ennemi indéterminé
essai d’une réflexion
sur les attentats du mardi 11 Septembre 2001
et les suites à leur donner
La question est la moitié du savoir
adage arabo-musulman
Tout est duel, à tous les sens du mot, c’est-à-dire apparemment matière à interrogations binaires. La prise de parti est obligée :
. le fait-même de l’attaque anonyme des Etats-Unis le 11 Septembre dernier est-il un événement en soi ? ou son importance tient-il aux pertes humaines, dont le bilan semble évolutif ? ou à ce qu’une image tutélaire est brisée autant dans l’esprit de l’entité reflétée que dans le regard et bientôt les analyses des tiers ?
. quel est le plus signifiant, la solidarité compassionnelle affichée toute une première semaine, ou l’enchaînement de crises que les attentats ont provoqué, provoquent ou sont susceptibles de provoquer suivant les réponses données et même suivant qu’il y a ou non réponse ou réplique : crise des alliances, crise du droit applicable, crise boursière, récession économique, crise sociale, fracture spirituelle entre plusieurs morales ?
. l’ensemble des attentats et tentatives d’attentats du 11 est-il un fait brut (et brutal), œuvre d’un fou ou d’une organisation folle, et donc, en tant que tel, non susceptible d’interprétation, ni même d’interrogation du genre comment cela a-t-il été possible ? pourquoi cela a-t-il été commis ? ou bien introduit-il, force-t-il à une réflexion sur le monde actuel ?
. l’absence de revendication et l’indétermination de ce qui est évidemment inamical au suprême degré isolent-elles la séquence d’événement ? sont-elles en rapport avec les cibles choisies pour faire de celles-ci la véritable identification de ces actions ?
. les attentats du 11 font se rencontrer une victime et un agresseur dont la jonction était hors du raisonnement commun, et sur le terrain le plus symbolique pour la victime et pour les tiers. En cela, il n’y a de précédent, qu’en fiction, notamment en jeux-vidéos. lesquels ont le même support que les images diffusées des diverses catastrophes ; réalité ? fiction ? scenario inspirant un crime ?
. au paroxysme de la technique et des avancées scientifiques qui semblaient provoquer les débats les plus âpres de notre époque (couche d’ozone et climats, génome humain et clonage, pluralisme de la réalité depuis que sont apparus des univers, des objets, des lieux virtuels donnant matière à économie et psychologie propres) une action anonyme et de très simple exécution met bien davantage en cause le fonctionnement mondial ;
. à la guerre punitive « zéro mort » au bénéfice de celui qui la mène succède imprévisiblement, mais non sans logique, une forme de réponse dont avaient été incapables les Etats soumis à punition : l’agression à coût humain très faible pour l’agression et à effet matériel et financier comparable à celui des dernières guerres mondiales conventionnelles ;
. la fin, le 11, du sanctuaire, que constituait le territoire des Etats-Unis ouvre la question des fondements de la fascination et de l’hégémonie exercées en tous domaines par ceux-ci ;
. l’Union européenne, placée devant le choix de conforter les institutions internationales et les alliances existantes, les rapports de forces les sous-tendant, pour la seconde fois depuis 1989 (fin du dogme de l’intangibilité des options et du régime soviétiques, lequel fonder un duopole universel) va-t-elle ouvertement souhaiter le maintien de la position centrale des Etats-Unis, à la manière dont tout a été concerté pour éviter un krack boursier à Wall Street le 17, et s’en remettre par avance aux décisions de représailles ou de conduite de « guerre » prises à Washington sans concertation, moyennant la sauvegarde rétrospective de quelques apparences comme pour les guerres du Golfe et du Kosovo ;
. au modèle culturel, financier, économique, scientifique américain qui engendrait une dépendance du reste du monde succède la proposition d’un modèle de réaction plus patriotique que civique, et à fortes consonances piétistes ; est-il exportable ; ne va-t-il pas à l’encontre de ce qu’avait de contagieux le modèle précédemment acquis qui était un modèle de réussite impériale ;
. le simplisme du discours présidentiel américain montrant un recours à des schémas de cohésion et de fierté nationales s’apparentant à celui des régimes totalitaires : fascistes, communistes, fondamentalistes religieux, contraste avec l’extrême précaution et les délais de préparation d’une éventuelle riposte. Ce qui eût été universellement accepté dans les vingt-quatre ou quarante-huit heures des attentats du 11 n’est plus faisable désormais sans ménager des consultations, fournir des preuves, obtenir un aval des Nations Unies ;
. la relation habituelle gouvernants/gouvernés se fondait sur la foi des gouvernés dans les capacités prévisionnelles et décisionnelles des gouvernants moyennant une certaine intuition de la part de ceux-ci des mouvements de l’opinion générale de ceux-là ; l’inattendu des attentats, la prise de conscience de l’obsolescence ou de l’absence des mesures de précaution au cœur géographique et politique des Etats-Unis, le discours compassionnel des dirigeants notamment français et ne proposant aucune analyse ni des faits, ni des causes, ni des conséquences dans le moment ont mis à égalité de matériau sur lequel réfléchir les téléspectateurs et les gouvernants au plus haut niveau ;
. faut-il considérer les attentats comme justiciables d’une appréciation, d’une riposte et de mesures de sécurité pour l’avenir indépendamment de toute autre de quelque ordre historique, juridique, moral, financier que ce soit ou doit-on les regarder dans un ensemble de causes et de conséquences ?
