatience, et qui guettent la sortie du héros. Tant qu’il occupera la scène,
le jeu parlementaire, tel que les Français l’ont pratiqué, pour leur malheur,
depuis près d’un siècle, demeure interrompu. Si les institutions qu’il vient de
nous donner s’enracinent, si lui-même tient encore la barre quelque temps, à
l’Elysée, ou s’il reste dans la coulisse de Colombey pour en surveiller la
croissance, alors à gauche toute une génération politique aura été frustrée et
restera sur sa faim ; et pour l’extrême-droite, l’histoire aura fini avec
la débâcle de l’O.A.S. Ces passions avouées ou refoulées qu’entretient dans les
cœurs de Gaulle présent et vivant semblent vouer à l’échec, du moins dans
l’absolu, son rêve de « rassembler la France ». Les Français du temps
de De Gaulle ne s’aiment pas plus que ne s’aimaient les Gaulois du temps de
César. Mais de Gaulle a toujours su que le rassemblement n’existerait que comme
une tentative sans cesse interrompue, et détruite, et reprise. Il suffit que
cette remontée du courant de haine soit assurée par les institutions pour que
la France, sourdement divisée, dresse tout de même à la proue de l’Europe ce
visage ressemblant à l’idée que de Gaulle se fait d’elle dans son cœur et dans
sa pensée. Ce que de
Gaulle a compris, c’est que plus la France existe en tant que nation, et plus
profondément elle agit dans le monde. Les perroquets de la gauche dénonçaient
son nationalisme, et les perroquets de la droite répétaient qu’il nous vouait à
la solitude. Mais la nation française, à peine avait-elle émergé de ses deux
derrières guerres coloniales, qu’elle avait déjà, non par la vertu de sa force,
très réduite, simplement parce qu’elle est la France, retrouvé son rang et
repris sa place. » [112]
« André Malraux dit à de Gaulle (Les
Chênes qu’on abat) : J’ai essayé de
comprendre l’enthousiasme qui vous entourait au loin. Le Canada, la Roumanie, bien !
L’Amérique latine à la rigueur. Mais Chiraz (c’est en Perse Iran) ? Les
gens n’auraient pas situé la
France sur une carte.’ J’étais moi-même à Chiraz ce jour-là.
Ce fut en effet incroyable. La foule délirante accueillait un personnage
fabuleux. Elle l’accueillait comme un des siens, l’homme qui dans sa légende à
elle s’identifiait sans doute à ses aspirations et à ses espoirs. Est-il un
autre sens à la réaction universelle lors de la mort du général de
Gaulle ? Les hommes et les nations se sont sentis directement concernés.
N’est-ce pas la grandeur de la
France ? »
. . . De fait Maurice Couve de
Murville vivait déjà, au même 40 rue du Bac à Paris, quand André Malraux y
écrivait La condition humaine. De
Gaulle faisant vibrer le monde, mais ayant su – aussi – s’associer et associer
au dessein d’une certaine résurrection française des personnalités et des
parcours aussi différents. [113]
Annexes
I
Comparaison statistique électorale :
de Gaulle et ses successeurs
% en métropole et par rapport aux électeurs inscrits
66,40 % Oui au référendum du 28 septembre 1958
(Constitution)
46,44 % Oui au référendum du 28 octobre 1962
(élection directe du président)
36,78 % de Gaulle, 1er tour de
l’élection présidentielle - 5 décembre 1965
36,68 % Oui au référendum du 27 avril 1969 (Sénat
transformé et régions)
35,35 % Georges Pompidou, 1er tour de
l’élection présidentielle - 1er juin 1969
36,12 % Oui au référendum du 23 avril 1972
(adhésion britannique)
36,48 % François Mitterrand, 1er tour
présidentielle – 5 mai 1974
28,31 % V. Giscard d’Estaing, 1er tour
présidentielle – 26 avril 1981
27,19 % François Mitterrand, 1er tour
présidentielle – 24 avril 1988
34,36 % Oui au référendum du 20 septembre 1992
(Maastricht)
23,30 % Lionel Jospin, 1er tour de l’élection
présidentielle – 23 avril 1995
18,55 % Oui au référendum du 24 septembre 2000
(quinquennat)
19,88 % Jacques Chirac, 1er tour de l’élection
présidentielle – 21 avril 2002
31,18 % Nicolas Sarkozy, 1er tour de l’élection
présidentielle – 22 avril 2007
Annexe I I
agenda prévisionnel du général de Gaulle,
si le oui l’avait emporté le 27 avril 1969
selon les annotations des semainiers du
président de la République par les aides-de-camp,
interrompues le dimanche 27 avril 1969
(comme dans
toute la vie du général de Gaulle, cette annotation n’est pas exhaustive,
notamment
pour des visiteurs, prévus et mémorisés autrement)
vendredi
25 avril
11
heures enregistrement allocution
15
heures A. Peyrefitte
15
heures 30 Lambroschini
16
heures Pierre de Boisdeffre
LaBoulaye
Amb. de Fce au Brésil (secrétariat de M. Jurgensen pour confirmer)
Manac'h
BAG 62 22 ; Lambroschini Amb. France Bolivie
samedi
26 avril
10
heures départ -- en fait RDVs du vendredi après-midi annulés et départ
après 13 heures le vendredi 25
lundi
28 avril
17
heures Couve de Murville
mardi
29 avril déjeuner réservé
15
heures BT DDV
15
heures 30 Ortoli, Couve, Wormser
mercredi
30 avril
10
heures Cons. des ministres
15
heures 30 Messmer ces
trois soirs : 18 à 19 heures "maison"
jeudi
1er mai
11
heures réception des travailleurs des Halles (3/4 heure)
vendredi
2 mai
12
heures 15 Lee Kwan Yen 1er Min. Singapour
13
heures 15 déj. Murat
15
heures 30 conseil de défense
18 heures
"maison"
samedi
3 mai
10
heures conseil sur les affaires algériennes : Couve, Debré, Ortoli, Boulin,
DDV, Couture
12
heures Debré
notes
2/5 1er Min. Singapour interprète :
mardi 6
mai
10
heures Conseil restreint sur l'aménagement de Paris
13
heures 15 déj. Général de Brébisson
15
heures 15 BT DDV
15
heures 30 Galo Plaza ancien Pdt Equateur, SG org. Etats américains
mercredi
7 mai
10
heures Conseil des Min.
jeudi 8
mai
TF
18
heures Etoile
vendredi
9 mai
13
heures 15 déjeuner ministres ou préfets en région parisienne
15
heures 30 cardinal Daniélou
mardi
13 mai
10
heures 30 1er Min. Pays-Bas et Mr. Luns
13
heures 15 déj. 1er Min. Pays Bas
mercredi
14 mai
10
heures Conseil des ministres
vendredi
16 mai
10
heures conseil restreint sur affaires industrielles
lundi
19 mai
16
heures Taverny
mardi
20 mai
12
heures DDV BT
14
heures 30 à 15 heures Suharto
20
heures dîner-réception
Suharto
20.21.22 mai
mercredi
21 Mai
10
heures Cons. des Ministres
jeudi
22 mai
dîner
au Quai d'Orsay, Opéra
vendredi
23 Mai
10
heures cérémonie de départ
mardi
27 mai
15
heures 30 min. Industrie espagnol Lopez Bravo
mercredi
28 mai
10
heures Cons. des ministres
jeudi
29 mai
TF
Sessonnes
17
heures retour Elysée
vendredi
30 mai
9 à 10
heures salon du Bourget
samedi
31 mai
fête
des mères
29 ou
30 manoeuvres Sessonnes
Mardi
10 juin
20
heures dîner corps diplomatique
mercredi
18 juin
Mt
Valérien
mardi
24 juin
Général
au Quai Conti (Napoléon)
mercredi
25 juin
17
heures réception du Conseil constitutionnel
1er - 4
juillet
Président
Inde
mardi 8
juillet
13
heures 15 déjeuner U Thant
[1] - Le
comble est que cette « objection » à sa probable élection, fut
soulevée par les députés des « territoires recouvrés » ; son
rival Aristide Briand, à qui cela ne porta pas chance en 1932, la relaya
efficacement
[2] -
Exception est faite pour qu’il reprenne cependant la parole : « Ce qui a été mis en marche dans ce pays ne
s’arrêtera pas… » mais il est constamment interrompu et ne pourra que
publier ce qu’il aurait vulu dire en testament : Œuvres complètes III Gouverner, c’est choisir (Gallimard
. Septembre 1986 . 831 pages) pp.
730 à 737
[3] - Le
si moderne discours prononcé par Clemenceau, le 4 Novembre 1919 à Strasbourg,
pour clore la campagne qui voit le triomphe des anciens combattants :
« liberté provinciale » et « égalisation sociale »,
déjà ! décentralisation et lutte contre la bureaucratie étaient des thèmes
à rebours de l’ambiance bleu-horizon, et les projets économiques de l’homme de
Genève et de Carthage, qu’attendaient notamment nos soutiens américains pour
s’avancer
[4] -
Sondés entre les 18 et 23 août 1967, les
Français sont 49% à souhaiter que le général de Gaulle reste au pouvoir jusqu’à
la fin de son mandat, soit jusqu’à la fin de 1972 contre 23% souhaitant qu’il
s’en aille le plus vite possible – à Paris, le 27 mai 1968, 44% souhaitent son
départ au plus tôt contre seulement 23% souhaitant encore qu’il finisse son
mandat, mais dès le lendemain les jeux sont équilibrés à 35% - Les Français et de Gaulle . IF0P (Plon. Novembre 1971. 367 pages), p. 201
[5] - Georges Pompidou, l’un des trois
exécuteurs testamentaires depuis 1952 avec Philippe de Gaulle et Pierre
Lefranc, mais aussi président de la République depuis dix-huit mois quand meurt
subitement le Général, l’exprime ainsi : Françaises, Français, le général de Gaulle est mort, la France est
veuve. En 1940, de Gaulle a sauvé l’honneur. En 1944, il nous a conduits à la
Libération et à la Victoire. En 1958, il nous a épargné la guerre civile. Il a
donné à la France ses institutions, son indépendance, sa place dans le monde.
En cette heure de deuil pour la patrie, inclinons-nous devant la douleur de
madame de Gaulle, de ses enfants et petits-enfants. Mesurons les devoirs que
nous impose la reconnaissance. Promettons à la France de ne pas être indignes
des leçons qui nous ont été dispensées. Et que, dans l’âme nationale, de Gaulle
vive éternellement. Entretiens et
Discours procuré par Edouard Balladur – tome I (Plon. Février 1975. 390 pages), p. 35
Intime collaborateur du
chef de l’Etat puis du mémorialiste, à ses dernières étapes, Pierre-Louis Blanc donne la coulisse,
c’est-à-dire la concurrence entre la famille de Gaulle et l’Elysée pour une
ultime fois assurer l’indépendance du Général ou au contraire en capter autant
que possible le rayonnement. De
Gaulle au soir de sa vie (Fayard. Avril
1990. 388 pages), p. 29
Jean Mauriac, accrédité pour l’AFP auprès du général de Gaulle de
1947 à la mort de celui-ci, a donné, peu après, un très beau récit (Grasset. Mai 1972. 183 pages) de la Mort du général de Gaulle (qui a
bénéficié d’ailleurs d’une communication par Pierre-Louis Blanc de propos et
phrases du Général, seul entorse à la règle que s’était donné le collaborateur
de garder le silence jusqu’à la mort de Georges Pompidou, op. cit. pp.
