lundi 14 janvier 2019

recel d'abus de la République - à l'occasion de la campagne présidentielle de 2012



Le général de Gaulle recourant directement au referendum pour assurer la pérennité de sa fonction et en somme une succession qui ne soit pas un changement de régime – les personnes lui donnèrent imprévisiblement raison, à commencer par l’auteur du Coup d’Etat permanent – imposa sa lecture de l’article 11 de la Constitution. Les deux présidents de la République précédente le contredirent et le président du Sénat affirmant que l’homme du 18 Juin se rendait coupable de forfaiture, déclara : « Non, vous n’avez pas le droit, vous le prenez ». Il s’agissait, benoîtement, de laisser au Parlement la faculté d’empêcher, par la lettre de l’article 89 de la même Constitution, le recours au peuple, procédure bonapartiste et plébiscitaire dans l’esprit rémanent de l’époque. C’est d’ailleurs ce qui piégea François Mitterrand en Juillet 1984 puisque voulant étendre la compétence référendaire aux libertés pour traiter ainsi la réforme de l’éducation nationale, il n’entendit pas confirmer la jurisprudence d’Octobre 1962 et se soumit donc par avance au bon vouloir du Sénat : la Haute Assemblée, dominée par le R.P.R. de Jacques Chirac refusa à Robert Badinter l’approbation prévue par l’article 89, préalable du referendum de révision. Aujourd’hui que l’Assemblée nationale, par la coincidence de durée et de date originelle des mandats avec celui du président de la République, est aux ordres de celui-ci, le Parlement joue le même rôle, mais putativement et pour protéger le pouvoir du moment d’avoir à recourir à la consultation populaire : c’est le sens des révisions du 23 Juillet 2008. Là est le premier abus de la République par ceux qui en ont pourtant la charge. Le président sortant a consolidé cet abus, même s’il propose inopinément des referendums s’il est réélu.

Le second abus aurait été – selon beaucoup – celui de François Mitterrand, se maintenant à l’Elysée, sinon au pouvoir, en Mars 1986 et en Mars 1993 alors qu’il n’avait plus la majorité parlementaire. Il fonda une jurisprudence reprise par son successeur Jacques Chirac, mais seulement en apparence. Car en Juin 1997, le défaut de majorité parlementaire pour l’élu de Mai 1995 était la réponse du peuple à l’appel qui lui avait été lancé par la dissolution de l’Assemblée nationale. Les deux premières cohabitations ne se fondaient pas sur un désaveu du président de la République, à preuve il fut réélu en Mai 1988, mais de ses gouvernements. La fonction arbitrale du chef de l’Etat sortait même renforcée par cette décision de François Mitterrand, et la procédure d’appel était à portée de deux ans seulement, la reconduction ou pas à l’Elysée. Le président de la République en ne laissant au gouvernement d’opposition à la gauche que le strict exercice des prérogatives que lui permettait sa majorité à l’Assemblée nationale, le privait de beaucoup des moyens prévus par la Constitution, notamment de la procédure des ordonnances, voire de la convocation de sessions extraordinaires : François Mitterrand comme le général de Gaulle se déclara juge souverain de leur opportunité, la privatisation de Renault et peut-être de la Poste (déjà) et de la S.N.C.F. furent ainsi évitées. Elles étaient au programme de la droite en 1986. La République protégeait les acquis de 1981, comme d’ailleurs elle continue de protéger ceux de 1997, notamment la loi sur les 35 heures, puisque leur abolition a été constamment reportée par la droite et que pour y parvenir, c’est tout le droit du travail que l’on attaque.

