Ce
sont les DNA et leur envoi périodique ou constant qui m’apprennent – 20 heures
14 - la mort de Michel ROCARD. L’homme a importé dans la vie politique
française, moins dans la vie nationale, moins surtout que ce qu’il aurait aimé
importer et apporter. J’ai une expérience personnelle de lui. L’homme
sympathique, facile d’accès et facile de conversation quoique ayant une grande
idée, sinon de lui-même, du moins de son importance. En très bref, il aurait
voulu être président de la République et ne l’a pas été, il a voulu donner un
nouveau langage, direct, à l’expression verbale de la politique et en
politique : le « parler vrai », et il ne l’a pas fondé parce que
s’il a le plus souvent parlé, quels que soient le moment ou sa fonction, avec
sincérité et librement, le contenu a été trop flottant et discontinu. Ainsi en
1980, quand est décrété en Pologne, face à Solidarnosk l’état de guerre, il
évoque l’envoi de notre flotte en ler Baltique. Ou lors d’un colloque sur
l’arme nucléaire, organisé par la revue Défense
nationale, l’année dernière ou il y a à
peine plus longtemps, l’ancien Premier ministre avec l’autorité que donne
d’avoir occupé cette fonction, afficha péremptoirement tout l’avantage, toute
la gloire qu’aurait la France en renonçant unilatéralement à l’arme atomique.
Une relation personnelle, c’est-à-dire une vie qui a eu des conséquences sur la
mienne.
Déjà
attaché à Maurice COUVE de MURVILLE, sans avoir encore été reçu par ce dernier
(ce qui m’advint cependant dès Janvier 1970) mais le tenant pour le successeur
voulu par DG, j’ai suivi la campagne électorale dans les Yvelines : le
siège abandonné par CLOSTERMANN (le
grand cirque) à l’automne de 1969 pour que MCM dispose d’un siège, tout
de suite, à l’Assemblée nationale. Zélé par GP, devenu président de la République,
dans des conditions faisant suspecter sa fidélité au Général, le suppléant de
MCM, Raymond BOUSQUET (rien à voir avec l’homme de Vichy, mais ambassadeur au
Canada et après avoir été directeur du personnel… sous MCM)) refuse de
démissionner pour que son patron soit réélu. J’assiste ainsi à un discours en
plein air de MR à la sortie d’une « grande surface », plus rare alors
qu’aujourd’hui. C’est une charge sur la vétusté, l’obsolescence du gaullisme.
Et donc de MCM qui l’incarne dans cette bataille et a contre lui la coalition
des droites et des gauches qui pendant onze ans a guerroyé contre le nouveau
régime et l’homme du 18-Juin. Je crois avoir posé la question de notre
politique vis-à-vis du dollar et des droits de tirage spéciaux ; Il a
moqué les analyses monétaires gaulliennes, dont je ne savais pas d’ailleurs à
l’époque combien ces thèses, étant celles de RUEFF, étaient venues à DG par
MCM.
Deuxième
moment, ma prise de position en Novembre 1980, dans Le Monde (grâce à
JF) : les députés contre les militants.
Je prends parti pour FM contre MR tandis qu’hésite le congrès de Metz pour
l’investiture du candidat à la prochaine élection présidentielle. J’ai su par
Roland DUMAS, me recevant au Conseil constitutionnel, quand il commençait juste
à le présider et que FM vivait encore, quoiqu’ayant achevé son mandat, que
l’ancien président de la République m’en était encore gré. A cette occasion,
j’appris qu’il était question que FM rédigeât quelque chose sur DG et sa propre
relation avec celui-ci. Comme cela avait fait l’objet d’un de nos entretiens,
peut-être le dernier en tête-à-tête à l’Elysée (Novembre 1983), je me proposai
pour soutenir le Président et dialoguer avec lui. DUMAS accueillit cela avec
faveur et promit d’en parler à qui de droit. Sans doute, un livre d’une telle
collaboration n’aurait pas été neutre au moment où commençait aussi mon
exclusion socio-professionnelle.
