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Publié le 22
Février 2019
Dîner du Crif - Le discours du Président Emmanuel Macron au 34ème dîner du Crif : mercredi 20 février 2019
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34ème
Dîner du Crif
Discours du
Président Emmanuel Macron
Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le
président de l’Assemblée Nationale, Monsieur le président du
Conseil Économique Social et Environnemental, Messieurs les Premiers
Ministres, Monsieur le Ministre d’Etat, Mesdames et Messieurs les
Ministres, Madame la Maire de Paris, Madame la présidente de la
région Ile de France, Mesdames Messieurs les Parlementaires,
Mesdames/Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames et Messieurs les
Responsables des cultes, Monsieur le président du CRIF, Mesdames,
Messieurs.
Comme chacune et chacun, j'aurais souhaité que ce
dîner - le deuxième auquel j'ai l'honneur d'assister comme
président de la République - se tienne dans des circonstances plus
sereines. Nous aurions évoqué avec émotion Claude LANZMANN, ce
qu'il donna à la France en entrant en résistance dès l'âge de 18
ans, ce qu'il offrit au monde avec son monument SHOAH, cette
œuvre immortelle contre l'inexorable travail d'oubli du temps. Nous
nous serions souvenus de Marceline LORIDAN disparue en septembre et
son inlassable action pour transmettre la mémoire du génocide et de
son insolence. De Georges LOINGER qui nous a quittés en décembre
emportant avec lui une vie d'héroïsme, lui qui sauva près de
quatre cents enfants juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Nous
aurions revécu ensemble cette matinée ensoleillée de juillet où
le peuple français rassemblé rue Soufflot communièrent autour des
cercueils bleu blanc rouge de Simone et Antoine VEIL. Simone VEIL qui
puisa dans l'indicible horreur des camps la force de faire grandir
encore par ses combats pour la mémoire, pour les femmes, pour
l'Europe l'œuvre universelle de la France. Nous serions certainement
revenus sur la relation d'amitié de 70 ans liant la France et
Israël, que la saison culturelle croisée de 2018 a fait vivre et
que la visite du président RIVLIN à Paris à la mi-janvier est
venue sceller. Peut-être même aurions-nous échangé sur le rôle
de René CASSIN dans la rédaction de la Déclaration des Droits de
l'Homme cette grammaire commune des nations dont nous venons de
célébrer le 70ème anniversaire.
Oui, chacune et chacun d'entre nous aurait aimé
évoquer tout cela. Cette part juive de l'âme française, cette
histoire des Français juifs qui a contribué à faire de notre
nation belle et grande. Mais le moment que nous vivons appelle un
propos autrement plus grave. Depuis plusieurs années - et la
situation s'est encore aggravée ces dernières semaines - notre
pays, comme d'ailleurs l'ensemble de l'Europe et la quasi-totalité
des démocraties occidentales, est confronté à une résurgence de
l'antisémitisme sans doute inédite depuis la Seconde Guerre
mondiale.
A nouveau depuis plusieurs années l'antisémitisme tue en France.
C'est bien que les visages peuplant ce soir nos
consciences ne sont pas seulement ceux des héros que je viens
d'évoquer mais bien ceux des martyrs récemment assassinés parce
qu'ils étaient juifs. Mireille KNOLL, cette Parisienne de 85 ans qui
a survécu aux rafles mais pas à la folie meurtrière de ses
bourreaux, Sarah HALIMI, cette mère de trois enfants saisie dans son
sommeil, molesté puis défenestré par son meurtrier, Ilan HALIMI,
ce jeune homme d'une vingtaine d'années kidnappé, torturé,
assassiné. Et puis les victimes de l'attentat de l'Hyper Cacher de
janvier 2015 - Philippe BRAHAM, Yohan COHEN, Yoav HATTAB,
François-Michel SAADA - celles de l'école Ozar Hatorah - Jonathan
SANDLER et ses fils Aryeh et Gabriel et la petite Myriam MONSONEGO
abattus à bout portant. Nous ne les oublions pas. Le crépuscule du
vingtième siècle avait pu laisser entrevoir la possibilité d'un
repli durable de l'antisémitisme. L'aube du 21ème siècle vient
rappeler combien l'histoire est tragique, combien les passions
tristes sont à l'œuvre, combien le noir revient. Et qu'un fils de
déportés juifs-polonais qui aime la France, sa langue, au point de
devenir membre de l'Académie française, soit insulté par une foule
haineuse en rentrant chez lui, qu'à Paris sur une devanture de
restaurant soit peinte entourée de croix gammée l'inscription
“Juden”, que sur la mairie du 13e arrondissement le visage de
Simone VEIL soient recouverts des mêmes croix gammées, qu'en Alsace
des dizaines de tombes juives soient profanées comme si on avait
voulu enlever leur mort à tous ces gens, que des représentants
religieux juifs, des militants de la cause antiraciste, des
journalistes soient insultés, menacés - cher Joël MERGUI, cher
Ariel GOLDMANN, cher Philippe VAL, cher Hermann EBONGUE- que dans un
même nihilisme, une même violence, charriant rejet du sacré et
antiparlementarisme, qu’on s'en prenne à des églises, à des
élus. Je pourrais poursuivre malheureusement cette liste et dire ce
que trop d'anonymes subissent et n'osent même pas dire.
Face à cette inacceptable, il serait faux de dire
que nous n'avons rien fait. Nous avons condamné beaucoup, adopter
des plans, souvent depuis des années et des années, voter des lois
parfois. Mais nous n'avons pas su agir efficacement. C'est vrai. Et
si nous en sommes là aujourd'hui c'est bien pour cela. Et cette
litanie que je viens de reprendre c'est notre échec.
Trop d'indignation. Trop de mots. Pas assez de
résultats.
Le temps est donc venu des actes tranchants,
concrets.
Parce que je ne veux pas m'habituer à ces mots et
à ces indignations “Il y a quelque chose de pire qu'une âme
perverse”, écrivait PÉGUY, “c'est une âme habituée”. Nous
n'avons pas le droit de devenir des âmes habituées.
D'abord nommer le mal, qui ne voit que l'antisémitisme se cache de plus en plus sous le masque de l'antisionisme.
Je l'ai dit lors du 75e anniversaire de la rafle
du Vel d'Hiv, l'antisionisme est une des
formes modernes de l'antisémitisme. C'est pourquoi je confirme que
la France, qui comme vous l'avez rappelé l'a endossée en décembre
avec ses partenaires européens, mettra en œuvre la définition de
l'antisémitisme adoptée par l'Alliance internationale pour la
mémoire de la SHOAH. Il ne s'agit pas de modifier le code
pénal, encore moins d'empêcher ceux qui veulent critiquer, comme
vous l'avez rappelé à Monsieur le Président, la politique
israélienne de le faire, non. Ni de revenir sur des
sujets que nous connaissons et qui sont ceux de la politique
internationale - et sur ce sujet la position française est connue et
l'année dernière nous en avions débattu. Il s'agit de préciser et
raffermir les pratiques de nos forces de l'ordre, de nos magistrats,
de nos enseignants, de leur permettre de mieux lutter contre ceux qui
cachent derrière le rejet d'Israël la négation même de
l'existence d'Israël. La haine des Juifs la plus primaire.
De la même manière, il n’y aura aucune
complaisance à l’égard des pratiques de boycott et du BDS
plusieurs fois condamnées en France et qui le seront à nouveau.
Regardez ensuite la réalité en face, sans filtre.
Oui, à côté, malheureusement, de
l’antisémitisme traditionnel se déploie un antisémitisme fondé
sur un islamisme radical.
Oui, cette idéologie gangrène certains de nos
quartiers au point d’être contraints à un insupportable exode
intérieur. Eh oui, c’est à une reconquête républicaine de ces
territoires que nous devons nous atteler. Ce que nous faisons quand
nous créons des postes de policiers et de gendarmes dans 45 d’entre
eux, en multipliant l’implication de tous les services de l’Etat,
de l’Education Nationale, de l’ensemble des fonctionnaires, et en
y déployant, de manière méthodique, un plan de lutte contre la
radicalisation. Et en cette matière, ne cédons en rien non plus à
l’opposition bloc à bloc dans laquelle certains voudraient
enfermer la société française. Une religion contre l’autre. Une
stigmatisation contre l’autre. Non. La République protège tous
les citoyens, toutes les consciences, toutes les paroles, et elle ne
peut accepter, en aucun cas, qu’au nom d’une religion déformée
ou d’une philosophique quelle qu’elle soit le pire soit commis,
parce que c’est la République, parce que c’est notre liberté.