. de même qu’on avait tendu à considérer l’arme nucléaire comme une novation de tout conflit à partir de 1945, le seuil atteint le 11 Septembre 2001 ouvre-t-il en soi une nouvelle période de la polémologie ? durant laquelle toutes les relations internationales, le système interne et relationnel des Etats et les fonctionnements des sociétés devront être revus, généralement dans un sens restreignant les libertés personnelles ou associatives et rehaussant au contraire le primat étatique (HOBBES l’emportant sur LOCKE) ?
. la religion, élément d’équilibre et de cohésion d’une société agressée et déplorative ? ou référence suscitant une élite qu’elle référencerait pour une prise de parole agressive au nom de majorités frustrées ou méprisées ? dans les deux cas, les sociétés du XXIème siècle dépasseraient les clergés et les pratiques cultuelles pour se réapproprier à titre public et collectif tous les instruments du sacré. Ce qui était de l’ordre privé en « Occident » redevient démonstratif, unanimitaire, ciment collectif, et ce qui, en « Orient », était identité nationale et sociale aurait à se nuancer d’une évaluation et d’une pratique appropriative, personnelle et intime ;
. l’Etat-nation débordé par la mondialisation économique, financière et techno-culturelle et amputé par les privatisations et les déréglementations de ses instruments d’arbitrage et d’intervention dans la vie économique et sociale, retrouverait son rôle traditionnel du fait qu’aucune entreprise ne fonctionnant que suivant le rendement de son activité ou de ses placements, ne peut assumer à un tel niveau les frais de la sécurité ni les dommages-intérêts à servir aux victimes autant qu’aux groupes économiques, commerciaux et financiers sinistrés.
L’ensemble de ces questions semble hétéroclite ; il paraît surtout peu soluble faute de référents et faute d’autorité morale. L’absence de saisine des Nations Unies et le silence du Vatican soulignent ces deux lacunes de ce qui n’est pas – explicitement – débattu mais de ce qui sous-tend l’attentisme général.
Comme chaque événement, quand il est aussitôt et unanimement reconnu pour important, et qu’est ainsi introduite une nouvelle référence historique dans l’Histoire de l’humanité, et par le retentissement même de celui-ci d’autant plus grand qu’il est plus localisé dans le temps et dans la géographie, l’ensemble des attentats du mardi 11 Septembre 2001 révèle un état du monde. Il ne s’agit ici ni de la réalisation d’une prophétie ni de la somme de probabilités déjà analysées, mais d’un matériau brut s’imposant instantanément autant dans l’ordre de l’herméneutique que dans celui du passionnel et de l’affectif. En ce sens aucune réponse ne peut lui être donné à un niveau égal que celui auquel il place le plus simple des hommes ou des enfants comme le plus avisé et réfléchi des analystes. D’un coup nous sont montrées des dérives à enrayer et des brèches à colmater, dont le souci était peu répandu faute qu’elles suscitent un sentiment de nécessité ou d’urgence. Autant dans l’opinion que chez ceux qui censément conceptualisent et décident. On se résigne à l’imparfait, à la confiscation mais l’imprévisible, surtout s’il est à l’évidence susceptible de se répéter en tant qu’imprévisible, impose une mue de la réflexion (ou enfin son apparition désintéressée, parce que nulle pensée n’élucide son objet si par avance elle s’est domestiquée dans les mimétismes, modèles, échelles de valeurs et paramètres dont les sociétés humaines contemporaines ont été bardées, aveuglées). Le politique peut y retrouver son domaine et sa noblesse propres, ses outils et sa finalité.
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1° les relations partenariales internationales et à l’intérieur des Etats sont modifiées, et leurs structures sont donc appelées à changer
Le fait-même des attentats, leur échelle, leur localisation, leur visée symbolique, le mode de propagation de leur connaissance et de leur évaluation à travers le monde ont placé à égalité de vulnérabilité physique et psychique les Etats, et pour ce qui est des émotions, de la réflexion et de la réaction à égalité les dirigeants et les dirigés. Il s’est instantanément, par le truchement des medias, retrouvant la fonction de leur étymologie, établi un dialogue entre chaque individu et un fait porté à la connaissance de tous les habitants de la planète : l’homme de la rue, sur le coup, n’était pas moins intelligent ou à même de comprendre ou de se sentir dépassé, que l’homme d’Etat le plus entouré de conseils et de données. D’ailleurs, pour s’en tenir aux Etats-Unis et à la France seulement, les dirigeants ne pouvaient s’exprimer dans une langue compréhensible et acceptable que selon les émotions et les données du commun. Sans le crible des sondages d’opinion, il a fallu aux dirigeants une intuitive perception de cette opinion et des réflexes de masses sur le moment, puis à mesure du déblai des dommages, puis de la question des ripostes et de la sécurisation, enfin quand vient le moment d’analyser les causes de l’événement, les conséquences des ripostes éventuelles, les modes d’éradication à terme de la menace terroriste.
