publicsenat.fr – 24 juin 2022 - consulté 21 octobre 2022
Ce vendredi 24 juin, les États membres du traité sur la Charte de l’énergie (TCE) publient une version modernisée de cet accord politique. Mais ce traité est accusé par les activistes et les climatologues d’empêcher les États de mener des politiques climatiques ambitieuses, sur lesquelles ils se sont aussi engagés.
Le 24 juin 2022
Par Tessa Jupon
3mn
Le Traité sur la charte de l’énergie est l’ennemi des politiques en faveur de l’écologie, selon les défenseurs du climat. Cet accord de commerce et d’investissement est le plus important au monde dans le domaine de l’énergie. Ratifié en 1994, il regroupe 53 signataires, principalement des pays membres de l’Union européenne. L’objectif premier du traité était de sécuriser l’approvisionnement de l’Europe de l’Ouest en énergies fossiles, il établit ainsi un cadre pour favoriser la coopération transfrontalière des États en matière énergétique.
Cette convention, très peu connue du grand public, permet aux investisseurs dans l’énergie de se retourner contre les États signataires du traité qui mèneraient des politiques climatiques en défaveur de leurs investissements. En s’appuyant sur ce texte et en attaquant les États en justice, les géants de l’énergie peuvent réclamer des milliards d’euros de compensation aux gouvernements. Après quinze cycles de négociations en deux ans, un accord de principe devrait voir le jour ce vendredi 24 juin. L’objectif est de le rendre compatible aux engagements de l’Accord de Paris, signés en 2015. Le concept est simple, la multinationale requiert un dédommagement en contrepartie d’une atteinte à ses investissements dans les énergies fossiles. L’entreprise n’a pas besoin d’être européenne pour attaquer un État signataire, il lui suffit d’avoir une adresse dans l’un des pays membres pour pouvoir se saisir du traité.
Un traité « climaticide », comme le dénoncent climatologues, associations et ONG, qui s’opposent aux engagements de l’Accord de Paris. En 2015, la France s’est engagée à atteindre l’objectif neutralité carbone d’ici 2050. Selon Yasmina Saheb, auteur du GIEC et ancienne employée au sein du secrétariat international du TCE, « pour l’atteindre, il faut commencer dès maintenant à arrêter les installations en énergie fossile. Mais à chaque fois qu’on arrêtera une installation avant sa fin de vie normale, on va être attaqué à cause de ce traité ».
Le retour du traité dans les discussions européennes nourrit de faibles espoirs
Le mardi 21 juin, cinq jeunes européens de France, Belgique, Grèce, Allemagne et Suisse ont porté plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme contre douze États signataires. C’est un réveil citoyen de victimes du réchauffement climatique pour éradiquer ce traité désuet et opposé aux enjeux environnementaux d’aujourd’hui. Les plaidants accusent la charte de protéger l’exploitation des énergies fossiles. Leur espoir est de voir la Cour reconnaître leurs dommages, intimement liés au traité. Camille Étienne, activiste pour la justice sociale et climatique, précise l’attente des jeunes envers la justice sur son compte Instagram « si la Cour reconnaît que ce traité fait des victimes en empêchant l’action climatique des États et en protégeant l’industrie fossile, alors on pourrait imaginer que ces États soient contraints de sortir du traité ».
Pourtant les espoirs sont maigres chez les spécialistes du sujet. « Être dans cet accord est une décision politique. La décision de la Cour européenne est quand-même importante car les pays européens ne pourront plus se faire attaquer par des investisseurs dans l’Union européenne (UE). Mais ils continueront à nous attaquer à partir d’autres pays non-membres de l’UE telles que la Grande-Bretagne ou de la Suisse ». Spécialiste de ce traité, Yamina Saheb, précise également que la réponse de la Cour sera symbolique mais ne donnera pas d’indication sur le futur des litiges existants. « Continueront-ils à exister ou s’annuleront-ils automatiquement ? ».
Une autre difficulté de taille se pose pour les activistes et scientifiques : le traité contient une clause d’arbitrage. Même en cas de retrait, les dispositions de l’accord continuent à s’appliquer aux investissements existants pendant encore vingt ans. Problème, l’objectif de l’accord de Paris est de réduire les gaz à effet de serre d’au moins 40% d’ici 2030. Donc, dans bien moins de vingt ans
Une réelle menace pour nos démocraties
« On connaît aujourd’hui 150 cas de litiges qui invoquent le traité mais il y en a peut-être plus car il n’y a aucune obligation, que ce soit pour les investisseurs ou les gouvernements, de rendre public ces cas-là », déplore Yamina Saheb. Le TCE est un vrai outil de menace pour les multinationales. Dès les prémisses d’une politique climatique défavorable pour leurs investissements, les multinationales n’hésitent pas à brandir le traité pour menacer l’État concerné. Les pollueurs attaquent en justice les gouvernements pour réclamer des sommes faramineuses. En 2019, la compagnie allemande RWE a porté plainte contre les Pays-Bas et a réclamé 1,4 milliard d’euros de compensation. L’effet pervers du traité est le plus souvent utilisé. Si l’État n’est pas puni par la justice, c’est la multinationale qui le contraint de ne pas agir en amont, avant même le début d’une procédure. « [Pour éviter la convocation en justice], le Portugal a prolongé les subventions aux énergies renouvelables jusqu’à la fin des années 2030, les entreprises ont donc augmenté les prix de ces énergies pour les citoyens portugais. Finalement, ce sont les citoyens qui payent », regrette la scientifique. Le gouvernement allemand a versé une compensation de plus de 4 milliards d’euros à deux compagnies européennes, LEAG et RWE, à la condition de ne pas utiliser le TCE. « L’argent public qui devrait être utilisé pour la transition [écologique] va être utilisé d’une façon ou d’une autre pour compenser les pollueurs ». Par ailleurs, les attaques en justice des entreprises restent opaques. Ces tribunaux privés sont composés de juges avocats d’affaires, qui balancent régulièrement du côté des multinationales. Tout se passe à huit-clos.
Tous les activistes et climatologues plaident aujourd’hui pour mettre fin à ce traité qui ne correspond plus aux attentes des citoyens en faveur des politiques de développement durable. La solution serait probablement de quitter cet accord. Yamina Saheb défend « une sortie collective [de l’accord], dans le cadre de la loi européenne, [qui] nous permettrait d’annuler entre nous la clause de vingt ans. C’est important lorsque l’on sait que plus de 60% des investissements intra-européens sont fait par des européens ». En somme, tant que le traité sera en vigueur, la mise en œuvre de politiques climatiques ambitieuses dépendra de la volonté de multinationales polluantes.
Publié le : 24/06/2022 à 18:11 - Mis
à jour le : 13/10/2022 à 16:03
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