samedi 2 juillet 2016

Michel Rocard - dans ma vie


Ce sont les DNA et leur envoi périodique ou constant qui m’apprennent – 20 heures 14 - la mort de Michel ROCARD. L’homme a importé dans la vie politique française, moins dans la vie nationale, moins surtout que ce qu’il aurait aimé importer et apporter. J’ai une expérience personnelle de lui. L’homme sympathique, facile d’accès et facile de conversation quoique ayant une grande idée, sinon de lui-même, du moins de son importance. En très bref, il aurait voulu être président de la République et ne l’a pas été, il a voulu donner un nouveau langage, direct, à l’expression verbale de la politique et en politique : le « parler vrai », et il ne l’a pas fondé parce que s’il a le plus souvent parlé, quels que soient le moment ou sa fonction, avec sincérité et librement, le contenu a été trop flottant et discontinu. Ainsi en 1980, quand est décrété en Pologne, face à Solidarnosk l’état de guerre, il évoque l’envoi de notre flotte en ler Baltique. Ou lors d’un colloque sur l’arme nucléaire, organisé par la revue Défense nationale, l’année dernière ou il y a à peine plus longtemps, l’ancien Premier ministre avec l’autorité que donne d’avoir occupé cette fonction, afficha péremptoirement tout l’avantage, toute la gloire qu’aurait la France en renonçant unilatéralement à l’arme atomique. Une relation personnelle, c’est-à-dire une vie qui a eu des conséquences sur la mienne.
Déjà attaché à Maurice COUVE de MURVILLE, sans avoir encore été reçu par ce dernier (ce qui m’advint cependant dès Janvier 1970) mais le tenant pour le successeur voulu par DG, j’ai suivi la campagne électorale dans les Yvelines : le siège abandonné par CLOSTERMANN (le grand cirque) à l’automne de 1969 pour que MCM dispose d’un siège, tout de suite, à l’Assemblée nationale. Zélé par GP, devenu président de la République, dans des conditions faisant suspecter sa fidélité au Général, le suppléant de MCM, Raymond BOUSQUET (rien à voir avec l’homme de Vichy, mais ambassadeur au Canada et après avoir été directeur du personnel… sous MCM)) refuse de démissionner pour que son patron soit réélu. J’assiste ainsi à un discours en plein air de MR à la sortie d’une « grande surface », plus rare alors qu’aujourd’hui. C’est une charge sur la vétusté, l’obsolescence du gaullisme. Et donc de MCM qui l’incarne dans cette bataille et a contre lui la coalition des droites et des gauches qui pendant onze ans a guerroyé contre le nouveau régime et l’homme du 18-Juin. Je crois avoir posé la question de notre politique vis-à-vis du dollar et des droits de tirage spéciaux ; Il a moqué les analyses monétaires gaulliennes, dont je ne savais pas d’ailleurs à l’époque combien ces thèses, étant celles de RUEFF, étaient venues à DG par MCM.
Deuxième moment, ma prise de position en Novembre 1980, dans Le Monde (grâce à JF) : les députés contre les militants. Je prends parti pour FM contre MR tandis qu’hésite le congrès de Metz pour l’investiture du candidat à la prochaine élection présidentielle. J’ai su par Roland DUMAS, me recevant au Conseil constitutionnel, quand il commençait juste à le présider et que FM vivait encore, quoiqu’ayant achevé son mandat, que l’ancien président de la République m’en était encore gré. A cette occasion, j’appris qu’il était question que FM rédigeât quelque chose sur DG et sa propre relation avec celui-ci. Comme cela avait fait l’objet d’un de nos entretiens, peut-être le dernier en tête-à-tête à l’Elysée (Novembre 1983), je me proposai pour soutenir le Président et dialoguer avec lui. DUMAS accueillit cela avec faveur et promit d’en parler à qui de droit. Sans doute, un livre d’une telle collaboration n’aurait pas été neutre au moment où commençait aussi mon exclusion socio-professionnelle.
