mardi 19 avril 2022

Cécité et oubli - mon point de vue (suite)

 

Cécité et oubli


Paul Ricoeur, dont Emmanuel Macron documenta les notes d’un des livres et le fit, abondamment, savoir depuis… me fit observer la dernière fois qu’il me reçut – friand alors de rencontrer Michel Jobert – qu’en France, nous ne savons pas débattre. Le quittant, j’entendis à la radio la nomination de Jean-Pierre Raffarin à Matignon, aujourd’hui zélateur de Xi Jiping : conclusion d’une dissolution manquée par Jacques Chirac en 1997 sans que le signataire désavoué démissionne, prodrome du referendum sur le projet de Constitution pour l’Europe, en 2005, dont le résultat négatif ne fit pas non plus démissionner « le papy que tous les Français voudraient avoir », au moins avait-il refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen entre les deux tours de sa réélection en 2002, facilitée par l’adoption grâce à une abstention massive et sans précédent d’une durée plus courte du mandat présidentiel, la même durée que le mandat des députés. Nous sommes depuis enfermés pour cinq ans avec pour seul instant d’auto-détermination le premier tour de l’élection présidentielle. Formalité pour le sortant puisqu’en bonne logique son adversaire, la même qu’en 2017, devrait voir son parti interdit, comme le fut le Parti communiste en 1939 à la suite du pacte germano-soviétique.

Nous ne choisissons pas. L’ostracisme nous constitue désormais. Il est sacrilège de voter pour Marine Le Pen : la revue de notre presse quotidienne ou hebdomadaire le signifie, Emmaüs-France le proclame. Elle, ses électeurs, son parti de famille sont hors la République. Pourquoi pas hors la loi ? Ce qui permet, par abstention ou par un vote nominal de réélire une personne qui n’est qu’apparemment publique – mais dont nous ne savons rien d’intime ni de décisif, hors une formation au théâtre dès l’adolescence. Sans doute, Emmanuel Macron confesse ses convictions, en hebdomadaire, et son expérience du pouvoir, de la guerre, de l’amour et de la mort. Son père de sang apparaît pour que soit salué son courage, et ainsi de suite depuis des semaines, tandis que la présidence semestrielle du conseil de ministres de l’Union européenne (mais non du Conseil européen) et la guerre en Ukraine par téléphone l’accaparaient et le faisaient excuser de ne pas faire campagne pour le premier tour, de ne pas débattre avec ses compétiteurs, ceux-ci préférant d’ailleurs se condamner mutuellement.

C’est ainsi que nous allons reconduire un exercice dont nous avons expérimenté – circonstances aidant – qu’il n’a rien de démocratique mais qu’il a fait se succéder des parodies : un « grand débat national » dont les principaux vœux furent tournés presque en dérision par la conférence de presse concluant l’exercice… une « conférence citoyenne » (formée comme un jury de cour d’assises) censé amener au referendum, « sans filtre », des propositions pour la sauvegarde du climat (149) et qui n’aboutirent qu’au plus pâle projet de loi. Même méthode pour désembourber l’Europe : une boîte à idées en conférence, également citoyenne. Une confiance illimitée dans une capacité personnelle de raisonner et de séduire a inauguré un nouveau genre sur la « scène » internationale, mais qui n’a rien produit ni à Versailles, ni au Kremlin, ni nulle part d’autant que la France est souvent regardée comme arrogante au moins chez ses diplomates et pour l’expression d’elle-même. Et l’Ukraine gagnera sans nous tandis que celui qui nous représente ergote sur la portée juridique du mot « génocide ». Pour notre honte...

Un exercice qui s’est inauguré avant la date par le constat obligé de notre échec au Sahel, par une soudaine décision sans débat ni planification de revenir au nucléaire, dont l’abandon avait fait le débat des précédentes élections présidentielles. Ultime et cocasse contradiction, le candidat vient d’affirmer à Marseille ne pas vouloir « faire cinq ans de plus ».

L’anathème nous a conduit à la cécité et nous y ajoutons notre amnésie. Avec assurance et gravité, un jeune agrégé de droit public, exerçant à l’université de Lille renverse tout le dispositif qu’a exposé – avec cohérence – Marine Le Pen en conférence de presse à Evreux, au lendemain du premier tour. Un referendum tendant à réviser la Constitution ne peut se faire que selon son article 89, c’est-à-dire qu’avec la permission du Sénat, à supposer que le Rassemblement national dispose, d’ici quelques semaines, d’une majorité à l’Assemblée nationale. De même affirme-t-on qu’Emmanuel Macron sera le premier président réélu hors cohabitation, alors que réélu en Décembre 1965, le général de Gaulle disposait de la majorité conquise au Palais-Bourbon, à la suite d’un referendum décisif : celui d’Octobre 1962, faisant adopter, selon la procédure de l’article 11 de notre Constitution, la révision qui nous donne aujourd’hui, à tous, de pouvoir élire le président de notre République, au suffrage universel direct.

Ce qui fait oublier aussi que la procédure référendaire – selon l’article 11 – qu’il sera loisible à Marine Le Pen d’user à propos, notamment, d’une organisation autoritaire et exclusive de l’immigration chez nous, a son corollaire : l’initiateur du referendum doit – par respect de la démocratie et du vote populaire – démissionner s’il est désavoué.

Qui a retenu la leçon du 27 Avril 1969 ? et qui, d’ailleurs, exploite le legs du général de Gaulle en organisation de notre pays, en hantise de la participation de tous aux décisions qui les concernent, en vision du monde et mise des relations internationales en perspectives réalistes autant qu’éthiques ? Qui ? Qui pense librement ?


Aucun commentaire: