vendredi 30 mars 2012

un combat de quarante ans - dix ans de campagne grâce au journal Le Monde

Du oui au non


Notre propos ne s’adresse ni aux communistes ni aux « centristes » dont la position est conforme à une politique qui leur est à chacun traditionnelle ; il vise ceux qui ont constamment fait campagne ou voté pour le général de Gaulle. On s’apprête à les mobiliser ou à leur demander un vote positif pour ce que le prochain referendum s’inscrit dans la politique européenne du général et pour ce qu’il conforte les institutions de la V° République. Nous voudrions un instant leur faire se demander s’ils vont agir en parfaite fidélité à eux-mêmes…

Personne ne sait ce qu’aurait fait ou dit le général de Gaulle s’il était resté en vie et au pouvoir. Mais ce que l’on sait, c’est que, lors de chaque consultation, son action passée garantissait que sa politique future serait la plus française possible. Cette conviction, son successeur l’inspire-t-il aujourd’hui ?

La matière du projet soumis à referendum est floue, quel que soit son futur intitulé. Les consultations précédentes portaient sur un projet précis de l’exécution duquel le gouvernement était capable : mettre en œuvre une Constitution ou l’adapter, appliquer une politique en Algérie, instituer de nouvelles collectivités locales et rénover le Sénat, tout cela dépendait du strict vouloir français. L’évolution du continent européen et sa détermination politique ne dépendent évidemment pas que de Paris et les résultats de politique extérieure « obtenus » depuis trois ans ne permettent en rien de conclure ni à l’apparition d’une conscience et d’un vouloir européens face notamment aux pressions américaines, ni même que la seule France ait fait valoir son point de vue de manière décisive : de l’approfondissement de la Communauté, qui devait aller de pair avec son élargissement, on cherche en vain le moindre signe ; sur la crise monétaire – dont on avait voulu faire croire qu’elle s’était réglée aux Açores quand les décisions avaient été prises à Dix deux semaines auparavant et quand ces mesures, d’ailleurs partielles, ne sont toujours guère appliquées, – le président s’est montré fort circonscpect. C’était pourtant les deux seuls domaines dans lesquels il avait pris l’initiative, car on ne peut dire que l’entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté soit une politique imposée par la France à ses partenaires ou à l’Amérique !

Quant à l’avenir de la politique européenne du président, les vues de ceux qui la supportent semblent contradictoires : MM. Tomasini et Lecanuet ne oeuvent avoir tous les deux en même temps raison ; et quant à l’installation à Paris d’un secrétariat politique européen que l’on fait miroiter au coq gaulois, remarquons que ni les Allemands ni les Anglais ne se prononcent sur son siège ; d’ailleurs, qui prétendrait que pour être installé à Roquencourt le SHAPE faisiat perdre à l’OTAN son caractère intégrant et supranational ? On nous répondra alors q u’à défaut de consacrer une politique encore incertaine et ne dépendant pas que de nous, le référendum doit conforter le régime en légitimant un homme d’Etat qui fit ses armes sous de Gaulle et dont l’autorité personnelle s’est depuis assise au témoignage de tous.

Relevons d’abord que la V° République, c’est une politique autant que des instsitutions, et que ces dernières n’ont jamais consisté en l’omnipotence du chef de l’Etat et en l’effacement du Premier ministre réduit à faire valoir une « nouvelle société » à laquelle ni l’Elysée ni aucun membre du gouvernement ne font écho ; encore moins en un système dont les hantises sont la prochaine échéance électorale et les supputations sur le futur remaniement ministériel.

Quant à la politique, sans s’appesantir sur ce que le Premier ministre, en place depuis Avril 1962, fut remercié en juillet 1968 et que ses déclarations à Rome et à Genève ne furent pas indifférentes dans l’issue de la consultation du 27 Avril 1969, le nouveau président de la République n’a accompli aucune des réformes préconisées par son prédécesseur et surtout réclamées par la situation de notre pays depuis 1968 : le projet de réforme régionale est timide et lointain, la fonction publique plus rigide que jamais à l’intérieur d’elle-même et vis-à-vis des administrés, la condition salariale inchangée et le pouvoir de l’argent plus étalé et insolent que jamais. Significativement, l’ancien Premier ministre du général, rendant compte d’une gestion de dix ans, n’a regretté de sa politique passée que les deux seuls points que les Mémoires d’espoir avaient eu le temps de stigmatiser : au sujet de la grève des mineurs et du plan de stabilisation.

