Chers
élus de notre pays, maintenant appelés à recomposer nos
institutions publiques,
permettez-moi de me joindre à
votre réflexion sur les textes qui vous sont proposés.
Ci-joint, pour situer ma contribution,
je vous prie de trouver le rappel de ma biographie, un
extrait du livre que j'ai publié au début de 2017 en vue de
notre élection présidentielle (II - nous ne sommes pas en démocratie), et
deux articles que j'ai signés dans Le Monde, anciens de
date mais que je crois suggestifs pour ce que vous examinez
: le quinquennat
contre la Constitution (la première tentative de
dévoiement de nos institutions : Georges Pompidou, automne
de 1973) et l'établissement de nos régions sans
particularisme ni jacobinisme, suggéré par le drame d'Aleria
et donc déjà la chère Corse (été de 1975 : les Français ont droit à la
différence).
Ce qui est textuellement proposé,
apparemment divers et disparate, au motif de modernité,
d'efficacité, d'exemplarité, d' "irréprochabilité" - déjà
invoqué en 2000 pour réduire la durée du mandat présidentiel
à celle du mandat de l'Assemblée nationale : la démocratie
par consultation plus fréquente, et en 2008 pour notamment
permettre au président de la République de s'adresser
personnellement au Congrès du Parlement, interdire
l'exercice de plus de deux mandats présidentiels
consécutifs, organiser l'exception d'inconstitutionnalité
devant les tribunaux et enfin l'initiative populaire du
referendum - peut se résumer à une volonté (présidentielle)
arrêtée : réduire au maximum le débat public, l'initiative
parlementaire et la participation des citoyens à la vie
nationale tout en banalisant la responsabilité personnelle
des ministres, tandis que les prérogatives présidentielles,
pratiquement illimitées aujourd'hui, ne donnent lieu à
aucune sanction hors une non-réélection. Du moins, la
préparation de l’opinion par rumeurs puis les rédactions de
maintenant, le donnent fortement à croire.
Laissez-moi, s'il vous plaît,
argumenter cette lecture - tristement mais ne demandant qu'à
être démenti ou nuancé par vous.
Réduire au maximum le débat
public ? c'est ce que je lis quand les assemblées ne
seront plus appelées à voter en séance plénière que le
résultat des travaux de leurs commissions (sauf à ce que
soit prévue la publicité des débats de ces commissions).
Quand la matière des amendements est strictement "encadrée",
projet qui fit au début de l'année la rumeur que démentit
ensuite le Premier ministre. Quand il est ambitionné de réduire
le nombre des députés - aussi arbitrairement que fut
décidé le "redécoupage" de nos régions au motif de les
rendre comparables aux Länder allemands (le Luxembourg, pas
plus petit que beaucoup de nos départements, Malte a
fortiori sont des Etats souverains, membres par eux-mêmes de
l'Organisation des Nations-Unies) - cela signifie un
éloignement des électeurs vis-à-vis de leurs élus et
évidemment un autre redécoupage, d'évidente influence sur
les élections à venir, celui des nouvelles circonscriptions.
Tel que vous le vivez et que nous le
voyons, le débat parlementaire se caractérise par
l'absentéisme de beaucoup d'entre vous, par une contrainte
de vos opinions et consciences (discipline de groupe,
ré-investiture en question pour la prochaine consultation).
Nous devrions instituer un quorum pour la validité de
quelque scrutin que ce soit, en quelque enceinte publique
nationale ou locale que ce soit. La liberté de vote, donc de
conscience (conformément à la Constitution qui interdit tout
mandat impératif). Seul, le vote de confiance, par
engagement de la responsabilité du gouvernement, serait de
contrainte et de logique : il serait rare et ce serait un
choix d’appartenance ou pas à un groupe, à une majorité
constituée ou de rencontre, ou pas. Au gouvernement et aux
élus de se convaincre mutuellement. Le pli pris par notre
pratique institutionnelle et l'étendue des prérogatives
gouvernementales, ainsi que celles du président de la
République (la dissolution, la convocation hors session
notamment, les demandes de nouvelles lectures à la majorité
qualifiée) sont tels que cette liberté de conscience - et
donc de vote - fortifiera la confiance des électeurs dans
leurs élus et pour l'ensemble de nos institutions, et ne
mettra en rien en cause ni la stabilité ni la continuité de
notre vie publique. Tels aussi que l'élection des députés à
la représentation proportionnelle n'est pas à redouter :
votre vie parlementaire gardera la même structure.
