jeudi 8 décembre 2022

Les déclarations d’Emmanuel Macron sur la Russie ulcèrent Kiev et ses alliés -- Le Monde

 

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Alors que les frappes russes se poursuivent sur les infrastructures civiles, le chef de l’Etat évoque « les garanties de sécurité » à accorder à Moscou après la guerre.

Par Philippe Ricard

Publié le 08 décembre 2022 à 15h30, mis à jour le 08 décembre 2022 à 15h30

Le président français, Emmanuel Macron, au sommet UE-Balkans occidentaux, le 6 décembre 2022, à Tirana (Albanie). Le président français, Emmanuel Macron, au sommet UE-Balkans occidentaux, le 6 décembre 2022, à Tirana (Albanie). ANDREEA ALEXANDRU / AP

La saillie n’a rien d’une gaffe. Elle exprime plutôt une conviction profonde d’Emmanuel Macron. La phrase prononcée par le chef de l’Etat en vue d’offrir des « garanties de sécurité » à la Russie, quand les combats cesseront, a suscité un tollé dans l’Est du continent européen, plus de neuf mois après l’invasion russe de l’Ukraine. « Qu’est-ce qu’on est prêt à faire pour donner des garanties pour sa propre sécurité à la Russie le jour où elle reviendra à la table des négociations ? », s’est interrogé le chef de l’Etat, dans un entretien sur TF1, samedi 3 décembre. « Un des points essentiels, c’est la peur que l’OTAN vienne jusqu’à ses portes, c’est le déploiement d’armes qui peuvent menacer la Russie », a-t-il expliqué, semblant reprendre les arguments avancés par Moscou pour justifier son offensive.

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L’Ukraine n’a pas tardé à réagir, au moment où la Russie s’acharne à détruire ses infrastructures civiles dans le but de saper le moral de sa population, en la privant de chauffage et d’électricité cet hiver. « Quelqu’un veut fournir des garanties de sécurité à un Etat terroriste et meurtrier ? », a lancé le secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense ukrainien, Oleksi Danilov, sur Twitter.



Pour le vice-ministre polonais des affaires étrangères, Marcin Przydacz, M. Macron « commet une erreur en disant ce qu’il dit ». « Vladimir Poutine a une structure mentale qui fait que toute tentative de contact, d’apaisement, le renforce psychologiquement », a-t-il observé dans un entretien diffusé en Pologne. Le vice-premier ministre letton, Artis Pabriks, estime pour sa part que l’idée de donner des garanties de sécurité à la Russie « revient à tomber dans le piège du récit de Poutine selon lequel l’Occident et l’Ukraine sont responsables de la guerre ».

« Discours illisible et inaudible »

Les propos rappellent ceux prononcés en mai par Emmanuel Macron, lorsqu’il avait invité à « ne pas humilier » Moscou, alors que nombre des alliés de l’Ukraine souhaitent en premier lieu la défaite de la Russie sur le terrain, c’est-à-dire son retrait complet des territoires occupés, y compris la Crimée, annexée unilatéralement en 2014. A chaque fois, les mots du chef de l’Etat mettent à mal ses relations avec les capitales de l’Est du continent, en dépit du soutien militaire, diplomatique et financier que la France apporte à l’Ukraine. Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, parle d’un « discours illisible et inaudible, et surtout contreproductif pour son propre agenda européen ».

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Cette nouvelle controverse survient en effet alors que le chef de l’Etat, avant tout soucieux d’éviter une escalade, ne rate pas une occasion d’inciter à la reprise des négociations entre Kiev et Moscou, quand les Ukrainiens le jugeront nécessaire, prend-il garde de préciser. Pour lui, comme il l’a martelé lors de son voyage à Washington début décembre, la guerre ne peut se conclure sur le champ de bataille, mais par la recherche d’une « paix durable », via la diplomatie. Une façon à ses yeux de restaurer non seulement l’intégrité territoriale de l’Ukraine, mais aussi l’ordre de sécurité européen. Cette dernière préoccupation, théorisée en 2019 pour justifier sa politique de rapprochement avec Moscou, est antérieure au conflit, mais n’a fait que se renforcer dans l’esprit d’Emmanuel Macron depuis le déclenchement de l’invasion russe.

Si Paris a pu penser un temps que l’hiver pourrait offrir une fenêtre d’opportunité pour de telles discussions, en escomptant un ralentissement des combats sur le terrain, Vladimir Poutine ne donne aucun signe de rechercher un cessez-le-feu. Le président russe répète au contraire, comme il l’a fait encore mercredi 7, que le conflit sera « un long processus ». L’urgence du moment, côté allié, est donc plutôt de continuer à soutenir la résistance ukrainienne, dans l’espoir qu’elle garde l’initiative, afin d’arriver en position de force dans d’éventuelles négociations.

Paris se défend d’être un « mauvais allié »

Volodymyr Zelensky lui-même a conditionné tout arrêt des combats au retrait complet des forces russes. Et le président ukrainien demande à ses alliés de mettre sur pied, faute de perspective rapide d’adhésion à l’OTAN, un « pacte de sécurité » visant à protéger Kiev de toute nouvelle attaque russe. Un projet en ce sens a été proposé par l’ancien secrétaire général de l’OTAN, le Danois Anders Fogh Rasmussen. La sortie du conflit ukrainien se fera en offrant des « garanties de sécurité pour l’Ukraine », a aussi estimé, lundi, le diplomate en chef de l’Union européenne, Josep Borrell, dans un discours devant l’Institut Jacques Delors à Paris : « Pour la Russie, on en parlera plus tard. »

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Face à l’ampleur des réactions, Emmanuel Macron a tenté d’endiguer la controverse : « Il ne faut pas faire de grands cas, essayer de créer des polémiques là où il n’y en a pas », a réagi le président français, lors d’un sommet avec les pays des Balkans, mardi à Tirana. « J’ai toujours dit la même chose, c’est-à-dire qu’à la fin, dans les discussions de paix, il y aura des sujets territoriaux sur l’Ukraine – et ils appartiennent aux Ukrainiens –, et il y aura des sujets de sécurité collective sur toute la région. » Paris se défend donc d’être un « mauvais allié », quelques jours avant d’organiser avec Kiev, mardi 13, une grande conférence humanitaire pour aider l’Ukraine « à passer l’hiver ». « Nous ne sommes pas les seuls à dire qu’il faudra un accord pour mettre fin à cette guerre déclenchée par la Russie », se défend un diplomate français. « Il faudra bien alors que chacun y trouve son compte. »

Le chancelier allemand, Olaf Scholz, s’inscrit lui aussi dans cet état d’esprit. « La priorité est que la Russie mette immédiatement fin à la guerre et retire ses troupes », a-t-il dit jeudi dans un entretien au quotidien Ouest-France et au groupe de presse allemand Funke, tout en ajoutant : « Nous sommes bien sûr prêts à discuter avec la Russie du contrôle des armements en Europe. » Pas certain que ses propos parviennent à rassurer les capitales de l’Est du continent, tant l’autorité de Berlin, comme celle de Paris, y est contestée depuis le début de l’invasion russe.

Philippe Ricard

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