Le
troisième moment se situe au Brésil. Le pays est assez important pour qu’y
viennent de grands rôles tandis que j’y suis affecté (Décembre 1984-Octobre
1986), à commencer par FM à l’automne de 1985. Nous avions reçu (nous, Bernard
DORIN, mon ancien maitre de conférence à l’E.N.A. pour les relations
internationales en 1967) Gaston DEFFERRE et Danielle MITTERRAND à la mort du
président brésilien élu mais n’ayant pu prendre possession de ses
fonctions : il avait été reçu à Latché après son élection, et plus tard
Pierre PFLIMLIN, Raymond BARRE. Et donc Michel ROCARD que j’introduisis auprès
du ministre des Finances dont le hasard avait voulu que je fisse connaissance
avant son accession au pouvoir. Plusieurs longs moments, dont l’un de plus de
deux heures : vive critique contre FM, se présenter en 1988 même si le
président sortant serait candidat, « un boulevard de légitimité devant
moi ». Ce n’est pas ce qu’il se passa. Une première disgrâce et un rappel
très anticipé du Brésil me permirent d’assister au meeting électoral donné par
ROCARD pour les législatives de 1988 au parc omnisports de Bercy : ce ne
fut pas un triomphe, mais c’était une organisation spectaculaire, plus
« participative » (adjectif que Ségolène ROYAL a introduit dans le
vocabulaire mais pas dans la pratique politique, en 2006) que le zenit de la
Villette à Paris. J’entrevis le Premier ministre à l’ambassade du Portugal, lors
de la visite en France de Mario SOARES (que je connaissais bien depuis que
j’avais servi à Lisbonne (Septembre 1975-Février 1979).
Quatrième
moment. FM a été réélu, j’ai essayé d’être investi à Pontarlier comme
« candidat d’ouverture », j’ai manqué la chose de deux voix en
section locale, ma vie aurait changé si je l’avais emporté, BIANCO devait
intervenir auprès de l’homme de ce genre de décision au PS… je ne fus pas
imposé, mais très proche de l’emporter par moi-même et mon excellent suppléant
Charles MARMIER. Je vais donc repartir « en poste » ce dont j’ai le
plus grand besoin financier. C’est Henri CHAZEL qui fait fonction de chef du
corps de l’expansion économique à l’étranger, auquel j’appartiens depuis ma
sortie, manquée, de l’ENA, qui cherche à me remettre en selle depuis mon
« vidage » du Brésil. Il m’y avait d’ailleurs inspecté surtout pour
s’assurer que j’allais bien en partir. Nous avions vraiment sympathisé dans une
commune affectation dix ans plus tôt… rebâtissant le monde, l’Europe, l’Allemagne
et la France en marchant le long du Rhin à Bonn où, chef de l’ensemble de notre
dispositif économique et commercial en République fédérale, il avait rang
de ministre plénipotentiaire, et surtout nous régalait en réunions
professionnelles à huis-clos de ses trouvailles de langage pour caricaturer un
peu tout le monde et l’administration en particulier. Au début de sa carrière à
la fin des années 40, il
avait porté, en poste au Danemark, des oranges à CELINE qui était détenu à
Copenhague. Donc, je devais partir, conseiller commercial, toujours à
Vienne, après que nos exportateurs et gens d’affaires m’aient récusé pour la
Norvège. Je faisais donc, en Juillet-Août 1989, le tour de tous ceux qui
pouvaient m’aider à obtenir davantage. En fait, je suis resté en Autriche
presque quatre ans, et y ai été très heureux. J’y serai resté volontiers
davantage et souhaitais même y acheter le très bel appartement que j’y louais
(premier étage avec vue directe sur les deux Belvédère, allant au bureau par le
parc…). Je fus ainsi reçu par Roger FAUROUX, ministre de l’Industrie : la
« société civile », faute de l’ouverture au centre. J’avais suggéré au PR
de prendre Hubert CURRIEN, le scientifique, comme Premier ministre, lui aussi
« société civile » (l’époque avait inventé ce vocable pour les
sans-étiquette et sans passé proprement politique). Et donc Pierre ARPAILLANGE.
Garde des Sceaux. Nous avions, le nouveau ministre et moi, été publiés de
conserve par Le Monde de Jacques FAUVET (JF), mais ne nous étions
jamais rencontrés. Place Vendôme, côté jardin jouxtant celui du Ritz, un des
plus beaux bureaux de Paris. Congratulations mutuelles, téléphone, c’est Pierre
JOXE proposant à son collègue de la Justice, lui ministre entre autres de la
Police, de lui trouver un directeur de cabinet. Mouvements dans les prisons,
problèmes pas seulement pénitentiaires, difficultés avec le groupe socialiste
au Palais-Bourbon pour la réforme pénale. PA est isolé, seul, embarrassé. Tout
à trac (expression de GP, il a dirigé le cabinet de René CAPITANT et fait lire
à Marie-France GARAUD chaque soir les pièces d’instruction e l’affaire dite
MARKOVIC), je lui propose mes services. Il en balbutie de reconnaissance, ne
peut me promettre le Conseil d’Etat si je change à ce point d’orientation mais
s’enthousiasme aussitôt pour cette solution de son dilemme : quelqu’un
sans étiquette politique et sans passé professionnel dans ce domaine difficile.