Représentation proportionnelle pour l'intégralité de la
composition de l'Assemblée nationale, opter - sans courage
ni logique autre qu'une démagogie inattendue - pour une
"simple dose", produirait des élus de deux sortes parmi
vous. La liberté de vote va avec la liberté d'amendement.
Toutes deux, dans vos assemblées comme pour l'ensemble des
Français, supposent la reconnaissance du vote blanc -
indication des électeurs que la question posée ou la
personnalité candidate, l'alternative-même souvent
manichéenne, ne leur convient pas et qu'une autre
présentation, une imagination sont souhaitées. Combiner
avec le vote blanc, un quorum des électeurs
inscrits et de l'effectif constitutionnel d'une ou de
l'autre assemblée parlementaire, c'est traiter les
Français en adultes, et ne pas confondre l'abstention
ou l'absentéisme avec une latitude accordée enfin de récuser
les termes d’un choix. La logique de cette possibilité
nouvelle d'une expression récusant le choix proposé par le
gouvernement, permettrait serait que le vote soit
obligatoire à peine de sanction financière. Vous savez que,
comparé à tous ses prédécesseurs, l'actuel président de la
République a été le moins bien "voté" au premier tour de son
élection, et que le renouvellement de l'Assemblée nationale
a été "boudé" par 52% des électeurs inscrits pour le premier
tour et 54% au second (cf. la 5ème des pièces jointes).
La souveraineté et la maturité de
l'électeur, celle-ci par hypothèse supposée en démocratie,
commandent qu'aucune limitation ne soit faite au nombre de
réélection dans un même mandat. En revanche, le non-cumul de
certains mandats doit être maintenu et même affiné de façon
à ce que le nombre de rôles à remplir effectivement soit le
plus grand possible, et que soit encouragé ainsi l'esprit
d'équipe. Il y a lieu de revenir sur la limitation du nombre
des mandats présidentiels consécutifs, introduite en 2008
dans un esprit analogue aux propositions de réduction de la
durée du mandat présidentiel : faciliter la réélection du
président en place en répliquant à l'argument de trop long
exercice, d’âge, de santé... Il peut d'ailleurs se produire
des circonstances telles, au moment où s'achève un mandat
présidentiel, que le pays souffrirait de voir éliminé de son
choix la seule personnalité d'expérience et de prestige
capable de faire face à ces circonstances : conflits
internationaux, ambiance de guerre civile, à Dieu ne plaise.
Et l'expérience aussi bien des présidents, élus depuis 2007,
que d'une législature de "cohabitation", montre que cinq
ans c'est trop court et qu'à peine arrivé à l'Elysée,
l'impétrant songe à davantage de temps au pouvoir. Revenir
au septennat rendrait ce temps au pouvoir, et d'autre part
romprait ce maléfice d'une coïncidence de dates et
d'ambiance entre le choix, par le peuple français, de son
président et celui de ses députés. L'expérience depuis 1981
montre qu'un renouvellement de l'Assemblée nationale suivant
directement une élection présidentielle, donne logiquement
au président élu (ou réélu : 1988) les moyens de ce pour
quoi il a été choisi et ne le désavoue pas aussitôt, logique
inaugurée en 1962 : le referendum gagné par de Gaulle contre
tous les anciens partis a produit la défaite de ceux-ci et
de leurs principaux chefs à l'élection législative anticipée
par la dissolution qu'avait provoquée le vote d'une motion
de censure. En revanche, l'actuel président a inauguré la
présente législature par un comportement défiance envers
celles et ceux-mêmes élus sur son nom puisqu'il a recouru
aux ordonnances. Il n'a pour autant pas fait gagner de temps
au pays puisque vous auriez pu travailler en session
exceptionnelle l'été dernier (tandis que l’habilitation n’a
été proposée qu’en Septembre) et que les décrets
d'application, publiés en Janvier 2018, l'auraient été à la
même date si un véritable débat, article par article avait
eu lieu. Et c'est ce débat, c'est l'initiative
parlementaire, c'est l'initiative populaire du referendum
qui enrichit les textes, ouvre des alternatives, fait
s'exercer l'imagination civique et nationale. De même,
l'électeur et l'interdiction de cumul des mandats devraient
nous dispenser - entre genres féminin ou masculin - de toute
discrimination positive ou de quotas pour les candidatures.