Les dirigeants des pays proches des Etats-Unis par les alliances et l’économie commune depuis soixante ans n’ont pas pu et ne pourront plus fonder la solitude ou ou le secret de leurs délibérations et de leurs décisions sur une supériorité de leur information à raison de leur fonction ou de leur capacité intellectuelle propre. La prise au dépourvu a été générale. Il faut une circonstance plus spectaculaire encore que tragique, assimilable visuellement et mentalement sans commentaire, pour périmer une « gouvernance » des Etats, des entreprises, des communautés humaines qui depuis la fin des guerres entre pays européens ou entre pays développés et la maîtrise apparemment acquise des cycles et crises économiques et financiers, étaient le monopole d’initiés et de cooptés : régime des cabinets ministériels et de l’accession à la tête des groupes privatisés en France, système interétatique du G 8 notamment. Technocratie et mondialisation faisaient l’objet de critiques ou de manifestations hostiles mais tenaient bon aussi bien dans l’imprévu politique (1989 puis 1991) que dans la secousse financière (1987 et 1998). Sans doute, la France notamment faisait l’expérience des problèmes sans solution à court terme : les banlieues interdites, la violence dans les transports publics moins supportés et faisant davantage scandale que les « licenciements boursiers » ou les simplismes de stratégies de groupes abandonnant leurs métiers originels pour investir dans des filons saturés par excessive grégarité de ces comportements aux échelons national et international.
Derrière une interprétation moderniste de la complexité apparente des agrégats économiques, des processus de décision publics et privés était une réalité bien humaine : la libido personnelle des chefs d’entreprises, la loi d’ouverture à la concurrence pour établir rapidement l’oligopole entre personnes physiques autant qu’entre personnes morales. Un empire très centralisé et simple s’était établi du consentement d’élites ne s’ouvrant qu’à leurs « clones ». Les symboles de la puissance politique, militaire et financière, parce qu’ils ont été atteints dans leurs bâtiments et non dans la personne de leurs détenteurs provisoires (les assassinats du P.D.G. de Renault ou du président du patronat allemand) ont montré non seulement la vulnérabilité des Etats-Unis à l’instar de n’importe quel Etat dans le monde et même davantage puisque le pouvoir est très concentré géographiquement, mais le risque couru par l’ensemble des tenants du système mondial : la tête, la centralisation, les référents, les valeurs sous-jacentes sont en cause, donc les vassalités également.
Les dirigeants des pays développés, à partir du moment où la substance interne des sociétés et des économies sont physiquement en cause, ne peuvent plus décider pour une collectivité que des opérations extérieures, sinon confortables, ne mobilisait pas. La solidarité des premières heures et des premiers jours avec la population américaine physiquement touchée a appelé, puis toléré les discours les plus simplistes, les plus manichéens, les plus automatique des dirigeants administrant des thérapies collectives ainsi que leur faire-valoir propre (contestation rémanente de l’élection et de la capacité du président américain, proximité de l’élection présidentielle en France) ; elle eût, dans le monde entier, fait accepter dans les premières heures n’importe quelle réaction militaire des Etats-Unis. Une semaine passée, l’opinion demande comptes, consultations, preuves, analyses et perspectives. Parce que contrairement à toutes les crises survenues antérieurement, et qui ne mettaient en jeu apparemment que les Etats, les attentats ne suggèrent pas par eux-mêmes un parallélisme, une symétrie dans la réponse. Les guerres se déclarent ou se subissent, elles se préparent ou sont fuies, leur objectif est décalé dans le temps, il n’est atteint que par un changement que consacre la durée (l’occupation des territoires occupés en Palestine, les partages de l’Allemagne ou de la Corée) ou le consentement du vaincu (traité de paix ou armistice), tandis qu’un attentat atteint son objectif dans l’instant même où il est perpétré. Il n’appelle donc qu’une réciprocité, qui est celle du talion ou de la vengeance, donc d’ordre passionnel ; cette réciprocité tend à assimiler la victime qui se venge à l’agresseur-même puisqu’à son tour elle use des mêmes méthodes.
Dans un jeu de logique qui peut être déploré par les manichéens ou par les nostalgiques des puissances conventionnelles ou nucléaires, bien analogues aux puissances d’argent qui ont, elles surtout, leurs moyens d’invasion et d’annihilation, les Etats-Unis rentrent dans le lot commun et sont désarmés de chacun des avantages qui concouraient à leur hégémonie, à la fascination exercée sur les entreprises et sur les individus de beaucoup de pays dits riches ou développés. Combiner réussite et vulnérabilité expose au risque démocratique. Le discours présidentiel américain de la semaine écoulé a pu sembler un messianisme fascisant, peu présentable en tant que modèle à reproduire par d’autres Etats dans leur propre manière de s’interpréter et de se représenter à eux-mêmes. L’isolement américain est stratégique et psychologique dès qu’apparaît l’opinion publique mondiale.