Traquer et punir ceux qui se rendent coupables d’actes antisémites.
Rien n’est plus insupportable pour les victimes
que l’absence de sanctions. Rien n’est plus incompréhensible
pour nos concitoyens que le sentiment du « tout est permis »,
qui anime les semeurs de haine et qui sapent l’autorité de l’Etat.
J’appelle, pour ce faire, quelle que soit, parfois, la lassitude,
je le sais, toutes les victimes d’actes antisémites à porter
plainte dès qu’elles sont insultées ou attaquées. Qu’elles
soient assurées que tout est mis en œuvre pour les accompagner dans
leurs démarches, depuis la formation de nos policiers et nos
gendarmes pour les accueillir et les écouter, jusqu’à la
possibilité de porter plainte en ligne, qui vient d’être votée
avec l’adoption de la Loi Justice. Elle doit s’appliquer dans les
meilleurs délais. Sur ce sujet, nous étions habitués, il faut bien
le dire, à des pratiques incertaines ; des plaintes qui
n’étaient pas toujours prises ; des complexités. Les choses
ont maintenant été simplifiées dans le Droit. Elles doivent
s’appliquer dans les faits. Elles supposent que rien ne soit
accepté et qu’aucune habitude en quelque sorte ne soit prise. Tout
est mis en œuvre aussi pour recueillir les preuves. Des équipes
spécialisées d’enquêteurs et de gendarmes seront créées sur
tous les territoires, sur la base de ce qui a été commencée à
Aix-en-Provence, en partenariat avec la Fondation du Camp des Milles.
Vous avez ensuite, Monsieur le Président, évoqué l’antisémitisme
improprement appelé virtuel. Il n’a de virtuel que le nom. Il y a
dans cette haine sans visage, qui se croit délivrée de tout droit,
les prémices de la haine qui, ensuite, sort dans rue et commet le
pire. Ce poison lent qui conduit près de 2 Français sur 5,
s’informant principalement via les réseaux sociaux, à croire en
un complot sioniste mondial. Celui-ci aussi, nous devons le combattre
avec force et clarté. D’ores et déjà, nous avons entamé un
travail avec des plateformes comme Facebook qui a choisi la France
pour lancer un fonds doté d’1 million d’euros en faveur du
civisme et contre la haine, et qui a accepté la présence en son
sein de régulateurs et juristes français pour améliorer certaines
pratiques. J’avais dit l’année dernière, devant vous, sur ce
sujet, ma volonté de porter un projet exigeant au niveau européen.
Un travail a été fait pour le rendre possible, et vous l’avez
évoqué, le rapport de madame AVIA et de messieurs TAIEB et AMELLAL
à cet égard. Proposer des choses concrètes. Le combat européen
doit se poursuivre mais il est trop lent, et nous ne pouvons plus
attendre. C’est pourquoi la Député Laetitia AVIA déposera, dès
les mois de mai, c’est-à-dire dès la première fenêtre
parlementaire possible, au Parlement, une proposition de loi pour
lutter contre la haine sur Internet reprenant les propositions de ce
rapport. Nous devons, à ce titre, nous inspirer de ce que nous
voisins allemands ont su faire, de manière efficace et pragmatique.
Apporter des sanctions judiciaires, pénales et pécuniaires ;
appeler la responsabilité des individus, comme des plateformes. Il
s’agira de mettre fin aux stratégies d’éviction déployées par
des sites étrangers qui, changeant régulièrement de serveurs, sont
aujourd’hui très difficiles à bloquer. Dans ce contexte, la
question de l’anonymat sera évidemment posée. Elle est, trop
souvent, le masque des lâches. Et derrière chaque pseudonyme, il y
a un nom, un visage, une identité.