Le troisième abus n’avait pas été imaginé avant Mai 2007. Sans doute, le général de Gaulle avait-il été vivement critiqué quand – systématiquement – il concluait les campagnes pour le renouvellement de l’Assemblée nationale, après leur clôture et non pendant leur durée officielle réservée à l’expression des partis. Mais le même n’avait pas usé, dans la campagne pour le premier tour de l’élection présidentielle de Décembre 1965, de tout son temps de parole ! Ses discours étaient rares à toutes époques mais il mettait son mandat en jeu à chaque consultation nationale quelle qu’en fut la nature. Au contraire, le quinquennat de Nicolas Sarkozy produit à ses débuts un discours fondateur par semaine et vers sa fin des vœux à presque chaque profession, état de vie, employés de l’Etat, toujours ex cathedra et estampillés officiellement. La participation de chefs d’Etat ou de gouvernement étrangers – Barack Obama puis Angela Merkel – est même requise pour la mise en valeur d’une action d’exception. Le prix moyen d’un de ces déplacements en province a été établi, le soupçon de rassemblements populaires truqués est explicite, la mobilisation des forces de l’ordre boucle parfois jusqu’à la quasi-totalité de villes chefs-lieux de région : c’est rarement le plein air et en France comme à l’étranger, où il polémique avec l’opposition de gauche, autant que s’il se trouvait sur le territoire national, Nicolas Sarkozy ne prend jamais le temps de séjourner, de prendre vraiment l’écoute de la population ou de ses homologues, la communication prend tout le temps ou presque de chaque exercice. Communication en propre, personnelle en ce sens qu’elle doit mettre en valeur les implications présidentielles mais pas au sens où il rédigerait lui-même ses interventions. Décalage évident entre deux genres – l’un ressortissant à une plume de service, généralement celle d’Henri Guaino produisant ce qu’il y aura rétrospectivement autant qu’immédiatement de plus polémique : Dakar et Grenoble, 26 Juillet 2007 et 30 Juillet 2010…mais parfois ad hoc, celle d’Emmanuelle Mignon au Latran, 12 Décembre 2007 – l’autre en langage parlé, censé faire partager davantage l’indignation ou l’appel au bon sens. C’est dans le second registre que Nicolas Sarkozy a très vite accoûtumé d’argumenter son appréciation des éphémérides judiciaires ou de passer commande d’une proposition de loi. Cet abus est personnel, il caractérise la posture constamment en campagne électoral d’un président encore plus constamment désavoué par les sonsdages. La réponse est toujours de la communication, de la justification, les débats ne sont que des convocations à des « sommets », notamment sociaux, qui se tiennent à l’Elysée. Le style – s’il en est – n’est pas ici en cause, mais l’abondance, le flux continu, sa substitution à l’exercice d’une présidence pas seulement en scène. Car pour autant cette communication ne donne pas le fonctionnement interne d’un pouvoir et la pratique de sa centralisation ; elle ne synthétise pas le bouleversement des structures étatiques aussi bien par modification des organigrammes, amenuisement de la couverture institutionnelle du territoire, que par suppression des emplois. Elle maintient en vue la personnalité au pouvoir, mais ne permet guère d’évaluer son action et de la mettre en perspective. Elle n’est pas républicaine en ce sens qu’elle n’est pas participative.

Le quatrième abus est maintenant vécu depuis que l’opposition a désigné – pour la gauche – son principal champion. La campagne présidentielle a alors commencé sans que le président de la République reçoive le statut de candidat. L’égalité est donc à sa discrétion. L’argument n’est pas nouveau, il avait été ostensiblement celui de Jacques Chirac, Premier ministre de François Mitterrand. Aux autres, la politique évidemment politicienne – Nicolas Sarkozy modernise : l’idéologie – à lui, la veille sur les intérêts suprêmes de la France. Et le président sortant d’expliquer par le devoir d’assumer jusqu’au bout l’ensemble de sa charge la difficulté de déclarer sa candidature, faute de temps… pour ne faire que campagne. Cette tournure inspire les ajustements constants du discours et force à oublier le passé, même le plus récent. Le sortant est en possession d’état et parle et se conduit comme si la compétition était illégitime puisque chacun des compétiteurs est dans l’erreur, l’incompétence, s’enfonce en fait dans le lèse-majesté. Mentalement, la dictature est établie, au moins dans l’esprit de celui qui fut initialement élu. La révérence de son parti est telles qu’il est interdit à celui-ci de se choisir un autre candidat et que la procédure d’élections primaires chez les adversaires est raillée comme l’aveu que – là-bas – ne se discerne aucun charisme, aucun chef…

L’argumentation du président sortant peut être suivie, mais pour aboutir à d’autres solutions que la façon de double jeu à laquelle obligent la lettre actuelle de la Constitution et la jurisprudence des candidatures à réélection.

