Publié le 7 Mai
2019
Crif/Actu - Tribune : "Heureux comme un antisémite en France"
L’essayiste d’extrême droite Alain
Soral, condamné pour négationnisme, évite, pour l’heure,
l’incarcération : plusieurs personnalités, dont les présidents
de la LICRA et de SOS Racisme, dénoncent un « Munich judiciaire »
après la décision du parquet de Paris.
En théorie, en France, le fait d’exprimer son
racisme, son antisémitisme, son négationnisme est passible d’une
peine de prison. C’est la loi, pétrie par la volonté générale,
celle des générations de législateurs édifiés par les épreuves
de l’Histoire et la nécessité, vitale, de protéger l’espèce
humaine des crimes commis contre elle-même.
En pratique, les racistes, les antisémites, les
négationnistes sont rarement renvoyés derrière les barreaux par la
justice française. A telle enseigne que même Robert Faurisson,
tortionnaire récidiviste de l’Histoire, antisémite et
négationniste chimiquement pur, est mort sans avoir jamais connu un
seul jour de prison, lui qui l’avait pourtant mérité mille fois à
force de provoquer les consciences, les juges et les victimes.
Le 15 avril dernier, une juridiction française,
la 13e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance
(TGI) de Paris, a eu le courage de briser un tabou : condamner le
premier antisémite de France, Alain Soral, à une peine d’un
an d’emprisonnement ferme pour contestation de crime contre
l’Humanité et, fait inédit dans l’histoire judiciaire
française, elle a délivré un mandat d’arrêt à l’audience.
L’appel n’étant pas suspensif, il était
acquis que Soral serait interpellé et écroué, conformément à la
décision prononcée. Chacun pouvait alors espérer qu’une étape
était franchie et que la République avait enfin atteint son seuil
de tolérance contre les obsédés de la haine des Juifs.
C’était sans compter le parquet de Paris
qui vient d’en décider autrement. Tout d’abord en faisant appel
du mandat d’arrêt, estimant que la loi de 1881 sur la presse, en
vertu de laquelle Soral a été condamné, ne relevait pas du droit
commun, mais du « droit politique » et n’autorisait pas
l’incarcération du comparant séance tenante. Ensuite, en
violation du caractère non suspensif de cet appel, en refusant de
faire interpeller Alain Soral, ne craignant ni la voie de fait, ni la
honte de servir de supplétif aux avocats de la défense.
En ouvrant un tel débat, le Parquet tombe dans le
piège des professionnels de la haine : faire accroire l’idée que
le racisme et l’antisémitisme seraient des délits politiques et
des délits d’opinion.
Ces deux décisions du Parquet doivent être
désignées pour ce qu’elles sont : un Munich judiciaire à la
faveur duquel, croyant protéger le droit, on finit par protéger les
racistes et les antisémites de toute sanction effective et par
organiser leur impunité.
Si la France s’est dotée d’un arsenal
judiciaire contre le racisme et l’antisémitisme, ce n’est pas
par hasard. Ce n’est pas une lubie ou un caprice exigé par telle
ou telle communauté. Ce n’est pas un cadeau consenti à telle ou
telle souffrance. C’est une nécessité vitale pour notre régime
de libertés en raison du fait que ces fléaux ont défiguré
l’Humanité et qu’ils tuent encore selon une mécanique immuable
: l’ensauvagement des mots précède, toujours, l’ensauvagement
des actes. Un raciste ou un antisémite qui appelle à la haine est
une bombe à retardement et à fragmentation pour le corps social.
Toutes les marches blanches et toutes les
déplorations du monde après chaque crime raciste ou antisémite
demeureront vaines si la République est incapable de remettre la
haine dans la cage dont elle n’aurait jamais dû sortir. Toutes les
lois du pays demeureront décoratives si, alors que l’antisémitisme
assassine de nouveau en plein Paris, le parquet de la République
bataille pour faire relâcher les antisémites.
Alain Soral doit bien rire de l’impuissance de
la justice à le faire condamner. Lui qui vomit la République et ses
principes, qui injurie les magistrats et les parties civiles, est en
passe d’atteindre son objectif : déstabiliser la démocratie par
ses appels à la haine et un prosélytisme numérique très lucratif,
créer le doute parmi la magistrature et faire trembler la main des
magistrats devant ses provocations réitérées.
Assurément, grâce à une justice devenue
paralytique, Alain Soral doit se sentir heureux comme un antisémite
en France.
Les signataires :
Mario Stasi, président de la
LICRA ; Dominique Sopo, président de Sos
Racisme ; Sacha Ghozlan, président de l’UEJF
; Pierre Mairat, coprésident du MRAP ; Marc
Knobel, président de « J’accuse ! » ; Alain
Jakubowicz, président d’honneur de la LICRA ; Michael
Ghnassia, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de
Cassation ; Patrick Klugman, avocat ; Stéphane
Lilti, avocat ; Jean-Louis Lagarde, avocat ; Ilana
Soskin, avocate ; Stéphane Nivet,
délégué général de la LICRA.
Source : L'Obs
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