Il me prend dans sa voiture qui, après la rue La Fontaine où il habite alors,
continue pour me reconduire où je vais dormir. Nous nous voyons à plusieurs
reprises, Je consulte par écrit BIANCO qui me répond aussitôt (j’attendais sa
réponse au poste de garde de l’Elysée) et par écrit également. C’est donc fait,
mais le jeudi, déjeuner à Matignon, pas grand monde, mais pas de tête-à-tête du
ministre avec le Premier : Michel ROCARD. Celui-ci, consulté devant
témoins (une erreur certaine), répond à la cantonade : il y avait déjà un
fou au gouvernement, il va y en avoir deux. Le ministre et moi, unis s’il était
besoin (en réalité une vive sympathie s’est établie aussitôt, et dure encore
aujourd’hui) dans le même sarcasme. Ou mépris.
Cinquième
moment. Après qu’un ami censément proche de Michel JOBERT et que j’avais
pratiqué en rassemblements du Mouvement des démocrates, devenu en partie grâce
à celui-ci, secrétaire général du Quai d’Orsay (Francis GUTMANN), ait levé les
bras au ciel quand FM tenta qu’on me « donne » dès 1983,
« une » ambassade, il était de nouveau question que je sois
ambassadeur. Ce serait le Zimbabwe, on était en Avril 1989 (mes 46 ans et
j’étais en Autriche, toujours comme conseiller économique et commercial). Sur
le point d’entrer en séance du conseil des ministres, FM est retenu par
MR qui déconseille formellement que je sois nommé. FM acquiesce. Recevant
à Vienne Pierre BEREGOVOY en Juillet, l’introduisant auprès de l’ancien et très
emblématique Bruno KREISKY, l’ancien chancelier, juif antisioniste et ayant
fait reconnaître internationalement ARAFAT… je lui demandais une nouvelle fois
son appui. Il me conseilla de demander à MR lui-même les raisons de ma mise sur
la touche. J’écrivis à Matignon et fut reçu par le conseiller diplomatique, un
camarade de promotion ENA, Philippe PETIT, qui avait déjà été ambassadeur (à
Maurice, dont il avait rapporté une des fameuses maquettes des bateaux du
XVIIIème siècle) et qui m’affirma tout simplement que pour nommer des
ambassadeurs on ne prenait que les meilleurs. J’aurai en Juin 1994 une
semblable saillie de Dominique de VILLEPIN, qui dirigeait alors au Quai
d’Orsay, le cabinet d’Alain JUPPE : on ne gardait que les meilleurs ou…
les nécessiteux quand ils n’étaient pas encore « intégrés ». Je
n’étais pas intégré, je n’étais pas des meilleurs et j’appartenais aux Finances,
donc…
Sixième
moment. A Salzbourg, un forum de chefs d’entreprise, organsié par l’Expansion et
animé par BOISSONNAT. MR y est, Raymond BARRE aussi. MR est en fondatiuon d’u
nouveau couple. En ascenseur de l‘hôtel nous accueillant, je représente
l’ambassade puisque je suis son conseiller économique et commercial, quelques
instants avec une dame que j’interroge : qui êtes-vous ? réponse
(imprudente quand on est en face d’un inconnu ?) : je suis avec
Michel ROCARD. Débat sur les institutions notamment entre MR et RB, dominé par
des déclarations présidentielle la veille. Je ne me souviens plus de celles-ci,
mais MR, parlant du métier de PM et de tenir ou avoir « tenu »
Matignon, prenait les dires de FM comme directement dirigés contre lui.
Il
n’y eut plus ensuite que cette participation à l’Ecole militaire au colloque
sur l’arme nucléaire et les conjonctures de maintenant. Destin manqué ?
oui, selon ses ambitions des années 60-80 ? Non, selon la société
politique française où il a tranché par sa jeunesse d’abord à des postes de
parti importants : le PSU, sans pouvoir prétendre cependant à réincarner
PMF – BEREGOVOY qui ne l’aimait pas, l’en aurait d’ailleurs empêché) et plus
tard par son fréquent témoignage sur FM et sur Matignon. Un homme certainement
honnête quoique son débat avec BOLLORE sur des chemins de fer en Afrique
occidentale était inattendu et fut sa dernière aventure. Mais un homme qui
faisait état d’une intelligence et d’une liberté de penser supérieures.
Auto-estimation que je n’ai pas partagée. – Il est probable que ce soir, il
fait l’unanimité des opinions, hommages et commentaires, et le mérite même si
le motif ou le contenu de ces hommages peut être discuté ; La médiocrité
ambiante est telle qu’effectivement il est un cran ou plusieurs, au-dessus.
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