D'une famille noble provinciale qui possédait des biens dans le
gouvernement
de Grodno (aujourd’hui en Biélorussie),
apparentée au général Souvorov,
Stolypine se rattachait également, par son père, au poète Mikhaïl
Lermontov, dont la grand-mère qui l'éleva
était née Stolypine. La famille possédait le château
de Serednikovo près de Moscou.
À sa naissance, le 14
avril
1862
à Dresde,
son père représentait la Russie auprès du grand-duc de Bade. Il
reçut une bonne éducation, étudia l'agronomie à l’université
impériale de Saint-Pétersbourg sous la
direction de Mendeleïev2
puis entra au service de l’État, ce qui était une tradition
familiale. En 1884, il épousa Olga Borissovna Neidhardt, ancienne
fiancée de son frère aîné Mikhaïl, mort après un duel, et qui,
sur son lit de mort, lui avait recommandé de s’occuper d’elle.
Ils devaient avoir cinq filles et un fils.
Parcours
politique
Débuts
En 1902, il fut nommé gouverneur de la province de Grodno puis en
1903 de Saratov
et la manière énergique dont il parvint à maintenir l’ordre au
cours de la Révolution
de 1905, attirèrent sur lui l’attention de
l'empereur. Stolypine est le premier gouverneur à utiliser des
méthodes policières modernes contre ceux qui pourraient être
suspectés d'implication dans les troubles. Il fut d'abord nommé
ministre de l'Intérieur en mai 1906 par le Premier ministre3
Ivan
Goremykine. Peu après, Nicolas II le choisit
pour remplacer Goremykine.
Premier
ministre
Période de troubles
Attentat contre Stolypine, en août
1906.
Lors de sa nomination à la tête du gouvernement en 1906, la Russie
était en proie à des troubles révolutionnaires et le
mécontentement était grand dans la population. Des organisations
socialistes (sociales-démocrates ou bolchéviques) et anarchistes
(parfois nihilistes) menaient des campagnes contre l'autocratie
et bénéficiaient d'un large soutien ; partout en Russie, les
fonctionnaires de la police et les bureaucrates étaient assassinés.
En août 1906, des terroristes déguisés en gendarmes lancent des
porte-documents remplis d'explosifs dans sa datcha,
située sur l'île d'Aptékarsky, à Saint-Pétersbourg ;
l'explosion fit vingt-sept morts et de nombreux blessés, parmi
lesquels le jeune fils de Stolypine et une de ses filles4.
Pour répondre à ces attaques, Stolypine constitua un système de
tribunaux militaires qui permettait l'arrestation et le procès
expéditif des civils dont la culpabilité relative à la commission
de crimes particulièrement graves était manifeste4.
Si l'accusé était condamné à mort, la sentence était exécutée
dans les vingt-quatre heures sans possibilité d'appel5.
Plus de 3 000 suspects furent ainsi condamnés et exécutés
de 1906 à 1909 sous le système de Stolypine. On parla parfois de
« terreur stolypienne »4
et le gibet reçut même le surnom de « cravate de
Stolypine »6.
Mesures libérales
En octobre 1906, Stolypine proposa à l'empereur des mesures d'un
libéralisme prudent pour lever certaines restrictions qui pesaient
sur les juifs7,8 ;
il y travailla pendant deux mois avec ses ministres avant de
proposer les mesures au début de décembre. Le 10 décembre,
Nicolas II lui répondit qu'il rejetait ses propositions en disant :
« Jusqu'ici, ma conscience ne m'a jamais trompé. C'est
pourquoi, encore une fois, j'ai l'intention de suivre ce qu'elle
m'ordonne. » En insistant, Stolypine finit par arracher un
consentement ; l'affaire fut renvoyée à la Douma, mais aucune
des trois Doumas ne trouva le temps de l'examiner, et l'empereur se
garda bien de les y obliger.
Confrontation avec la Douma
La Révolution
de 1905 avait contraint Nicolas II à
concéder, du bout des lèvres, la création d’un parlement, la
Douma
d'État de l'Empire russe. La première Douma
(dite « Douma de la vindicte populaire9 »)
loin de se montrer un docile instrument du pouvoir, ne manifestait
aucune bonne volonté pour collaborer avec le gouvernement.
Stolypine fit dissoudre cette première Douma dès le 9 juillet 1906
(22
juillet
1906
dans
le calendrier grégorien). Pour étouffer la
contestation, il chercha à éliminer certaines causes du
mécontentement de la paysannerie. C'est ainsi qu'il présenta ses
propres réformes foncières. La plus importante de ces réformes
permettait, par décret du 22
novembre
1906
aux paysans de quitter le mir,
système traditionnel et archaïque de distribution locale des
terres qui décourageait d'apporter des améliorations aux terres,
l'auteur de l'amélioration n'étant pas assuré d'en bénéficier.