Faut-il interdire partout sur Internet
l’anonymat ? Je pense que nous pourrions aller par cette voie
à quelques égards vers le pire. Il faudra donc y réfléchir à
deux fois. Par contre, ce que nous ne pouvons pas accepter, c’est
que parce qu’il y a l’anonymat, le contenu ne soit pas retiré
dans les meilleurs délais, que l’identité ne soit pas recherchée
et ne soit pas donnée. Il y a aujourd’hui encore des plateformes
comme Twitter, pour citer les mauvais exemples, qui attend des
semaines, quand ça ne l’est des mois, pour donner les identifiants
qui permettent d’aller lancer les procédures judiciaires contre
ceux qui ont appelé à la haine, au meurtre ; qui, parfois,
prend des jours, des semaines pour retirer des contenus ainsi
identifiés. Ce que ce texte portera donc, ce sont des dispositions
claires imposant le retrait dans les meilleurs délais de tous les
contenus appelant à la haine et mettant en œuvre toutes les
techniques permettant de repérer l’identité dans les meilleurs
délais et enfin appelant à la responsabilité, y compris sur le
plan juridique, les dites plateformes. Il nous faut adopter nos
sanctions à la société numérique ; nous donner les moyens
aussi de pouvoir interdire la présence sur un réseau social de
personnes coupables de propos racistes et antisémites, comme on
interdit les Hooligans dans les stades, ou à tout le moins faire en
sorte que les condamnations pour actes racistes et antisémites
soient publiées pour ceux s’en rendant coupables.
La honte sur ces sujets d’urgence doit changer
de camp. Elle ne doit plus ronger les victimes. Elle doit accabler
les agresseurs. Enfin, parce que la période met en cause ce que nous
sommes, la France doit aussi tracer des nouvelles lignes rouges et
nous le ferons par des mesures concrètes et des décisions que la
loi permet aujourd’hui de prendre. C’est pourquoi j’ai aussi
demandé au Ministre de l’Intérieur d’engager des procédures
visant à dissoudre des associations ou groupements qui, par leurs
comportements, nourrissent la haine, promeuvent la discrimination ou
appellent à l’action violente : Bastion social, Blood &
Honour Hexagone et Combat 18 pour commencer.
Nommer, poursuivre, punir, mais bien entendu, enfin aussi, éduquer.
Il ne faut jamais perdre de vue le temps long de
l’éducation, de la culture, de l’élévation morale et
spirituelle de tous, car ce que nous vivons aujourd’hui dans notre
société, dans notre pays, dit beaucoup de nos propres échecs
passés. De ce que nous avons laissé s’installer subrepticement,
de ce que nous n’avons plus voulu dénoncer, de ce que parfois,
nous avons peut-être oublié de dire. Si l’histoire a montré que
la connaissance n’était jamais un antidote contre la haine, nous
savons que l’ignorance, à coup sûr, est un fertile terreau,
toujours. Nos instituteurs, nos professeurs font preuve d’un
engagement exemplaire, pour enseigner la mémoire de l’Holocauste,
et sont relayés admirablement par des institutions comme la
Fondation pour la mémoire de la Shoah ou le Mémorial de la Shoah.
Le ministre de l’Education nationale s’est tôt engagé dans
cette lutte pour lever, vous l’avez rappelé, Monsieur le
président, toutes les ambiguïtés qui avaient pu exister, former
davantage, être plus exigeant encore. Et à ce titre, l’Etat
soutiendra encore davantage qu’il ne le fait le Mémorial de la
Shoah. La DILCRA apporte aujourd’hui une aide. Elle sera
significativement augmentée par le Premier Ministre, dans les
prochaines semaines.
Ces instituteurs, ces professeurs sont encore trop
souvent livrés à eux-mêmes, en particulier quand, dans ces
quartiers gangrénés par l’islamisme radical, évoquer la Shoah,
la situation au Proche-Orient, est parfois devenu impossible. Ces
instituteurs, ces professeurs trouveront toujours la République à
leurs côtés. Au niveau national, une équipe de réaction a été
mise en place, qui leur apporte une solution en 24 heures, dès
qu’une difficulté se fait jour. Dans chaque rectorat, des messages
clairs ont été passés, pour que tout soit dit, le moindre
problème, dès qu’il est observé. Mais trop souvent, nous avons
vu aussi, dans ces quartiers de la République, ces dernières
années, des enfants quitter l’école publique, disons-nous les
choses franchement, pour aller vers des écoles privées sous
contrat, quelle que soit, d’ailleurs, la confession, pour pouvoir
changer de quartier, parce que quelque chose se passait, que l’enfant
ou les parents eux-mêmes n’osaient pas dire. C’est pourquoi j’ai
demandé au ministre de mettre en place des actions spécifiques et
de procéder à un audit de tous les établissements marqués par le
phénomène de déscolarisation des enfants de confession juive.