Face aux Etats totalitaires, aux guerres civiles ou mondiales de la première moitié du XXème siècle, était apparue une première forme de mondialisation, très universellement souhaitée : celle d’une conscience morale universelle ; les internationales ouvrières et communistes, les églises chrétiennes, surtout la catholique, les grandes idéologies souhaitaient cette unicité, en leur sens, d’une manière mondiale telle qu’on puisse y faire appel contre des violences ou des dérangements locaux. Quand à cette conscience qui postulait un amenuisement des clivages nationaux : les tentatives de citoyenneté du monde, succéda un tout autre concept, celui d’une communauté internationale fondée de plus en plus sur la densité sinon la liberté des échanges et des communications, on alla vers deux mondialisations antagonistes : celle de l’économie et de la culture, d’une part, celle de l’écologie d’autre part. Apparurent en même temps les institutions internationales préfigurant des juridictions, des parlements ou des exécutifs mondiaux, ainsi que des organisations non gouvernementales. A mesure que se développent le droit pénal international, le devoir d’ingérence humanitaire, les valeurs qui les produisent contestaient la construction d’un système donnant prime à l’économie par consentement des Etats, seules institutions susceptibles de démocratie. L’Etat acceptant de se dépouiller de ses prérogatives nationales, consentait en fait à un dessaisissement pas tant en faveur des entreprises de sa nationalité ou de l’ensemble du système mondial des entreprises, mais en faveur de l’Etat où sont localisés les référents de ces entreprises.
Ce dessaisissement produisait aussi un transfert de modèle culturel, une centralisation et l’unicité à terme des critères d’appréciation d’une réussite d’individu, d’entreprise, d’Etat ou de communauté quelle qu’elle soit, et donc une échelle de pondération des valeurs pour les personnes et pour les Etats. En retour, cette projection sur un centre unique produit un réflexe de reconstitution de ce centre, à tout prix et même si les rapports de force ou les circonstances l’ayant suscité, n’existent plus ou sont modifiés. L’Alliance atlantique confortée en 1989.1991 alors que son adversaire nominal implose, le respect du primat de Moscou de la part de tous les Etats « occidentaux » tel que les Républiques anciennement soviétiques n’ont pu s’émanciper faute de réelle alternative à leur relation avec leur ancienne métropole, et ces jours-ci le choix d’une solidarité d’abord inconditionnelle, pas tant dans le malheur que dans l’acceptation d’une riposte.
Antagoniste de ce réflexe, qui est celui des dirigeants mais beaucoup moins celui des opinions publiques, la prise de conscience que la consultation, qui ne soit pas que de forme, est nécessaire. Les Etats-Unis ont fait voter leur Congrès, les Allemands le Bundestag, le Premier Ministre s’est engagé à une consultation parlementaire. Par force peuvent se retrouver une culture et des procédures démocratiques au sein des Etats et entre les Etats. L’élection présidentielle américaine récente, l’abstentionnisme record lors du dernier referendum organisé en France et d’une manière générale l’expérience faite de ce que les élections changent peut-être les acteurs mais pas les manières ni les orientations pour gouverner sont du même ordre spirituel et sociologique que le poids des seules décisions américaines.
Les organisations non gouvernementales se sont imposées par défaut de réactions gouvernementales jugées adéquates par des personnes n’ayant pas de statut gouvernemental, ni même – le plus souvent – à l’époque de l’acte fondateur, une réelle notoriété. Quel qu’en soit le domaine, elles sont apparues pour combler des lacunes dans la vie internationale tenant à l’incompétence dans laquelle se sont déclarées les Etats ou à leur refus de ce qui les mettrait en cause dans l’exercice des compétences qu’ils se reconnaissent. Paradoxalement, autant en droit interne les associations sont bienvenues et constituent fréquemment des alternatives ou des relais commodes pour les politiques d’inspiration gouvernementale, autant en droit international, les organisations non gouvernementales sont perçues comme des dérangements, des risques d’avoir à répondre étatiquement de comportements irresponsables dont on n’aurait eu ni l’initiative ni le contrôle. C’était le débat sur la confusion en Albanie des missions humanitaires avec celles que d’autorité s’attribuaient certaines des forces de l’O.T.A.N. La double pétition d’une autonomie d’action et d’identité indépendamment des actions et décisions d’Etat, et d’avoir cependant voix au chapitre dans les enceintes où se concertent les Etats, n’est toujours pas acceptée. Des personnalités morales apatrides, mondialistes au sens d’une unique citoyenneté du monde, constituent des manières d’être et de faire trop en avance sur l’Etat-nation ou sur la réunion d’Etats n’acceptant, à la rigueur, de partager leurs divers monopoles, à commencer par celui d’écrire la loi internationale. Ces organisations, dont les modes de fonctionnement et les référents sont divers, souhaitent toutes participer à ce que concertent les Etats ; constituent-elles sur la scène internationale le pendant de ce qu’est la société civile par rapport aux partis politiques et aux syndicats sur la scène intérieure des Etats ? Leur donner la parole et le droit de cité est-il une avancée démocratique, puisqu’elles ne sont pas tenues à la même responsabilité que les Etats dans leur comportement ? Le débat se tranche dans les faits ; ce sont elles qui font valoir des points de vue dont sont incapables les Etats. Le mardi 11 Septembre, c’est bien une organisation non gouvernementale qui prend spectaculairement initiative et parole, et depuis ce sont bien les organisations non gouvernementales qui donnent à des individus, isolés si elles n’avaient pas existé, la possibilité (et la responsabilité) de témoigner en faveur d’une population et d’un Etat a priori pris pour cible par la coalition putative de tous les autres Etats censément solidaires des Etats-Unis.