45.46) et André Malraux la
fresque et le sens, dans l’évocation de sa visite à Colombey, le 11 Décembre
1969 : Les chênes qu’on abat…
(Gallimard. Mars 1971. 236 pages)
[6] -
Singulièrement, cet aspect historique et psychologique n’a jamais été traité – hormis
un numéro spécial d’Espoir, n° 16 –
Septembre 1976 : Le référendum du
27 avril 1969 fut-il un référendum suicide ? – en colloque ou en
débat : les Journées internationales de Gaulle en son siècle, tenues au siège de l’UNESC0 à Paris du 19
au 24 novembre 1990, et leurs actes publiés en sept volumes, n’en font pas même
un chapitre en tant que tel. Pour le moment, seules sont disponibles mais non
soumises à la contradiction, des opinions individuelles (mémoires de ministres,
de collaborateurs ou de témoins) ou des travaux, davantage de journalistes que
d’historiens
[7] -
Selon Le Monde n° 7555, daté du mardi
29 avril 1969, donc dans les kiosques parisiens en début d’après-midi du lundi 28
[8] -
Contre l’avis de Jean-Marcel Jeanneney à qui il s’ouvre de sa résolution. Ce
dernier avait fait son intérim pour n’avoir pas à le remplacer et lui objecte
que partir c’est permettre une lecture infondée de la Constitution, et contre
celui du Premier ministre rappelant que c’est sur sa proposition que se font
nominations et renvois des ministres
[9] - Isolé dans son groupe
comme le sont aussi Jacques Isorni et François Mitterrand
[10] - Assemblée nationale 1er juin 1958 JO DP p. 2578 – Pierre Mendès France n’opine pas publiquement sur le départ du
général de Gaulle. Il a vu dans le texte référendaire la volonté d’organiser, sous le nom de régions, un quadrillage
administratif plus solidement tenu en main par le pouvoir gaulliste, et, sous
le nom de rénovation du Sénat, une tutelle encore plus autoritaire de
l’exécutif et de son chef. Oeuvres
complètes V Préparer l’avenir 1963-1973 (Gallimard. Septembre 1989. 874 pages), p. 430, déclaration à Grenoble, 23 avril 1969 – mais
l’ancien ministre du Général dans le gouvernement provisoire de la République
1943-1945, et ancien président du Conseil, juge très négativement et à
plusieurs reprises la procédure référendaire, notamment ibid. pp. 432 & 514,
et Regards sur la V° République
1958-1978 (Fayard. Avril 1983. 190 pages),
pp. 29 à 33 en même temps que l’élection présidentielle au suffrage universel
direct
[11] - Esprit - Septembre 1969
[12] - Mon général, vous-même, je le crains, ne
mesurez pas la tristesse qui m’étreint. Quelle qu’ait pu être ma conviction que
les événements me conduiraient à poser un jour ma candidature à la présidence
de la République – et vous me l’aviez confirmé en juillet dernier – je
n’imaginais ni que l’heure viendrait si tôt ni surtout dans de telles
conditions. Que puis-je vous dire, mon général, qui m’avez tout appris, sinon
que votre image ne cessera de grandir, que rien et surtout pas l’ingratitude ne
peut lui nuire et que celui qui sera peut-être appelé à vous succéder
officiellement ne pourra qu’essayer de n’être pas trop indigne ? J’ai fait
ce que j’ai pu pour le référendum et partout où j’ai eu une influence, cela
s’est marqué. Maintenant, j’entre dans une autre bataille et qu’il faut gagner.
Si je la gagne, je puis vous assurer qu’aucune des grandes directions que vous
avez marquées, notamment en politique extérieure et en défense nationale, ne
sera abandonnée de mon fait. Je voudrais espérer que lorsque des décisions
importantes seront en jeu, vous accepterez de me guider dans une tâche qui n’a
pour moi de sens que dans la ligne que vous avez tracée. Je n’oublie pas, mon
général, que ma fierté depuis un quart de siècle, a été d’être votre
collaborateur. Puissiez-vous croire que je reste dans le même esprit.
Cité par Eric Roussel, Georges Pompidou (Jean-Claude Lattès. Mars 1984. 562 pages & 2ème
édition augmentée d’une documentation mise à sa disposition par l’épouse de
l’ancien président de la République. Janvier 1994. 683 pages) p. 309
& 281
[13] - Selon son biographe
Eric Roussel, op. cit. p. 308, il
aurait à dit à Christian Bourgois, son éditeur et ami : Ce que les Français viennent de faire à de
Gaulle, est dégueulasse.
[14] - Le
Monde n° 7556, daté du
mercredi 30 avril 1969.
[15] -
Notamment tome II (Plon. Février 1971. 215 pages)
p. 211 : Je suis, comme je le fus et
le serai toujours, décidé à maintenir le franc au taux que je lui ai fixé en me
chargeant de redresser la France Les moyens appropriés sont connus. Il n’est
que de les prendre. Au printemps de 1963, j’y appelle le gouvernement. Puis, au
mois d’août, constatant que les résolutions ont l’air de s’émousser, je fais
brusquer et renforcer les choses. Georges Pompidou semble-t-il moins convaincu
que moi de l’importance primordiale de la stabilité du franc au point de vue
national et international et tient-il par-dessus tout à ce que rien ne vienne
compromettre l’expansion qui est en cours.
[16] - A sa sœur, Marie-Agnès, épouse Alfred Cailliau, le 14 mai 1969, in Lettres.
Notes & Carnets Mai 1969 –
Novembre 1979, p. 26
[21] - A Françoise Parturier, le 10 juin 1969, ibid. p. 38 – celle-ci avait signé dans Le Figaro « un article très
piquant »
[22] -
L’exception durable est faite pour Pierre-Louis
Blanc op.
cit. p. 69 : De Gaulle ne
prenait plus publiquement position. Il pesait pourtant sur le jeu politique. Il
ne pouvait pas obliger le gouvernement à agir. Par la menace d’une
intervention, il se trouvait en position de l’empêcher, sauf pour les décisions
qui se prennent dans le secret er entrent immédiatement en vigueur ; ce
fut le cas de la dévaluation de 1969. Dans le domaine de la politique
étrangère, il utilisa cette arme de dissuasion dont il se trouvait détenteur
pour ce que nous appelions l’ « affaire anglaise ». Ce que
reconnaît Pierre Mendès France critiquant le Premier ministre, Pierre Messmer,
en débat radiophonique (il s’agissait des crédits consacrés à la recherche
scientifique) : Il en est ainsi
depuis la mort du général de Gaulle, alors qu’il aurait pu dire depuis le départ du général de Gaulle…
[25] - Publié par Sud-Ouest, précisément le journal
dominant la région de Jacques Chaban-Delmas et sa métropole bordelaise, le
sondage de la SOFRES porte sur le départ du général de Gaulle : 51% des
interrogés le regrettent mais 62% ne souhaiteraient pas son retour au pouvoir
« en cas de crise grave ».
[26] - op.
cit. tome I, p. 145
[27] - A
ma demande expresse, François Mitterrand, président de la République, m’a
invité à titre personnel à participer à son voyage officiel au Canada, vingt
ans après celui du général de Gaulle à deux mois près – si la noblesse et la
dignité de la France ont été parfaitement incarnées en 1987, la relation avec
le peuple québécois ou francophone a totalement fait défaut.
[28] - En
tant que ministre des Finances et des Affaires économiques de 1962 à 1965,
Valéry Giscard d’Estaing est sans doute celui qui y rend l’hommage le plus
appuyé quoiqu’inattendu.
[29] -
Contrairement, entre autres, à certains discours réputés fondateurs. Celui
prononcé par Jacques Chaban-Delmas sur la « Nouvelle Société », le 16
septembre 1969 et qui a fait l’objet d’un colloque exprès à l’Assemblée
nationale quarante ans après : contributeurs et rédacteur final
s’identifient, Jacques Worms, Simon Nora et Yves Cannac. Ou celui, lu par
Nicolas Sarkozy à Dakar le 26 Juillet 2007, dont Henri Guaino s’attribue
publiquement l’écriture, sauf le vouvoiement qui a remplacé le tutoiement
d’origine – Ainsi, s’il est probable que la consultation de Jules Jeanneney,
dernier président du Sénat sous la Troisième République, détaillant, en 1943, à
la demande du chef de la France libre la réforme nécessaire des institutions,
inspira le discours de Bayeux, présenté souvent comme la matrice des
institutions de la Cinquième République (Réflexions
sur la Constitution
procurées par Jean-Marcel Jeanneney, à l’occasion
du colloque tenu à Bayeux le 15 Juin 1990 sur « le discours de
Bayeux », éd. Economica . Presses universitaires Aix-Marseille . Juin 1991
. 248 pages – pp. 153 à 213), on ne sait
pas qui contribua à sa rédaction finale telle qu’elle fut dite le 16
Juin 1946, ni qui rédigea, à main levée mais avec moins de bonheur le projet
qui devait être soumis au référendum, le 16 juin 1968 : réponse pour les
deux textes, le Général seul.
[30] - Chaque fois que cela est possible, nous
gagnons notre maison de La Boisserie. Là, pour penser, je me retire. Là,
j’écris les discours qui me sont un pénible et perpétuel labeur. Là, je lis
quelques-uns des livres qu’on m’envoie. Là, regardant l’horizon de la terre ou
l’immensité du ciel, je restaure ma sérénité. op. cit. tome I, p.311 – Ses allocutions selon Pierre-Louis Blanc, op. cit. pp. 76-77 : Avant d’être prononcées, elles avaient été écrites, réécrites,
inlassablement travaillées et corrigées. Pour reprendre le mot d’André Malraux,
elles ont d’abord été un « monologue » de De Gaulle avec lui-même.
Douloureux, difficile, au cours duquel il se soumettait à l’épreuve d’une
critique systématique. Il cherchait sa propre vérité avant de se tourner vers
le pays et de s’adresser à lui. (…) Comment procéder à l’étude de De Gaulle
homme de pensée, sans évoquer Colombey-les-Deux-Eglises ? Ce village joua
un rôle capital dans sa vie et ne peut être dissocié de son itinéraire
intellectuel.
[31] - Ainsi
Maurice Couve de Murville pour ce qui concerne la politique étrangère dans le
premier tome des Mémoires d’espoir,
avant le déjeuner du vendredi 10 avril 1970, à Colombey – Bernard Tricot est convié au même exercice le 17 suivant pour les
chapitres algériens, et fait état dans ses Mémoires
( Quai Voltaire . Mars 1994 . 502 pages) p.
372, de ce qu’avait pensé celui qui avait le ministre des Affaires étrangères
pendant dix ans, record absolu de longévité dans le poste, depuis
Vergennes : J’avais cru sentir chez
lui une déception : le récit n’était-il pas trop restreint, le dossier
trop simplifié, la réalité des choses apparaissait-elle suffisamment avec ses
incertitudes, ses nuances et ses ombres ?
[32] - Il
a été publié que chacun des livres signés par Jacques Chirac a son auteur
principal et que les mémoires de celui-ci sur sa présidence ont bénéficié d’une
assistance, en l’occurrence celle de Jean-Luc Barré.
[34] - … Voici que la combinaison du micro et de
l’écran s’offre à moi au moment où l’innovation commence son foudroyant
développement. Pour être présent partout, c’est là soudain un moyen sans égal.
