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Publié le 13 Mars 2023
Dans cet édito, le Président du Crif, Yonathan Arfi, nous livre son "regard juif de France sur la crise en Israël".
Qu'est-ce qu'un État juif et démocratique ? Parce que le sionisme s'est toujours conjugué au pluriel, les Israéliens n’ont jamais apporté de réponse définitive à cette question, privilégiant pragmatisme et compromis. Pas de Constitution, donc, mais depuis 75 ans un dialogue permanent sur les contours de l'État d’Israël.
C’est précisément ce sens du compromis et le désir d’un avenir partagé qui paraissent s’effacer dans la crise actuelle, marquée par une dramaturgie inédite.
Pour beaucoup de Juifs de Diaspora, dont je suis, la première réaction fut d’abord une volonté d’observation : non pas un regard d’indifférence mais, comme je l’ai dit lors du Dîner du Crif, celui de l’observateur attentif et initialement confiant dans la capacité d’Israël à trouver rapidement son point d’équilibre, dans le respect de ses valeurs à la fois juives et démocratiques.
Quelques semaines plus tard, force est de constater que la division persiste et que la question n’est plus de déterminer les modalités techniques de telle ou telle proposition politique, – qu’il ne m’appartiendrait pas de commenter – mais devient un débat fondamental concernant la définition-même de l'État d'Israël comme État juif et démocratique.
Comment l’État qui incarne l’émancipation nationale des Juifs définit-il sa démocratie et sa place au sein des grandes démocraties libérales dans le monde ? Quelle définition des Juifs doit servir de fondement à la Loi du retour, ouvrant droit à l’immigration en Israël ? Comment se définit le caractère juif de l’État-Nation du peuple juif ? Ces questions sont aussi celles de la Diaspora qui doit apporter sa contribution au débat.
C’est en Diaspora que le rêve sioniste a été élaboré d’abord en utopie puis en projet. La Diaspora doit se tenir loin de la vie politique israélienne au sens partisan du terme, mais elle porte en elle quelques messages intemporels pour le peuple juif, à même d’éclairer la crise actuelle en Israël.
Depuis quelques semaines, des voix juives françaises livrent des analyses divergentes de la crise en Israël. La responsabilité du Crif est de faire vivre un débat honnête, constructif et apaisé au sein du judaïsme français.
Pour la Diaspora, être Juif, c’est notamment la conscience de ce que nous devons à la démocratie libérale et à l’État de droit. La condition juive à travers l’histoire ne peut s’épanouir sereinement que dans des démocraties (Israël, États-Unis, Europe occidentale…), vers lesquelles ont peu à peu migré l’immense majorité des Juifs au XXème siècle. Et l’honneur d’Israël est d’être l’un des seuls États au Monde à s’être directement constitué en démocratie.
La démocratie, on le sait, c’est bien-sûr des élections mais c’est aussi une presse libre, un tissu associatif vivant, des contrepouvoirs effectifs. Aujourd’hui comme hier, sa vitalité démocratique fait la force d’Israël.
Mais comme toutes les démocraties, elle peut faillir. Elle s’affaiblit lorsque l’État de droit est débordé par une minorité lors des inacceptables violences à Hawara en vengeance de l’attentat commis quelques heures plus tôt. Quels que soient le deuil et la colère, ces émeutes ont été une atteinte insupportable à la fois aux principes démocratiques et aux valeurs juives. Elle s’affaiblit aussi lorsque surgissent des discours populistes, stigmatisants et haineux dans le débat public israélien et ce jusque dans les propos de certains ministres en poste. Ils ne sont acceptables dans aucune démocratie. Ce n’est pas un jugement politique que de le dire. C’est une position morale que nous tenons en France, en Israël comme partout ailleurs.
Mais c’est aussi ma responsabilité de rappeler à tous le très large mouvement de condamnation de ces émeutes, depuis les plus hautes autorités de l’État en Israël (Premier ministre, Président de l’État…) jusqu’à la majorité des citoyens. Aucune démocratie au monde ne peut savoir ce qu’elle ferait, confrontée comme l’est Israël au terrorisme permanent et à la volonté de ses ennemis de la détruire. Israël est de ce point de vue devenu aujourd’hui le laboratoire des démocraties.
Parce que la haine d’Israël, qui n’a pas attendu la composition de tel ou tel gouvernement israélien, est par essence antisémite, je m’opposerai avec force à tous ceux qui instrumentaliseront la crise actuelle pour délégitimer Israël dans le débat en France. C’est là aussi une question de principes sur lesquels on ne transige pas.
Mais Israël doit surtout retrouver le sens du dialogue et du compromis qui lui a toujours permis de dépasser ses divisions. Israël n'échappera pas à cette règle de (sur)vie. Et je veux ici exprimer nos voeux de succès à la démarche du Président Herzog de réunir majorité et opposition pour parvenir, au-delà des clivages politiques, à une solution de consensus.
Alors que le pays fait face à une nouvelle vague de terrorisme et que l’Iran est au seuil de l’arme nucléaire, la solidarité des Français juifs avec Israël ne doit pas faiblir dans ces heures de crise : au contraire, elle s’accroît avec la conviction que c’est dans leur héritage à la fois juif et démocratique que les Israéliens retrouveront un modus vivendi.
Yonathan Arfi, Président du Crif
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