L’émergence des organisations non gouvernementales, bienfaitrices, intéressées ou idéologiques (comme le sont les sectes et les diverses internationales quelles que soient leurs fins), terroristes appellent en fait un système international moins uniforme, davantage pluraliste que l’actuel : un droit pour leur naissance, leur reconnaissance, leur patrimonialité d’une part, mais aussi pour leur articulation avec le niveau ou la sphère des Etats, et enfin pour d’éventuelles sanctions à des manquements ou à des nuisances. Il manque donc un espace juridique englobant le droit international et les usages et règles militaires et économiques actuels.
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2° les processus d’intégration, d’assimilation et de décision atteignent leurs limites
Il est faux de dire que « nous sommes tous Américains ». La pétition d’identité affaiblit la déclaration de solidarité et ne repose pas sur les faits. Le discours présidentiel américain ne peut être compris en dehors de son contexte national américain, et ne l’a pas été. Ce discours a au contraire assimilé aux auteurs des attentats du 11 toute organisation, tout pays, toute personne qui les auraient abrités ou aidés. L’Allemagne et la Grande-Bretagne font l’objet d’autant d’investigations américaines que le Pakistan et l’Afghanistan de mises en demeure soit de servir d’intermédiaire et de base arrière, soit de livrer un suspect explicitement identifié. Les compagnies aériennes non américaines ont été pénalisées dans le calendrier de reprise des trafics aériens. Les partenaires de l’Alliance atlantique ont été priés pour cette seule espèce de mettre en œuvre l’article 5 du Pacte et selon l’interprétation innovante de 1999, alors qu’il n’en avait pas été question pour des territoires en butte au terrorisme ou à des actions équivalentes telles que la guerre d’Algérie pour la France ou l’érection du mur de Berlin pour l’Allemagne ou même le conflit des Malouines pour la Grande-Bretagne. La concertation pour qualifier juridiquement les événements n’a pas introduit une concertation sur la nécessité ou pas d’une réplique, ni sur la nature ou les objectifs de celle-ci ; alors que les mesures pouvant constituer cette réplique ont été manifestement étudiées les 15 et 16, elles n’ont pas fait l’objet d’une communication aux alliés, même quand ceux-ci viennent sur les lieux à leur plus haut niveau (la France les 18-19, la Grande-Bretagne le 21). L’Alliance atlantique soumet les Alliés, elles ne les fait pas participer à ce qui conduit à des décisions ou à des indécisions.
L’Union Européenne, censée s’être dotée d’une identité de défense et de sécurité, n’a eu d’expression à ce niveau que le 19 ; ce n’est que le 17 qu’a été publié un calendrier de réunions aux niveaux de certains des ministres techniquement concernés par le terrorisme, sa prévention et sa poursuite puis à celui de ses Chefs d’Etat ou de gouvernement. Rien n’a paru publiquement d’une concertation au moins téléphonique entre les Quinze, en tout cas il n’a pas été jugé nécessaire ni par les Etats membres ni par Javier SOLANA d’en faire état pour que l’Union, en tant que telle, apparaisse dans l’analyse et dans la consultation. D’ailleurs à s’en tenir à l’expérience française, la semaine écoulée a plus illustré une solidarité bilatérale voulue et exprimée dans le sens France-Amérique, que par une solidarité entre Etats européens tant à propos de la mise en cause de la plupart des composants de l’hégémonie américaine que des risques que feraient courir au reste du monde, et notamment aux autres Etats occidentaux des frappes américaines en Asie centrale. Or, et en sus de ce à quoi elle paraît aboutir en Macédoine, l’Union peut se targuer, par une répartition circonstancielle mais heureuse des rôles entre Etats-membres, d’avancées décisives dans ce qui va pouvoir constituer une réponse commune aux Etats-Unis et à l’Europe aux attentats du 11 : réponse de paix que présagent l’ingéniosité belge à la conférence de Durban, le courage allemand dans l’intermédiation entre Shimon PERES et Yasser ARAFAT, le voyage maintenant du Président français outre-Atlantique. Ce qui apparaît est tout autre. La relation anglo-américaine est privilégiée : donnant seul le sentiment d’être informé de l’évolution de la pensée américaine, le Premier ministre britannique parle de « notre riposte » devant un public français. Les Etats-Unis ne font pas part des alternatives ou des ripostes qu’ils ont envisagées, ou sur lesquelles ils travaillent. Penser tout haut et avec plusieurs partenaires, si proches soient-ils, n’est pas possible pour un pays qui joue sa crédibilité mondiale face au reste du monde. C’est dire que la consultation est impossible et qu’elle n’aura pas lieu : il y aura annonce, négociation, contrainte et figuration, ou bien, acceptant implicitement que leur statut mondial a changé, les Etats-Unis cessant d’envisager leur démonstration d’une force inentamée parleront de tout autre chose : la prévention du terrorisme en droit, en finance, en collaboration des services, tous points sur lesquels ils sont en retard par rapport à l’Europe.