On nous représentera alors que votre non c’est voter comme les communistes, ou même voter communiste ! Mais, à y regarder de près – et sauf deux ou trois réconfortantes exceptions, – sont-ce les fidèles du général ou les gens du parti qui prirent position contre la dévaluation de 1969, qui dénoncèrent les faux-semblants d’une politique contractuelle ne changeant en rien la nature de la condition ouvrière, qui posèrent les vraies questions sur les entretiens des Açores, sur les relations entre la France et l’OTAN, sur l’attitude de Paris envers les événéments d’Indochine ?

On nous accusera enfin de pratiquer la politique du pire. Mais le pire n’est-il pas la confusion des esprits, le travesti d’une politique de dix ans qu’on prétend continuer, voire même incarner, et, à tout prendre une éventuelle crise – et même, ce qu’à Dieu ne plaise, ses excès – ne fait-elle pas la lumière dans les esprits, comme on le constata le 30 Mai 1968 ? Déjà le 28 Avril 1969, à l’exemple de leur chef, les gaullistes auraient dpû laisser devant les conséquences de leur « non » ceux qui l’avaient voulu, au lieu de leur en dissimuler la portée par le replâtrage de Juin : c’eût été la démocratie ! De cette seconde « traversée du désert », personne ne voulut et ne veut encore, parmi ceux qui depuis 1958 ont fait carrière : l’électoralisme est devenu le régime politque de la France. Etre en place ou ne pas être ! Il n’est pas sûr qu’à la longue un jeu qui peut-être satisfait ma classe des politiques et des nantis ne lasse le peuple et qu’une marmite dont le couvercle est vissé, après avoir longtemps tenu, n’explose. Quand et où l’on ne s’y attendra pas.


Le Monde . 30 Mars 1972


Cet article a une histoire et des conséquences. L’histoire puisque je le rédige en réaction immédiate à la conférence de presse au cours de laquelle Georges Pompidou annonce un referendum sur l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, qui se tiendra à la saint-Georges. Je l’adresse au journal Le Monde qui m’a refusé deux papiers précédemment, dont l’un sur la Libye, et ne m’a donc jamais encore publié. Un entrefilet le 26 Mai 1971 a rendu compte de mon dépit d’avoir été invité à faire public lors d’un débat entre Christian Fouchet et Michel Rocard mais sans avoir pu poser à chacun la question que j’avais médité en les entendant. Aucune des personnalités gaullistes ne conteste le projet de Georges Pompidou, qu’elle soit ou non au pouvoir. Je téléphone au journal, obtient Pierre Viansson-Ponté, l’assure que si le papier n’est pas publié, je le transforme en tract et le distribue à la sortie des métro. L’article est publié dans l’édition datée du 30 Mars. Il est aussi repris par l’Humanité, dont je rencontrai dès lors régulièrement le rédacteur en chef, René Andrieu. La Croix commença alors de me publier, Combat aussi dans sa dernière année d’existence. Je vis Serge July projetant Libération mais n’y fus pas admis. Ayant adressé – en défense de Jacques Chaban-Delmas – un nouveau papier au Monde en même temps qu’au Nouvel Observateur qui l’avait programmé quand le quotidien le publiant le premier. Sans cet impair, serai-je aujourd’hui publié par Jean Daniel ? peut-être, mais l’ouverture du Monde tint à cette exclusivité.

Les conséquences sont nombreuses. Le président de la République, dont ke projet est boudé par une partie des électeurs à l’appel du Parti socialiste, se convainc que ce sont des voix gaullistes qui lui ont fait défaut. Le procès en fidélité que je vais mener à charge contre lui jusqu’à sa mort, deux ans plus tard, l’atteindra – ce qui, rétrospectivement, est à son honneur. J’en ai pris acte précisément dès le 3 Avril 1974. Le Monde, dirigé par Jacques Fauvet, est heureux de ma critique d’un président qu’il ne prise pas et selon des arguments – la fidélité à de Gaulle – qui n’ont pas été les siens jusques là. Je ne suis donc pas inutile.

Pour moi, s’ouvre une période de dix ans pendant laquelle, même si je ne suis ni élu ni conseiller du prince, mes opinions sont assez notoires pour parfois peser. Les radios les reprennent, parfois même la presse écrite étrangère. Ma signature est à mes débuts de publiciste, précisé par ma qualité d’ancien élève de l’E.N.A. Elle suscite des démarches hostiles de camarades contemporains ou aînés. Ma carrière de conseiller commercial dans les ambassades ne commence que trois ans et demi plus tard, sur instruction de Valéry Giscard d’Estaing, pensant que mon éloignement casserait ma plume. Il n’en fut rien, c’est le seul départ à une première retraite de Jacques Fauvet qui m’imposa le silence : malgré moi car j’ai continué d’écrire opinion ou proposition en politique depuis cette époque quoiqu’à compter d’Avril 1982, les colonnes du prestigieux « quotidien du soir » ne me furent plus jamais rouvertes…


9 XII 11

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