A condition toutefois que je réussisse dans mes apparitions. Pour moi, le
risque n’est pas le premier, ni le seul, mais il est grand. Si, depuis les
temps héroïques, je m’étais toujours contraint, quand je discourais en public,
à le faire sans consulter de notes, au contraire, parlant dans un studio, mon
habitude était de lire un texte. Mais, à présent, les téléspectateurs regardent
de Gaulle sur l’écran en l’entendant sur les ondes. Pour être fidèle à mon
personnage, il me faut m’adresser à eux comme si c’était les yeux dans les
yeux, sans papier et sans lunettes. Cependant, mes allocutions à la nation
étant prononcées « ex cathedra » et destinées à toutes sortes
d’analyses et d’exégèses, je les écris avec soin, quitte à fournir ensuite le
grand effort nécessaire pour ne dire devant les cameras que ce que j’ai
d’avance préparé. Pour ce septuagénaire, assis seul derrière une table sous
d’implacables lumières, il s’agit qu’il paraisse assez animé et spontané pour
saisir et retenir l’attention, sans se commettre en gestes excessifs et
en mimiques déplacées. Mémoires
d’espoir op. cit. tome I, pp. 301.302
[35] -
Suspense que vêcut le Général plus encore que les Français, puisqu’il était
prêt à y consentir, quoiqu’on lui représentât que ce serait se
contredire : sans doute, mais si c’est l’intérêt de la France ? Il
fallut que la démonstration lui soit apporté que cette abnégation serait sans
fruit. La décision eut un fondement tout autre qu’un souci de prestige
personnel
[36] - Pierre-Louis Blanc, op. cit..
p.
[37] - Raymond Barre, entretien le 3 février
2000 : J’ai eu quelques
conversations avec le Général, il m’avait demandé mon opinion sur certains
points. Je n’ai jamais eu l’impression d’une pensée autoritaire, loin de là,
mais il avait une capacité d’écoute, une capacité de dépouiller les problèmes
qui était extraordinaire, de faire apparaître l’essentiel, et il vous disait
ensuite – c’était son expression favorite – eh bien : je vais vous
dire comment je vois les choses. Il vous
écoutait, les dix dernières minutes : je vais vous dire comment je
vois les choses. Très intéressant comme échange. Je suis persuadé que, avec ses
ministres à plus forte raison, ce devait être un débat d’égal à égal.
De
Gaulle expose lui-même – Mémoires
d’espoir, tome I op. cit. pp.
78 & 79 – le poids qu’a eu pour lui, dans la résolution du drame algérien,
quelques phrases spontanément reçues ou sollicitées de deux musulmans, un secrétaire
de mairie, un jeune médecin arabe.
[38] - Mai 1943…
– pour Maurice Couve de Murville, très haut
fonctionnaire des Finances et collaborateur direct de tous les ministres
depuis 1932 et pendant la première période de Vichy –, appelé par le général Giraud, au premier Comité français de la
Libération nationale, qui soit d’union avec le général de Gaulle, c’est un
saisissement immédiat. Dans ce comité, de
Gaulle me demanda de prendre le poste de Commissaire aux finances, et c’est
alors qu’il me reçut que je le vis pour la première fois. Dirai-je franchement
que ce ne fut pas sans quelque appréhension que je me rendis à sa
convocation ? Je savais son histoire depuis l’appel du 18 juin. La radio
de la France
libre, pour moi comme pour la plupart de mes compatriotes, avait été en France
occupée le pain quotidien. Les
combats des Français libres, notamment en Afrique, étaient une page glorieuse
de nos faits militaires. Mais qui était cet homme, déjà célèbre, qu’une sorte
de légende commençait à entourer et qui a persisté jusqu’à son dernier jour,
indulgente quant à son orgueil, son côté intraitable et autoritaire, ses
ambitions politiques redoutables pour la démocratie, sa volonté qui ne voulait
rien entendre, et pour tout résumer son mauvais caractère. Quant à toutes ces
appréhensions, je fus vite détrompé. Ce qui m’apparut alors essentiellement –
le terme de coup de foudre ne serait pas très approprié, puisqu’il ne s’agit
pas d’une affaire sentimentale – c’était que de Gaulle représentait vraiment –
par rapport à tous les autres que je connaissais bien ou à ceux que je pouvais
deviner – le chef dont la
France avait besoin, pour participer au combat et préparer
l’avenir.
Pendant les quelques six mois où je restais au Comité
de la Libération,
cette impression ne fit que se transformer en conviction bien arrêtée, à voir
l’autorité et l’aisance avec lesquelles il dirigeait nos affaires, dans le
souci exclusif de l’intérêt national et toujours dans les perspectives de
l’avenir. Envoyé par la suite en Italie libérée pour y représenter la France, je revis le général
de Gaulle à Naples puis à Rome où il venait à la fois inspecter notre corps
expéditionnaire et prendre un contact avec les nouvelles autorités italiennes
dans la période post-fasciste. Le souvenir que je garde de cette nouvelle
rencontre en de bien autres conditions qu’à Alger, est une double impression,
correspondant à une double émotion ressentie par de Gaulle. D’abord, je lui fis
visiter Rome, ou plutôt ce qui reste de la Rome antique. Pour un homme comme lui pétri
d’histoire et nourri de ses gloires, qui venait pour la première fois de sa vie
en ces lieux illustres d’où pour une large part est sortie cette civilisation,
dont très largement la France
est la fille, cette France dont la libération alors était proche, comment ne
pas ressentir la grandeur de cette rencontre.
Puis je l’accompagnais à l’audience qui lui était
accordée par le pape Pie XII. De Gaulle
était un chrétien – il suffisait de voir la tranquillité avec laquelle il
envisageait la mort, un chrétien pour qui l’Eglise catholique représentait un
fondement du monde dans lequel il vivait. Sa visite au Vatican était dès lors
quelque chose de capital, et d’autant que, sur le plan politique, bien des
problèmes se poseraient à son sujet lors du retour en France. Là aussi mon
impression fut profonde (Notes
manuscrites pour donner le 12 mai 972 une conférence au Gremio Litterario de
Lisbonne)
Septembre 1944
– Jules Jeanneney, ministre d’Etat, dans
le gouvernement formé à Paris, dit à de Gaulle « mais vous faites
exactement ce que j’aurais voulu voir faire à Clemenceau. Ce dernier avait
refusé à son sous-secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil, coordonnateur
de fait de l’action gouvernementale, une prise de notes et des relevés de
décision en Conseil des ministres… vous le ferez mais alors je m’en
irai ! » (Jean-Marcel Jeanneney, entretien 29 Septembre 2009)
Juin 1958 à avril
1969
– le ministre des Affaires étrangères, puis
le Premier ministre
Travailler avec de Gaulle ! Cela semble
constituer tout un programme. Comment l’imaginer avec cet homme dont la
réputation était si bien établie d’être un solitaire, un intransigeant, un
autoritaire, et qui était effectivement tout cela, sans compter le plus
important sans doute, à savoir qu’il était aussi un passionné et que sa passion
était la France. Pour
tout dire, un homme enveloppé de mystère, un mystère pour une large part voulu,
car, comme il l’explique dans un de ses premiers ouvrages, le Fil de l’Epée,
le pouvoir préserve ainsi son prestige et son autorité. « Rien, écrit-il,
ne rehausse mieux l’autorité que le silence, splendeur des forts. »
Mais cet homme difficile possédait aussi de rares
qualités, un jugement qui bien rarement se trouvait en défaut. Il avait ce
don capital pour un homme d’Etat qui est
de savoir distinguer l’essentiel de l’accessoire, mais de toujours juger en
fonction de l’avenir et non pas du passé ni même du présent. Ce qui lui
permettait ces vues lointaines que bien souvent, et même le plus souvent,
l’événement ultérieur confirmait et dont la plus fameuse est évidemment celle
qui a commencé sa carrière, son épopée, lorsqu’en juin 1940 il prédisait la
défaite finale de l’Allemagne parce que l’Union Soviétique et les
Etats-Unis seraient nécessairement un
jour de la partie.
Des vues lointaines. Aussi un étonnant bon sens, du
pragmatisme, le sens des possibilités réelles.
D’instinct, il appliquait ce principe fondamental de
l’armée la sagesse militaire que jamais l’on ne donne un ordre dont on peut
craindre qu’il ne serait sera pas exécuté. Autrement dit, il faut toujours
concilier la fin et les moyens. Si l’on est en position de force, la décision
fulgurante s’impose et de Gaulle à cet égard était passé un maître. Si on ne
l’est pas, alors il faut accepter temporiser, manœuvrer, s’assurer pas à pas
l’avantage avant de finalement être en mesure de s’engager à fond. Quel
meilleur exemple que pendant plusieurs quatre années sa conduite de l’affaire
algérienne avant le dénouement final !
Mais tout cela ne s’invente ni ne s’improvise. Il faut
aussi réfléchir et il faut travailler.
De Gaulle était un méditatif, un homme de réflexion,
et contrairement à ce que l’on pourrait croire, tout le contraire d’un
impulsif. Certes, il y avait l’instinct et chacun sait que bien souvent dans la
vie, c’est le premier mouvement qui est le bon. Encore faut-il s’en assurer et
ne pas se décider à la légère. Nulle part il ne réfléchissait mieux que pendant
les fins de semaine où, suivant une discipline à la fois physique et
intellectuelle, il se retirait chez lui à Colombey dans le paisible cadre
familial (Maurice Couve de Murville, ibid.).
Septembre 1967 à
Octobre 1970
– Pierre-Louis Blanc, d’abord chargé de
mission pour la presse au secrétariat général de la présidence de la
République, puis documentaliste et confident de fait du Général après la
retraite de celui-ci, l’exceptionnalité est constante et selon de multiples
aspects, op. cit. Souverain, à
la fois un peu distant et pourtant affectueux, dosant avec maîtrise la
conscience de sa grandeur et une bienveillance qui lui est naturelle. p. 48 – Il faut
bien comprendre qu’aux qualités d’un cerveau d’exception s’ajoutait
l’intelligence du cœur(…). L’intéressé autant par pudeur que par calcul, se
refusait à toute initiative pour modifier l’image que l’on se faisait de son
personnage (proche de l’autoportrait qu’est à l’évidence Le fil de l’épée), devenue l’un de ces clichés dont les
Français sont curieusement friands, par conservatisme intellectuel sans doute.
Cette machine à penser dont je voyais les puissant mécanismes, dont je pouvais
analyser le fonctionnement dans ses moindres rouages et qui, dans les moments
de tension, impressionnait ses proches tant la logique s’y montrait implacable,
le raisonnement assuré, la démonstration sans faille, l’audace de l’esprit
superbe, cette machine n’aurait pas été ce qu’elle fut sans la finesse de la
sensibilité, les ressources de l’intuition et les richesses de ce que
j’appellerai, faute de trouver un mot plus adéquat, l’ « invisible » p.
93 –
[39] -
Recevant le comte de Paris le 20 janvier 1966 – comme il en a l’habitude, Mémoires
d’espoir tome I op. cit. p.
299.300 : Sur un plan, complètement
différent, mais auquel j’attache un grand prix, je reçois à plusieurs reprises
la visite, toujours discrète et pleine d’intérêt, du Comte de Paris. Avec
beaucoup de hauteur de vues et de pertinence, l’héritier de nos rois ne se
montre soucieux que de l’unité nationale, du progrès social, du prestige de
notre pays. C’est de cela qu’il me parle et de la même remarquable manière qu’en
traite le « Bulletin » où sont exposées ses idées. Je dois dire que,
de chaque entretien avec le Chef de la Maison de France, je tire profit et
encouragement. – de Gaulle raisonne sur ce pourcentage, selon l’élection
présidentielle de décembre 1965, en la distinguant cependant des
référendums : Tout d’abord, ces 45%,
je ne les ai jamais eus avant ; j’ai tout au plus reçu l’adhésion d’un
tiers des Français. En 1946, pour le vote de la Constitution, un tiers
seulement m’a suivi. Le R.P.F. ne représentait guère plus; pour les élections
municipales, c’est autre chose… Non, je n’ai eu qu’un tiers du pays pour
soutenir ma politique. Tous les candidats à cette élection ont dissimulé leurs
intentions : il est évident qu’aucun d’entre eux n’aurait pu tenir ses
promesses. On en serait revenu ainsi aux divisions et à l’impuissance. Ce
peuple ne veut pas la stabilité, il aime la division. Je pensais, j’espérais
que ce peuple, après toutes les expériences qu’il a vécues, souhaitait la
stabilité et la continuité, mais non, le danger passé, il oublie tout et
retombe dans ses errements. – Comte
de Paris, Dialogue sur la France. Correspondance et entretiens 1953-1970
(Fayard. Mars 1994. 286 pages) pp. 198.199
[40] - Alain Peyrefitte dans C’était de Gaulle tome II, pp.
601 & 602 (Fallois Fayard . Septembre 1997. 653 pages)
rapporte son refus d’attaquer François Mitterrand selon le passé de celui-ci ou
d’autres éléments le concernant : non,
je ne ferai pas la politique des boules puantes… Non, n’insistez pas ! Il
ne faut pas porter atteinte à la fonction, pour le cas où il viendrait à
l’occuper.
[41] -
Jacques Foccart, homme des services secrets ? ou au contraire veille du
Général ? sur ceux-là ainsi que sur une Afrique et des dispositifs de
coopération dont cependant – le rapport Jeanneney de 1964 – il souhaitait le
libre examen . Organisation d’ailleurs désavouée à l’occasion de notre
première intervention au Tchad, en Août 1968
[42] - Au
point que les quelques heures de « trou » dans l’agenda du Général,
le mercredi 29 mai 1968, eurent un impact énorme tant sur ses proches, y
compris le Premier ministre, que sur les Français
[43] - Stanley & Inge Hoffmann : De Gaulle, artiste de la politique (Seuil . Mai 1973 . 127 pages)
[44] -
Curieusement un quotidien étranger d’autorité et le plus important,
fonctionnellement et intellectuellement de ses collaborateurs, se rencontrent
là-dessus. La Tribune de Genève, au lendemain du scrutin, voit… le bon côté des choses, c’est que la
disparition de la scène du général de Gaulle,
va lui donner le temps de rédiger, à tête reposée, et encore en pleine forme, un nouveau livre admirable de Mémoires, cet
ouvrage dont les historiens ont absolument besoin pour comprendre les dix dernières
années de l’épopée gaulliste.
Bernard Tricot, op.
cit., p. 377. Devant répondre à la
question du Général : vraiment,
est-ce la peine que j’écrive ces Mémoires ? à quoi cela pourra-t-il
servir ? improvise : il y a
peut-être dans le fait que vous écriviez vos Mémoires, un aspect négatif :
vous allez vous expliquer, vous ferez-vous-même, à la fin de votre vie active,
votre portrait ; dans toute la mesure où vous réussirez, vous lèverez des
doutes, préciserez des traits, vous supprimerez un mystère. Est-ce que, pour
l’avenir lointain, ce n’est pas regrettable ?
[45] - En
réponse à Olivier Guichard, de Gaulle y avait personnellement tenu pour éviter
que les Français, favorables à la régionalisation, soient dispensés, sans
frais, d’accepter la réforme du Sénat de même logique
[46] - Le Monde, numéro 7555
cit.
[47] - Les Français et de Gaulle, op. cit. p. 248
[48] - Ibid.
op. cit. pp. 242 à 247
[49] - Raymond Barre, entretien le 3 Février
2000 : La dévaluation de 1968, là, c’est l’erreur que Couve a commise, çà a
été de décider brutalement de supprimer le contrôle des changes. Je rentrais à Bruxelles, je m’arrête,
j’étais invité à faire une conférence à Lille, je m’arrête ; dans le
public, il y avait des agents de change, qui viennent me dire : vous
savez, l’argent est en train de filer à travers la frontière. Plus rapidement
que c’est possible. Cà ne peut pas continuer. Je sors de ce dîner-débat et je
suis allé téléphoner à Consigny : Dites au Premier Ministre ce que je
viens d’entendre. Il faut à tout prix réagir. Non… Là, à mon avis, çà a été une
décision imprudente. L’impôt sur les successions tombait chronologiquement
au même moment, cela c’est secondaire selon vous ? Cela a joué beaucoup, cela a
mis la bourgeoisie française contre lui … oui et contre le Général. Contre le
Général. Est-ce que vous avez eu le sentiment que c’était le bon choix,
François Xavier Ortoli ? C’est un homme d’expérience, de qualité et
dans la mesure où Couve voulait conserver un droit de regard comme Premier
Ministre sur le ministère des Finances, il ne voulait pas mettre là une
personnalité politique qui pouvait prendre ses distances par rapport à lui.
C’est pour cela qu’il a choisi Ortoli dont il savait que c’était un technicien
compétent.
François-Xavier Ortoli s’est justifié en détail, entretien le 18
Février 2000, partiellement publié par Espoir n°
126. Mars 2001 consacré à Maurice Couve de Murville
[50] - Le 12 mars
1967, le ministre des Affaires étrangères est battu de 235 voix par Edouard Frédéric-Dupont
qui a bénéficié même du report des voix de Marcel Barbu (768 au premier tour),
lequel avait également candidaté contre le Général en décembre 1965. L’ancien ouvrier horloger, fondateur des communautés
ouvrières, convié à débattre à Sciences Po et questionné à propos de
l’amendement Vallon, répond – seul à l’époque à voir aussi clair : De
Gaulle aime le peuple à sa manière. C'est pourquoi il a sauté sur la première
proposition qu'on lui a faite. Mais Pompidou a dit " non et non "
C'est ce qui a provoqué une baisse de tempérament dans leurs rapports. Aussi,
je suis convaincu que les prochains mois nous verrons Pompidou rompre avec de
Gaulle. Cela entrainera un changement de gouvernement et c'est Couve de
Murville un homme plus souple qui prendra la tête du cabinet
Le Monde des 5-6 mars 1967
[51] - Entretien,
le 17 Mai 1999 : Il avait confiance en moi. Il me considérait comme
un type honnête, qui ne cherchait pas des entourloupettes, et qui ne cherchait
pas à lui succéder. Autrement dit, je n'étais pas du tout comme Pompidou. Je
crois que c'est çà le fond des choses. Alors, quand il m'a nommé Premier
Ministre, il n'avait pas beaucoup de choix, il faut le dire... et il m'a
considéré comme étant d'abord relativement capable puisque j'avais été dix ans
ministre des Affaires étrangères, par conséquent, le gouvernement, c'était
quelque chose que je possédais suffisamment, et d'autre part, je n'étais pas un
type qui n'aurait eu qu'une idée, c'était de lui succéder. C'est-à-dire
d'espérer sa retraite ou sa disparition, et de lui succéder comme c'était le
cas de Pompidou. C'est mon explication. Je n'ai jamais eu la moindre idée de me
présenter à la succession de De Gaulle à la présidence de la République. Cà ne
m'est jamais venu à l'idée ! La législative, c'était une façon pour moi de
poursuivre dans la vie politique. C'est-à-dire de ne pas tomber tout de suite à
la retraite, mais ce n’était pas du tout avec l'idée de briguer la
présidence ; c'était plutôt avec l'idée de m'affirmer comme un homme
politique.
[52] - Commentant
dans une lettre personnelle à François Mauriac, le 23 juillet 1968, à la suite
de son bloc-notes, l’ancien Premier ministre explique que, comme vous l’avez deviné, cette crise surmontée puis cette
victoire électorale m’ont troublé plus qu’exalté et qu’après avoir tenu dans la
tourmente, j’ai éprouvé un immense besoin de m’écarter afin de me retrouver. Je
l’ai dit au Général de moi-même, dès avant le 2° tour, et je lui ai répété par
la suite. Il n’en est pas moins vrai que les pressions dont j’ai été l’objet de
la part de tous ceux à qui j’ai dit ma lassitude et que l’accusation de
« trahir » ceux qui m’avaient fait confiance m’ont conduit,
finalement, à faire dire au Général – c’était le samedi 6 juillet – que, s’il
le fallait, j’étais prêt à continuer. Le Général m’a fait répondre que
« c’était trop bête » mais qu’il avait, la veille au soir, demandé à
Couve de Murville d’être Premier ministre, et que ce dernier avait accepté.
Couve, qui m’avait dit le 5 juillet que je devais rester, et à qui j’ai dit le
9 juillet que j’avais fini par en convenir, ma alors déclaré : « Dans
ce cas, il faut tout remettre en cause. » Je lui ai répondu :
« C’est trop tard, tout est tranché. » Il n’a pas insisté. Qu’en
conclure ? Qu’un homme – Couve – qui n’est pas bas et qui est ambitieux,
n’était pas fâché de courir sa chance. Pourquoi le lui reprocherai-je ?
Quant au Général, il est évident que mon désir de retraite rencontrait son
désir d’être sans conteste seul à gouverner jusqu’au jour de son propre
retrait. A cela, non plus, je n’ai rien à redire sinon que j’aurais préféré
qu’il me le déclarât dès le départ. Mais je le connais assez et je l’admire
trop pour ne pas savoir et ne pas admettre qu’il ne se livre jamais
complètement à personne. Donc, vous avez raison de l’écrire, les choses sont
bien ainsi. Au Général de signer de son seul nom les dernières années de son
pouvoir. Couve sera un exécutant fidèle, intelligent, habile et digne. Pour
rétablir une vérité (Flammarion. Juin 1982.
296 pages), pp. 246-247, mais rédigeant un peu plus tard un livre qui
fut posthume, l’ancien Premier ministre précise que le vendredi 5, en fin d‘après-midi, j’eus une étrange
visite de Couve de Murville. Il venait de voir le Général. Il me dit d’abord
regretter mon départ. Le Général, qui le lui avait appris, ne lui avait rien
proposé et Couve pensait qu’il s’orientait vers Messmer. Cela lui paraissait
fâcheux, car l’opinion ferait le rapprochement avec la visite à Baden-Baden et
en conclurait que l’armée avait promis son concours à de Gaulle à condition
qu’il appelât Messmer. Je me montrais d’une extrême naïveté, malgré ce que
m’avaient dit nombre de personnes, comme par exemple Pierre Lazareff, sur la
profonde ambition de Couve. Je m’obstinais à croire qu’il n’avait jamais
recherché mon départ. Je croyais d’autre part qu’il était le meilleur des
possibles. J’appelai donc Tricot au téléphone et le chargeai de dire au Général
que j’appuyais énergiquement Couve de Murville comme futur Premier ministre. ibid. p. 205
[53] - Au
ministère des Finances, sous l’appellation codée « Opération Parme »,
les services prépare plus ce qui sera la dévaluation décidée par Georges
Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, revenus ensemble au pouvoir, que la
défense du franc – mais la nomination, le 4 avril 1969, d’Olivier Wormser à la
tête de la Banque de France, place en adversaire résolu de tout laxisme, le
véritable alter ego de Maurice Couve
de Murville.
[54] - Espoir n° 16, pp. 15-16
& 18 & 25
[55] - Mémoires, op.cit. p.357
[56] - Au meeting du Palais des Sports à Paris,
23 avril 1969
[57] -
C’est Pierre Rouanet, qui rend, le premier plausible cette mésentente, aussi
bien sur des thèmes politiques depuis longtemps qu’à l’occasion des
« événements de Mai », mais son Pompidou
(Grasset. Avril 1969. 316 pages) n’est
en librairie qu’à quinze jours du référendum… Etre poussé vers l’Elysée par une réputation de gaulliste sans qu’aucun
engagement formel préjuge ses actes sociaux et surtout diplomatiques comme
président de la République, n’était-ce pas tenir une chance de gagner sur deux
tableaux : hériter l’actif d’une popularité électorale sans hériter le
passif des préventions étrangères ? p. 315.
[58] -
Paradoxalement soutenu sur fonds de Matignon, mais par ordre de l’Elysée – y
signent principalement René Capitant, Louis Vallon, Frédric Grendel, Philippe
de Saint Robert et, souvent, Maurice Schumann, Louis Joxe, Jean Charbonnel,
Léon Hamon, Jean Cazenave, Jacques Debu-Bridel.
[59] -
Principalement, l’UDT et Notre
République font leur le mémoire rédigé en 1961 par Marcel Loichot. Pour
Louis Vallon – Notre République, 18 Février 1966 . n° 207 – c’est entendu,
il faut élargir les marges d’autofinancement de nos entreprises. Mais il
convient alors de substituer à la dévolution aux seuls capitalistes de cet
autofinancement, qui empêche les travailleurs d’accepter le principe de la
majoration de ce dernier, une dévolution mixte faite à la fois pour une part
aux capitalistes, pour une autre aux travailleurs. Albin Chalandon défend
aussi cette thèse au sein de l’UNR. Et un amendement à l’article 33 de la loi
du 12 juillet 1965, est adopté, qui prescrit au gouvernement de déposer avant
le 1er Mai 1966 un projet de loi définissant les modalités selon
lesquelles seront reconnus et garantis les droits des salariés sur
l’accroissement des valeurs d’actif des entreprises, dûs à l’autofinancement.
Selon la préconisation de Marcel Loichot, au bout de vingt-cinq ans, les
capitalistes ont plus que doublé leur capital et leur revenu annuel (indice
209,4) tandis que les travailleurs ont progressivement obtenu la majorité
(indice 219,8 – soit 51,2% du capital ). François Perroux opine alors que de
telles réformes impliquent de la part de l’Etat une collaboration et une
compréhension accrue des problèmes économiques. Ce serait le couronnement des
propositions de François Bloch-Laîné sur les formes nouvelles de coopération du
travail à l’entreprise. Le 12 Mai 1966, Louis Vallon remet un avant-projet de
loi, à la « commission d’étude du problème des droits des salariés sur
l’accroissement des actifs dû à l’autofinancement ». Celle-ci, dite
commission Mathey, que préside un magistrat de la Cour des comptes, enterre en
fait le projet : p. 57 « en l’absence de d’indications officielles
sur la portée exacte attribuée à l’article 33, la Commission s’est trouvée
devant une difficulté importante. En effet, le choix des modalités
d’application est largement commandé par le but que l’on veut atteindre »
et elle envisage p. 61 « le cas où la réforme prévue l’article 33 ne
serait pas définitivement acquise dans son principe ».
En
fait, le fameux article 33 n’a été pris en considération par le gouvernement
que le 16 Février 1966 à la suite de la prise de position du général de Gaulle
en conférence de presse. Le président de la République réitère, en présentant
ses vœux pour 1968 au pays : pour les salariés de l’entreprise,
participation aux résultats, participation au capital, participation aux
responsabilités. René Capitant conclut – Notre République, 12 Janvier 1968 . n°
292 – L’unité de l’entreprise n’en sera que
mieux assurée. Et Louis Vallon
renchérit – Notre République, 20
Décembre 1968 . n° 331 – : « Le bénéfice que la nation peut retirer
de la participation n’a pas un caractère étroitement économique et social, il
est humain et, par conséquent, politique, au sens le plus élevé du terme. Il
s’agit de maintenir la France dans le peloton de tête des grandes nations qui
portent aux yeux du monde le poids et la responsabilité des progrès de
l’humanité tout entière ».
[60] - (Le Seuil. Octobre 1969. 120 pages) – Ni
l’auteur ni le livre ne sont approuvés par le Général, mais ce dernier annote la
lettre du député, datée du 26 juin 1969 :
dire, de ma part, à M. Louis Vallon que
je n’oublie rien, que je ne l’oublie pas et que c’est tout pour le moment. Louis
Vallon a dirigé en second les services secrets de la France libre et est
l’auteur de l’amendement à l’article 33 de la loi du 12 juillet 1965, tendant à
introduire une participation des salariés au capital de leur entreprise à
proportion de l’accroissement des valeurs d’actif
[61] - Raymond
Barre, entretien le 3 Février 2000
.
. . Je crois qu’à la fin il y a eu des
malentendus entre le Général et M. Pompidou. Je n’ai pas d’indice précis, mais
il était clair que le Général s’inquiétait, dans un certain nombre de domaines,
du fait que le Gouvernement n’entreprenait pas de réformes. Et M. Pompidou
pensait que sur le plan politique, les réformes seraient catastrophiques,
auraient des effets électoraux tout à fait négatifs. Et c’est là qu’il y a eu
une incompréhension, deux philosophies très différentes et puis il y a eu un
mot, je vous le cite, cela entre nous, mais qui m’a beaucoup frappé. Je
connaissais bien Christian Fouchet. Je le voyais assez fréquemment et il m’a
raconté un jour qu’il avait dit au Général : comment avez-vous fait pour,
en 1962, nommer Pompidou Premier
Ministre ? Vous aviez Debré, les réformes avaient été faites… étaient en
cours … et le Général lui a répondu : j’ai nommé Pompidou en 1962 parce
que la situation politique, la situation du pays étaient telles qu’il me
fallait à Matignon un « arrangeur ». Et je trouve que le mot est très
dur. Pompidou arrangeait beaucoup de choses aux dépens bien entendu des
réformes, comme celles que le Général voulait faire, aux dépens du mouvement et
je crois que le Général pensait que Couve serait capable de faire une politique
de mouvement, parce qu’il avait bien vu comment Couve avait conçu et mis en
application la politique étrangère. C’était une élaboration intellectuelle et
c’était une application tout à fait étonnante. Couve m’a raconté certains de
ses débats avec le Général, c’est lui qui m’avait dit : vous savez, les
meilleures instructions qu’on reçoit sont celles que l’on se fait soi-même.
Certes !
[62] - Merry
Bromberger écrit tout exprès Le destin
secret de Georges Pompidou (Fayard. Septembre
1965. 349 pages) que le Premier ministre va présenter et commenter, avec
une certaine anxiété, au président de la République : Il ne semble pas que le Général ait jamais dit au Premier
ministre : vous serez mon successeur… Les échos de l’Elysée affirment
aussi que le président de la République est hésitant, que ses intentions
changent tous les quinze jours … Un
autre ordre d’événements pourrait jouer un rôle dans la décision du Président
sortant : les candidatures opposées. p. 337-339
[63] - Cet
aspect dynastique – jugé dangereux pour
la démocratie – est relevé aussi bien par Michel Rocard (déclaration à Lyon, Le
Monde des 20-21 avril 1969) avant le scrutin qu’Alain Poher après…
[64] - La
rumeur dont Jacques Foccart témoigne dans son journal publié posthume Le Général en Mai . Journal de l’Elysée
II 1968-1969(Fayard . Jeune
Afrique .Avril 1998 . 791 pages) p. 266, au sujet de Robert Galley, qui
ne s’est encore jamais exprimé là-dessus. A lui comme à Maurice Couve de
Murville, le général de Gaulle écrit d’une façon exceptionnelle, parce qu’il
les considère comme exceptionnels et d’avenir :
- à Robert Galley, encore
en fonctions de ministre pendant l’intérim présidentiel : l’avenir est bel et bien de notre côté et la
jachère qui commence ne tardera pas à le démontrer. Dans cette perspective,
sachez que tout vous destine personnellement à un rôle considérable et soyez
certain que votre âge ainsi que votre ardeur vous permettent de rester
entièrement vous-même – et par conséquent des « nôtres » – sans
aucune compromission. – 15 mai 1969. Lettres, Notes & Carnets Mai 1969.
Novembre 1970, p. 27
- à Maurice Couve de
Murville, après que celui-ci ait été battu par Michel Rocard coalisant droite
et gauche, comme ce l’avait exactement été contre de Gaulle en 1965 et en
1969 : l’affaire des Yvelines peut
être désagréable. Dans l’ambiance actuelle elle était à prévoir. Je ne vois pas
en quoi tout ce que vous fûtes et êtes en serait aucunement diminué. Sans doute
même : au contraire. Pour quelqu’un qui est « quelqu’un » c’est
l’avenir qu’il faut jouer certainement pas le présent. Mais l’avenir exigera de
ce « quelqu’un » qu’il soit intact. –
1er novembre 1969. Lettres,
Notes & Carnets Mai 1969. Novembre 1970, p. 63
[65] - Raymond Barre, le 3 février 2000
C’est une
opération contre Pompidou, mais on a cru, les gens ont cru que Couve y était
mêlé, ce n’est pas son genre, ce n’est pas son caractère. Mais il a mal réagi,
tout de même, comme le Général : ils ont décidé tous les deux de ne pas
intervenir dans cette affaire. C’était difficile…
Jean-Marcel Jeanneney, entretien le 13 mars 2000
BFF
: Et l’affaire Marcovic vous a-t-elle frappée ? On en a fait avec le recul le
détonateur de beaucoup de choses. Mais à l’époque, c’est probablement une
rumeur qui agite le tout-Paris politique mais cela n’envahit pas les colonnes
d’une manière énorme ?
JMJ
: Si, par la faute de De Gaulle et par
celle de Couve. Il s’est trouvé qu’au lendemain du jour où Capitant est nommé
garde des Sceaux, imposé à Pompidou par de Gaulle, il avait eu un infarctus. De
Gaulle me convoque et me dit qu’il a reçu une lettre de démission de Capitant
et il me propose d’être garde des Sceaux. Je n’ai pas accepté, Capitant étant
un ami, je refusais de prendre sa place. J’ai été nommé intérimaire. Aussitôt
nommé, Tricot m’a téléphoné pour me demander devenir le voir. Il m’a mis au
courant de l’affaire Marcovic. Juste avant que Capitant ne soit malade, il a
reçu une note d’un magistrat instructeur indiquant les liens de Madame Pompidou avec cette affaire. Le
Général était au courant par Tricot. Le Général est rentré à Paris le lundi, a
convoqué Couve et l’a mis au courant. Il lui a demandé de prévenir Pompidou et
Couve ne l’a pas fait. Naturellement, Pompidou l’a appris par des bruits du
Palais. Il en a été ulcéré.
BFF
: Capitant n’est plus à la Justice ?
JMJ
: Il n’y est plus mais il y était au
moment même. Pompidou l’a soupçonné d’avoir commencé à exploiter cette affaire
contre lui. Deux ou trois jours après, je reçois un coup de téléphone de
Pompidou qui me demande une entrevue mais pas à mon ministère. Je suis allé le
voir le lendemain à son bureau. Il me précise que j’étais le premier des
ministres à se donner la peine de s’occuper de lui. Il m’a vidé son cœur. Selon
lui, aucun ministre n’avait eu le courage de lui parler. Je l’ai mis au courant
de ce que je savais, c’est-à-dire une dénonciation d’un prévenu dans une
prison. Mais aussi bien de Gaulle que Couve, à mon avis, se sont très mal
conduits vis-à-vis de Pompidou.
BFF
: Couve n’a pas voulu parce qu’il a pensé qu’il ne pouvait pas faire état des
turpitudes de la femme de Pompidou.
JMJ : Il valait
mieux que ce soit lui qui le dise que des bruits de palais.
[66] - qu’ont toujours stigmatisée les « gaullistes
de gauche » et Notre République titre entre les
deux tours de l’élection présidentielle :
Non, de Gaulle ce n’est pas la
droite. Non, Mitterrand ce n’est pas la gauche – n° 197 – 10 Décembre 1965
[67] - c’est ce que soutient
Georges Pompidou lui-même, selon Jacques
Foccart Journal de l’Elysée V La fin du gaullisme, (Fayard . Jeune Afrique . Février 2001 . 585 pages). p.
435
[68] - Raymond Barre, entretien le 3 février 2000
J’ai
l’impression que ce qui a été l’élément décisif à ce moment-là, c’est la
déclaration de Pompidou du 10 Janvier, à Rome. Quand on lit le communiqué du Général, on sent très bien qu’il se
dit : les Français savent que je peux avoir un successeur, il faut que je
teste leur confiance. D’ailleurs, c’est la seule fois où quand il s’adresse aux
Français, c’est un communiqué du Conseil des Ministres, c’est une question de
confiance qu’il pose au peuple. Vous avez une analyse très tragédie antique,
dans laquelle M. Pompidou joue un rôle. Pas d’ailleurs, avec le désir de faire
partir le Général. Sa déclaration a été arrangée par la presse. Non pas du
tout, je ne mets pas de mauvaises intentions dans la pensée de M. Pompidou. Il
est certain que toute une partie de la société qu’étaient à l’époque les hommes
d’affaires, la bourgeoisie qui a toujours été anti-de Gaulle, s’est dit :
on a notre candidat. Le Général a senti çà, et c’était après 1968, les
mouvements du peuple, les mouvements populaires avaient été forts, je crois,
qu’il a voulu tester. Il a voulu tester, c’est le fond de l’affaire, en disant :
ou ils me font confiance et je reste, ou
je pars. Et il l’a fait, malheureusement, avec le Sénat et la région, on a tout
essayé. De Bruxelles, Poher qui était devenu Président du Sénat, m’avait
demandé d’intervenir : ne faites pas le Sénat, la région passe, il n’y a
aucun problème. Je l’ai dit à M. Jeanneney. M. Jeanneney m’a dit, le Général
m’a dit, si je ne faisais pas çà dans le détail, ils ne feraient jamais rien
ensuite, donc on garde tout ! Il voulait vraiment… çà passe, ou çà
casse ! C’est l’impression que j’ai eue, des contacts… qui ont été les
miens.
Vous avez le sentiment que Couve aurait pu être le
successeur, non pas qu’il voulait, mais qu’il eût souhaité ? Je pense que le Général avait une idée de ce
genre. Parce qu’il y a en Couve précisément un homme ayant de l’altitude et qui
n’était pas mêlé, pas trop mêlé à l’agitation politique.
[69] - Ce
dont atteste l’essai de Samy Cohen
sur de Gaulle, Israël et les Juifs
(Alain Moreau . 1er se. 1974 . 366
pages) - tandis que Léo Hamon, depuis la condamnation de la guerre des
Six-Jours, a cessé de signer dans Notre République.
[70] - Michèle Cotta, Cahiers
secrets de la V° République tome I : 1965-1977 (Fayard. Novembre 2007. 875 pages) pp. 159-160
[71] - Les Français et de Gaulle, op. cit. pp. 292-293
[72] - Daté du 26 novembre
1969
[73] - Probablement majoritaires dans le R.P.F. puisque ce
mouvement – et pour cause – n’exerce pas le pouvoir les « gaullistes de gauche »
sont minoritaire dans la coalition parlementaire soutenant de Gaulle depuis
1958. René Capitant principalement réfléchit dans Notre République à cette relation tant avec l’U.N.R., le parti
dominant qu’avec la gauche. Faut-il maintenir la fusion UNR-UDT ? Notre République . n° 205 . 4 Février 1966
S’est-il
agi jamais de fonder une République ou fonder un parti ? – n° 206 . 11 Février 1966 – et , si oui, qu’elle est la structure de la majorité – id° n° 207 . 18
Février 1966. Pour Louis Vallon – n° 212 .
25 Mars 1966 – il faut aller vers un grand ensemble politique
dynamique et, pour René Capitant – n° 213
. 1er Avril 1966 –
textuellement, le secret de la victoire pour la Gauche, c’est entrer dans le
gaullisme, ce que démontrent les votes communistes en Avril 1966 : « ainsi s’esquisse l’élargissement du
gaullisme vers la gauche et l’extrême-gauche dont nous voulons être les
artisans dans ce journal » -
ibid. n° 217. L’U.D.T. dialogue avec
Mendès France et entend participer aux suites de la « rencontre
socialiste » que l’ancien président du Conseil a sucitée – n° 218 . 6 Mai 1966.. Pour Léo Hamon, à l’occasion de la candidature du général de Gaulle à
la première élection présidentielle au suffrage universel, « Ceux qu’on a appelés ‘gaullistes de gauche’ sont simplement des
hommes issus de la Gauche et restés fidèles, dans le gaullisme, aux aspirations
de la Gauche qui demeurent valables pour ce temps. Ces hommes souhaitent donc
être, le 5 Décembre, rejoints, dans le vote pour de Gaulle, par de nombreux suffrages
populaires » - n° 195 – 26
Novembre 1965. Par la suite,
et surtout après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à l’Elysée, ce seront,
pour beaucoup, des gaullistes allant à François Mitterrand et lui restant
ensuite fidèles
[75] - Hubert Beuve-Méry, Le
Monde n° 7555 daté du mardi 29 avril 1969
[76] - Le
général de Gaulle qui rentre à Colombey n’a pas été battu sur le référendum,
c’est ridicule ! Il ne tenait qu’à lui de ne pas faire le référendum, voyons !
Il dit dans ses Mémoires : « C’était une question
capitale ! » Mais non, elle pouvait être capitale un an après. Il
pouvait très bien dire qu’il ne pouvait mettre le destin de la France en jeu
sur un problème aussi technique que les régions… Il a voulu mettre les régions
en cause parce qu’il a voulu être battu ! Il a cherché – comment
appellerons-nous çà ? – l’ingratitude. Alors, bien sûr, il parle comme si
c’était la faute des Français ! Je veux bien, je ne suis pas sûr qu’il ait
tort, mais ce que je dis fermement, c’est que cette ingratitude, il l’a
cherchée. L’Express
7-13 août 1972, reproduisant un entretien accordé au New York Times par André Malraux. « L’ami
génial », factuellement, se trompe, le Sénat faisait question dans
l’opinion, pas les régions.
Jean-Marcel Jeanneney lui répond dans le numéro suivant : Malraux n’a certes pas dit cela pour donner
bonne conscience aux tombeurs du général de Gaulle (…) C’est une vision de
grand artiste que celle d’un de Gaulle qui, après avoir tant recherché et si
étonnamment obtenu l’adhésion populaire, aurait été tout d’un coup saisi par le
besoin d’éprouver l’ingratitude des Français ! J’admire l’allure de
« tragédie antique » de ce thème, mais j’en conteste la valeur
historique et j’en déplore l’incidence politique. Il est bien vrai que de
Gaulle a consciemment pris le risque d’être battu, mais il n’est pas vrai qu’il
a voulu être battu.
cités par François Goguel in Espoir n° 16
Maurice Couve de Murville témoigne, le 22 mai 1976 – Espoir
n° 16, p. 26
De Gaulle a eu un moment de recul quand il s’est aperçu qu’il allait
échouer ; c’est tout à fait normal, mais il ne pouvait plus changer
.
[77] -
Sous la présidence de François Goguel, ancien secrétaire général du Sénat et
analyste spontané depuis 1962 pour le général de Gaulle des scrutins confirmant
son mandat jusqu’en 1969, se rencontrent 5 rue Solférino des témoins directs du
27 avril : Maurice Couve de Murville, alors Premier ministre, Jean-Marcel
Jeanneney, rédacteur principal du projet, Bernard Tricot, alors secrétaire
général de la présidence de la République, Bernard Ducamin, conseiller
technique à ce secrétariat pour les affaires sociales, et enfin François
Flohic, alors aide-de-camp du Général et l’ayant ensuite accompagné en Irlande
– la transcription du débat est publiée par Espoir, la revue de l’Institut
puis de la Fondation Charles de Gaulle – n°
16, Septembre 1976 . pp. 4 à 28
[78] - Le
texte est à retrouver. François Mitterrand, par Pierre Bénérgovoy, son ultime
Premier ministre, au contraire, testamenta beaucoup en faisant déposer, dans
les derniers jours de la seconde législature socialiste, des projets de loi
très substantiels, y compris une refonte partielle de la Constitution,
s’écartant d’ailleurs beaucoup des propositions de la « commission
Vedel », alors même que l’issue des élections de Mars 1993 n’était plus
douteuse
[79] - Nicolas
Sarkozy, Témoignage
(XO éditions . 1ère
éd. Août 2006 & 2ème éd. Janvier 2007 . 281 pages)
et François
Fillon, La France peut supporter la vérité (Albin
Michel . Octobre 2006 . 268 pages) p. 161
[80] - Mémoires d’espoir, tome I,
p. 40
[81] - Valéry Giscard d’Estaing, Le pouvoir et la vie, tome III, p.
52 (Cie12. Septembre 2006. 554 pages)
[82] -
Cette réserve n’est que publique puisque lors d’une réception à l’Assemblée
nationale, il félicite devant Jacques Chirac devant Jean-Marcel Jeanneney
d’avoir été le seul en Conseil des ministres à s’opposer à la non-dévaluation
[83] - Lors
de la réunion des parlementaires U.D.R. le 6 mars 1969
[84] - Selon Maurice Couve de Murville, le général de Gaulle n’a jamais eu l’ombre
d’un doute que le référendum le conduirait à se retirer, ce qui s’est
effectivement passé et que son successeur serait Georges Pompidou. in Espoir, n°
16 op. cit. p. 27 – Georges
Pompidou reprend d’ailleurs l’expression, Pour
rétablir une vérité, p. 275 : Mon
succès ne faisait aucun doute…Pour le pays, j’étais le successeur naturel,
p. 275
[85] - Le
général de Gaulle à Georges Pompidou, 30 avril 1969 Lettres, Notes & Carnets . Juillet 1966-Avril 1969, p.318
Mon cher ami, après ce que je vous ai dit maintes fois naguère et ce
que j’ai déclaré publiquement à votre sujet, vous êtes certainement fondé à
croire que j’approuve votre candidature. Je l’approuve en effet. Sans doute
eût-il mieux valu que vous ne l’ayez pas annoncée plusieurs semaines à
l’avance, ce qui a fait perdre certaines voix au Oui, vous en fera perdre quelques-unes à vous-même et surtout pourra vous
gêner enfin dans votre personnage si vous êtes élu mais dans les circonstances
présentes, il est archinaturel et tout à fait indiqué que vous vous présentiez.
