dimanche 8 juillet 2018

circulaire aux parlementaires à l'occasion de la réforme constitutionnelle : retrouver l'esprit des nos institutions publiques

Chers élus de notre pays, maintenant appelés à recomposer nos institutions publiques,
permettez-moi de me joindre à votre réflexion sur les textes qui vous sont proposés.

Ci-joint, pour situer ma contribution, je vous prie de trouver le rappel de ma biographie, un extrait du livre que j'ai publié au début de 2017 en vue de notre élection présidentielle (II - nous ne sommes pas en démocratie), et deux articles que j'ai signés dans Le Monde, anciens de date mais que je crois suggestifs pour ce que vous examinez : le quinquennat contre la Constitution (la première tentative de dévoiement de nos institutions : Georges Pompidou, automne de 1973) et l'établissement de nos régions sans particularisme ni jacobinisme, suggéré par le drame d'Aleria et donc déjà la chère Corse (été de 1975 : les Français ont droit à la différence).

Ce qui est textuellement proposé, apparemment divers et disparate, au motif de modernité, d'efficacité, d'exemplarité, d' "irréprochabilité" - déjà invoqué en 2000 pour réduire la durée du mandat présidentiel à celle du mandat de l'Assemblée nationale : la démocratie par consultation plus fréquente, et en 2008 pour notamment permettre au président de la République de s'adresser personnellement au Congrès du Parlement, interdire l'exercice de plus de deux mandats présidentiels consécutifs, organiser l'exception d'inconstitutionnalité devant les tribunaux et enfin l'initiative populaire du referendum - peut se résumer à une volonté (présidentielle) arrêtée : réduire au maximum le débat public, l'initiative parlementaire et la participation des citoyens à la vie nationale tout en banalisant la responsabilité personnelle des ministres, tandis que les prérogatives présidentielles, pratiquement illimitées aujourd'hui, ne donnent lieu à aucune sanction hors une non-réélection. Du moins, la préparation de l’opinion par rumeurs puis les rédactions de maintenant, le donnent fortement à croire.

Laissez-moi, s'il vous plaît, argumenter cette lecture - tristement mais ne demandant qu'à être démenti ou nuancé par vous.

Réduire au maximum le débat public ? c'est ce que je lis quand les assemblées ne seront plus appelées à voter en séance plénière que le résultat des travaux de leurs commissions (sauf à ce que soit prévue la publicité des débats de ces commissions). Quand la matière des amendements est strictement "encadrée", projet qui fit au début de l'année la rumeur que démentit ensuite le Premier ministre. Quand il est ambitionné de réduire le nombre des députés - aussi arbitrairement que fut décidé le "redécoupage" de nos régions au motif de les rendre comparables aux Länder allemands (le Luxembourg, pas plus petit que beaucoup de nos départements, Malte a fortiori sont des Etats souverains, membres par eux-mêmes de l'Organisation des Nations-Unies) - cela signifie un éloignement des électeurs vis-à-vis de leurs élus et évidemment un autre redécoupage, d'évidente influence sur les élections à venir, celui des nouvelles circonscriptions.

Tel que vous le vivez et que nous le voyons, le débat parlementaire se caractérise par l'absentéisme de beaucoup d'entre vous, par une contrainte de vos opinions et consciences (discipline de groupe, ré-investiture en question pour la prochaine consultation). Nous devrions instituer un quorum pour la validité de quelque scrutin que ce soit, en quelque enceinte publique nationale ou locale que ce soit. La liberté de vote, donc de conscience (conformément à la Constitution qui interdit tout mandat impératif). Seul, le vote de confiance, par engagement de la responsabilité du gouvernement, serait de contrainte et de logique : il serait rare et ce serait un choix d’appartenance ou pas à un groupe, à une majorité constituée ou de rencontre, ou pas. Au gouvernement et aux élus de se convaincre mutuellement. Le pli pris par notre pratique institutionnelle et l'étendue des prérogatives gouvernementales, ainsi que celles du président de la République (la dissolution, la convocation hors session notamment, les demandes de nouvelles lectures à la majorité qualifiée) sont tels que cette liberté de conscience - et donc de vote - fortifiera la confiance des électeurs dans leurs élus et pour l'ensemble de nos institutions, et ne mettra en rien en cause ni la stabilité ni la continuité de notre vie publique.  Tels aussi que l'élection des députés à la représentation proportionnelle n'est pas à redouter : votre vie parlementaire gardera la même structure. Représentation proportionnelle pour l'intégralité de la composition de l'Assemblée nationale, opter - sans courage ni logique autre qu'une démagogie inattendue - pour une "simple dose", produirait des élus de deux sortes parmi vous. La liberté de vote va avec la liberté d'amendement. Toutes deux, dans vos assemblées comme pour l'ensemble des Français, supposent la reconnaissance du vote blanc - indication des électeurs que la question posée ou la personnalité candidate, l'alternative-même souvent manichéenne, ne leur convient pas et qu'une autre présentation, une imagination sont souhaitées. Combiner avec le vote blanc, un quorum des électeurs inscrits et de l'effectif constitutionnel d'une ou de l'autre assemblée parlementaire, c'est traiter les Français en adultes, et ne pas confondre l'abstention ou l'absentéisme avec une latitude accordée enfin de récuser les termes d’un choix. La logique de cette possibilité nouvelle d'une expression récusant le choix proposé par le gouvernement, permettrait serait que le vote soit obligatoire à peine de sanction financière. Vous savez que, comparé à tous ses prédécesseurs, l'actuel président de la République a été le moins bien "voté" au premier tour de son élection, et que le renouvellement de l'Assemblée nationale a été "boudé" par 52% des électeurs inscrits pour le premier tour et 54% au second (cf. la 5ème des pièces jointes).

La souveraineté et la maturité de l'électeur, celle-ci par hypothèse supposée en démocratie, commandent qu'aucune limitation ne soit faite au nombre de réélection dans un même mandat. En revanche, le non-cumul de certains mandats doit être maintenu et même affiné de façon à ce que le nombre de rôles à remplir effectivement soit le plus grand possible, et que soit encouragé ainsi l'esprit d'équipe. Il y a lieu de revenir sur la limitation du nombre des mandats présidentiels consécutifs, introduite en 2008 dans un esprit analogue aux propositions de réduction de la durée du mandat présidentiel : faciliter la réélection du président en place en répliquant à l'argument de trop long exercice, d’âge, de santé... Il peut d'ailleurs se produire des circonstances telles, au moment où s'achève un mandat présidentiel, que le pays souffrirait de voir éliminé de son choix la seule personnalité d'expérience et de prestige capable de faire face à ces circonstances : conflits internationaux, ambiance de guerre civile, à Dieu ne plaise. Et l'expérience aussi bien des présidents, élus depuis 2007, que d'une législature de "cohabitation", montre que cinq ans c'est trop court et qu'à peine arrivé à l'Elysée, l'impétrant songe à davantage de temps au pouvoir. Revenir au septennat rendrait ce temps au pouvoir, et d'autre part romprait ce maléfice d'une coïncidence de dates et d'ambiance entre le choix, par le peuple français, de son président et celui de ses députés. L'expérience depuis 1981 montre qu'un renouvellement de l'Assemblée nationale suivant directement une élection présidentielle, donne logiquement au président élu (ou réélu : 1988) les moyens de ce pour quoi il a été choisi et ne le désavoue pas aussitôt, logique inaugurée en 1962 : le referendum gagné par de Gaulle contre tous les anciens partis a produit la défaite de ceux-ci et de leurs principaux chefs à l'élection législative anticipée par la dissolution qu'avait provoquée le vote d'une motion de censure. En revanche, l'actuel président a inauguré la présente législature par un comportement défiance envers celles et ceux-mêmes élus sur son nom puisqu'il a recouru aux ordonnances. Il n'a pour autant pas fait gagner de temps au pays puisque vous auriez pu travailler en session exceptionnelle l'été dernier (tandis que l’habilitation n’a été proposée qu’en Septembre) et que les décrets d'application, publiés en Janvier 2018, l'auraient été à la même date si un véritable débat, article par article avait eu lieu. Et c'est ce débat, c'est l'initiative parlementaire, c'est l'initiative populaire du referendum qui enrichit les textes, ouvre des alternatives, fait s'exercer l'imagination civique et nationale. De même, l'électeur et l'interdiction de cumul des mandats devraient nous dispenser - entre genres féminin ou masculin - de toute discrimination positive ou de quotas pour les candidatures.


Les citoyens doivent pouvoir proposer la loi, donc imposer le referendum aux pouvoirs publics, quitte à ce que le gouvernement prenne ou non position - comme en Suisse - mais sans pouvoir faire opposition à la procédure, si le nombre de pétitionnaires est avéré. La lettre actuelle du 3ème aliéna de l'article 11 de la Constitution donne toute latitude au gouvernement d'éluder la consultation en transférant la décision au Parlement. Une pétition, rassemblant plus de deux millions et demi de signatures pour le maintien du service, en l'espèce la Poste, n'a eu aucun débouché électoral.

Les citoyens doivent pouvoir, directement, faire juger par le Conseil constitutionnel une loi qui ne lui aurait pas été déférée par des parlementaires avant sa promulgation. Les textes en vigueur laissent au tribunal saisi par l'une des parties, le monopole de la consultation du Conseil constitutionnel. Nous venons de vivre le bel exemple d'un rappel par la haute juridiction du principe constitutionnel de fraternité, s'agissant de la solidarité envers les migrants. Impossible de concevoir une juridiction criminelle et des assises sans jury populaire, ainsi que cela est proposé - au motif de "désembouteiller" nos tribunaux - en distinguant selon les peines encourues (comment d'ailleurs connaître celles-ci a priori ?). Supprimer la Cour de justice de la République (actuel titre X de notre Constitution) en donnant compétence aux juridictions de droit commun, c'est méconnaître que la responsabilité pénale des membres du gouvernement n'est pas celle de citoyens ordinaires, mais qu'elle est par nature aggravée par l'exercice de si hautes et décisives fonctions publiques. S'il est nécessaire d'innover à propos de la responsabilité de nos dirigeants dans l'exercice de leurs fonctions respectives, il nous faut considérer des manquements graves, et souvent de conséquences irréversibles, à l'intérêt national, au bien commun et des atteintes à l'intégrité du patrimoine national matériel et immatériel, quoique ce ne soit pas réprimé par la loi. Nous vivons depuis trente ans la dilapidation des acquis et de potentiels industriels de notre pays : les pouvoirs publics n'en sont pas seuls responsables quoique la nationalisation - pour un temps, financée par l'emprunt national ou européen, avant de revenir aux acheteurs d'actions replacées sur le marché - aurait du être leur réflexe, les chefs d'entreprises, nos banques le sont davantage encore. L'histoire a commencé avec l'imagerie médicale de Thomson l'été de 1986 et ses actes les plus récentes ont été la cession de ce qu'il restait d'Alstom ou du privilège technologique et géographique de nos chantiers navals à Saint-Nazaire, comme inauguration du quinquennat actuel en politique industrielle. Cette désindustrialisation du pays a pour effet que nous perdons des savoir-faire propres souvent séculaires, des avances qui firent notre performance commerciale et aussi la modernité de notre image dans le monde. Elle s'accompagne résolument depuis un an du démantèlement du service public et de la disparition du secteur public à caractère industriel et commercial, donc concurrentiel. Intérêt national méconnu, intérêt européen pas débattu ou considéré, mais surtout manque de civisme des dirigeants d'entreprises. Péchiney, Alcatel, Lafarge, notre industrie textile, notre métallurgie, nos mines, nos aéroports, nos trains, notre principal transporteur aérien, le Club Méditerranée... mais aussi la trahison de l'esprit fondateur de notre ancienne Ecole libre des Sciences politiques, école des cadres de la nation pour pallier le désastre de 1870-1871 devenue selon un de ses directeurs, décédé sans être examiné, une façon (médiocre) d'Harvard sur Seine - j'en oublie, pardonnez-le moi - doivent donner lieu à des enquêtes d'histoire de ces établissements, de la genèse des décisions prises et de la part des dirigeants nominaux dans celles-ci. Une Cour d'honneur de la République ou un ou plusieurs tribunaux d'honneur devraient être institués jugeant du point de vue de l'intérêt national et de l'honneur des dirigeants. Sanctions personnelles de tous ordres et surtout flétrissure et dégradation. Que des personnalités, dont la carrière gouvernementale a coïncidé avec des complaisances manifestes, sur ordre ou pas du président de la République régnant (affaires Tapie, Bettencourt, hippodrome de Compiègne), aient encore aujourd'hui un avenir plus brillant que leur passé et fassent autorité dans le débat économique et financier, n'est pas un exemple pour les jeunes générations. Que d'anciens présidents de la République ou Premier ministres soient les introducteurs du capital étranger dans nos territoires ou pour s'approprier nos plus belles vitrines, est un forfait.

