mercredi 16 novembre 2022

​Est-il vrai que l’Iran vient de condamner à mort 15 000 manifestants ? - Libération

 


Contrairement à ce qui circule, l’Iran n’a pas annoncé l’exécution des 15 000 protestataires arrêtés. Mais une majorité de parlementaires et le chef de la justice iranienne ont demandé à ce que les manifestants soient punis sévèrement.


Une moto de police brûlée lors d'une manifestation en réaction à la mort de Mahsa Amini, à Téhéran, le 19 septembre. (West Asia News Agency)/REUTERS)

par Jacques Pezet

publié le 15 novembre 2022 à 15h49


De nombreuses publications partagées sur les réseaux sociaux affirment depuis quelques jours que l’Iran vient de «condamner à mort 15 000 manifestants». En France, l’information a également été citée par l’économiste Jacques Attali qui évoque l’«annonce par le gouvernement iranien de la prochaine exécution de 14 000 manifestants», ou par l’eurodéputée écologiste Karima Delli selon qui «le Parlement iranien vient d’autoriser l’exécution de 15 000 manifestants et manifestantes anti-hijab».

Why isn’t this the lead story worldwide??? It would be a crime against humanity!!!Please add any superlative you can!!! pic.twitter.com/kclLS1bFOJ
— Peter Frampton (@peterframpton) November 14, 2022

Cette rumeur repose sur des confusions, même s’il existe une vive inquiétude des ONG et de la communauté internationale quant au sort des manifestants. «Ce n’est pas vrai», indique Mahmood Amiry-Moghaddam, le directeur de l’ONG Iran Human Rights, basée à Oslo, et qui alerte pourtant régulièrement sur le respect des droits de l’homme en Iran. «Ce qui se passe actuellement, c’est que potentiellement, toute personne arrêtée peut être accusée de n’importe quoi» et donc risque la peine de mort, explique notre interlocuteur. «Selon les informations officielles, vingt personnes ont été mises en accusation pour des crimes passibles de la peine de mort. Il y a eu un condamné à mort. Nous pensons que ces nombres peuvent être plus élevés», rapporte Mahmood Amiry-Moghaddam. Selon les informations publiées par la presse iranienne, la personne qui « avait mis le feu à un centre gouvernemental » a été condamnée à mort. Elle était accusée de « guerre contre Dieu », de trouble à l’ordre public et de collusion pour avoir commis un crime contre la sécurité nationale. Le média allemand Deutsche Welle précise qu’il s’agit de Sahand Nourmohammad-Zadeh, un jeune homme de 17 ans, qui avait mis le feu à une poubelle à Téhéran.

D’où est venue la rumeur selon laquelle le gouvernement ou le Parlement iranien ont annoncé la condamnation à mort de 15 000 protestataires ? La confusion semble provenir de plusieurs informations mal retransmises.

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Le nombre de 15 000 correspond à une estimation, citée par la presse, du nombre de manifestants arrêtés depuis le début des protestations faisant suite à la mort de Mahsa Amini. Aucune information du gouvernement ou du Parlement iranien ne confirme ce chiffre.

Concernant le sort de ces manifestants arrêtés, plusieurs articles de presse citent une lettre de 227 députés iraniens. Ce qui correspond à une information partagée dimanche 6 novembre par la presse iranienne, et notamment la chaîne internationale Press TV (qui relaie la communication du régime iranien). Les médias iraniens ont ainsi rapporté que 227 députés (sur 290) avaient adressé une lettre à la justice pour «traiter comme les [terroristes] de Daech ceux qui ont fait la guerre [contre le régime islamique] et ont attaqué la vie et les biens des gens, d’une manière qui servirait de bonne leçon, dans les délais les plus courts possible».

Les parlementaires visent ainsi les participants qui protestent depuis la mort de Mahsa Amini et affirment qu’une punition «prouvera à tous que la vie, les biens, la sécurité et l’honneur de notre cher peuple constituent une ligne rouge pour ce régime [islamique], et qu’il ne fera preuve d’aucune indulgence envers quiconque à cet égard».

​Pas de vote au Parlement ni d’annonce du gouvernement

Cette menace a été prise au sérieux par un comité d’experts des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, qui confirme dans un communiqué que «le 6 novembre, en violation flagrante de la séparation des pouvoirs, 227 membres du Parlement ont demandé au pouvoir judiciaire d’agir de manière décisive contre les personnes arrêtées lors des manifestations et d’appliquer des sanctions passibles de la peine de mort». L’existence de cette lettre a aussi été citée par d’autres médias internationaux tels que la BBC ou CNN, ainsi que par des ONG tels que Iran Human Rights.

Mais comme l’indiquent les experts de l’ONU, cette lettre est une demande des députés adressée au pouvoir judiciaire. Il ne s’agit pas d’un vote ou d’une annonce du gouvernement condamnant à mort l’ensemble des 15 000 manifestants arrêtés.

Cependant, comme le souligne le directeur d’Iran Human Rights, la crainte de condamnations à mort à venir de manifestants (pour l’heure, un homme a été condamné à mort en lien avec les manifestations) subsiste en Iran : «le 7 novembre, le chef du pouvoir judiciaire, Mohseni-Ejei, a demandé à tous les juges d’agir fermement contre les manifestants et donc à appliquer la peine de mort pour certains».

Cette information a effectivement été rapportée par la presse iranienne, le 7 novembre, soit le lendemain de la lettre des 227 parlementaires. L’agence de presse iranienne IRNA rapporte qu’il a déclaré que «les émeutiers recevront une réponse forte et ferme parce qu’ils ont troublé la sécurité des gens, perturbé leurs moyens de subsistance et insulté leurs croyances» et aussi «qu’il n’y aura aucune pitié pour tous ceux qui ont mené ces actions et sont les principaux coupables».

En 2021, l’Iran a exécuté au moins 314 personnes, selon Amnesty International. C’est le second total connu le plus élevé au monde, derrière celui de la Chine.

​Affirmation à vérifier

L'iran a condamné à mort 15 000 manifestants

​Conclusion

Faux. Une telle annonce n'a pas été faite par le parlement ou le gouvernement iranien.


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