J’espère donc vivement votre succès et je pense que vous l’obtiendrez. Il va de
soi qu’au cours de la « campagne », tenant compte des dimensions de
tout, je ne me manifesterai d’aucune façon. En particulier, votre lettre du 28
avril et ma réponse d’aujourd’hui resteront entre nous.
[86] - Son
livre paru posthume Le nœud gordien
(Plon. Mai 1974. 205 pages)
[87] - Elle
a été sévèrement analysée par deux experts, il est vrai de la même famille
d’esprit et en filiation politique et intellectuelle, d’autant qu’ils
contribuèrent à la décision antérieure du général de Gaulle de la refuser :
Jean-Marcel Jeanneney et Raymond Barre.
Raymond Barre,
entretien le 3 février 2000
La
non-dévaluation, çà a été très simple. Tout le monde poussait à la dévaluation.
Le Général ne voulait pas de la dévaluation, enfin cela lui faisait mal au
cœur. J’étais invité à Paris, ce soir-là, à un long banquet des banquiers et
j’ai envoyé mon directeur de cabinet qui était Jean-Claude Paye lire mon
discours. Jean-Claude Paye est rentré le lendemain et m’a dit, j’ai vu mon
beau-père, il est catastrophé parce qu’il dit que c’est une erreur de faire une
dévaluation. Je lui ai dit de vous téléphoner pour avoir votre avis, je sais
que c’est le vôtre. Jeanneney m’a téléphoné, je lui ai dit ce que je pensais.
Il m’a dit, je vais le dire au Général. Il a expliqué çà à Tricot. Et j’ai reçu
l’indication… non ! M. Jeanneney m’a dit : il semblerait que la
condition de l’aide de nos partenaires soit la dévaluation. Alors, c’est là que
j’ai vu le président du comité des gouverneurs de Banques centrales, qui était
le Gouverneur de la Banque belge, qui était un ami, j’ai dit : est-ce le
cas ? Il m’a dit, nous ne cherchons pas la dévaluation, si le Gouvernement
français fait une politique qui est une bonne politique, nous ne demandons pas
la dévaluation. Et c’est le message que j’ai passé.
BFF - Est-ce qu’il aurait fallu dévaluer, à sec, après
les accords de Grenelle, pratiquement en les effaçant dès le 30 mai ?
RB - Il y a ceux
qui proposaient une petite dévaluation, je pense que çà n’aurait pas servi. On
en a fait une, qui était trop forte, ensuite. Surtout, il fallait faire quelque
chose combiné avec les Allemands parce que nos drames inflationnistes,
l’origine est très nette : c’est la dévaluation de 12 % en France combinée
avec une réévaluation de 9% en Allemagne. 21 % ! Nous nous sommes trouvés
avec une marge de 21%, c’était une erreur considérable, les Allemands m‘ont
toujours dit qu’ils ont regretté qu’on n’ait pas pu jouer ensemble sur
l’ajustement des parités. Oui, cela a joué à quatre mois de distance. Mais
Pompidou voulait le faire tout de suite de façon indépendante et autonome. Il
s’en est enorgueilli, lui et Michel Jobert. Ils s’en sont enorgueillis,
oui ! Mais je vous garantis que la source de l’inflation française est là.
Les années durant lesquelles il a fallu se battre contre l’inflation, c’est là
leur origine ! 21 % de décalage par rapport à l’Allemagne. Cela a pu
peut-être donner un peu de croissance, mais on l’a payé très cher.
Jean-Marcel
Jeanneney, entretien le 13 mars 2000
JMJ : J’ai
retrouvé l’article que j’avais écrit
dans la nuit où a été décidée la dévaluation du mois d’août 1969.
J’étais à Rio et un journaliste du Figaro m’a téléphoné en me demandant ce que
j’en pensais. Je lui ai répondu que j’en pensais du mal. L’article montre avec
une argumentation très solide que c’était une erreur fondamentale. Ils n’ont
pas compris qu’à l’époque, notre commerce extérieur était florissant, l’inflation
était due essentiellement au fait que toutes les capacités de production
étaient épuisées (après 68, on avait tellement peur que cela provoque une
crise, qu’on avait donné l’ordre à tous les trésoriers payeurs généraux de
faire obtenir des crédits tant qu’on voulait à toutes les entreprises ; il y a
eu une augmentation de liquidité formidable et qui facilitait naturellement
ensuite la spéculation). On était en surcapacité de production. On ne dévalue
pas quand on est en surcapacité de production.
BFF : Barre y voit l’origine de l’inflation dans
laquelle on est tombé pendant une dizaine d’années.
JMJ : Il était
tout à fait contre.
BFF: Il semble qu’en dehors de vous et de Barre il y
ait eu deux personnes qui ont pesé : Goetze et Jean Guyot.
JMJ : Goetze
n’était pas contre. Le Général le convoque et lui demande ce qu’il en pensait.
Il lui a dit que dans les conditions où elle
allait se faire, elle allait échouer. Il ne lui a pas dit qu’il ne
fallait pas la faire. J’ai été reçu
immédiatement après lui. Comme il avait dit au Général qu’elle échouerait ça
m’était plus facile.
[88] - L’option qui ne fut pas
discutée au sein du nouveau gouvernent, n’est publiée que tard.
Note-cadre adressée aux
ministres par le président de la République
à la fin de Juillet 1968
& publiée par Le Figaro du 29 Août 1968& Le Monde daté du 30 Août 1968
Il s’agit d’organiser dans ce domaine, sur trois plans
différents mais conjugués, la participation des intéressés à la marche des
activités qui les concernent.
Institution constitutionnelle d’un Sénat économique et
social remplaçant à la fois le Sénat et le Conseil économique et social,
comprenant d’une part, des représents des collectivités locales et des
activités régionales, d’autre part des représentants des grands organismes d’ordre
économique et social du pays.
Le Sénat nouveau doit être consulté obligatoirement et
préalablement à tout débat législatif sur tout projet de loi, dans certains cas
sur certaines propositions de loi, d’ordre économique et social, notamment sur
le budget et sur le plan. Les débats et avis du Sénat étant publiés au Journal officiel. Le Sénat rapportant
ses avis à l’Assemblée nationale par une délégation qui assiste aux débats.
Création de conseils régionaux réunissant des délégués
des collectivités locales, conseils généraux et conseils municipaux, et des
délégués des activités éconopiques et sociales de la région. Par la même
occasion, révision éventuelle du nombre des régions et réforme des conseils
généraux et de l’organisation municipale.
Le Sénat économique et social et les conseils régionaux
doivent comporter une représentation universitaire.
Dans les entreprises, organisation réglée par la loi et
contrôlée par les pouvoirs publics de la participation régulière de l’ensemble
du personnel à l’information, aux études et aux débats d’où procèdent les
principales décisions ; application de l’ordonnance de 1967 sur
l’intéressement aux bénéfices ; début d’application de la loi du 12
juillet 1965 pour ce qui est de l’intéressement à l’accroissement des valeuers
d’actifs dû à l’autofinancement.
A la base de la participation économique et sociale,
mettre la règle suivant laquelle les élections des représentants des intéressé
doivent se faire au suffrage universel et au scrutin secret, les candidatutes
étant librement présentées.
L’institution du Sénat nouveau et la création des
conseils régionaux sont à proposer par voie de référendum. La participation
dans les entreprises est du simple domaine législatif./.
[89] - Cette crédibilité a été
théorisée par la « doctrine Ailleret » d’une dissuasion nucléaire non
plus « dirigée » mais « tous azimuts » - revue
Défense nationale. Décembre 1967
[90] - Nicolas Sarkozy, président de la République, le présente
ainsi en concluant le 11 mars 2009 – Avec tout cela, nous sommes à l’écart de la structure
militaire. Pourquoi ? J’avoue ne pas entendre d’argument convaincant pour le
justifier.
En revanche,
les inconvénients sont évidents. Ils étaient d’ailleurs tellement évidents, que
c’est ce qui a conduit Jacques Chirac et Alain Juppé à tenter l’opération de
rapprochement de 1995-1996.
Les
inconvénients sont d’abord les suivants : notre position n’est pas comprise de
nos Alliés. Notre incapacité à assumer au grand jour notre position dans
l’Alliance jette le doute sur nos objectifs.
Résultat,
nous avons une Alliance qui n’est pas assez européenne et une Europe de la
défense qui ne progressait pas comme nous l’espérions.
Présentons
l’Europe de la défense comme une alternative à l’Alliance avec les Etats-Unis
et on est sûr que l’on tue l’Europe de la défense. Présentons l’Europe de la
défense comme une action complémentaire de l’Alliance avec les Etats-Unis et on
pousse en avant l’Europe de la défense.
Deuxième
inconvénient : nous n’avons aucun poste militaire de responsabilité. On trouve
bien d’envoyer nos soldats sur le terrain, mais on trouve trop engageant de
mettre nos généraux dans les comités militaires. Nous n’avons pas notre mot à
dire quand les Alliés définissent les objectifs et les moyens militaires pour
les opérations ! On envoie des soldats sur le terrain, on engage la vie de nos soldats,
et on ne participe pas au comité qui définit les objectifs de l'OTAN. Qui peut
comprendre une telle politique ?
Et tout ceci
de notre propre fait, car nous nous excluons nous-mêmes. L’OTAN est donc la
seule organisation internationale du monde où la France ne cherche pas à être
présente et influente ! Pas d’autre exemple. En général quand il y a une
organisation internationale dont on est membre fondateur, on cherche à y être
présent et influent. L’OTAN jusqu’à présent …Non non, on est présent sur le
terrain, on envoie nos soldats, mais excusez-nous on ne veut pas être influent,
donc on ne veut pas être présent.
Le moment est
donc venu de mettre fin à cette situation, car c’est l’intérêt de la France et
c’est l’intérêt de l’Europe.
En concluant
ce long processus, la France sera plus forte, la France sera plus influente.
Pourquoi ?
Parce que les
absents ont toujours tort. Parce que la France doit codiriger plutôt que subir.
C’est l’idée que je me fais de la France.
Parce que
nous devons être là où s’élaborent les décisions et les normes, plutôt
qu’attendre dehors qu’on nous les notifie. Je suis partisan de l’indépendance
nationale, mais mon idée de l’indépendance nationale, ce n’est pas une France à
la porte qui attend qu’on lui notifie des normes parce qu’elle n’a pas voulu
participer à l’élaboration, parce qu’elle n’a pas voulu siéger à la place qu’on
lui tendait.
Parce qu’une
fois rentrés, nous aurons toute notre place dans les grands commandements
alliés.
Parce que,
alors que l’Alliance va redéfinir son rôle et ses missions, nous voulons que la
France pèse de tout son poids dans cette réforme. Il faut en finir avec
l’illusion qu’en nous mettant la tête dans le sable, nous nous protégeons de
quoi que ce soit.
L’Europe
elle-même sera plus forte dans l’Alliance. Mais on dit l’OTAN est dominée par
les Etats- Unis. Mais comment veut-on que les Européens y jouent tout leur rôle
si la France reste en dehors ?
Quel drôle
d’argument ? Il faut renforcer le poids de l’Europe dans l’OTAN et s’interdire
de rapprocher la France de l’OTAN. Qui peut comprendre une affaire pareille ?
[91] - Le
président des Etats-Unis, à peine prises ses fonctions, vient en Europe. Nul ne
sait alors que ce sont les dernières semaines du général de Gaulle au pouvoir.