La cohésion sociale, l'esprit et la pratique d'un esprit de défense nationale - et européenne, si nous sommes contagieux - implique un service national, universel, filles et garçons qui ne soit pas une période de quelques semaines, démesurément coûteuse et lourde à organiser. Une défense opérationnelle du territoire organisée et répétée d’avance, et laquelle – par des périodes à la suisse – toutes les générations participeraient, si nécessaire. Ce service n'est pas une affiche de plus ou une promesse à tenir d’apparence, il est impératif. Deux ans, militaire en première année, coopération en seconde période, notamment pour nos collectivités défavorisées, mais surtout pour les pays, notamment d'Afrique subsaharienne, dont nous gardons la responsabilité. Notre jeunesse mêlée à celle de ces pays, éradiquera la corruption dont beaucoup de nos dirigeants sont autant responsables que ceux d'Afrique (à telle enseigne que certains de ces derniers financent notre propre vie politique) et fera désirer une démocratie sincère. A terme, notre sécurité se joue par ce service nouveau, par cette mobilisation, par cette appréciation mutuelle entre toutes origines et toutes inégalités apparentes.

En vous demandant d'excuser la longueur de ce propos, je voudrais conclure par une recommandation esthétique. A transformer notre Constitution en panneau d'affichage, nous enlaidissons à plaisir ? notre texte fondamental. A préparer les projets à huis clos (au contraire du Conseil consultatif constitutionnel de 1958 ou de la "commission Balladur" de 2007-2008), le gouvernement et le président de la République manquent de sources et d'imagination. Ainsi, la "question corse" est en réalité celle de toutes les composantes de notre pays. Au lieu de singulariser l'une d'elle dans la Constitution, inventons le choix des citoyens pour les contours, les alliances et les compétences propres de leurs collectivités locales respectives, en sus de celles d’ordre public : un Pays basque de la taille d'un de nos anciens arrondissements mais pouvant s'associer en bien des domaines aux Baques d'Espagne, les départements de Savoie former une seule entité, capable d'inspirer une grande coopération alpine telle qu'elle est attendue dans ce massif éminent de l'Europe occidentale... évidemment la Bretagne historique des cinq départements, et ainsi de suite. Enfin, notre bicaméralisme parlementaire autant que nos engagements européens et la nécessité d'un consensus économique et social entre "décideurs" français, devraient inspirer une planification quadriennale ou quinquennale comme les années 30 et le Conseil national de la Résistance, nous la firent adopter à la Libération. Les grandes négociations se feraient dans les commission du Plan, comme naguère, et le Sénat ne serait pas seulement spécifique par son mode d'élection mais selon des compétences qui manquent à notre vie nationale.

Les Français aiment la République parce que c'est leur bien commun accessible à tous et à chacun. Tolérer qu'un seul décide de tout, y compris de la nomination du chef de son parti (de Gaulle souhaitait en Décembre 1958 que Paul Reynaud fût élu président de la nouvelle Assemblée nationale, ceux-mêmes qui avaient été élus sur son nom préférèrent Jacques Chaban-Delmas, son candidat), que l'épouse du chef de l'Etat, improprement appelée (à l'imitation des Etats-Unis, depuis Mamie Eisenhower) "première dame", exerce des fonctions officieuses d'influence en des domaines précis, n'est pas notre esprit national, ni celui de nos institutions. Nos rois ne décidaient qu'en conseil et l'administration intérieure du pays n'était même pas l'apanage d'un ministre seul, mais elle était délibérée en conseil des parties (notre territoire subdivisé ad hoc en quatre parties).

Soucieux de sincérité, je crois qu'examinant la pratique de nos institutions, vous vous concertez aussi pour des propositions françaises afin que l'Union européenne, elle aussi soit pratiquement démocratique : si elle est si peu aimée aujourd'hui, c'est bien parce que son fonctionnement n'est qu'intergouvernemental. Une présidente ou un président de l'Union européenne - élu au suffrage direct de tous les citoyens européens - nous rendrait la responsabilité morale et normative du monde actuel. Elle empêcherait par un appel à l'ensemble des Européens les extrêmes et les manques de solidarité.

J'espère en vous et ne suis pas le seul. Nous devons retrouver notre souplesse d'antan : ce sera vraiment nous.

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