Turquie: les autorités
entravent une «marche de la paix»
Par Ragip
Duran, Correspondant à Istanbul — 10 septembre 2015 à
14:04 (mis à jour à 14:04)
Une délégation du parti prokurde HDP bloquée par la police
alors qu'elle tentait de rallier Cizre. Photo Ilyas Akengin. AFP
Alors que la ville, bastion kurde, est soumise au couvre-feu
depuis neuf jours, une délégation tente de s'y rendre pour
«éviter un plus grand massacre».
Turquie: les autorités entravent une «marche de la
paix»
Le convoi a été bloqué par les forces de sécurité, alors ils
ont décidé de continuer à pied. «Nous faisons des sit-in de temps en
temps et nous avançons pas à pas», explique Filiz Kerestecioğlu,
députée d’Istanbul, une des membres de la délégation du HDP (Parti démocratique
des peuples, prokurdes et degauche, 80 députés sur 550) composée de deux
ministres, des deux coprésidents et d’une trentaine de députés qui tente de se
rendre à Cizre, ville du sud-est proche des frontières syriennes et irakiennes
où depuis une semaine se déroulent de violents combats.
Cette localité de 135 000 habitants du district de
Sirnak est un bastion traditionnel du PKK(parti des travailleurs du Kurdistan),
l’organisation de la guérilla kurde qui depuis le début de la lutte armée en
1984 l’utilise aussi bien pour s’infiltrer en Turquie depuis ses bases arrière
d’Irak du nord que pour y retourner. Depuis une semaine, Cizre est sous «blocus»,
interdit d’accès par l’armée qui assure y mener une opération majeure contre le
PKK. La délégation du HDP veut être sur place pour éviter «un plus
grand massacre».
«Dans la seule nuit de mercredi à jeudi, quatre civils
ont été tués sous les balles des forces de sécurité», martèle
Selahaddin Demirtas, le coprésident du parti dans un meeting improvisé jeudi
matin à Idil, petite ville distante d’une vingtaine de kilomètres. Au moins
19 personnes dont des enfants ont été tuées depuis une semaine dans la
ville. Les photos publiées sur les réseaux sociaux montrent des cadavres
entourés de sacs de glaçons dans les chambres des maisons dont les murs sont
pleins de traces de balles et d’obus. Cizre est sous couvre-feu depuis
maintenant neuf jours. La police et les gendarmes empêchent les familles des
victimes de sortir des maisons et de transporter les corps à la morgue de
l’hôpital. «L’électricité, l’eau et les lignes téléphoniques sont
coupées depuis vendredi dernier», précise un médecin. D’où
l’inquiétude croissante des membres de la délégation HDP et de leur «marche
pour la paix».
Routes de montagne
«Moustapha Barzani [le défunt leader
historique des Kurdes irakiens ndlr] avait organisé en 1947 la Marche
vers Moscou et Martin Luther King en 1963 avait organisé la Marche pour la
liberté et le travail. Maintenant c’est la Marche des Kurdes pour la paix», s’enthousiasme
un des membres de la délégation. Les forces de sécurité n’ ont laissé passer à
Midyat que les deux ministres HDP (Müslüm Doğan, ministre du Développement, et
Ali Haydar Konca, ministre d’Etat responsable des Relations avec l’Union européenne)
du gouvernement technique qui gère le pays jusqu’aux élections législatives
anticipées du 1er novembre. Les autres ont pris les routes de montagne.
Ils sont sans cesse arrêtés par des barrages de la police et de l’armée. A
chaque fois recommencent alors les négociations avec les forces de sécurité sur
place et avec les responsables gouvernementaux à Ankara. «Non, nous ne
pouvons pas vous laisser passer. Si vous résistez, sachez que nous
interviendrons comme il faut»,clame un responsable de la police. Puis
finalement les marcheurs peuvent reprendre leur cortège pacifique...
L’engrenage des violences, les représailles des forces de
l’ordre en réponse aux opérations du PKK et les attaques toujours plus
fréquentes de locaux du HDP par des militants nationalistes et islamistes
inquiètent de plus en plus les organisations de la société civile aussi bien
turques que kurdes. Le barreau de Diyarbakir, la «capitale» du sud-est
anatolien peuplé en majorité de Kurdes, a appelé le PKK à cesser ses attaques
et les forces de l’ordre à faire de même. Leur espoir est celui d’une reprise
du processus de paix entre Ankara et la guérilla kurde entamé à l’automne 2012
mais moribond depuis la reprise des combats fin juillet.
Leyla Zana, la députée et militante emblématique de la cause
kurde en Turquie, a aussi exhorté jeudi le gouvernement d’Ankara et les
rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à faire taire les armes,
faute de quoi elle entamerait une grève de la faim. «Retournez à la
table [de négociations]!» a lancé la députée du Parti démocratique
des peuples (HDP), citée par le quotidien Hürriyet, lors
d’une marche d’élus de son mouvement dans la province de Sirnak
(sud-est). «J’en appelle à toutes les parties qui brandissent des
armes. Sinon, je vais entamer un grève de la faim jusqu’à la mort, a-t-elle
menacé. Je préfère mourir plutôt que de rester spectatrice des tueries
qui se produisent.» Lauréate du prix Sakharov pour les droits de
l’homme décerné par le Parlement européen, Leyla Zana a été emprisonnée de
1994 à 2004, accusée d’entretenir des liens avec le PKK.
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