S’il est si difficile d’être en même temps le président de la République et un candidat comme les autres, quoique lourd d’un bilan dont jusqu’à présent rien dans les institutions ne permet l’évaluation en fin de mandat et en avant qu’en soit décerné un autre, pourquoi ne pas innover par pitié du président-candidat ? et pour éclairer les électeurs. S’il faut tant retarder une candidature pour ne pas mêler les genres, le grand et le contingent, ou pour pouvoir suffire à deux tâches si différentes – alors que tout le quinquennat qui s’achève a au contraire, comme jamais encore vu sous la Cinquième République – précisément confondu la communication de campagne avec une présidence réfléchie de nos institutions et du pays, la solution est fort simple. Elle grandira celui ou celle qui, dans un avenir à espérer proche : dès la conclusion du prochain mandat… après que cela ait été inscrit dans notre Constitution puisque décidément et malheureusement il faut tout préciser, prescrire de ce qui va de soi ou devrait s’inventer selon les gens et selon les circonstances…

Le président sortant qui souhaite sa réélection démissionne à la date qu’il veut, ou dans le délai – modulable – dans lequel doit avoir lieu le scrutin présidentiel en cas d’ouverture de l’intérim. Choisissant d’être à nouveau candidat, le président de la République démissionne, ouvre l’intérim et il est entendu que le gouvernement lui aussi remet à l’intérimaire de former un nouveau gouvernement, en sollicitant le consensus des partis représentés au Parlement. Ce « gouvernement de service » assure l’impartialité des processus électoraux – c’est la constitution de la Grèce qui le prévoit, même si d’aucuns observeront que l’exemple de gestion sage n’est pas probant, à quoi je réponds que Georges Papandreou en annonçant au Conseil européen et autres conseilleurs ou bailleurs de fond qu’il consulterait son peuple par referendum, administra à l’ensemble de nos dirigeants une belle leçon de démocratie et leur fit exprimer, clairement, que ceux-ci ne prisaient pas la démocratie et la mettait bien en-dessous de leurs raisons propres, elles-mêmes dépendantes d’autres façons de vivre et de voir que celles des démocrates. Ce « gouvernement de service » en France permettrait enfin, non seulement la claire distinction entre la période de campagne électorale du président-candidat, remis à sa place comme tout compétiteur et la gestion du pays, mais surtout que soit examinée rétrospectivement cette gestion, à temps et en termes tels qu’elle puisse être jugée et soit un élément déterminant de la décision des électeurs…

La Constitution française ne prévoyant qu’un très court délai « pour l’élection du nouveau Président (qui) a lieu, squf cas de force majeure constaté par le Conseil constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l’ouverture de la vacance ou de la déclaration du caractère définitif de l’empêchement », la révision constitutionnelle rendant obligatoire cet intérim au cas de la candidature du président de la République sortant devra prévoir un délai un peu plus long, par exemple celui prévu par la loi organique – code électoral article 122 – pour les élections générales, soit « les soixante jours qui précèdent l’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale ». En deux mois, l’audit du mandat dont le redoublement est sollicité du peuple par le président-candidat serait effectué et produit publiquement. La composition consensuelle du gouvernement permettrait un accord des partis et des candidats concurrents pour la succession présidentielle sur de grands sujets devant nécessairement inspirer la conduite des pouvoirs publics dans les cinq années à suivre, ce serait l’esquisse d’un plan quinquennal. Ce dispositif dont se dota si heureusement la France après la Libération – la « planification souple à la française » déjà entrevue par Pierre Mendès France au sein du gouvernement provisoire à Alger – est un des éléments à retrouver pour ces pratiques qui ne doivent plus être discrétionnaires : la concertation de tous les « acteurs » économiques et des partenaires sociaux.

Ainsi de la constatation du plus grave abus de la République naîtraient deux instruments pour notre démocratie et l’efficacité de nos gestions : la manière d’assurer l’égalité des candidats se fonderait sur une appréciation impartiale du mandat présidentiel qui s’achève, la suite serait préparée non en termes de rupture ou de fracture, ou de continuité si l’électeur le souhaite, mais selon un accord minimum entre tous, quel que soit le résultat du scrutin présidentiel. L’évidence est que nous avons besoin de cette clarté et de ce consensus, dès maintenant.

BFF – mercredi 15 . lundi 20 Février 2012









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