Les citoyens doivent pouvoir
proposer la loi, donc imposer le referendum aux pouvoirs
publics, quitte à ce que le gouvernement prenne ou non
position - comme en Suisse - mais sans pouvoir faire
opposition à la procédure, si le nombre de pétitionnaires
est avéré. La lettre actuelle du 3ème aliéna de l'article 11
de la Constitution donne toute latitude au gouvernement
d'éluder la consultation en transférant la décision au
Parlement. Une pétition, rassemblant plus de deux millions
et demi de signatures pour le maintien du service, en
l'espèce la Poste, n'a eu aucun débouché électoral.
Les citoyens doivent pouvoir, directement,
faire juger par le Conseil constitutionnel une loi qui ne
lui aurait pas été déférée par des parlementaires
avant sa promulgation. Les textes en vigueur laissent au
tribunal saisi par l'une des parties, le monopole de la
consultation du Conseil constitutionnel. Nous venons de
vivre le bel exemple d'un rappel par la haute juridiction du
principe constitutionnel de fraternité, s'agissant de la
solidarité envers les migrants. Impossible de concevoir
une juridiction criminelle et des assises sans jury
populaire, ainsi que cela est proposé - au motif de
"désembouteiller" nos tribunaux - en distinguant selon les
peines encourues (comment d'ailleurs connaître celles-ci a
priori ?). Supprimer la Cour de justice de la République
(actuel titre X de notre Constitution) en donnant compétence
aux juridictions de droit commun, c'est méconnaître que la
responsabilité pénale des membres du gouvernement n'est pas
celle de citoyens ordinaires, mais qu'elle est par nature
aggravée par l'exercice de si hautes et décisives fonctions
publiques. S'il est nécessaire d'innover à propos de la
responsabilité de nos dirigeants dans l'exercice de leurs
fonctions respectives, il nous faut considérer des
manquements graves, et souvent de conséquences
irréversibles, à l'intérêt national, au bien commun
et des atteintes à l'intégrité du patrimoine national
matériel et immatériel, quoique ce ne soit pas réprimé par
la loi. Nous vivons depuis trente ans la dilapidation
des acquis et de potentiels industriels de notre pays : les
pouvoirs publics n'en sont pas seuls responsables quoique la
nationalisation - pour un temps, financée par l'emprunt
national ou européen, avant de revenir aux acheteurs
d'actions replacées sur le marché - aurait du être leur
réflexe, les chefs d'entreprises, nos banques le sont
davantage encore. L'histoire a commencé avec l'imagerie
médicale de Thomson l'été de 1986 et ses actes les plus
récentes ont été la cession de ce qu'il restait d'Alstom ou
du privilège technologique et géographique de nos chantiers
navals à Saint-Nazaire, comme inauguration du quinquennat
actuel en politique industrielle. Cette désindustrialisation
du pays a pour effet que nous perdons des savoir-faire
propres souvent séculaires, des avances qui firent notre
performance commerciale et aussi la modernité de notre image
dans le monde. Elle s'accompagne résolument depuis un an du
démantèlement du service public et de la disparition du
secteur public à caractère industriel et commercial, donc
concurrentiel. Intérêt national méconnu, intérêt européen
pas débattu ou considéré, mais surtout manque de civisme des
dirigeants d'entreprises. Péchiney, Alcatel, Lafarge, notre
industrie textile, notre métallurgie, nos mines, nos
aéroports, nos trains, notre principal transporteur aérien,
le Club Méditerranée... mais aussi la trahison de l'esprit
fondateur de notre ancienne Ecole libre des Sciences
politiques, école des cadres de la nation pour pallier le
désastre de 1870-1871 devenue selon un de ses directeurs,
décédé sans être examiné, une façon (médiocre) d'Harvard sur
Seine - j'en oublie, pardonnez-le moi - doivent donner lieu
à des enquêtes d'histoire de ces établissements, de la
genèse des décisions prises et de la part des dirigeants
nominaux dans celles-ci. Une Cour d'honneur de la
République ou un ou plusieurs tribunaux d'honneur devraient
être institués jugeant du point de vue de l'intérêt national
et de l'honneur des dirigeants. Sanctions personnelles de
tous ordres et surtout flétrissure et dégradation. Que des
personnalités, dont la carrière gouvernementale a coïncidé
avec des complaisances manifestes, sur ordre ou pas du
président de la République régnant (affaires Tapie,
Bettencourt, hippodrome de Compiègne), aient encore
aujourd'hui un avenir plus brillant que leur passé et
fassent autorité dans le débat économique et financier,
n'est pas un exemple pour les jeunes générations. Que
d'anciens présidents de la République ou Premier ministres
soient les introducteurs du capital étranger dans nos
territoires ou pour s'approprier nos plus belles vitrines,
est un forfait.