Le troisième moment se situe au Brésil. Le pays est assez important pour qu’y viennent de grands rôles tandis que j’y suis affecté (Décembre 1984-Octobre 1986), à commencer par FM à l’automne de 1985. Nous avions reçu (nous, Bernard DORIN, mon ancien maitre de conférence à l’E.N.A. pour les relations internationales en 1967) Gaston DEFFERRE et Danielle MITTERRAND à la mort du président brésilien élu mais n’ayant pu prendre possession de ses fonctions : il avait été reçu à Latché après son élection, et plus tard Pierre PFLIMLIN, Raymond BARRE. Et donc Michel ROCARD que j’introduisis auprès du ministre des Finances dont le hasard avait voulu que je fisse connaissance avant son accession au pouvoir. Plusieurs longs moments, dont l’un de plus de deux heures : vive critique contre FM, se présenter en 1988 même si le président sortant serait candidat, « un boulevard de légitimité devant moi ». Ce n’est pas ce qu’il se passa. Une première disgrâce et un rappel très anticipé du Brésil me permirent d’assister au meeting électoral donné par ROCARD pour les législatives de 1988 au parc omnisports de Bercy : ce ne fut pas un triomphe, mais c’était une organisation spectaculaire, plus « participative » (adjectif que Ségolène ROYAL a introduit dans le vocabulaire mais pas dans la pratique politique, en 2006) que le zenit de la Villette à Paris. J’entrevis le Premier ministre à l’ambassade du Portugal, lors de la visite en France de Mario SOARES (que je connaissais bien depuis que j’avais servi à Lisbonne (Septembre 1975-Février 1979).
Quatrième moment. FM a été réélu, j’ai essayé d’être investi à Pontarlier comme « candidat d’ouverture », j’ai manqué la chose de deux voix en section locale, ma vie aurait changé si je l’avais emporté, BIANCO devait intervenir auprès de l’homme de ce genre de décision au PS… je ne fus pas imposé, mais très proche de l’emporter par moi-même et mon excellent suppléant Charles MARMIER. Je vais donc repartir « en poste » ce dont j’ai le plus grand besoin financier. C’est Henri CHAZEL qui fait fonction de chef du corps de l’expansion économique à l’étranger, auquel j’appartiens depuis ma sortie, manquée, de l’ENA, qui cherche à me remettre en selle depuis mon « vidage » du Brésil. Il m’y avait d’ailleurs inspecté surtout pour s’assurer que j’allais bien en partir. Nous avions vraiment sympathisé dans une commune affectation dix ans plus tôt… rebâtissant le monde, l’Europe, l’Allemagne et la France en marchant le long du Rhin à Bonn où, chef de l’ensemble de notre dispositif économique et commercial en République fédérale, il avait rang de ministre plénipotentiaire, et surtout nous régalait en réunions professionnelles à huis-clos de ses trouvailles de langage pour caricaturer un peu tout le monde et l’administration en particulier. Au début de sa carrière à la fin des années 40, il avait porté, en poste au Danemark, des oranges à CELINE qui était détenu à Copenhague. Donc, je devais partir, conseiller commercial, toujours à Vienne, après que nos exportateurs et gens d’affaires m’aient récusé pour la Norvège. Je faisais donc, en Juillet-Août 1989, le tour de tous ceux qui pouvaient m’aider à obtenir davantage. En fait, je suis resté en Autriche presque quatre ans, et y ai été très heureux. J’y serai resté volontiers davantage et souhaitais même y acheter le très bel appartement que j’y louais (premier étage avec vue directe sur les deux Belvédère, allant au bureau par le parc…). Je fus ainsi reçu par Roger FAUROUX, ministre de l’Industrie : la « société civile », faute de l’ouverture au centre. J’avais suggéré au PR de prendre Hubert CURRIEN, le scientifique, comme Premier ministre, lui aussi « société civile » (l’époque avait inventé ce vocable pour les sans-étiquette et sans passé proprement politique). Et donc Pierre ARPAILLANGE. Garde des Sceaux. Nous avions, le nouveau ministre et moi, été publiés de conserve par Le Monde de Jacques FAUVET (JF), mais ne nous étions jamais rencontrés. Place Vendôme, côté jardin jouxtant celui du Ritz, un des plus beaux bureaux de Paris. Congratulations mutuelles, téléphone, c’est Pierre JOXE proposant à son collègue de la Justice, lui ministre entre autres de la Police, de lui trouver un directeur de cabinet. Mouvements dans les prisons, problèmes pas seulement pénitentiaires, difficultés avec le groupe socialiste au Palais-Bourbon pour la réforme pénale. PA est isolé, seul, embarrassé. Tout à trac (expression de GP, il a dirigé le cabinet de René CAPITANT et fait lire à Marie-France GARAUD chaque soir les pièces d’instruction e l’affaire dite MARKOVIC), je lui propose mes services. Il en balbutie de reconnaissance, ne peut me promettre le Conseil d’Etat si je change à ce point d’orientation mais s’enthousiasme aussitôt pour cette solution de son dilemme : quelqu’un sans étiquette politique et sans passé professionnel dans ce domaine difficile. Il me prend dans sa voiture qui, après la rue La Fontaine où il habite alors, continue pour me reconduire où je vais dormir. Nous nous voyons à plusieurs reprises, Je consulte par écrit BIANCO qui me répond aussitôt (j’attendais sa réponse au poste de garde de l’Elysée) et par écrit également. C’est donc fait, mais le jeudi, déjeuner à Matignon, pas grand monde, mais pas de tête-à-tête du ministre avec le Premier : Michel ROCARD. Celui-ci, consulté devant témoins (une erreur certaine), répond à la cantonade : il y avait déjà un fou au gouvernement, il va y en avoir deux. Le ministre et moi, unis s’il était besoin (en réalité une vive sympathie s’est établie aussitôt, et dure encore aujourd’hui) dans le même sarcasme. Ou mépris.