Les deux communautés atlantique et européenne censées produire de l’intégration ne sont toujours ni les lieux de décision privilégiés par les Alliés et par les Etats-membres, ni le cadre d’une assimilation et d’un brassage des populations composantes. L’impossibilité-même de concerter des décisions que les Etats-Unis estiment ne concerner qu’eux-mêmes, parce que c’est dans dans leur substance et dans leur image qu’ils sont frappés, vient d’ailleurs d’être – soumission ? ou réalisme ? – comprise sinon acceptée par les Quinze qui ont simplifié le matin pour le soir leur ordre du jour au « sommet ». Et qu’il ne s’agisse que de terrorisme et non plus d’une concertation des mesures de riposte satisfait certainement Washington qui depuis qu’y a été voté, à la demande européenne, le Pacte Atlantique, n’a plus jamais envisagé ni permis que soit délibérée hors la présence la moindre action militaire, qu’ils soient d’ailleurs appelés ou non à y participer : l’exception ayant fait la règle a été l’équipée franco-britannique à Suez.
L’impossibilité mentale d’une solidarité dépassant la compassion et engageant la réflexion ensemble montre surtout que l’assimilation, quel que soit le désir de celui des protagonistes qui doit aller à l’autre parce qu’il n’a pas souffert lui-même, rencontre vite sa limite. L’argument de reconnaissance ou de réciprocité (La Fayette nous voilà ! aurait-il été convenu que crieraient les premiers Américains rejoignant le front en 1917) ne peut se répéter : le voyage du Président français une semaine après la destruction de bâtiments emblématiques aux Etats-Unis ne peut se fonder sur une évocation des plages d’Arromanches. L’explosion, le 21, d’une usine pétro-chimique à Toulouse, si nombreux relativement que soient morts et blessés, dans un climat de surprise aussi grand pour la population mitoyenne que celui créé par le second impact sur le World Trade Center, ne peut nous faire vivre ce qui a été vécu là-bas, et quand bien même. Les « révélations » selon lesquelles le détournement d’avion de Décembre 1994 était en réalité la première tentative du scenario de mardi, la Tour Eiffel étant chez nous visée (ce qui montre d’ailleurs combien est préféré par le terrorisme le symbole parlant à l’opinion plutôt que le tenant du pouvoir toujours remplacé d’office à son décès en fonction) opèrent même une dictinction entre la France et l’Amérique. D’une part, parce qu’au lieu du discours présidentiel dont ont gratifiés les Américains dans les heures suivant les attentats, la campagne présidentielle déjà virtuellement engagée en France a dissuadé aussitôt les politiques d’alors d’une explication approfondie, au point que les attentats de l’été de 1995 ne furent pas rapprochés du détournement d’avion précédent, au point aussi que l’analogie franco-américaine rétrospective ne rappelle pas pour autant à nos voisins d’outre-Manche qu’ils ont toujours chez eux, sans que nous puissions le juger, le commanditaire de ces crimes. La France est toujours sans droit de suite alors qu’elle a les preuves, et l’Amérique, elle, est dispensée de montrer ses preuves pour autant être interdite de représailles. D’ailleurs même Israël n’est parvenu à faire admettre sa propre analogie par les Américains.
Ainsi existe-il pour les décisions ayant le plus de conséquences sur la gestion du monde et sur son avenir, un espace de non-droit et à jurisprudence unique : aucune des organisations ou communautés internationales ou pluri-étatiques n’est choisie comme enceinte de réflexions ou de pourparlers quand les Etats-Unis ont choisi de s’impliquer dans un conflit ou que ce conflit les atteint directement.
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3° les valeurs gouvernant les comportements collectifs et sociaux exigent que soient complétés ou créés les espaces, institutions, procédures les identifiant, les défendant, les propageant et en sanctionnant éventuellement le respect ou la transgression
Faute qu’un discours prospectif ait été articulé par quelque acteur que ce soit, y compris par une revendication commentée des attentats, une dialectique est née de la succession des sujets s’imposant à la conscience générale et à la prise de décision politique. Elle échappe pour le moment à tout vouloir et même à toute concertation des Etats.
