Madame la Chancelière,
nous, Européens, ne pouvons plus vivre en
dépendance de crises ou de puissances sur lesquelles nous n’avons pas de prise,
l’économie chinoise, l’hégémonie américaine, le marché pétrolier, la bourse de
Londres, le flux des migrants du Moyen-Orient ou de l’Afrique, et nous pouvons
encore moins nous laisser distraire de tout ce que nous avons à affronter – car
nous faisons envie à tous, autant que nous risquons de devenir victime de tous
– par la saga britannique. L’Angleterre se convertira certainement un jour,
elle ne l’a pas encore fait et Edward Heath, de 1970 à 1974, a vite connu sa
solitude, n’y a rien pu et François Mitterrand faisant accorder « le
chèque » de Fontainebleau en 1984, non plus.
L’entreprise
européenne telle qu’elle a tourné, n’est plus ni aimée ni crédible dans le cœur
de nos concitoyens européens, sans qu’il y ait à discuter quand et comment a
commencé la désaffection.
La
manière de nous gouverner en Européens n’a pas été trouvée, l’ambition des
années 1950-1960 s’est oubliée. Dans les structures et selon les habitudes
actuelles ainsi que selon les traités que noius avons ratés d’Amsterdam à
Lisbonne – ne prévoyant pas même d’éventuelles sécessions, ce que seul le
projet de Jean-Claude Dehaene et de Valéry Giscard d’Estaing organisait – il
n’est plus possible de continuer.
Il faut donc repartir à zéro, exactement
comme on le tenta en 1950. Votre immense prédécesseur, Konrad Adenauer, anticipa
(article dans Le Monde en Avril 1950) la proposition de Robert
Schuman, que Jean Monnet mit en forme, prenant de vitesse des propositions
américaines, celles de Dean Acheson qui n’auraient pas été les nôtres, à nous
Européens, Allemands, Français. La France d’aujourd’hui étant ce qu’elle est et
telle qu’elle est présidée et gouvernée, est incapable d’une initiative
d’envergure. Au tour de l’Allemagne, à votre tour.
L’Europe,
depuis que vous gouvernez votre pays – selon une culture du débat collégial
dans votre conseil des ministres, qui nous est dramatiquement étrangère –
expérimente et discute la prépondérance allemande. C’est malheureusement un
fait que votre puissance actuelle n’a pas apporté une idée ni provoqué une
imagination remédiant au présent, rompant avec au moins deux décennies
d’immobilisme et revenant à l’avenir par un projet global et nouveau.
Idée
et imagination qui changeront tout. Et feront réfléchir. La puissance n’est
féconde qu’en proposant, et là où elle n’était pas prévisible. Vous êtes en
situation d’énoncer et de proposer ce projet – seule, moyennant d’éventuelles
mises de la France, mon très cher pays, dans la confidence. L’année du centenaire de Verdun l’inspire.
Il y a eu l’initiative française en 1950, il doit y avoir l’initiative
allemande en 2016, qui orientera l’élection présidentielle française de 2017,
et réduira le referendum britannique à une péripétie de politique intérieure
qui n’a rien d’européen.
Vous
proposerez à qui voudra le négocier et l’écrire un nouveau traité européen
instituant la démocratie directe (l’élection du président de l’Union au
suffrage de tous les citoyens européens et le referendum convoqué par ce
président pour légiférer dans les matières prévus par le nouveau traité),
ambitionnant un patriotisme européen commun à tous (transnationalité de listes
paneuropéennes pour l’élection au Parlement européen au lieu des listes et
circonscriptions nationales, service militaire et civique de tous les
Européens, filles et garçons, mélangés entre nationalités et accompli en partie
ailleurs que dans l’Etat national, pour aussi se développer en coopération au
développement outre-mer), organisant une défense commune (l’industrie et la
logistique indépendantes des outils, du vouloir et de l’alliance des Etats-Unis,
arme nucléaire au moins française, comprise) et garantissant la solidarité à
tous égards de ceux qui l’adopteront (ce qui suppose une fiscalité et des
emprunts proprement européens et une autre gestion de la monnaie unique, plus
prospective et plus citoyenne).
Un
traité qui resterait ouvert à toutes candidatures ultérieures de réflexion, qui
prévoirait les sécessions, qui accepterait toutes les associations qui se sont
multipliées depuis 1957 mais qui ne transigerait ni sur nos valeurs ni sur la
globalité et la sincérité des engagements.
La
proposition s’adresserait à tous les Européens et à leurs Etats quand ils sont
démocratiques, laïcs et tolérants. Elle serait évidemment fédéraliste, elle ne
chercherait pas le nombre, encore moins l’exhaustivité des participants, mais
leur volonté.
On
ne peut plus ravauder, tout est déchiré. Nous avons risqué bien plus que notre
union, ces derniers temps. Nous sommes -
riches et pauvres, petits et
grands ou moyens - proches de quitter l’Histoire et l’avenir, alors que notre
ensemble est le seul exemple au monde de l’état de droit, de la diversité
ethnique et de la réconciliation entre hérédités ennemies. Racisme et peine de
mort sont hors nos lois.
Vous-même
entrerez dans l’Histoire : celle de votre pays, celle du Vieux Monde, en
fondatrice du définitif et du rayonnant après que nous ayons expérimenté notre échec
collectif, et manqué le premier essai… par routine, lassitude, mégarde…
inconscience. Le nouveau cours, le
second commencement, la dernière chance – je crois – c’est à vous de les inventer,
de les proposer et de les mener aux fonts baptismaux.
Que
mon cher vieux pays n’en ait – pour une fois – ni l’idée ni l’initiative ne me
gêne pas, au contraire. L’humilité est la plus belle façon de la fierté. La
France apprendra ainsi que son exemple si fréquent dans le passé, peut
aujourd’hui être repris par autre qu’elle, quand elle est manifestement
inférieure à ce qu’elle aurait dû continuer à être. Les Français l’auront
insufflé aux Allemands, leur rendant toute légitimité, et les Allemands
rappelleront les Français à la pratique et à l’ambition qu’ils ont malheureusement
oubliées après le général de Gaulle et François Mitterrand. L’important est que
cesse ce cours lamentable de l’Histoire.
C’est
vous, faute de nous. Ou c’est nous à votre appel.
Les
opinions publiques nationales seraient à saisir par-dessus les gouvernants.
Ceux-ci ont failli dans leur prétention à répondre de l’Europe à huis-clos et
par compromis.
Formule chaleureuse de
politesse et expression de confiance en français et à la plume.
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