En quittant le mir, le paysan pouvait devenir propriétaire,
ce qui dans l'idée de Stolypine, le rendrait prospère et donc
loyal. Plusieurs millions de paysans partirent ainsi coloniser la
Sibérie. L'écrivain Alexandre
Soljenitsyne remarque que le système de la
commune était soutenu simultanément par de nombreuses forces,
traditionnelle, romantique et slavophile
de la noblesse et des religieux réactionnaires aussi bien que des
gauchistes, associant commune et socialisme, accroissant la
difficulté de la tâche4.
Les réformes de Stolypine améliorent la représentativité des
gouvernements locaux, suppriment les interdictions pour les paysans
de participer aux procédures judiciaires normales10.
Mais le succès de ces réformes fut mitigé10.
Piotr Stolypine, en 1910.
Stolypine
essaya également d'améliorer la vie des ouvriers des villes et il
s'efforça d'accroître le pouvoir des gouverneurs.
Les
opinions sur l'œuvre de Stolypine sont divisées. Dans l'atmosphère
de désordre qui régnait après la Révolution de 1905, il dut
mater la révolte violente et l'anarchie. Sa réforme agraire
contenait cependant beaucoup de promesses. Le mot de Stolypine que
c'était un « pari sur la force » a été souvent
dénaturé et de façon injuste. Stolypine et ses collaborateurs (au
premier rang desquels il faudrait mentionner son ministre de
l'agriculture Alexandre
Krivocheïne (en)
et l'agronome danois Andreï
Andreïevitch Køfød (en))
essayèrent de donner au plus possible de paysans une chance de
sortir de la pauvreté, en promouvant le remembrement, en offrant un
système bancaire aux paysans, en encourageant l'émigration des
régions occidentales surpeuplées vers les terres vierges du
Kazakhstan
et de la Sibérie
du Sud.
Son but
était de créer une classe de paysans riches modérés (les
Koulaks),
qui seraient des partisans de l'ordre dans la société. Comme la
deuxième Douma ne se montrait pas mieux disposée que la première,
Stolypine la fit dissoudre et, en juin 1907, il changea le mode
d’élection pour essayer de rendre la Douma mieux disposée à
accepter la législation proposée par le gouvernement.
Après la dissolution de la deuxième Douma en juin 1907, il modifia
illégalement le système de vote pour favoriser la noblesse et les
riches, en réduisant l'importance des classes inférieures. Selon
Soljenitsyne, Stolypine prenait ainsi acte du manque d’éducation
politique des paysans et ouvriers, qu'il estimait manipulés, et
souhaitait donner plus de poids aux autres catégories4.
Une telle réforme influença les élections à la troisième Douma
dont les membres, plus conservateurs, étaient plus disposés à
coopérer avec le gouvernement. S'étant aliéné aussi bien la
gauche que l'extrême droite, Stolypine parvient à gouverner avec
le parti de droite modéré des octobristes
jusqu'à ce qu'il obtienne de l'empereur qu'il suspende les chambres
le temps d'ordonner l'extension des zemstvos
aux régions polonaises de l'empire. La droite modérée dénonce
alors ses violations répétées du système constitutionnel10.
Au
printemps 1911, Stolypine présenta un projet de loi dont le rejet
entraîna sa démission. Il proposait d'étendre le système des
zemstvos
aux provinces du Sud-Ouest de la Russie. Il fut tout de suite
critiqué et ne prévoyait que l'obtention d'une majorité étroite,
mais les ennemis de ses partisans finirent par l'emporter. Après
quoi il démissionna comme Premier ministre de la troisième Douma.
Lénine craignait que Stolypine pût réussir à aider la Russie à
éviter une révolution violente. Beaucoup d'hommes politiques
allemands redoutaient qu'une transformation économique réussie de
la Russie sapât en une génération l'hégémonie allemande en
Europe. Certains historiens[Qui ?]
pensent que les dirigeants allemands en 1914 ont voulu provoquer une
guerre contre la Russie tsariste, pour la vaincre avant qu'elle
devînt trop puissante[réf. nécessaire].
Cependant, Nicolas II n'apportait pas à Stolypine un soutien sans
réserve. En fait, sa position à la Cour était déjà sérieusement
ébranlée lorsqu'il fut victime d'un attentat mortel. Selon
l'historien Richard
Pipes, « Au moment de son assassinat, il
était déjà politiquement fini. Comme le dit Gouchkov, Stolypine
était mort politiquement bien avant de mourir physiquement11. »
Les
réformes de Stolypine ne survécurent pas au tourbillon de la
Première
Guerre mondiale, de la Révolution
russe et de la Guerre
civile russe.