Comprendre et faire comprendre que chacun de ces sujets n’est pas lié aux autres par de simples coïncidences, c’est se donner l’ordre du jour d’un rétablissement de notre monde et de ses pratiques du même ordre réparateur ou cautérisant que l’ensemble des décisions qui furent prises et des institutions inventées ou perfectionnées qui furent mises en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et quand l’univers géo-stratégique était dominé par la division en deux blocs socio-culturels et dominé par le fait nucléaire. L’analogie vaut aujourd’hui : la possibilité terroriste est désormais d’extension territoriale universelle et imparable dans l’état actuel des lacunes civiques, juridiques, financières de nos systèmes d’enquête et de prévention. Et ce risque s’est développé par manque de finesse général de ceux qui étaient mieux pourvus que les autres. Les Etats-Unis ont trop contraint le monde entier, y compris leurs alliés de sang ou de pacte pour n’être pas aujourd’hui freinés ou encadrés dans une réaction aux attentats dont ils étaient victimes, et qui si elle avait été immédiate et instinctive eût probablement été admise, sinon comprise, de tous, mais qui décalée dans le temps, comme elle le sera forcément si elle a lieu d’une manière conventionnelle militaire, ressemblera dangereusement, pour la cote vraie du président américain, au système d’administration de la peine capitale dans tant d’Etats américains, à commencer par le Texas. Un découplage tel que le droit de punir se perd et que le procès est faussé qui n’a pas servi à réécrire entre agressé et agresseur l’histoire du tort subi ou infligé. Et les pays développés, sinon riches, ont trop manqué les deux grandes évolutions, d’essence si bénéfique, qui au siècle dernier avaient été la décolonisation et la chute du communisme. La troisième qui se dessinait, celles des pays émergents, a été bâclée au point que le seul pays économiquement riche et autonome : le Japon, en a été durablement endommagé, handicapé. Les antagonismes nord-sud et ouest-est sont d’ordre moral, spirituel et les forces de l’âme peuvent conduire au racisme le plus insidieux et aussi le plus mobilisateur.
Il faut donc réformer l’existant et inventer, au besoin, ce qui permettrait de corriger fondamentalement et en permanence les comportements des nantis et d’ouvrir leur dialogue avec les frustrés, avec en sus une nuance ou une difficulté décisives : que l’ordre du jour des institutions réformées ou nouvelles soit, très durablement, inspiré, donné, articulé par les frustrés. Trop longtemps, les riches ont eu, pas seulement le bénéfice des accumulations, spoliations ou abus, mais le monopole de la parole, et de la confection des modèles et du droit ; ils ont confisqué le langage des intelligences censées régir le monde moderne (on le voit particulièrement bien dans le vocabulaire, les concepts et les logiques de l’économie, de la finance et partant des organisations sociales du futur). D’une certaine manière, les Etats et les peuples se considérant eux-mêmes comme libéraux et faiseurs de liberté et de démocratie, sont totalitaires puisque chacun et ensemble ils sont autistes. En tout cas sourds à la logique des peuples dépourvus et frustrés (jusqu’au vrai du sourire de ceux-ci, capté et acheté par le « tourisme sexuel », dont la carte et les courants commerciaux en exportation de sujets et en importation de consommateurs sur place recouvrent exactement les deux zones historiques et ethniques de l’échec du XXème siècle, les pays slaves et les pays émergents d’extrême-orient).
Les imaginations et novations à articuler, incessamment, constitueraient la réponse concertée, en forme de déclaration de paix au contraire exact de celle de guerre formulée par les terroristes, des Etats-Unis et de leurs alliés, traditionnels ou qu’apporteraient à ceux-ci le double choc des attentats du 11 et de l’inattendu d’une réplique qui ne soit pas guerrière. La crise boursière qu’accentue et caractérise désormais l’attaque du 11 tient, à présent, en grande partie à cette indécision quant à la nature et à la globalité de la justice qu’entend faire passer le gouvernement américain. La « justice sans limite » ne peut être que la retenue du plus fort et que l’invention de toutes sortes de remèdes mettant fin à l’iniquité dans le monde. Alors, la lutte anti-terroriste englobera effectivement tous les Etats, tous les peuples et atteindra peut-être même les « kamikazes », les « desperados ». Ce type de réponse s’adressant partout à tout l’humain est en tout cas seul de nature à ne pas accentuer les fractures et antagonismes existants, et à ne pas en créer d’autres, immédiatement plus redoutables encore. Qui n’en est maintenant conscient ?