Quand une telle déscolarisation se passe, elle
dit quelque chose. Parfois, de ce que nous ne voulions ou ne pouvions
voir, de ce qui ne se disait plus. Au-delà, l’école doit
jouer à plein son rôle de rempart républicain contre les préjugés
et contre les haines, mais aussi contre ce qui en fait le lit,
l’empire de l’immédiateté, le règne d’une forme de
relativisme absolu. L’enseignement de la méthode scientifique, de
la méthode historique, sera renforcé. Tous les enfants de France
seront sensibilisés au temps long des grandes civilisations, ce
temps long cher à BRAUDEL, qui apporte le goût de la tolérance et
de l’humanisme. Mais revenir à ces fondamentaux, au cœur de notre
éducation, ce qui, parfois, avait été oublié. C’est aussi au
cœur de l’éducation, se redonner les moyens de lutter contre ce
qui, subrepticement, s’est installé, le ‘’tout se vaut’’,
l’immédiateté absolue, le relativisme qui corrompt tout. Mes
chers amis, ce sont pour les actes, et il faudra en rendre compte, et
j’en rendrai compte. C’est pour ça que ce soir, je voulais être
devant vous. Parce que l’antisémitisme n’est pas le problème
des Juifs. C’est le problème de la République.
C’est parce que ceux
qui pensent que l’antisémitisme ne concernerait que quelques-uns,
qu’une communauté dans la République, que ceux-là n’oublient
jamais notre histoire, communiquent ce que nous sommes.
L’antisémitisme, c’est tout simplement la haine de l’autre. Et
d’ailleurs, regardez bien les formes qu’il prend. La haine du
Juif, c’est tout à la fois la haine du communiste et du
capitaliste, la haine des forces extérieures et de l’ennemi de
l’intérieur. Ce sont toutes les haines additionnées.
L’antisémitisme a pris tous les visages, s’est nourri de tous
les extrêmes. Ca n’est la haine que d’un visage : celui de
l’autre, et qui plus est, un autre qui nous ressemble.
L’antisémitisme, c’est le problème de la République, parce
qu’il est cette haine d’avant-garde, mais qui s’accompagne
toujours du cortèges des autres haines auxquelles vous avez fait
référence, et dans les temps où nous parlons, ce sont ces autres
haines qui, derrière aussi, se réveillent : haine contre les
musulmans, racisme sous toutes ses formes, racisme anti LGBT, toutes
les formes de haines se réveillent avec, contre les élus, contre
l’autorité, contre le parlementarisme, contre le sacré, les
églises et toutes les religions, conte ce qui nous a fait.
Oui, pour toutes ces
raisons, l’antisémitisme, c’est la question de la République et
de la France. Parce qu’au cœur de nos histoires liées,
il y a tout ce qu’ils ne veulent plus voir. Je ne reprendrai pas
ici le cortège des grandes figures qui ont fait notre pays, de RACHI
jusqu’à BERGSON, PROUST, Simone VEIL, Robert BADINTER. La France
doit tant à celles et ceux qui l’ont ainsi construite, pas à pas,
lui ont appris l’universel, lui ont donné ce visage. Mais ce
qu’ignorent encore trop de nos concitoyens, dans notre pays, c’est
que depuis des siècles et des siècles, de grands Juifs, de grands
commentateurs des textes sacrés, ont été en France, qui ont dit
tant de ces textes, et sont connus à travers le monde, que les plus
grands commentateurs de la Bible et du Talmud, juifs, ont été dans
tous nos villages, et ont rendu parfois ces villages célèbres à
ceux qui n’ont jamais mis le pied en France. Eliezer DE TOUQUES,
Samuel BEN SALOMON de Falaise, Simbah de Vitry en Moselle, Samson ben
Isaac de Chinon, Moïse d’Evreux, Thérèse BEN ELIA de Corbeil,
Moïse de Coussy, Isaac BEN SAMUEL de Dampierre, Samson, de Sens,
Eliachim de Chalons, Jacob de Pont-Audemer, Matatia d’Avallon,
Salomon de Château-Landon, Meshoulam BEN NATHAN de Melun, Eliezer
BEN SAMUEL de Metz, Joseph Tobelem BONFILS de Limoges, Ayim BEN ISAAC
de La Rochelle, Menahem BEN SALOMON MERI de Perpignan, Jacob BEN
MAKIR de Montpellier, Aaron BEN PEREZ, d’Avignon, Abraham BEN
DAVID, de Narbonne, tant et tant de noms connus à travers le monde,
parce qu’ils ont dit quelque chose de la Bible, parce qu’ils ont
apporté à la connaissance universelle. Ils étaient de ces villages
et de ces villes qui sont notre pays.