Cinquième moment. Après qu’un ami censément proche de Michel JOBERT et que j’avais pratiqué en rassemblements du Mouvement des démocrates, devenu en partie grâce à celui-ci, secrétaire général du Quai d’Orsay (Francis GUTMANN), ait levé les bras au ciel quand FM tenta qu’on me « donne » dès 1983, « une » ambassade, il était de nouveau question que je sois ambassadeur. Ce serait le Zimbabwe, on était en Avril 1989 (mes 46 ans et j’étais en Autriche, toujours comme conseiller économique et commercial). Sur le point d’entrer en séance du conseil des ministres, FM est retenu par MR qui déconseille formellement que je sois nommé. FM acquiesce. Recevant à Vienne Pierre BEREGOVOY en Juillet, l’introduisant auprès de l’ancien et très emblématique Bruno KREISKY, l’ancien chancelier, juif antisioniste et ayant fait reconnaître internationalement ARAFAT… je lui demandais une nouvelle fois son appui. Il me conseilla de demander à MR lui-même les raisons de ma mise sur la touche. J’écrivis à Matignon et fut reçu par le conseiller diplomatique, un camarade de promotion ENA, Philippe PETIT, qui avait déjà été ambassadeur (à Maurice, dont il avait rapporté une des fameuses maquettes des bateaux du XVIIIème siècle) et qui m’affirma tout simplement que pour nommer des ambassadeurs on ne prenait que les meilleurs. J’aurai en Juin 1994 une semblable saillie de Dominique de VILLEPIN, qui dirigeait alors au Quai d’Orsay, le cabinet d’Alain JUPPE : on ne gardait que les meilleurs ou… les nécessiteux quand ils n’étaient pas encore « intégrés ». Je n’étais pas intégré, je n’étais pas des meilleurs et j’appartenais aux Finances, donc…
Sixième moment. A Salzbourg, un forum de chefs d’entreprise, organsié par l’Expansion et animé par BOISSONNAT. MR y est, Raymond BARRE aussi. MR est en fondatiuon d’u nouveau couple. En ascenseur de l‘hôtel nous accueillant, je représente l’ambassade puisque je suis son conseiller économique et commercial, quelques instants avec une dame que j’interroge : qui êtes-vous ? réponse (imprudente quand on est en face d’un inconnu ?) : je suis avec Michel ROCARD. Débat sur les institutions notamment entre MR et RB, dominé par des déclarations présidentielle la veille. Je ne me souviens plus de celles-ci, mais MR, parlant du métier de PM et de tenir ou avoir « tenu » Matignon, prenait les dires de FM comme directement dirigés contre lui.
Il n’y eut plus ensuite que cette participation à l’Ecole militaire au colloque sur l’arme nucléaire et les conjonctures de maintenant. Destin manqué ? oui, selon ses ambitions des années 60-80 ? Non, selon la société politique française où il a tranché par sa jeunesse d’abord à des postes de parti importants : le PSU, sans pouvoir prétendre cependant à réincarner PMF – BEREGOVOY qui ne l’aimait pas, l’en aurait d’ailleurs empêché) et plus tard par son fréquent témoignage sur FM et sur Matignon. Un homme certainement honnête quoique son débat avec BOLLORE sur des chemins de fer en Afrique occidentale était inattendu et fut sa dernière aventure. Mais un homme qui faisait état d’une intelligence et d’une liberté de penser supérieures. Auto-estimation que je n’ai pas partagée. – Il est probable que ce soir, il fait l’unanimité des opinions, hommages et commentaires, et le mérite même si le motif ou le contenu de ces hommages peut être discuté ; La médiocrité ambiante est telle qu’effectivement il est un cran ou plusieurs, au-dessus.

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