Les éléments de novations seraient au moins les suivants :
- Admettre de nouveaux sujets de droit international, qui, au contraire des acteurs économiques proprement dits, ou des Etats, ont besoin d’un soutien et d’une reconnaissance en tant que tels. On aurait ainsi l’occasion de mieux articuler, organiser et financer l’humanitaire, de mieux analyser les authenticités ou les usurpations religieuses (donc d’arriver à distinguer confessions, églises et sectes)
- Etendre les concepts, les juridictions et les organisations et formes de la répression d’actes ou de comportements de ces nouveaux sujets. Le commencement de justice pénale internationale peut contribuer d’ailleurs à développer et à harmoniser le droit constitutionnel interne des Etats (par exemple : la sanction de la responsabilité des chefs de l’exécutif, ou bien la non-assistance à des entités, pas forcément individuelles, en danger faute de législation prise à temps au plan national) et, à l’inverse, peut aussi s’appuyer sur des prises de conscience dans un Etat ou une union d’Etats (le droit de l’informatique et de l’internet, celui de la concurrence, les médicaments génériques, le clonage, les remèdes aux grandes endémies, le processus de Kyoto). Mais la novation serait qu’un Etat pourrait être internationalement attrait pour la pollution qui se dégage de son territoire autant qu’une entreprise ou une législation nationales, qu’une spéculation boursière internationale ou ses fauteurs pourraient être condamnés juridiquement et financièrement, voire dissous, par une seule décision prise sans considération de quelque limite territoriale ou matérielle que ce soit, enfin qu’une organisation terroriste n’auraient pas ses acteurs et commanditaires justiciables de tribunaux nationaux (cas d’avoir à livrer sans preuve à la justice américaine « le suspect n° 1 ») mais bien de juridictions internationales dont l’impartialité serait garantie par leur composition et par le droit et les échelles de peines définis internationalement.
- La lecture de la Charte des Nations Unies, l’étude psychologique et sociologique, pas seulement financière et juridique, des « opérations de maintien de la paix », la combinaison de ces ambitions avec ce que l’Union Européenne tente de faire exister qui la représente en diplomatie et en défense pourraient inspirer l’institution de forces militaires et policières permanentes, composées selon des modalités proches des détachements de personnels nationaux dans les institutions internationales. La mise en œuvre de ces forces suppléerait aux interventions nationales vengeresses ou pluri-nationales réparatrices de dommages certes internationalement reconnus, mais perdant de leur légitimité si elles sont manifestement conduite par un seul esprit et un seul dispositif politique et militaire. En tout état de cause, les juridictions étendues ou à créer et le droit nouveau organisant ou réprimant à l’échelle mondiale, ont besoin de forces de coercition et de financements propres et qui ne soient pas aléatoires ou cas par cas, espèce par espèce. On voit que dans un tel système, la question d’entrer dans le sanctuaire afghan pour en extraire un suspect se poserait tout différemment : droit, procédure, forces en charge seraient par avance, et avant toute infraction ou toute instruction, déjà connus, établis, acceptés.
- La tension entre l’instinct d’identité et l’intuition d’universalité divise chaque être humain et met en conflit les tenants du pratique et ceux de l’être : parler la langue unique pour avoir l’oreille de tous, mais quel message retient celle-ci s’il n’a pas le charme d’une authenticité faite d’expérience, de racine, de poésie et de savoir-faire. Le cinéma, la musique, les mathématiques sont internationaux au sens le plus étymologique. La culture pourrait l’être si elle vécue et non pas enseignée, si elle est une envie, une projection et non un bagage. Les échanges culturels devraient avoir une finalité cependant intéressée : faire le respect mutuel, organiser la connaissance mutuelle et la mise à jour constante de cet acquis, à reprendre à chaque génération, car certaines intimités créent l’antagonisme (le conflit franco-allemand) ou une dialectique dominant/soumis (la colonisation). Quand le choc de deux civilisations, deux psychologie est proche, un prêche de néophyte ou de politique quelque soit la chair d’où il est administré est trop simpliste pour atteindre les esprits, c’est au contraire donner bonne conscience par un geste isolé mais bien médiatisé au plus grand nombre à qui l’on voulait ôter l’instinct d’amalgame.
Il est déjà éprouvé – très bénéfiquement – que les organisations et institutions internationales, notamment dans les domaines financier, sanitaire, social discernent et attirent en leur sein, pour les y promouvoir, certaines individualités ressortissant de pays en voie de développement industriel ou en en situation de négation ou d’asservissement : des élites gouvernementales déchues par l’instauration de dictatures, des chercheurs ou des personnalités syndicales ne pouvant disposer d’un espace suffisant dans leur pays de nationalité. La consécration d’organisations non gouvernementales, l’étoffement des juridictions et des polices supranationales, la naissance d’écoles et de centres de formation en tous domaines correspondant aux critères de recrutement et aux compétences de ces organisations, de ces juridictions, de ces forces et de ces procédures aboutiraient en très peu de générations à ce que rêvaient, au début de l’ère atomique, les premiers « citoyens du monde ». On voit bien d’ailleurs, dans le cas de l’Union Européenne, comment se créent un esprit commun et des carrières individuelles, transcendant les systèmes et les caractères nationaux sans les nier.
Cette logique, qui depuis près de soixante ans inspire à rythme et à réalisations divers et variables l’entreprise d’unification européenne, pourrait valoir pour ce à quoi la planète appelle d’elle-même tant grandit le risque que lui font courir le désordre et l’égocentrisme humains : une progressive et inéluctable unification des institutions et des activités de l’espèce dominante, à mesure qu’elle se métisse dans sa biosphère et dans sa noosphère, et qu’elle se projette dans la conquête du cosmos.
Alors, on pourrait conclure que la réponse à l’horrible rend, de son fait-même, compréhensible cette horreur puisqu’elle a été grosse d’un monde meilleur. Impensable, le dialogue implicitement souhaité entre les assassins et les victimes se nouerait…
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