Alors, quand j’entends comme vous « nous
sommes chez nous », dit par certains, qui voudraient que
ceux-là n’en soient pas, regardez notre histoire en face, pour
tout ce qu’elle est. L’Histoire de France est belle, de ses
universels croisés, de ses Juifs venus du bout du monde pour aimer
notre pays, tomber pour lui et le faire accéder à l’universel, et
de tous ses Français, qui ont voulu prendre, aimer et porter une
religion, parce qu’on pouvait la porter librement et avec fierté
dans notre pays. C’est cela, l’histoire des Juifs et de la
France, bien avant la République, bien avant même, qu’on commence
à parler de la France. C’est cela, ce que nous sommes. Nous sommes
chez nous. Nous tous. Hier, à Quatzenheim, j’ai eu honte. J’étais
avec les habitants de cette petite commune d’Alsace et j’avais
honte. Et nous avons regardé ces tombes souillées et je me suis
dit : « ce qu’ils veulent c’est, au fond, aller même
s’assurer que nul ne pourra reposer en paix. » A la honte
succède la colère. Celle de vouloir trouver tout de suite les
réponses. De répondre à la haine par une autre haine. Au fond,
j’ai dit aux habitants de la commune : « c’est vous le
vrai visage de cette commune. Nous allons laver les tombes » et
surtout leur dire combien ceux qui ont fait ça doivent avoir honte.
Ils ne sont pas la France. Ils ne sont pas les Français. Les tombes
des Français et Juifs tiennent notre sol comme les arbres plantés
pour eux. Ils sont enracinés, et cet enracinement, c’est notre
Nation. Alors oui, je le sais mes amis. Il y a dans ce moment-là
quelque chose d’ingrat pour la tâche qui est la nôtre. La
barbarie a une force. Elle est immédiate. Elle sidère. Elle fascine
certains. Et elle plonge dans la consternation, parfois l’accablement
des autres. Et la barbarie a une force incommensurable par rapport à
l’intelligence ou la construction d’une action rationnelle qui
est la nôtre. C’est précisément d’ailleurs cette force qu’elle
recherche.
Alors nous ne gagnerons pas ce combat en un jour ; mais je veux, ce soir, vous dire une chose. Nous ne nous habituerons jamais.
Nous aurons toujours l’exigence de vérité, de
liberté, de fraternité et d’intelligence qui est la seule réponse
à cette barbarie. L’exigence du courage qui doit être notre
mission. Celle des Républicains que nous sommes. Elle est plus
lente, parfois moins visible. Parfois nous trébucherons, mais n’y
cédons rien. Mes chers amis, vendredi dernier, j’ai reçu dans mon
bureau la mère d’Ilan HALIMI. Et elle avait, face à elle, un
tableau de Pierre SOULAGES. Je lui ai dit : « c’est ça
ce que nous avons à vivre. » Beaucoup pensait que le noir
n’était pas une couleur et qu’on ne pouvait rien en faire. Un
génie, centenaire cette année, a dit : « en travaillant
inlassablement le noir au pinceau, au couteau, en y tirant mes
lignes, en y mettant mes formes, j’y ferai vivre le soleil. J’y
ferai exister la lumière. » Et elle voyait sous ses yeux ce
tableau qui prenait vie. Et ce noir n’était plus noir. Il était
l’Outrenoir de SOULAGES. Nous n’effacerons pas le mal de notre
société, ni par une loi, ni par un discours, ni par un acte ;
mais nous devons être, tous ensemble, les combattants de cet
Outrenoir, de ces lignes de force, de ce courage inlassable, de cette
forme d’humanité et d’intelligence que nous devons donner, même
au noir qu’il y a dans notre société, parce qu’il est là ;
mais nous tiendrons, et à la fin, nous gagnerons.
Vive la République, et vive la France.
Crédit
photo : @Alain Azria
Source
: Site
Internet de l'Elysée
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