Assassinat
Article
détaillé : Assassinat
de Stolypine.
Tombe de Stolypine au monastère
des Grottes à Kiev.
Le 1er
septembre 1911 (14
septembre
1911
dans
le calendrier grégorien), Stolypine, qui se
déplaçait sans garde du corps, essuya deux coups de feu tirés par
Dmitri
Bogrov, un SR
et indicateur de la police secrète Okhrana
alors qu'il assistait à une représentation du Conte
du tsar Saltan à l'opéra
de Kiev en présence de l'empereur12
et de deux grandes-duchesses13.
Il mourut quatre jours plus tard. Il est inhumé dans la laure
des Grottes de Kiev.
Bogrov put se servir de ses contacts policiers pour entrer dans
l'opéra et approcher Stolypine. L'hypothèse d'une manigance de
l'Okhrana fut donc envisagée. Par ailleurs, Bogrov était juif
alors que le régime tsariste affichait un antisémitisme
sans complexe, ce qui a pu jouer dans les motivations de l'assassin
bien que Stolypine lui-même ne fût pas antisémite4.
Il est pendu dix jours après l'assassinat.
Postérité
Son nom
est donné à l'université
agricole nationale d'Omsk.
Il reste
associé à des objets de la vie quotidienne dans la langue russe de
la période soviétique. L’écrivain Varlam
Chalamov, dans ses Récits
de la Kolyma, mentionne ainsi trois objets
issus de ses réformes sur la sécurité intérieure, l'agriculture
et les transports : « Il y avait eu
la
« cravate Stolypine » : la potence ;
la
« ferme Stolypine » : la réforme agraire de
Stolypine entrée dans l'histoire ;
mais
tout le monde parle des wagons « stolypines », avec la
conviction qu'il s'agit d'un wagon grillagé pour détenus, d'un
wagon spécial pour le transfert des prisonniers. En réalité, les
derniers « stolypines », fabriqués en 1905, le
gouvernement les a usés pendant la guerre civile. Il n'y en a plus
depuis longtemps. Maintenant, on donne le nom de Stolypine à
n'importe quel wagon muni de grilles14. »
En face du Café
Semadeni Kiev, il y eut entre 1913 et mars
1917 un
monument à la mémoire de Piotr Stolypine.
Une hypothèse est que « le café Semadeni était situé à
proximité de la bourse de Kiev et jouissait du statut de "bourse
informelle" où de nombreux
commerçants juifs avaient l'habitude de se
réunir. Pour les nationalistes
russes, qui luttaient pour que le commerce
russe fasse
contrepoids au capital commercial juif, ce
choix signifiait une présence symbolique du nationalisme russe dans
le commerce et les échanges »15
En 1917, le monument fut démantelé, « la statue de Stolypine
étant "pendue" sur un échafaudage spécialement
construit : il s'agissait d'une vengeance symbolique pour la
persécution et l'exécution des révolutionnaires
en 1906-1907 »15.
Le
monument en mémoire de Piotr Stolypine en face du Café
Semadeni, à gauche
Destruction
du monument en 1917
Notes et références
D'après Abraham Ascher, P. A. Stolypin : The Search for
Stability in Late Imperial Russia, Stanford
University Press, 2001, 436 p., « 1.
The Early Years », p. 16.
Daniel J. Mahoney, Alexandre Soljénitsyne. En finir avec
l'idéologie, titre original : Solzhenitsyn. Ascent
from ideology, Fayard/Commentaire, 2008. Chapitre 4, Vrai et
faux libéralisme : Stolypine et ses ennemis dans Août
quatorze, p. 123-173
Michel
Heller, Histoire de la Russie et de son
empire, Paris, 1997, Plon, p. 896.
Britannica, 15e édition,
tome 11, p. 282, entrée Stolypin
Center
for Urban History of East Central Europe (en),
The
monument to Stolypin in Kyiv in front of the Semadeni
café [archive]
Bibliographie
Blason des Stolypine avec la devise
en latin En Dieu mon espérance
(en)
M.S. Conroy, Peter Arkadʹevich Stolypin: Practical Politics in
Late Tsarist Russia, Westview Press, Boulder, 1976,
(ISBN 0-8915-8143-X)
Richard
Pipes, La Révolution russe,
Paris, P.U.F.,
coll. « Connaissance de l'Est », 1993, 866 p.
(ISBN 978-2-13-045373-4),
« L'expérience constitutionnelle »
(en) Anna Geifman, Thou Shalt Kill :
Revolutionary Terrorism in Russia, 1894–1917,
Princeton, New Jersey, Princeton
University Press, 1993, 376 p.
(ISBN 978-0-691-08778-8,
lire
en ligne [archive])
Chemin de croix de Pierre
Stolypine, Dmytro
Tabatchnyk.
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