Il déclare (AFP 5 mars 1969) que le
président de Gaulle a complètement dissocié les vues qu’il nous a exprimées
dans le détail sur l’alliance européenne de toute position anti-américaine. Il
croit que l’Europe devrait avoir sa propre position indépendante. Et,
franchement, je le crois aussi. Je pense que la plupart des Européens le
croient, et je pense que le temps est passé où cela servait nos intérêts que
les Etats-Unis soient le partenaire dominant dans une alliance.
[92] - Notes prises par Robert Galley, en conseil des ministres du mercredi 27 mars 1974 –
et données à Michel Jobert, alors ministre des Affaires étrangères, mais absent
de France ce jour-là. Lequel me les confia pour que cela soit connu. J’en fis
le cœur d’un point de vue titré «Le
testament et que publia Le
Monde – daté du 3 avril 1975, pour le premier anniversaire de la mort de
Georges Pompidou
Propos à rapprocher, dans le même domaine de la politique
étrangère et de l’incidence qu’a sur celle-ci la politique intérieure, celui du
général de Gaulle en conseil des ministres le 2 avril 1969, revenant des
obsèques d’Eisenhower à Washington : Il
est vrai qu’en ce moment notre action diplomatique est efficace et bonne. Je
m’en suis aperçu pas plus tard qu’hier à Washington où, au milieu des envoyés
du monde entier, la France jouit d’une considération évidente. Ce sera confirmé
si le référendum est favorable ; sinon, tout serait perdu, puisque le
président de la République se retirerait. Cette consultation a donc la plus
grande importance au moment où la politique étrangère joue dans notre destin un
rôle plus important que jamais dans notre histoire.
Michèle Cotta, op.
cit. p. 179, transcrivant
des notes prises par Yves Guéna
[93] -
C’est patent à propos de la dévaluation du 8 août 1969 et des conclusions du
sommet de La Haye . 1er-2 décembre 1969, qu’il avait préparées en
sens assez différent, dans le journal que tenait Hervé Alphand, alors
secrétaire général du ministère des Affaires Etrangères, L’étonnement d’être (Fayard. Septembre 1977. 614 pages) pp. 524 à 529. Il est vrai
que cet émule de Maurice Couve de Murville, inspecteur des Finances comme lui
et faisant comme lui carrière au Quai d’Orsay sans en être autrement que par la
dignité d’ambassadeur de France, avait milité ardemment pour la C.E.D., ce qui
le fit écarter par Pierre Mendès France et l’élimina de toute candidature à
être le ministre des Affaires étrangères du général de Gaulle en 1958
[94] - in Le Monde n° 7556, daté du
mercredi 30 avril 1969 : La
politique française et le changement
[95] -
SOFRES publié dans Le Figaro du 10 novembre 1969 établit que 40% des interrogés
estime que c’est « plutôt le gouvernement qui fixe les grandes
orientations de la politique » contre 38% seulement donnant ce rôle au
président de la République. Pour l’avenir, 36% souhaitent que le gouvernement
garde ce rôle : Jacques Chaban-Delmas est alors Premier ministre depuis
six mois, 33% laisseraient ce rôle au Parlement et seulement 24% au chef de
l’Etat, Georges Pompidou…
[96] - Si
la réforme avait abouti en octobre 1973, le président l’aurait appliquée
aussitôt et rétrospectivement à son propre mandat. Roger Frey aurait été nommé
en février 1974 à la présidence du Conseil constitutionnel pour avaliser cette
construction. Une candidature pour cinq ans seulement dès juin 1974 aurait été
davantage à la portée de Georges Pompidou, affaibli, qu’une candidature pour
sept ans à ne déclarer qu’en juin 1976. Tenir jusqu’en 1979 et non plus
jusqu’en 1983…
[97] - En affirmant, comme il l’a fait, que le
général de Gaulle a volontairement résilié ses fonctions, M. Georges Pompidou,
à qui l’on ne saurait imputer nulle inadvertance, a certainement voulu faire
savoir qu’il n’admet pas cette interprétation constitutionnelle et ne reconnaît
pas la légitimité de l’obligation à laquelle son prédécesseur a estimé devoir
se soumettre. Elu pour sept ans, il nous signifie qu’il entend aller jusqu’au
bout de son mandat, sans se soucier de remettre en cause la confiance qui l’a
porté à la présidence. Cela veut dire qu’il évitera de recourir à l’arbitrage
populaire, soit par la voie du référendum, soit par la voie de la dissolution,
et que si, par imprévu – par exemple, à la suite d’une motion de censure votée
par l’Assemblée nationale – il se trouvait malgré tout contraint d’y avoir
recours, ce ne serait pas en vue de se soumettre au verdict du suffrage
universel, mais en vue d’un forger le moyen de se maintenir au pouvoir. Une contre-vérité – Notre République n° 353. Janvier
1970.
[98] - B 52278 . in notes de la direction de la
Prévision du ministère de l’Economie et des Finances – archives de la
rue de Rivoli, conservées à Savigny-le-Temple
[99] - Ce
que m’avaient commenté deux entretiens. Le premier, le 15 février 2000, avec
Pierre Esteva, directeur du cabinet de mai 1968 à juin 1969, donc lors du
passage d’un mois de Maurice Couve de Murville dans ce ministère. Puis un
second, le 18, avec François Xavier Ortoli auquel s’était résigné le nouveau
Premier ministre, pour lui succéder quand il forma le gouvernement le 10 juillet
1968
[100] -
Février, Mars, Avril, Mai & Septembre 1963. selon Les Français et de Gaulle op. cit. pp. 204 à 208
[101]
- Cette
affirmation est évidemment contraire à la réalité. Si le général de Gaulle
s’est démis de ses fonctions, c’est parce qu’il avait l’obligation de le faire
après le scrutin par lequel le peuple français lui avait retiré sa confiance.
Solennellement, sans aucune équivoque, il avait d’ailleurs posé la question de
confiance devant le suffrage universel. Il avait averti les électeurs qu’il
liait son sort à celui du référendum et qu’il cesserait immédiatement ses
fonctions en cas d’échec de celui-ci. Il était donc obligé par son propre
engagement, dont il ne pouvait se délier. Quant à cet engagement, il n’était
pas davantage le résultat d’une décision arbitraire. Il avait été pris en
stricte application de la règle fondamentale sur laquelle repose l’édifice
constitutionnel de la V° République, à savoir que le Président est responsable
devant le peuple. Le Président après son élection au suffrage universel, et
pendant toute la durée de son mandat, dépend du soutien de l’opinion et doit
s’assurer que celui-ci lui est maintenu. C’est en cela que consiste le progrès
démocratique accompli en France par rapport aux Républiques précédentes, où le
corps électoral était privé de tout moyen de manifester et de faire prévaloir
sa volonté dans l’intervalle des élections. Une contre-vérité op. cit
[102] -
Dénoncée par Valéry Giscard d’Estaing
dans Le
Figaro du 17 août 1967 : L’exercice
solitaire du pouvoir L’angoisse
est celle de craindre que l’exercice solitaire du pouvoir, s’il devenait une
règle, ne prépare pas la France à assurer elle-même, dans le calme, l’ouverture
des idées et le consentement national, l’orientation de son avenir.
Maurice Couve de Murville répond tranquillement – alors que Valéry Giscard d’Estaing
est devenu président de la République, à son tour – que le régime du général de Gaulle était sans doute moins un régime de
monarchie absolue que le régime de ses successeurs, et qu’à cette époque les
questions étaient préparées d’une façon très approfondie et défendues d’une
manière très tenace par le gouvernement – Espoir,
n° 16 op. cit.
[103] - Etant donné l’importance et l’ampleur des
attributions du Premier ministre, il ne peut être que le « mien », Mémoires d’espoir tome I, op. cit. p. 287
[104] - Il s’agit de marquer par un scrutin solennel
que, quoi qu’il arrive, la République continuera, telle que nous l’avons voulue
à une immense majorité – allocution du 26 octobre 1962 – ainsi devra demeurer cet élément capital de
permanence et de solidité que comportent nos institutions, je veux dire la
présence au sommet de la République d’une tête qui puisse en être une –
allocution du 7 novembre 1962
[105] - Cette
identité de nature entre tous ceux qui se rangeaient sous la Croix de Lorraine allait
être, par la suite, une sorte de donnée permanente de l’entreprise. Où que ce
fût et quoi qu’il arrivât, on pourrait désormais prévoir, pour ainsi dire à
coup sûr, ce que penseraient et comment se conduiraient les
« gaullistes ». Par exemple : l’émotion enthousiaste que je
venais de rencontrer, je la retrouverais toujours, en toutes circonstances, dès
lors que la foule serait là. Je dois dire qu’il allait en résulter pour
moi-même une perpétuelle sujétion. Le fait d’incarner, pour mes compagnons le
destin de notre cause, pour la multitude française le symbole de son espérance,
pour les étrangers la figure d’une France indomptable au milieu des épreuves,
allait commander mon comportement et imposer à mon personnage une attitude que
je ne pourrais plus changer. Ce fut, pour moi, sans relâche, une forte tutelle
intérieure en même temps qu’un joug bien lourd. - Charles
de Gaulle, Mémoires de guerre tome I – édition tricolore. Plon. 1954 – p. 111
[106] - Espoir,
n° 16, déjà cité. p. 26
[107] - Michel Debré - déclaration à
Strasbourg, le 8 septembre 1967
[108] -
Conférence de presse du 27 septembre 1973 – réponse à Jean-Claude Vajou, pour Combat, in Entretiens et Discours, tome I. op. cit. p. 32
[109] - Jacques Foccart, op. cit. p. 436
[110] -
L’expression, peut-être empruntée, est du conseiller juridique du gouvernement
en 1980
[111] - Discours d’inauguration du mémorial à
Colombey-les-Deux-Eglises, devant Angela Merkel, chancelière de la République
fédérale d’Allemagne. Mais il y a une exemplarité
du gaullisme. Il y a une leçon du gaullisme qui s’adresse encore à nous. Cette
leçon est une leçon intellectuelle, celle de la raison plus forte que le
sentiment, celle du pragmatisme plus fort que l’idéologie. Cette leçon est une
leçon morale, celle de la responsabilité, celle du désintéressement, celle du courage.
Cette leçon est une leçon politique, celle du sens de l’Etat, celle de la
volonté politique opposée au renoncement, celle de l’action qui change le cours
de l’histoire. Cette leçon est une leçon de caractère, celle du sang froid face
à la crise, celle de la lucidité dans la débâcle, celle de l’espérance quand
tout semble perdu. Cette leçon est une leçon de patriotisme. Le Général de
Gaulle plaça la France au-dessus de tout. Il disait : « La France ce n’est pas
la gauche, la France ce n’est pas la droite, la France c’est tous les Français
». Toute sa vie il se battit pour sa souveraineté, pour sa dignité, pour sa
grandeur. Mais pour lui, le patriotisme c’était l’amour de sa patrie et le nationalisme
c’était la haine des autres. Cette leçon est aussi une leçon de Démocratie. Le
Général de Gaulle sauva trois fois la République et la Démocratie. Mais il n’a
jamais voulu refaire la France sans les Français ni a fortiori contre eux. A
chaque fois que le pouvoir lui échut dans des circonstances qui furent souvent
d’une exceptionnelle gravité, il n’accepta de l’exercer qu’avec la confiance du
peuple. Il ne fut jamais aussi grand que lorsque par deux fois le peuple ayant
refusé d’approuver son action, il renonça de lui-même au pouvoir.
[113] - Maurice Couve de Murville, au Gremio
litterario de Lisbonne, op. cit.
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