La cohésion sociale, l'esprit et la
pratique d'un esprit de défense nationale - et européenne,
si nous sommes contagieux - implique un service
national, universel, filles et garçons qui ne soit pas
une période de quelques semaines, démesurément coûteuse et
lourde à organiser. Une défense opérationnelle du territoire
organisée et répétée d’avance, et laquelle – par des
périodes à la suisse – toutes les générations
participeraient, si nécessaire. Ce service n'est pas une
affiche de plus ou une promesse à tenir d’apparence, il est
impératif. Deux ans, militaire en première année,
coopération en seconde période, notamment pour nos
collectivités défavorisées, mais surtout pour les pays,
notamment d'Afrique subsaharienne, dont nous gardons la
responsabilité. Notre jeunesse mêlée à celle de ces pays,
éradiquera la corruption dont beaucoup de nos dirigeants
sont autant responsables que ceux d'Afrique (à telle
enseigne que certains de ces derniers financent notre propre
vie politique) et fera désirer une démocratie sincère. A
terme, notre sécurité se joue par ce service nouveau, par
cette mobilisation, par cette appréciation mutuelle entre
toutes origines et toutes inégalités apparentes.
En vous demandant d'excuser la
longueur de ce propos, je voudrais conclure par une
recommandation esthétique. A transformer notre Constitution
en panneau d'affichage, nous enlaidissons à plaisir ? notre
texte fondamental. A préparer les projets à huis clos (au
contraire du Conseil consultatif constitutionnel de 1958 ou
de la "commission Balladur" de 2007-2008), le gouvernement
et le président de la République manquent de sources et
d'imagination. Ainsi, la "question corse" est en réalité
celle de toutes les composantes de notre pays. Au lieu de
singulariser l'une d'elle dans la Constitution, inventons le
choix des citoyens pour les contours, les alliances et les
compétences propres de leurs collectivités locales
respectives, en sus de celles d’ordre public :
un Pays basque de la taille d'un de nos anciens
arrondissements mais pouvant s'associer en bien des domaines
aux Baques d'Espagne, les départements de Savoie former une
seule entité, capable d'inspirer une grande coopération
alpine telle qu'elle est attendue dans ce massif éminent de
l'Europe occidentale... évidemment la Bretagne historique
des cinq départements, et ainsi de suite. Enfin, notre
bicaméralisme parlementaire autant que nos engagements
européens et la nécessité d'un consensus économique et
social entre "décideurs" français, devraient inspirer une
planification quadriennale ou quinquennale comme les années
30 et le Conseil national de la Résistance, nous la firent
adopter à la Libération. Les grandes négociations se
feraient dans les commission du Plan, comme naguère, et le
Sénat ne serait pas seulement spécifique par son mode
d'élection mais selon des compétences qui manquent à notre
vie nationale.
Les Français aiment la République
parce que c'est leur bien commun accessible à tous et à
chacun. Tolérer qu'un seul décide de tout, y compris de la
nomination du chef de son parti (de Gaulle souhaitait en
Décembre 1958 que Paul Reynaud fût élu président de la
nouvelle Assemblée nationale, ceux-mêmes qui avaient été
élus sur son nom préférèrent Jacques Chaban-Delmas, son
candidat), que l'épouse du chef de l'Etat, improprement
appelée (à l'imitation des Etats-Unis, depuis Mamie
Eisenhower) "première dame", exerce des fonctions
officieuses d'influence en des domaines précis, n'est pas
notre esprit national, ni celui de nos institutions. Nos
rois ne décidaient qu'en conseil et l'administration
intérieure du pays n'était même pas l'apanage d'un ministre
seul, mais elle était délibérée en conseil des parties
(notre territoire subdivisé ad hoc en quatre parties).
Soucieux de sincérité, je crois
qu'examinant la pratique de nos institutions, vous vous
concertez aussi pour des propositions françaises afin que
l'Union européenne, elle aussi soit pratiquement
démocratique : si elle est si peu aimée aujourd'hui, c'est
bien parce que son fonctionnement n'est
qu'intergouvernemental. Une présidente ou un président de
l'Union européenne - élu au suffrage direct de tous les
citoyens européens - nous rendrait la responsabilité morale
et normative du monde actuel. Elle empêcherait par un appel
à l'ensemble des Européens les extrêmes et les manques de
solidarité.
J'espère en vous et ne suis pas le seul.
Nous devons retrouver
notre souplesse d'antan : ce sera vraiment nous.
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