jeudi 8 décembre 2022

L’Allemagne face à une extrême droite violente et séditieuse -- Le Monde

 


https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/08/l-allemagne-face-a-une-extreme-droite-violente-et-seditieuse_6153519_3210.html


L’arrestation, mercredi, de 25 personnes impliquées dans une tentative de coup d’Etat confirme la radicalisation d’une mouvance conspirationniste dans le pays.

Par Thomas Wieder(Berlin, correspondant)

Publié le 08 décembre 2022 à 14h00, mis à jour le 08 décembre 2022 à 16h15

Temps de Lecture 4 min.


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Henri XIII prince de Reuss, l’une des principales figures de la cellule démantelée par la police allemande lors de son arrestation, à Francfort (Allemagne), le 7 décembre 2022. Henri XIII prince de Reuss, l’une des principales figures de la cellule démantelée par la police allemande lors de son arrestation, à Francfort (Allemagne), le 7 décembre 2022. BORIS ROESSLER / AP

Vingt-cinq personnes, c’est peu pour réussir un coup d’Etat, mais assez pour fomenter une conspiration. Si les vingt-cinq conjurés arrêtés par la police allemande, mercredi 7 décembre, avaient sans doute peu de chance de mettre leurs plans à exécution – prendre d’assaut le Bundestag, renverser le gouvernement et confier le pouvoir au rejeton d’une vieille famille aristocratique –, le coup de filet dont ils ont été l’objet est venu rappeler une réalité inquiétante : près de quatre-vingts ans après la fin de la seconde guerre mondiale, il existe en Allemagne une extrême droite résolument séditieuse, prête à basculer dans la violence pour subvertir la République et restaurer le Reich (« empire »), à l’instar des Reichsbürger, littéralement les « citoyens du Reich », un mouvement apparu dans les années 1980. Plusieurs des personnes arrêtées en seraient proches.

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Dans un long communiqué publié mercredi après-midi, le parquet fédéral a donné un certain nombre d’informations sur la cellule démantelée quelques heures plus tôt. Fondée « au plus tard fin novembre 2021 », cette « association terroriste » avait pour but de « renverser l’ordre étatique existant en Allemagne », un objectif « ne pouvant être atteint que par l’utilisation de moyens militaires et le recours à la violence contre les représentants de l’Etat ». Selon le parquet, quelques-unes des personnes arrêtées mercredi étaient même allées jusqu’à « faire des préparatifs concrets pour pénétrer violemment dans le Bundestag avec un petit groupe de gens armés ».



Parmi les vingt-cinq conjurés arrêtés par la police, trois, surtout, ont retenu l’attention des médias allemands. Le premier est un certain Henri XIII, prince de Reuss, interpellé chez lui dans un quartier huppé de Francfort. Agé de 71 ans, ce descendant d’une illustre lignée aristocratique de Thuringe « était considéré à l’intérieur de son petit groupe comme le futur chef de l’Etat », explique le parquet dans son communiqué. Plutôt inattendu pour cet homme qui fit carrière dans l’immobilier et le vin pétillant, ce glorieux destin semblait parfaitement convenir à l’intéressé. « Après avoir gouverné pendant des millénaires, ma dynastie a été privée de tout pouvoir après la première guerre mondiale », un conflit provoqué par des « puissances étrangères », avait-il déploré, en 2019, lors d’une réunion de chefs d’entreprise à Zurich (Suisse).

Ce jour-là, il s’en était également pris à la « famille Rothschild » et à la « finance franc-maçonnique », accusées d’être responsables des « guerres » et des « révolutions » du XXe siècle. Au sein de sa famille, ce septuagénaire semble assez isolé. En août, son cousin Henri XIV, l’actuel chef de cette lignée princière, avait publiquement coupé les ponts avec « ce vieil homme farfelu » ayant rompu avec les siens « depuis quatorze ans ».

« Une grave menace terroriste »

La deuxième figure marquante arrêtée mercredi est Rüdiger von Pescatore. Ancien commandant d’un bataillon de parachutistes de 1993 à 1996, ce presque septuagénaire a été mis au ban de la Bundeswehr (armée allemande) après avoir été impliqué dans une obscure affaire de possession illégale d’armes à feu. Après un exil de quelques années au Brésil, cet ancien officier passionné par l’histoire de la franc-maçonnerie est revenu s’installer en Allemagne. Selon le parquet, cet homme de 69 ans dirigeait le « bras armé » de la cellule démantelée mercredi matin.

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Troisième personnalité arrêtée et mise en avant par la police, mercredi : Birgit Malsack-Winkemann. Agée de 58 ans, cette ex-députée du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), membre du Bundestag de 2017 à 2021 et devenue, depuis, magistrate dans le Land de Berlin, était destinée à devenir ministre de la justice dans l’hypothétique futur gouvernement du Reich. Ancienne championne de tir, elle était également supposée aider ses camarades conjurés à prendre le contrôle du Bundestag le jour de l’assaut, connaissant elle-même parfaitement les lieux.

Tout au long de la journée de mercredi, les réactions se sont multipliées, en Allemagne, après ce coup de filet qui a mobilisé plus de 3 000 membres des forces de l’ordre réalisant plus de 130 perquisitions dans onze des seize Länder du pays, soit l’une des opérations de police les plus importantes de toute l’histoire de la République fédérale. Ces arrestations « lèvent le voile sur l’abîme d’une grave menace terroriste », a commenté la ministre fédérale de l’intérieur, Nancy Faeser. Les actions fomentées par les personnes arrêtées sont « d’une nature nouvelle », a réagi le président fédéral, Frank-Walter Steinmeier, en marge d’une visite dans une petite ville de Saxe.

Une mouvance très active en Allemagne

Les violences d’extrême droite ne sont toutefois pas une nouveauté en Allemagne. Depuis l’attentat commis en 1980 lors de la fête de la bière de Munich, qui a fait treize morts, le plus meurtrier de l’histoire de la République fédérale, l’extrême droite allemande s’est régulièrement manifestée par son ultraviolence. Ces dernières années ont été marquées par plusieurs épisodes sanglants, comme l’assassinat du préfet Walter Lübcke et l’attaque de la synagogue de Halle (Saxe-Anhalt), en 2019, ou la tuerie de Hanau (Hesse), début 2020, qui a fait une dizaine de morts dans des bars à chicha et dont les victimes étaient ciblées parce que supposées musulmanes.

Les personnes arrêtées mercredi avaient un autre dessein. Leur intention n’était pas de s’en prendre à des étrangers mais à l’Etat allemand. Au moins la moitié des vingt-cinq individus arrêtés seraient proches des Reichsbürger, dont les membres ne reconnaissent pas la légitimité des institutions de la République fédérale et vont jusqu’à se fabriquer de faux papiers et de fausses plaques d’immatriculation, ou refusent de payer amendes et impôts.

Ces dernières années, le nombre de Reichsbürger a fortement augmenté, selon les décomptes de l’office fédéral de protection de la Constitution (BfV), qui les estimait à environ 16 000 en 2016 et à plus de 21 000 en 2021. Parmi eux, seule une minorité, environ un millier, était toutefois considérée comme susceptible de commettre des violences de nature terroriste, selon le BfV.

L’importante opération de police de mercredi matin vient rappeler que cette mouvance reste particulièrement active en Allemagne. « Depuis quelques années, à la faveur de la pandémie de Covid-19, le milieu des Reichsbürger s’est à la fois élargi, en attirant des personnes sensibles aux théories conspirationnistes, et radicalisé, en prônant des actions encore plus violentes que par le passé », explique Peter Neumann, professeur au King’s College de Londres et spécialiste du terrorisme d’extrême droite. « La nébuleuse des Reichsbürger, en Allemagne, est également très attentive à ce qu’il se passe aux Etats-Unis. De ce point de vue, l’assaut contre le Capitole, le 6 janvier 2021 à Washington, est clairement une source d’inspiration pour certains membres de ce milieu qui rêvent de reproduire, en Allemagne, ce qu’on a vu aux Etats-Unis. »

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« Le milieu des Reichsbürger est extrêmement hétérogène », souligne également Tobias Ginsburg, auteur d’un ouvrage intitulé Die letzten Männer des Westens (« les derniers hommes de l’Occident », Rowohlt, 2021, non traduit), récit d’une plongée de plusieurs mois dans l’extrême droite allemande. « L’idée de vouloir renverser les institutions de la République fédérale n’a rien de nouveau, depuis la naissance de celle-ci des groupes d’extrême droite estiment qu’elle n’a aucune légitimité et qu’il faut la renverser. Ce qui a changé, en revanche, ces dernières années, c’est qu’une telle vision des choses est devenue plus banale, plus acceptable, y compris chez des gens qui n’appartiennent pas, sociologiquement, aux milieux traditionnels de l’extrême droite. »

Thomas Wieder(Berlin, correspondant)

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